Chapitre 19
Ecrit par Meritamon
Leçon
numéro 1
Quelle est la
différence entre une personne qui réussit et une autre qui ne réussit pas? C’est
l’audace d’aller là où personne n’irait.
**********
- Impossible! Avait été la première réaction de Jay Patel lorsque Serena
lui avait exposé, au téléphone, son désir de financer une entreprise bio
agricole au Fouta-Djalon, en Guinée.
Le jeune Indien se
trouvait toujours aux Seychelles à profiter de la vie sur un Yacht avec des
amis, à faire le tour des îles et fêter.
- Même Malick Hann n’investit pas dans l’agriculture, pour quelle raison
on le ferait, nous? C’est peu rentable, les marges de profit ne sont pas
énormes et c’est beaucoup de risques pour pas grand-chose! poursuivit-il
avec réticence.
Serena s’était
préparée à la réaction de son partenaire d’affaires. Elle avait anticipé sa
frilosité et attaqua :
- Pourquoi ferait-on comme mon père?
- Tout simplement parce que ses stratégies ont toujours fonctionné, je te
rappelle, et qu’on en a bénéficié à chaque fois que nous les avons appliquées?
- Alors, il est temps que je t’avoue une chose Jay Patel. Le business model de mon père ne
représente que 40% de toutes les décisions d’investissements que j’ai prises,
et qui t’ont enrichies toi et les autres membres.
- Qu’est-ce que tu racontes? Tu dis ça pour frimer…
- Pas du tout. Ce qui veut dire que je suis allée avec mon instinct pour 60%
des cas quand il fallait décider où investir: dans ces starts-up en technologie
par exemple, dans le bio tech et la santé, dans les commerces et services.
- Tu n’as pas agi sans m’en parler d’abord! Où est passé la confiance?
S’était écrié Jay, scandalisé.
- Calme-toi et écoute-moi, Jay! Nous avons été autonomes le plus souvent
et cela ne nous a jamais créé de préjudices. Au contraire, nous avons même doublé
nos investissements au courant de l’année… Et pour une fois, nous avons l’opportunité
de diversifier notre portefeuille d’investissements pour rechercher d’autres
sources de rendements alternatifs.
-
Jusqu’à maintenant,
nos placements traditionnels se portent bien, Serena. Je ne t’apprends rien.
Pourquoi ne pas continuer sur cette voie?
-
Oui, je suis au
courant de cela, fit Serena en faisant fi de la mauvaise foi de son partenaire. Mais l’agriculture est une stratégie qui serait profitable
parce que s’il y a une chose que j’ai appris et qui ne changera jamais, c’est
que les gens vont continuer de manger, et même de manger mieux. Les gens prennent
conscience de ce qui va dans leurs assiettes. Le bio ce n’est plus pour les
hippies ou les originaux...
Jay eut la
difficulté d’admettre qu’elle avait raison. Tous les arguments qu’elle
apportait étaient solides! Mais, il avait une nature frileuse quand il s’agissait
d’argent.
-
Il y a de l’argent
à perdre aussi, Serena. Les risques sont énormes. Dois-je m’inquiéter?
-
Mon flair ne m’a
jamais trahi, Jay. Tu dois aussi savoir que la demande mondiale en produits biologiques
est en hausse et le prix de ces commodités également.
« Tout ce que je te demande c’est de convaincre les membres du Club
à orienter les investissements dans cette branche ».
Il y eut un silence
ponctué par le bruit de la fête qu’elle entendait sur le bateau. Jay était toujours
hésitant.
-
Serena… C’est
beaucoup trop d’informations que je dois traiter en même temps. Et je ne peux
pas forcer les membres du club… ils sont frileux, tu les connais.
-
Je n’ai pas parlé
de forcer leur décision mais d’orienter les efforts… Tu sauras comment t’y
prendre, je ne m’inquiète pas. Tu réussis très bien à embobiner, n’est-ce pas?
-
Mais là tu me mets
devant les faits, il y a des règles…
-
Au diable, tes
règles, Jay! Lança avec exaspération la jeune femme.
Jay Patel avait mis
des règles en place qui se voulaient démocratiques, qui garantissaient à chaque
investisseur un droit de vote pour les décisions relatives à leur fonds
spéculatif. Mais comme les investisseurs se faisaient nombreux, il fallut créer
un « conseil d’administration » avec les membres qui détenaient la
plus grande part des investissements.
