Chapitre 2
Ecrit par sokil
Chapitre 2 : Saignements du cœur
Je venais tout juste d’avoir dix neuf ans quand on s’était rencontrés ;
nous nous fréquentions depuis un bon bout. Nous n’étions que de simples
amis, comme on dit vulgairement, mais il ne fallait pas se mentir, car
ni lui, ni moi, personne n’osait se l’avouer, l’attirance était très
forte. J’en avais honte parce que c’était la toute première fois qu’un
garçon me fasse autant d’effet. Les
amourettes entre adolescents n’étaient pas trop ma tasse de thé ; je
n’avais vraiment pas eu de copain en tant que tel ; trop timide j’étais,
voire même trop fermée dans ce sens. En gros, je détestais tout ce qui
était relatif aux rapports entre filles et garçons. J’étais en quelque
sorte une « écorchée vive » ; l’histoire de mes parents m’avait
complètement bouleversée au point d’en vouloir à la terre entière, et
plus particulièrement aux hommes. Je ne les fréquentais et ne les
côtoyais presque pas, ce qui arrangeait en quelque sorte ma tante
Sidonie.
- Au moins ça te permet de te concentrer sur d’autres
choses… Les hommes ! Ils n’en valent pas la peine, c’est moi qui te le
dis !
Je la croyais dur comme fer et je savais qu’elle avait
raison ; elle avait vu ma mère souffrir de son choix d’avoir épousé un
homme à femmes. Petit à petit je m’endurcissais, ne voulant en aucun cas
tomber dans ce genre de piège.
- Tous les hommes sont pareils,
ne te leurre pas ! Ils te montrent une facette et te font croire bien
des choses, mais au fond, et ça j’en ai la certitude, ils sont tous des
hommes à femmes ! Aucun n’est fidèle ! Je sais de quoi je parle !
Voila le cadre dans lequel j’ai grandi ; Sidonie elle-même, célibataire
endurcie avait fait ce choix, pas par convenance, mais par obligation;
après plusieurs déceptions, elle avait fini par rencontrer un homme dont
elle était tombée follement amoureuse et qui lui avait fait pleins de
promesses…en l’air ! Elle avait cru en lui et pensait qu’il sortait du
lot, il était si différent. Tout avait été planifié, les fiançailles et
le mariage qui suivrait juste après. Je n’avais que de vagues souvenirs
de ces moments, je le voyais bien cet homme à la moustache avec ma tante
à ses côtés, pensant qu’il pourrait peut être s’agir mon père. Je me
souviens de sa belle tenue de cérémonie blanche … Mais je n’avais jamais
compris ce qui se passa par la suite. J’ai encore cette image gravée
dans ma mémoire ; je la voyais pleurer comme un bébé pendant qu’on la
soutenait ! Elle portait toujours cette tenue blanche et s’était affalée
par terre ; on la relevait, mais elle tenait à rester à même le sol, je
me souviens de son évanouissement pensant qu’elle était morte, Je me
souviens aussi que je m’étais mise à pleurer sans rien comprendre…
- Je dis bien le même jour… Et où ? A l’Église !
- Aujourd’hui je comprends tout ! Il … ne t’a jamais épousée c’est ça ?
- Non ! C’est le jour de mon mariage que découvre son vrai visage…
- Vous vous êtes disputés ?
- C’est bien pire…Tu imagines ? La mariée attendre son futur époux ?
Alors que ça devrait être le contraire. Le maire avait été déplacé pour
la circonstance, quelle honte !!! Il n’est … jamais venu ! Il avait
envoyé une missive pour me faire comprendre qu’il était désolé et qu’il
avait changé d’avis, il disait qu’il ne sentait pas prêt pour ça, le
mariage ! Ce qui finit par m’anéantir c’est qu’on venait d’apercevoir le
bon monsieur entrain de célébrer son propre mariage, avec une autre, le
même jour !
- Le même jour ???
- Je dis bien le même jour… Et où ? A l’Eglise !
- Quel goujat !
- Je n’en suis pas morte, mais il a tué quelque chose en moi ! Je ne
suis plus en mesure d’aimer, je ne crois plus en rien ! Fais juste
attention, tu es déjà une grande fille, mais pas assez grande pour
comprendre certaines choses, je les vois rôder autour de toi et dis toi
bien que ce sont tous des menteurs !
- Oui … je… je sais !
