Chapitre 21
Ecrit par Max Axel Bounda
Chapitre 21
La toile s’était enflammée au sujet de la mort
de Rhianne qui avait reçu énormément de soutien. Les étudiants de l’UPG et
d’autres établissements de Libreville, avaient entrepris de lui rendre hommage.
Les leaders des groupes de revendications étudiantes commencèrent à utiliser sa
mort comme prétexte d’une nouvelle crise à l’UPG.
L’image de la jeune femme s’était retrouvée, en
une semaine, en profil de plusieurs utilisateurs des réseaux sociaux.
Les étudiants parlaient
d’elle comme s’ils la connaissaient depuis des années. Son parcours avait fait
le tour de la toile et des témoignages de ses condisciples affluaient de
partout. Au campus, l’on portait des t-shirts à son effigie avec le
hashtag : Je suis Rhianne.
Cette mobilisation avait fini par réduire au second
plan le décès du chef de département et de sa jeune partenaire, Yessi Mboumba.
Une étudiante de 27 ans inscrite en master en entrepreneuriat et gestion
de projet. Bien que très peu semblaient se souciaient de son sort, c’était
pourtant la troisième personne à trouver la mort depuis le début de la semaine
au sein de l’université.
Trois morts en sept jours, on disait que c’était
la malédiction du papillon !
Le jour tant attendu était arrivé après
un long week-end d’interrogations. Nous l’avions attendu avec impatience et
énormément d’espoir. Ce lundi-là, j’étais allé chercher Jessica à son bureau
vers quinze heures afin que l’on aille ensemble au lieu du rendez-vous.
Nous arrivâmes au bas de Gué-Gué
trente minutes plus tard. Nous ne voulions pas faire attendre notre seul
espoir. Nous étions parvenus à trouver sans problème le fastfood que Samirah
nous avait indiqué.
J’ouvris la porte pour laisser passer
Jess. Son entrée ne passa pas inaperçue. Elle était vêtu d’un tailleur, de
couleur bleu nuit, assorti d’une paire de talons aiguilles. Son passage entre
les tables laissa sans voix la plupart des hommes présents dans le restaurant.
Sa sensualité débordante ne laissait personne insensible au moindre de ses
mouvements.
Nous nous installâmes à une table
près de la fenêtre. Jessica aimait particulièrement cet endroit. Recevoir la
lumière du soleil. Il ne s’écoula pas beaucoup de temps avant que Samirah ne
nous rejoigne avec le sourire. À son arrivée, j’aperçus la chainette en or nichée entre ses seins, luisant à la lumière vive du
jour qui ne sublimait qu’encore plus sa beauté. Encore plus que sa courte tenue
qui ne pouvait laisser insensible aucun homme qui aime la bonne chair. Elle ne portait
qu’une culotte Jean bleu et un tricot couleur blanc, laissant ses jambes et ses
bras complètement à découvert.
— Salut, je m’apprêtais à t’appeler.
— Salut Thierry, me dit-elle toute
souriante. Tu
n’en avais pas besoin. Je vois tout de là-haut. Jess prit un air de méfiance à
son égard. Ce qui me fit presque sourire. Ma petite-amie était-elle jalouse ?
Samirah prit place face à nous et
posa son sac sur la table. Jessica et moi nous regardâmes dans un mouvement
chronométré. Il était identique à celui que nous avions en notre possession.
Vous prenez quelque chose ? C’est moi qui offre.
Samirah
me regardait avec un semblant de gaieté. Mais elle jouait mal la comédie. Elle
était triste. Cela se voyait. Perdre sa meilleure amie laisse forcément des
traces. Elle se retourna et fit signe à une serveuse de nous rejoindre.
— Je suis Jessica, sa petite
amie, dit la fille assise juste à ma droite, comme pour lui rappeler qu’il n’y
avait pas que moi à cette table. Elles échangèrent un de ces regards de filles,
le genre qui en dit plus que de mots.
— Enchantée Jessica, elles
échangèrent la poignée de main la plus rapide que je n’avais jamais vue. Un vrai salut en carton. On le sentait à
des dizaines de kilomètres que ces deux filles ne se pigeaient pas. Alors
Thierry, que puis-je faire pour vous ?
Je m’apprêtais à lui répondre quand
Jess me devança. Elle me regarda et me sourit.
— Comment connaissez-vous Rhianne ?
— Ben, c’était ma meilleure
amie. Elle baissa la tête. J’espère que celui qui l’a tué pourrira en enfer !
Samirah avait l’air vraiment
attristée. Pourtant, à regarder Jess, elle ne semblait pas convaincue.
— En parlant de celui qui l’a
tué, avez-vous une idée de qui l’a fait ?
La fille en face me regarda en
fronçant les sourcils.
— De quoi voulez-vous me parler
exactement ?
— Euh,
désolé, mais ce qu’on va te dire va peut-être te secouer, répondis-je en reprenant
les choses en main. On a retrouvé un sac de Rhianne avec une lettre dedans, un
livre comptable et d’autres choses.