Jay hésitait malgré
la confiance qu’il portait en Serena. Il la savait impulsive parfois,
imprudente même. Il ne comprenait pas pourquoi spécifiquement cette région en Guinée, particulièrement ce domaine agricole de Diarri. Et la fille continuait d’assener, ferme.
-
Tu me dois cela. Ça
fait plus de trois ans que toi et les autres membres, vous vous enrichissez
grâce à mes conseils avisés et les stratégies que je volais à mon père!
-
Qu’est-ce qui se
passe? Tu t’es entiché de ton coin de région?
La jeune femme eut
un soupir exaspéré en voyant qu’il semblait si obtus.
-
Je ne me suis entichée de rien de tout. Tu
sais que je ne suis pas sentimentale. C’est les affaires. Je ne peux pas tout
expliquer là maintenant. Le réseau est tout le temps pourri, je manque de
temps. Je pourrais te faxer mes notes plus tard.
-
Combien d’argent
aurais-tu besoin approximativement? Évalua Jay.
-
Un million de dollars… pour commencer.
Sans surprise,
Serena l’entendit hoqueter à l’autre bout de fil. Il venait de s’étrangler avec
une gorgée de whisky. Sa demande était exorbitante!
-
C’est impossible,
je ne pourrais pas sortir toute cette somme d’argent de notre Offshore,
c’est trop de risques. Ça pourrait attirer l’attention de l’Autorité des
marchés financiers.
Serena, impatiente,
avait envie de lui asséner sèchement : « Tu te débrouilleras »
mais elle préféra ménager sa monture. Elle utilisa une autre approche: La
culpabilité.
-
Jay, you were about
to ruin my fucking life, (tu étais sur le point de détruire ma vie) commença-t-elle.
"J’ai failli perdre
la vie sur cette route avec Chacha et Noura, à cause des drogues que tu m’as
fait prendre. Et je continue de payer cet accident parce que j’ai protégé ton petit
cul brun, Jay Patel!"
- Et par ta faute,
mon père m’a exilé et mes meilleures amies ne me parlent plus. Il est temps que
je reçoive ta foutue reconnaissance. Si
tu veux te racheter, ou si tu veux que je continue de traiter des affaires avec
toi, fais ce que je te demande! »
Il y eut un silence
où le jeune indien semblait être sonné. Elle l’entendit jurer et soupirer à
l’autre bout du fil.
-
Tu as toujours eu le
don de me faire culpabiliser…
-
Ce n’est pas
personnel. À présent, Contacte Tahaa Badr. Pas directement, mais à travers la firme
d’avocats qui représentent nos intérêts pour qu’ils traitent avec lui. Et il
faut que ça soit confidentiel. Tahaa ne doit pas savoir d’où vient l’argent.
C’était cela
« la méthode Serena ». Donner des ordres sans explications, sans
directions précises, en mettant les gens dans le flou. On croirait son père!
Maugréa Jay Patel, mais il devait s’exécuter. Jusque-là les choses marchaient bien,
l’instinct de Serena et son talent rapportaient de l’argent au Club.
Ensuite, la jeune
femme prit un ton léger et lui demanda :
-
Raconte-moi ce que
je manque à Nairobi.
-
Pas grand-chose.
Les filles vont bien. Chacha va étudier les Beaux-arts à Paris et Noura est
dans l’effervescence de son mariage…
Serena en eut un
pincement au cœur. La vie à Nairobi s’organisait sans elle. Elle en souffrit
mais réussit à dissimiler sa peine. Aucune de ses amies ne daignait lui écrire ou
appeler pour prendre de ses nouvelles.
-
C’est pour bientôt,
ce mariage ? fit-elle mine de demander.
-
Dans trois mois. Tu
n’as pas reçu ton invitation?
Serena eut un double
pincement au cœur. Jay faisait-il exprès de remuer le couteau dans la plaie?
-
Non.
Serena vint au fait
qu’elle n’était pas invitée au mariage de Noura. Personne n’espérait plus rien
d’elle. Les rancœurs étaient encore vives. Et puisqu’elle était encore une
paria dans la haute société bien-pensante Nairobite, le chemin de la rédemption était encore
loin.
-
Laisse-moi vérifier
avec Noura, elle pourrait te l’envoyer à ton adresse dans ton coin de brousse,
plaisanta Jay.
-
Non! ne t’en fait
pas avec ça. C’est peut-être un oubli, fit Serena, sans trop de conviction, en
préservant son orgueil.
Elle n’allait quand
même pas supplier pour être invitée au mariage de Noura.