J’aimais la façon qu’elle avait de toujours dialoguer, c’est ça qui
nous rapprochait, sa sincérité et le fait qu’elle me dise la vérité
concernant certains aspects de la vie, la sienne en l’occurrence ; elle
savait me parler et soutenait tous ses dires par des exemples concrets
et terre à terre ; s’il arrivait qu’elle parle d’elle, de son vécu et de
ses expériences heureuses ou malheureuses, elle ne me cachait rien. Je
lui faisais confiance en tous points. Mais je grandissais et ma
personnalité se développait, mon charisme et mon charme faisaient
beaucoup d’effets auprès de la gente masculine ; je n’étais pas bête et
j’essayais d’être assez prudente.
Nous nous croisâmes par
hasard devant la boutique de Moussa, célèbre boutiquier réputé dans
notre quartier, il n y avait que lui qui possédait le meilleur pain de
la place et il fallait y aller très tôt pour se faire vite servir ces
aliments à base de farine pétrie et cuite. On venait lui livrer très
tôt, aux alentours de six heures du matin et avant même qu’il ne
réceptionnait la marchandise, un rang de plusieurs personnes s’était
déjà formé. C’était ma corvée tous les matins, aller acheter du bon pain
de chez Moussa ! A ma grande surprise, je trouvai que le rang venait de
se défaire laissant place à une bousculade dont je ne connaissais pas
l’origine. Mais en me rapprochant de plus près, on m’expliqua que tout
était parti d’une simple dispute entre deux personnes, il s’agissait de
deux mecs, l’un était plus grand de taille et l’autre trapu et plus
court. Ça n’arrêtait pas, au contraire ça dégénérait et Moussa venait de
fermer boutique ; il ne servirait pas du pain dans ces circonstances.
- Moi j’ai faim hein ? C’est même quoi ? Et tout ça à cause de qui même ?
Je m’exclamai subitement et je piaffai tout en me dirigeant vers ces
deux gus ! Moussa n’ouvrirait pas de toutes les façons et leur
altercation avait crée un mouvement de foule qui finit par se disperser,
les plantant là. Je m’étais dirigée vers eux, tout en les fusillant du
regard, voulant leur dire deux mots à tous les deux ; au fur et à mesure
que je me rapprochai d’eux, je constatai qu’ils se détendirent et
finirent par se faire des petites tapes dans le dos.
- A quoi vous jouez tous les deux ?
Le plus grand, lorsqu’il me vit se diriger tout droit vers eux, sourit
et prit la peine de me dévisager non sans gêne avant de me répondre.
- Calme toi ma belle ce n’est pas…
- Pardon ? Me calmer ? C’est à moi que vous dites ça ? Tout à l’heure
là quand on vous a demandé de vous calmer pourquoi ne l’avez-vous pas
fait ? Vous croyez que la vie est si facile ? Peut être que chez vous on
vous prépare facilement tout ce dont vous avez besoin et vous venez
créer le désordre ici ! Moussa ne blague pas et quand il ferme ! Il
ferme ! Moi je veux alors mon pain !!!
- Ekie ! Ahahaha ! Non écoute ne prends pas ça mal !
- Tu me tutoies qu’on se connait ?
L’autre compère ne disait mot, se contentant juste de rire bêtement. Ce
qui ne fit que décupler ma colère. Je leur fis part de mon
mécontentement et ensuite je tournais les talons.
- Tsuippp ! De toutes les façons c’est mort pour aujourd’hui !
Il ne tarda pas à me rattraper, et lorsqu’il voulut engager la conversation, comme si de rien n’était, j’explosai sur le champ.
- Pour qui tu te prends ? On ne se connait pas, alors tu m’excuses !
- Ok ! Je t’excuse…
- Pardon ?
- Tu l’as demandé !
- Et alors ?
- Viens ! J’ai ma petite idée, je sais comment te trouver du pain, il faut bien que tu prennes un bon petit déjeuner ce matin !
- Vraiment ! Je ne sais pas de quoi tu parles !
- Je parle du pain voyons !
- Tssssuiip ! Ne me fais pas dire des conneries !
- Tu dis déjà des âneries alors !!!
- Pfff !!!! C’est même quoi avec toi ? Je regrette de t’avoir approché tout à l’heure, tu es collant et ça m’énerve !
- Et moi je regrette de t’avoir vue ce matin !
- Tant mieux !
- Viens ! On y retourne ! Je lui demanderai d’ouvrir !
- A quoi tu joues ?
- Au chat et à la souris !
- Tu es terrible !
- Pas si terrible que ça et pas plus que toi ! Aller viens chercher tu seras servie !
- Mais…
- Pas de mais…
Moussa avec son bon accent du nord nous avait presque maudit, il
fulminait dans tous les sens et jura que la prochaine fois il fermerait
sa boutique pour de bon.
