Chapitre 2
Ecrit par Les petits papiers de M
Oyembo
Pour une fois, je suis heureux d’être pris dans les
embouteillages alors que je sors du boulot. J’ai besoin de réfléchir et surtout
de faire redescendre la pression avant de rentrer chez moi. Je suis très
souvent pris par mon travail, alors je fais de mon mieux pour avoir des moments
de qualité avec ma femme et mes enfants quand je suis à la maison. Rien que le
fait de penser à eux dessine un large sourire sur mes lèvres. Mais il est
aussitôt effacé par le souvenir de mes soucis.
En dépit de mes efforts et la bonne musique
d’Alèkpéhanhou qui s’écoule dans l’habitacle luxueux de ma Range Rover, je
n’arrive pas à oublier les mots de Iké. Quand j’avais commencé à rencontrer des
difficultés ces dernières semaines, je me suis dit que c’était anodin et que le
climat s’améliorerait très vite. Mais une succession de malheurs inexpliqués
m’avaient poussé à le contacter. Et la sentence était tombée, nette et claire. Je pourrais repousser l’échéance
autant que je voudrais, mais si je voulais évoluer, ou tout au moins maintenir
mon train de vie, je devais renouveler le pacte.
Avec le recul, je réalise que j’ai été naïf de croire
qu’il me suffirait d’intégrer la secte après les innombrables rites que j’avais
suivis pour être riche à vie. En voyant le déclin de Claude et Alain, j’aurais
dû comprendre que les choses n’étaient pas si simples. Mais cela changeait-il
vraiment quelque chose pour moi ? Le fait même que je sois en train de
réfléchir à la proposition de Iké n’était-il pas une preuve suffisante que
j’avais basculé totalement de l’autre côté ? Que le pauvre Oyembo d’il y a
à peine cinq ans n’existait plus ? De menuisier à PDG… non, je n’étais pas
prêt à repartir à zéro. Mais à quel prix ? Là se trouvait toute la
question.
Je me retrouvai trop tôt à mon goût devant la maison.
Il m’avait fallu presque deux heures pour faire le trajet Cadjehoun Calavi. Il
y a seulement trois mois que nous avions emménagé dans cette belle villa
construite expressément pour me mettre aux normes avec mon nouveau statut. De
ma case à Gouka à ce quartier résidentiel de la Zopa où je suis entouré de
ministres, hommes d’affaires, généraux, le chemin aura été long et difficile.
Il faut que je trouve le moyen de ne pas chuter.
J’efface mentalement tous mes soucis et me compose un
visage accueillant avant de couper le moteur. Dès que je descends, ils se
jettent tous les trois sur moi. Mes deux princesses et mon héritier. Le plus
beau de tous les petits garçons de la terre. Je suis si fier de mes enfants.
Ils me conduisent en bavardant à la cuisine où m’attend leur mère. Arikè est la
plus merveilleuse des épouses. Elle était déjà ma fiancée à Gouka. Elle
s’attendait certainement à ce qu’une fois riche, je l’oublie. Mais mon amour
pour elle a toujours été sincère. Etant institutrice dans notre village, rien
ne l’obligeait à accepter le menuisier à peine scolarisé que j’étais comme
copain. Alors aujourd’hui, j’ai mis le
monde à ses pieds. Désormais, elle ne travaille plus et se consacre uniquement
aux jumelles et à mon prince. L’argent est ce qui me manque le moins, nous
pouvons donc tout nous permettre.
J’échange quelques minutes avec ma famille avant de
monter dans ma chambre. J’ai fait construire cette maison de deux étages il y a
à peine quelques mois. Au rez-de-chaussée, se trouvent le salon, le mini bar,
la cuisine, mon bureau et la boyerie. Au premier, les chambres des enfants,
leur salle de jeu et leur salle d’étude. Au dernier étage, ce sont les
appartements du couple royal composés de nos deux chambres, d’un salon commun
et d’une salle de sport.
Après m’être assuré que ma chambre était bien fermée, je peux enfin me déshabiller et aller
prendre un bain. Arikè sait qu’elle n’a pas le droit de rentrer dans cette
chambre. Cela a toujours été le cas depuis que nous sommes mariés. Nous n’avons
jamais partagé la même chambre. La raison officielle est que je suis maniaque.
Dès le début de notre relation je lui ai sciemment pris la tête pour des
questions d’ordre et de propreté même lorsque ce n’était pas nécessaire. La
réalité était que j’avais trop honte de ma case au village. Mais dans les
circonstances actuelles, cela nous protège tous. Pour couper court aux disputes
incessantes, elle a suggéré que chacun ait son espace. Depuis lors, nous vivons
heureux. Elle a la chambre la plus spacieuse de cet étage avec le dressing le
plus beau qu’une femme pourrait désirer. Elle n’a aucun motif valable pour
franchir la porte de ma chambre. Mon ménage, je le fais moi-même.