— Un sac de Rhianne ? Comment sais-tu que c’est le sien, Thierry ? me répondit-elle en ignorant complètement la présence de
Jessica.
— En fait, ce sac contient ses
affaires. Et il est identique à celui-ci. Je lui désignais le sac posé près
d’elle. Son visage changea décoloration.
Elle prit un air grave.
— Je vois. C’est celui qu’elle
avait le soir où elle a été tuée !
— Ah bon ?
Elles
s’étaient vues le soir de la mort de Rhianne.
Intéressant ! Il faut qu’on en sache plus.
— On les a achetés ensemble. Où l’avez-vous
trouvé ?
La serveuse arriva prendre nos
commandes. Une jeune fille en tablier rose avec un stylo et un carnet à la
main. Elle était plutôt agréable à regarder, et devait avoir vingt-cinq ans
environ.
— Salut Sam, comment vas-tu ?
Lui dit la serveuse, de façon si amicale que j’en conclus qu’elles se
connaissaient bien. On m’a dit que tu es en haut depuis le matin.
— Oui. Les comptes. Les comptes
ma chérie. Alors Eunyce, je vais prendre un Jus de carotte. C’est bon pour la
peau. Et pour eux…
— Un Djino pamplemousse, merci !
Jess répondit qu’elle ne voulait
rien, et avec le sourire. Ça ne m’étonnait pas d’elle. J’attendis que la
serveuse s’éloigne pour poursuivre mon interrogatoire.
— Connais-tu un certain Jody ?
Samirah écarquilla à nouveau les
yeux.
— Mais vous êtes qui au juste ?
Des journalistes ? Pourquoi la mort de Rhianne vous intéresse-t-elle ?
— On
a retrouvé une lettre dans le sac … Et on croit pouvoir vous aider. On sait
tout ce que ses enseignants vous ont fait subir…
Soudain, elle se mit à rire. Cela
nous surprit énormément.
— En quoi cela vous regarde-t-il ?
Vous n’avez pas, alors là, la moindre idée de ce qu’on a vécu. Donc arrêtez de
faire comme tous ces fous qui parlent d’elle sur le net mais qui ne l’ont pas
connu.
— Je suis avocate. Je bosse pour un
assez gros cabinet et j’ai envie que ses salauds pourrissent en prison pour ce
qu’ils vous ont fait.
— Je ne vois pas trop de quoi vous
parlez.
— Nous avons des vidéos...
Notre interlocutrice toujours sur la
défensive, ne parut pas surprise. Cela supposait qu’elle était au courant
alors.
— Ca ne veut rien dire. Rhianne est
morte. Essayez de respecter un peu cela. S’il vous plait. Au lieu d’essayer de
se faire je ne sais quel buzz sur son dos !
— Mais on veut juste lui rendre
justice.
— Ouais c’est ça ! Ma sœur est
morte, et vous débarquez avec une histoire à dormir debout comme quoi vous
voulez nous aider. Est-ce qu’on vous a dit qu’on avait besoin d’aide ?
— On ne sait pas ce qui se passe.
Mais maintenant que nous y sommes, on est aussi impliqué. En sortant du
rectorat la dernière fois, ma chambre a été cambriolée. Apparemment ceux qui
l’ont fait cherchait le sac bleu. On espérait que tu puisses nous aider à
comprendre.
Samirah était livide. Son visage ne
transmettait aucune émotion mais ses gestes laissaient entendre qu’elle se
méfiait de nous.
— Je ne peux rien pour vous.
— Mademoiselle Lema, je sais qu’on
ne se connaît pas. Et ça doit être bizarre pour vous de voir deux inconnus débarquer
comme ça. Mais ce qui est arrivé à Rhianne ne devrait jamais arriver à une
femme. C’est injuste qu’elle soit morte pour avoir voulu réaliser ses rêves. Un
pauvre salaud a abusé d’elle, n’a pas tenu parole et l’a tué.
— Vous me faites rire tous les deux.
— Je sais ce que ça fait d’être
abusé.
— Ah ouais ?
Jessica baissa la tête.
— J’ai été violée à dix-sept ans. Par
un ami de la famille. Je le ressens encore dans ma chair jusqu’aujourd’hui,
révéla Jessica. Je comprends donc parfaitement ce qu’elle a subi toutes ses
années. Et ça me révolte.
Je me tournai vers elle sans pouvoir
dire un mot. Jamais elle ne m’avait raconté cet épisode blessant de sa vie. Pas
un seul mot toutes ses années. Et je l’apprenais là, comme ça, comme un coup de
poignard dans le dos.
— Oh ! Je suis désolée.
— Pas de quoi. Ce n’est pas vous
qui m’avez violée. Chaque fois que je me trouve face à une affaire similaire,
je ne peux pas dormir tranquille en sachant que justice n’a pas été faite ! Je veux juste aider. Et découvrir pourquoi et si possible qui a
tué Rhianne. Ces chiens ne doivent pas s’en sortir aussi facilement.