- Ahhhh Moussa toi aussi ! Pour si
peu ? Le gars avec qui je me disputais tout à l’heure n’est qu’un bon
ami à moi ! Rien de grave ! Vraiment ! Et pour ça tu fermes ? Tu te
crois en France !!!
- Allah zé té ziiire… Prochaine fois zé ferme pour dé bon !
J’étais servie ! Mon calme apparent lui donnait bien des airs ; il
semblait si entêté au départ et lorsque tout fut rentré dans l’ordre, et
que mon problème fut résolu, il devint plus calme et plus posé ; il me
fit mi chemin sans que je n’y oppose aucune résistance, je devais bien
le remercier pour son geste ; il s’était fait copieusement engueulé par
ce boutiquier et avait encaissé au final, sans mot dire, il finit aussi
par payer de sa poche, afin que je sois satisfaite. Il marchait toujours
à mes côtés ; je n’habitais pas très loin de là et une fois devant la
maison il me dit toujours sur un ton calme :
- Je suis désolé, tout est de ma faute ! Mais je suis rassuré, tu es servie !
- Merci, c’est gentil !
- Passe une belle journée…
- Merci !
- Moi c’est Placide !
- Jaida !
- Porte-toi bien Jaida …
Je n’eus pas le temps de lui répondre qu’il avait déjà tourné les
talons. Nous avions l’habitude de nous croiser toujours par hasard dans
la rue ou encore dans cette échoppe, il me souriait tout juste et me
saluais poliment.
- Bonjour Jaida… Tu vas bien ?
Ou encore :
- Belle robe ce matin !
Il ne tarissait pas d’éloges à mon endroit, ce qui me mettait toujours
très mal à l’aise parce que je ne le voyais que comme une personne
ordinaire aimant parfois les bagarres de rue. Mon appréhension finit par
changer lorsque je me rendis compte qu’à chaque fois qu’on se croisait,
il paraissait plus relax, plus posé et voire même plus poli envers tout
le monde. Je finis par me rendre compte qu’il n’était pas ce que je
m’étais faite comme idée à son sujet. Il était tout juste normal, et
ayant une vie normale, comme tout le monde. Au fil du temps la sympathie
s’installa, il n’était plus le simple passant qui me saluait par
convenance, il devint progressivement, l’ami et surtout, le confident.
Je m’étais un peu détendue avec lui et je lui avais donné un peu
d’espace dans ma vie en tant qu’ami. De son côté, il n’en demandait pas
plus et se comportait vraiment comme tel, et rien d’autre.
- Placide! Gars j’ai un divers ! Est-ce que tu sais que la femme de Bertin est partie !
- C’est de l’histoire ancienne ça… Vous les femmes ! De vraies diablesses !
- Ah oui ? Et le monsieur qui passait son temps à la battre ? Tu dis quoi de lui ? C’est plutôt lui le démon !
- Vous dérangez !
- Quoi ?
- Je te dis !
Avec lui c’était toujours la bonne humeur et la bonne ambiance ; il
savait trouver les mots justes, au bon moment ; et lorsque je lui
racontai l’histoire de mes origines et de ces parents que je n’ai jamais
connu, et de ce que je ressentais à ce moment là, non seulement ses
paroles me firent un drôle d’effet, mais la manière dont il les avait
prononcées avaient profondément touché mon cœur.
- Jaida ! Les
choses comme ça n’arrivent surement pas pour rien ! C’est vrai, tu n’as
presque pas de famille, mas ce n’est pas ça le plus important… Ce qui
importe c’est ce que toi tu comptes faire de ta vie ! Ce que tu comptes
devenir plus tard ; ce qui importe c’est ta propre famille à toi que tu
devras créer… Il y a quelqu’un qui t’attends quelque part pour le faire
avec toi...
- Et qui c’est ?
- Je ne sais pas… mais il est là et il t’attend ! Le moment venu, je pense qu’il apparaitra, et sans que tu ne t’y attendes !
- Placide ? Tu as quel âge ?
- Moi ? 23 ! Pourquoi ?
Je le trouvais bien mature pour son jeune âge, et ses paroles
réconfortantes ne me firent que du bien. Je ne me rendis pas vite compte
que j’étais tombée amoureuse de lui et lorsque je le découvris, je pris
la peine de vite les camoufler ces sentiments, mais surtout, je pris la
peine de cacher cette relation, cette amitié à ma tante. Je savais
qu’elle le prendrait très mal et m’interdirait de le fréquenter.