Puis, la jeune
femme entendit Jay Patel commenter, une amertume dans la voix.
-
Tout ce que je peux
te dire à propos de ce mariage, c’est la folie... Tu connais ma sœur Noura,
comme elle est capricieuse et tout… Figures-toi qu’elle voudrait des éléphants
au mariage, suivi d’un défilé de la cavalerie nationale. Toutes les chambres des hôtels de notre père ont été mises à disposition pour héberger les convives. Même des
vedettes de Bollywood se déplaceront pour l’occasion…
-
Ok, c’est du
sérieux… Mais on n’a jamais vraiment connu ta sœur pour sa modestie, fit Serena
amusée.
Il lui semblait
être à des années lumières de tout ce faste, de tout ce clinquant et du m’as-tu-vu.
-
Tu parles! Il n’y a
pas moins de 500 invités pour sept jours de festivités. Sans parler des
innombrables tenues qu’elle a commandées! Le sari rouge qu’elle portera par
exemple pour le Thirumanam (cérémonie spéciale dans les mariages indiens), est
brodé de fils d’or et coûte à lui seul près d’un demi-million de dollars...
Toute la communauté indienne de Nairobi en parle.
-
Ça sera
certainement le mariage du siècle. Noura a toujours rêvé de ce moment, dit
Serena, pensive. Elle s’y était préparée depuis toute petite.
Jay Patel
semblait énervé au téléphone.
- Mon père a tellement dépensé en argent que je m’inquiète sérieusement
pour mon héritage à moi!
Shankar Patel, le
père de Jay et de Noura, connu pour ses grands hôtels, avait trois autres
filles à marier, et toutes ses filles rêvaient de leur jour J. S’il dépensait
autant d’argent pour sa première fille, allait-il en rester assez pour les
autres?
- Mon père va nous ruiner, annonça Jay, dépité.
"Le marié a déjà reçu deux Ferrari,
10 millions de dollars en dot, une villa à Mumbai, toute sa famille a reçu des
cadeaux somptueux, tu te rends compte? Le type est déjà riche mais comme c’est
la coutume des indiens que ce soit la mariée qui paie la dot…"
- Crazy rich Indians... résuma sagement
Serena. Ton tour viendra aussi et tu auras l’occasion de rentabiliser en
exigeant la même dot à ta future belle-famille.
Jay soupira et fit
cette réflexion.
- Je doute fort de me marier, tu le sais. À moins que toi, Serena, tu me
fasses changer d’avis…
Serena rit
chaleureusement.
- T’es con, Jay! Se moqua-t-elle gentiment, comme il tâtait le terrain
avec elle.
Comment lui expliquer qu’il n’y avait qu’un seul homme qui avait attiré
son attention? Et c’était Tahaa Badr? Qu’avec
cet homme-là, elle expérimentait autant les nœuds à l’estomac quand
seulement elle le voyait que les pincements au cœur lorsqu’il s’éloignait
d’elle.
Qu’elle était abasourdie par la facilité avec
laquelle il l’avait renversée, sans lutte, sans capacité de vaincre…
Était-ce de cette passion là que Noura parlait
? Cet ouragan qui ne la laisserait pas indemne, qui lui faisait peur malgré
tout?
- Je suis désolée, mais toi et moi, il n’y a pas de chance que ça marche en
amour.
- Tu ne m’as pas vraiment donné la chance de te le prouver… dès le départ,
tu m’as mis dans la case « best friends for life », fit-il très amer.
Serena esquissa un
sourire à l’entendre.
- Tu me manques, Serena.
-
Tu me manques
aussi. Aie confiance en moi, Jay. Parce qu’avec les projections que je suis en
train de faire, si jamais tu embarques dans ce projet avec moi, je te promets
que tu n’auras plus à t’inquiéter pour ton avenir.
******************** -
Serena? -
Hummm?