La serveuse revint poser un plateau
sur la table. Une canette de Djino pamplemousse, une
bouteille d’eau minérale, un bol de noix de cajou, une carafe de jus de carotte
et un verre vide. Personne n’avait commandé de l’eau minérale. La serveuse la
déposa devant Jessica.
« Cadeau
de la maison », lui dit-elle en souriant. En partant, elle fit un
signe de la tête à Samirah qui se redressa.
— Ta chambre a été cambriolée ?
Quand exactement ? Et comment as-tu eu le sac du papillon ?
— La nuit du jour où toi et moi nous
sommes rencontrés dans le bureau de votre chef. J’étais allé lui parler du sac
que j’avais trouvé…
— Mardi, fit-elle. Quelqu’un a aussi
essayé d’entrer chez nous ce jour-là. Malheureusement, j’étais à la maison.
Quand je suis sorti, il a pris la fuite.
Jessica et moi nous regardâmes.
— Drôle de coïncidences.
— Ce n’est pas tout. Le lendemain,
matin, je me suis rendu au poste de police, leur raconter les dernières heures
de la vie du papillon. Et le soir, quand je suis revenu sa voiture était garée
au parking de notre immeuble.
— Elle n’y était pas quand vous êtes
parti ?
— Elle ne pouvait pas y être. Le
papillon était sorti avec le soir de sa mort.
— Voilà pourquoi nous n’avons pas
trouvé de clefs de voiture dans son sac. Mais qui l’a rapporté alors ?
— Je n’en ai aucune idée. Le gardien
non plus. Si ça se peut, il n’était même pas là.
— Il est fort probable que ce soit
ceux qui l’ont tué, suggéra Jessica.
Samirah
parut un peu secouée. Elle accusa le coup. Elle fit mine de réfléchir comme
pour peser tout le poids de cette possibilité. Elle déchira l’emballage de la
paille sur la table, la mit dans le verre et la porta à sa bouche. Elle avala
une gorgée de jus sans doute pour faire passer la pilule.
— Quand je suis monté à
l’appartement, j’ai remarqué qu’il avait été fouillé. Depuis, j’ai un peu peur.
J’ai l’impression que l’on me surveille. Et cela me fout les jetons.
— Ils cherchaient le sac et les
vidéos sans doute. Savez-vous pourquoi Rhianne les a prises ?
— Ces vidéos, c’était mon
idée, dit-elle tristement. Il faut que vous me les rendiez. Si elles tombent
entre de mauvaises mains elles feront le tour du net.
Samirah baissa la tête et une larme
coula de ses yeux.
— Vous connaissez peut-être un
certain Jody ? Il y’a une lettre dans le sac de Rhianne…
— Adressée à sa femme ? Coupa-t-elle. Elle ne l’a pas envoyée. Elle fixa un point
indescriptible sur la table, comme pour se concentrer sur ses pensées. Vous
savez on était comme des sœurs elle et moi. J’étais sa seule famille. Même si quand
elle a commencé à réussir dans sa vie, on a vu des gens apparaître. Un oncle
par ci, une tante par-là lorsqu’ils avaient besoin d’argent. Pourtant quand sa
mère est morte, tout le monde l’a abandonnée !
— Que s’est-il réellement passé
entre Rhianne et ce prof ?
— OK, dit-elle en se
redressant. Elle avala une gorgée de son jus de carotte. Et nous fixa tour à
tour droit dans les yeux. Je veux bien vous dire tout ce qui s’est passé entre
eux, mais, avant j’aimerais savoir ce que vous comptez en faire.
— Nous voulons attaquer l’université
en justice pour harcèlement sexuel.
Samirah avala une gorgée de jus de
fruit. Elle sembla soudainement très inquiète.
— C’est impossible, fit-elle. Vous
ne gagnerez jamais !
— Avec les preuves que nous avons,
nous pouvons.
— Non. Non. Non. Lema se leva. On ne
peut pas utiliser les vidéos. Je me sens déjà coupable que le papillon soit mort,
peut-être à cause d’elles. On ne les a pas prises pour ça. On ne peut pas les
divulguer. On ne peut pas. Elle se leva. Je vous interdis de le faire.
— Mais pourquoi ? lança Jessica
prise au dépourvu. Prenez au moins ma carte au cas où vous changez d’avis.
— Il y’a trop de gens impliquer. Je
suis désolé. Je ne peux pas vous aider.
Samirah se leva, prit malgré elle la
carte des mains de ma petite amie, souleva son sac et tourna les talons. Elle
se dirigea vers le comptoir et disparut derrière. Jessica me regarda
tristement. Elle semblait déçue. Elle avait échoué. Son projet tombait à l’eau.
Sans plaignantes et sans témoins, il était mort-né.
Tous
ces efforts pour rien !