J’étouffais, je n’en pouvais plus ; il me manquait et il venait de
partir pour Yaoundé, la capitale. Étudiant en Sciences Économiques, il
louait une chambre au campus ; certains week-ends je pouvais le voir
rappliquer et parfois il se faisait bien rare. Je pensais à lui sans
cesse, me remémorant bien toutes nos discussions et nos petites blagues.
Moi je terminais tout juste mon année de terminale et j’attendais les
résultats du baccalauréat ; moi aussi je m’imaginais tel que lui,
étudiante et vivant dans une chambre d’étudiant. Il me faisait rêver, je
l’aimais au point où je devins subitement jalouse ; je souffrais juste
en silence de ce que sentiment me faisait comme effet. Je me sentais
malheureuse et je n’en parlais pas, préférant me ronger les ongles et me
faire des films.
Les résultats des examens approchaient à
grands pas. Il y a longtemps que les conseils de Sidonie étaient bien
ancrés dans mon esprit, je n’avais pas droit à l’erreur sur ce plan là.
Placide n’était pas revenu depuis des mois, nous étions au mois de
juillet, j’avais jubilé, j’avais décroché ce fameux diplôme ! Je voulais
partager ça avec lui, mais il n’était pas présent ; il n’était qu’un
bon ami à moi qu’avais je imaginé ? Mais j’avais quand même mal, de ne
pas le sentir ; il aurait été fier de moi et il saurait me faire rigoler
dans tous les sens, on aurait partagé cette joie tous les deux. Je le
savourais bien ce diplôme que je considérais comme une victoire avec mes
copines du moment, elles mêmes bachelières.
On avait loué la
salle des banquets de la mairie pour célébrer cette victoire ; c’était
la fête des bacheliers ; pour une première fois dans l’histoire, notre
région affichait presque les 100% de réussite ! Ça devait se fêter, ça
se méritait. La salle affichait comble ! Nous étions si endiablés,
c’était la folie, la liesse, tout était permis ; on se trémoussait aux
sons des décibels, les nouveautés du moment. J’étais heureuse mais
lorsque je pensais à lui, mon cœur faisait un bond dans la poitrine ;
honteuse, je finissais par refouler ce genre de pensées qui occupaient
sans cesse mon esprit; de toutes les façons, il n’était pas là et ne
viendrait peut être pas de sitôt. Je devais m’amuser et me faire
plaisir, ce n’était que ça l’essentiel. Lorsque la série de slows fut
diffusée, je me sentis tout à coup si mal en point, surtout à la vue de
tous ces couples qui s’étaient rapidement formés sur la piste de danse.
Je finis par m’assoir dans un coin, pensive et un peu rêveuse…. Je
fermai les yeux. Je sursautai lorsque je sentis une main sur mon épaule.
- Je t’invite à danser !
- Quoi ? Mais… Ah c’est toi ?
- Rien que moi !
- Placide ! Tu es arrivé quand ?
- Tout à l’heure ; j’ai appris la nouvelle, félicitation ma belle, je suis fier de toi !
- Merci ! Et comment tu m’as repérée ?
- Facile… Tu es la seule qui brille comme la luciole, surtout dans la nuit comme ça !
- Tu es drôle !
- Sérieux… J’aime ta tenue, elle te va à ravir… Tu es belle !
- Je suis flattée!
- Viens on va danser…
- D’accord !
Son corps contre le mien, cette petite étreinte était assez suffisante
pour faire ressortir en moi une émotion si forte. Mon cœur battre à la
chamade rien qu’en sentant sa joue contre la mienne et parfois sa
respiration sur mon cou. Il m’avait manqué, ça je le savais. L’étreinte
était si forte, si puissante que nous ne nous ne rendîmes pas compte que
nous étions seuls sur la piste de danse et que la manière dont nous
nous étions enlacés attirait plus d’un regard. C’est tout le monde qui
finit par s’assoir et nous regarder danser. Placide avait ça dans le
sang, le rythme dans la peau ! Je dirai le zouk et tout ça il savait se
contorsionner et me faire onduler. On n’entendait plus rien, mais notre
instinct finit par nous guider, nos regards se croisèrent et ne se
détachèrent plus l’un de l’autre. Je fermai les yeux et je sentis ses
lèvres effleurer timidement les miennes, et lorsque je rouvris, mes
yeux, je vis qu’il avait ce petit air passionné, fervent et exalté. Et
lorsqu’il me murmura à l’oreille cette petite phrase douce, mon cœur
prit feu et je refermai délicatement mon étreinte, sans oublier de poser
amoureusement ma tête sur son épaule.
- Jaida, je suis celui
là même qui t’attends depuis un bon bout ! Je t’avais dit qu’il
apparaitrait au moment où tu t’attendrais le moins… Je t’aime !