Fit-elle distraitement en s’arrachant difficilement de ses pensées et de ses innombrables
calculs, alors qu’elle soignait en même temps la patte blessée d’une jeune
brebis, elle qui adorait travailler désormais auprès du bétail. -
Reviens
sur terre… où t’étais-tu envolée ? -
Je
suis là, Idy, répondit-elle. Ses
fossettes se creusèrent en l’entendant et elle soupira. -
Cœur qui soupire
n’a pas ce qu’il désire, dit le dicton. -
J’ai tout ce qu’il
me faut. Je suis heureuse. -
Mais encore? Que se
passe-t-il Serena? Elle avait levé les
yeux sur Idy. Il était temps qu’il apprenne certains de ses projets. -
As-tu besoin de tes
terres, Idy? Parce que là où tu iras, ils ne te serviront pas à grand-chose. -
Je sais. Il est
convenu avec Inna que Tahaa s’occupera de ma part. Mon frère sait mieux y faire
que moi. Serena regarda autour d’eux. Ils se trouvaient dans la prairie et il n’y
avait aucune autre oreille humaine à proximité. Prenant ses précautions, elle parla tout bas. -
Et si moi je suis
intéressée par tes terres? Voudrais-tu me les vendre? Elle ajouta : « Au prix que tu voudras, l’argent n’est pas un
problème ». Abasourdi, Idy s’éloigna d’elle, il fit quelques pas et passa ses mains
nerveusement dans ses dreadlocks. Le jeune homme n’était pas très à l’aise avec
cette idée. -
Je ne sais pas si
je peux faire ça. -
Pourquoi pas? Tu n’as
jamais eu d’intérêt pour l’agriculture de toutes les façons. -
C’est vrai, je ne l’ai
jamais caché. Mais toi… Qu’est ce qui te motives? Pourquoi voudrais-tu de
lopins de terre dans une contrée perdue? De plus tu vas retourner à ta vie
palpitante quelque part dans le monde. -
Pour des besoins
d’investissements… Comme il la regardait circonspect, elle lui expliqua brièvement qu’elle
avait un peu d’argent qu’elle avait fait fructifier, ainsi que des partenaires
d’Affaires à l’affût d'opportunités. Idy rigola. Il y avait des choses qu’il prenait souvent à la légère à
cause de sa nature artistique. -
Pas dans ce trou
perdu, n’est-ce pas? Tu risques de perdre beaucoup d’argent dans ce projet. Le
plus ironique, c’est que mes parcelles à moi sont les plus arides. Elles ne
servent qu’à produire le fourrage pour le bétail. Je suis le dernier fils, donc
j’imagine que c’est par mon rang de benjamin que je les ai reçues. Il l’évalua ensuite du regard. -
Sans parler d’un
autre obstacle… -
Lequel ? -
Les gens de cette
région ne travailleront pas pour toi si tu n’es pas l’une des leurs, si tu n’es
pas une Badr. Il y a comme un système de loyauté qui s’est établi à travers les
générations. Tout n’est pas question d’argent. Serena balaya cette affirmation qui sortait tout droit du Moyen-âge. -
C’est ridicule. Je
peux les contraindre de travailler pour moi… fit-elle avec sa morgue habituelle. Puis, elle fut
embarrassée de prononcer ces mots qui sortaient de sa bouche comme s’ils furent
soufflés par Malick Hann, champion du capitalisme et de l’exploitation, en
personne. Idy la regarda du
coin de l’œil, désapprobateur. -
Tu ne peux forcer
personne ici à travailler pour toi. Ce sont des personnes libres, pas des
esclaves. Ce qu’il te faut, c’est une alliance. Comme je te disais, il faut que
les paysans soient convaincus que tu es l’une des leurs. -
Mais je ne pourrais
pas devenir une Badr… Un doute dans ses prunelles
d’encre. Une vérité que la jeune femme refusait d’intégrer, alors qu’Idy la
regardait, amusé et effrayé en même temps par son ambition et par ses idées de
grandeur. Qu’est-ce qui pouvait la motiver, cette gosse de riches, à vouloir s’approprier
de terres inconnues, outre le profit, l’aventure? Était-ce une lubie d’enfant gâtée?
Il était décidé d’en savoir plus. -
Pour quelqu’un dans
ta condition, l’option la plus probable est le mariage avec un Badr. -
Impossible! C’est
ridicule, lança-t-elle en se renfrognant. Il doit bien y avoir un autre moyen.
Je demanderais à Inna de m’adopter, elle accepterait de me donner son nom. Idy éclata de rire,
très amusé. -
Inna n’est pas née Badr, Serena. Elle a épousé mon grand-père. Mais si Amara
est déjà marié, et que moi je m’en vais d’ici, alors il reste… Tahaa. Son regard taquin
glissa vers Serena puisqu’en fin psychologue, il avait perçu
leur attirance commune. -
Plutôt mourir que d’épouser
Tahaa, nos natures sont différentes, lança Serena avec hargne. Serena se
renfrogna. Elle trouvera un autre moyen.
********
Coucou, je suis contente de revenir. Merci pour votre soutien habituel.
Bisous!