Une fois nu, je me dirige vers mon dressing. Au beau
milieu du mur, faisant face à la porte se trouve un tableau grandeur nature de
nous sur lequel j’arbore une chevalière à la main droite. J’appuie sur la
chevalière et après un léger déclic, je peux pousser le portrait et pénétrer
dans ma deuxième chambre, la pièce la plus importante de cette maison. Sur le
mur, mon nom est gravé en lettres de sang : Oyembo BABATUNDE. Je passe
environ une heure à faire mes prières et sacrifices avant de rejoindre ma salle
de bains avec une décoction de feuilles que j’utilise régulièrement pour me
laver. Dans le monde où j’évolue, on n’est jamais trop prudent.
Mon bain fini, je redescends rejoindre ma famille pour
le dîner. J’essaye de passer du temps avec eux avant de les mettre au lit et de
rejoindre ma femme dans sa chambre. Nous parlons de tout et de rien avant
d’être emportés par le sommeil. Non seulement ma journée a été éprouvante, mais
celle qui m’attend demain pourrait être pire. Je reçois des pressions de
partout.
Eniola
« Coucou mes Catherine et Nicolas ! Comment se portent vos cœurs de
célibataires et célibattants ce matin ? J’ai une histoire palpitante pour
vous. Vous connaissez déjà ma colocataire Gigi la marieuse. Ne vous inquiétez
pas, elle ne m’a pas encore dégoté un Nicolas digne de me faire basculer. Par
contre elle a un petit-ami. Et pas n’importe lequel : riche, stylé, mais…
Oui, avec moi il y a toujours un mais ! Seulement, aujourd’hui je vous
laisse être les aigris de service. Ça fait un bien fou de se défouler de temps
à autre sur les petits couples parfaits. A votre avis, quel est le défaut de
notre nouveau beau-frère ? Laid,
édenté, bouche puante ? Lâchez-vous ! Mais n’oubliez pas la
règle ! Nous sommes ironiques, pas aigris. A ce soir pour la suite de
l’histoire. Cathy la catherinette. »
Connaissant mes abonnés, ils vont se lâcher. On aime
bien se moquer, se taquiner, mais sans jamais verser dans les insultes. Je me
déconnecte en me promettant de revenir lire les commentaires et y répondre à ma
pause. Je rédige aussitôt le chapitre que je compte poster au sujet du chéquier
sur pattes avant de me décider à commencer ma journée. Je suis arrivée plus tôt
aujourd’hui. J’avais oublié qu’en cette période de congés scolaires, la route
serait libre. Comme d’habitude, Adolphe est le prochain à franchir les portes.
Il semble surpris de me voir. Il me salue rapidement, semble vouloir dire
quelque chose mais se ravise finalement et se dirige vers son bureau. Si je ne
savais pas avec certitude que c’est un drôle de personnage, j’aurais juré que
je l’intimidais et qu’il n’osait pas me faire la cour. Mais c’est Adolphe.
C’est juste impossible. Je pense que je dois lui trouver un surnom et l’intégrer
à ma chronique. Mais on verra ça plus tard. Cette journée est chargée parce que
j’ai plusieurs rendez-vous à l’extérieur. Je dois rencontrer deux auteurs que
nous devons publier pour discuter de leurs contrats. Nos bureaux n’étant pas
très grands, je les rencontre en ville ou chez eux. Ensuite, je dois voir notre
imprimeur pour enfin déposer les versions définitives des livres de Rose et
Anaïs. Et pour finir, direction notre librairie attitrée pour m’assurer que les
livres de ma collection sont bien placés et qu’il n’y a pas de soucis. J’espère
avoir fini à temps pour repasser au bureau avant de rentrer chez moi.
Les rendez-vous me prennent plus de temps que prévu et
l’imprimeur n’est finalement plus disponible avant 15 heures. Je décide donc de
m’arrêter à O ’grill pour déjeuner. Je réalise que ce ne sera pas facile de
trouver une place, mais avec le creux que j’ai, je crois que je serai morte
avant d’atteindre un autre restaurant. Si seulement je ne m’étais pas habillée
aussi bien pour impressionner mes rendez-vous, je serais allée m’asseoir au
Diallo du coin. Alors que désespérée après avoir poireauté dix bonnes minutes,
je me résignais à partir, je me sens retenue par le poignet.
-
Si vous êtes en quête d’une place libre,
nous serons ravis de vous accueillir à la nôtre
Je remonte des yeux les doigts fins et manucurés qui
me retiennent et tombe sur des yeux rieurs qui me fixent en attendant ma
réponse. J’ignore quoi des frissons qui me parcourent et des yeux qui me fixent
me fait bégayer, mais je suis incapable de répondre. L’autre homme qui partage
sa table tire la chaise libre en me faisant signe de m’asseoir.
-
Qui ne dit mot consens. Prenez place ma
chère
Je me suis assise, reconnaissante. Et un tantinet
inquiète. Mais on était en plein restaurant, au milieu d’une bonne centaine de
personnes, et ils m’avaient l’air d’être tout le contraire de tueurs en série.
Je respirai un grand coup après avoir vidé d’un trait le verre d’eau que
j’avais demandé au serveur avant toute chose.
-
Gars 1 : vous aviez vraiment très
soif on dirait
-
Vous n’imaginez pas à quel point. Soif et
faim aussi. Vous m’avez juste sauvé la vie. (m’adressant au serveur) langue de
bœuf avec du riz et des frites nature.
-
Gars 2 : et elle connait le menu par
cœur !
-
(Riant) même pas. C’est le premier plat
qui m’est venu en tête
-
Gars 1 : je suis Oyembo Babatoundé
-
Gars 2 : et moi Iké Ousmane
-
Eniola Affolabi. Enchantée et merci encore
de m’inviter à votre table
-
Oyembo : Affolabi ? (En yoruba)
vous êtes des nôtres alors ?
-
Moi : oui !
Nous découvrant ainsi des origines communes, nous
avons échangé durant le reste du déjeuner en yoruba. Originaires tous deux du
centre du pays, ils étaient en fait nago mais parlaient couramment le yoruba,
langue de ma mère que j’ai apprise puisque de toute façon, mon père n’était pas
là pour m’apprendre la sienne. Même si finalement, aucun de ces deux bels
hommes ne m’a draguée, j’ai passé un excellent moment avec eux. Ils m’ont dit
être des hommes d’affaire et m’ont laissé leurs cartes de visite avant qu’on ne
se sépare.
Oyembo
-
C’est vraiment un beau brin de fille
-
Enlève tes yeux de là, Iké
-
Je le disais sans arrière-pensée. Tu sais
bien que ce n’est pas mon genre. Elle sent la célibataire qui veut le mariage à
mille lieues. Et ça, c’est la catégorie à fuir de toutes ses forces
-
Tu as tort mon cher. Il y a de grandes
joies dans le mariage
-
Pas pour les gens comme nous. Et le
dilemme dans lequel tu es, en est bien la preuve
-
(Soupirant)
je vais trouver une solution.
-
Il vaudrait mieux pour toi. Tu auras beau
tuer des centaines de moutons et de bœufs, ce n’est que faire l’autruche. Tu
sais très bien ce que la haute chambre attend de toi.
-
Je sais, mais je ne me vois pas me
laisser… je n’arrive même pas à le dire à voix haute
-
Raison pour laquelle je t’ai dit de
prendre la deuxième option
-
Elle n’est pas davantage facile
-
Ecoute mon frère, dans cette vie on
n’obtient rien sans sacrifice. Tous ces gens dans ton quartier ont eu à
sacrifier quelque chose. Que personne ne te trompe sous ses airs de grands
chrétiens. C’est difficile certes, mais tu as fait ton choix, assume-le. Et surtout décide toi vite. C’est un cadeau que la vie
n’offre pas à tout le monde.
Cadeau… ce mot a raisonné longtemps dans ma tête après
son départ. En effet, il y a cinq ans j’ai considéré cela comme un cadeau.
Venir à Cotonou, me faire connaitre cette vie de luxe pour m’appâter et ensuite
me ferrer en me proposant d’atteindre ce niveau sans pour autant me donner
toutes les clés pour évaluer la gravité du choix que je faisais. Seulement, je
ne l’en blâme pas. On a toujours le choix. Je dois avoir l’honnêteté de le
reconnaitre.
Je finis mon verre et règle l’addition avant de me
diriger à pied vers la Bulle, une petite librairie située à quelques rues de
là. La menuiserie, je l’ai apprise sur le tas dans mon village. Etant donné que
c’est principalement dans ce domaine que j’ai décidé d’investir mon argent, je
me cultive en achetant régulièrement des ouvrages spécialisés en plus d’être
abonné à un certain nombre de magazines professionnels. Et tout cela est également
mis à la disposition de mon personnel technique dans la mini bibliothèque de la
société. C’est ainsi qu’au-delà du
lobbying dont je peux bénéficier grâce à mes « frères », Design
Intérieur, ma société se fait un nom dans le milieu.
Une demi-heure plus tard je suis interpellé par une
voix qui me semble familière alors que j’hésite entre deux livres pour enfants.
J’ai la surprise de revoir Eniola.
-
Je ne pensais pas vous revoir si vite
Eniola
-
J’ai cru un instant que c’est vous qui me
suiviez
J’éclate de rire. Elle est vraiment drôle cette fille.
-
(Avisant les livres dans mes mains) :
besoin d’aide ?
-
Vous travaillez ici ?
-
Non. Mais je bosse dans le milieu du
livre. C’est pour vos enfants ?
-
Non, non. Je voulais faire un cadeau à un
neveu, mais j’ai l’embarras du choix
-
Il a quel âge ?
-
4 ans
-
Je pense qu’aucun des deux n’est adapté.
Il y a beaucoup trop de textes.
Sur ses conseils, je finis par prendre deux autres
livres. Alors qu’elle s’éloigne après avoir réglé ses achats, une question me
taraude : pourquoi lui ai-je menti ?