Chapitre 21

Ecrit par MoïchaJones

Entendre les éclats de rires en provenance d’en bas, mets mon cœur en lambeaux. Il n’a jamais été agréable pour quiconque d’être l'exclut du groupe, encore moins quand cette exclusion, est en réalité un retranchement. Je ne me suis pas sentie à ma place dans cette maison de toute la journée. Le regarder ignorer mes coups d’œil quémandeur, et éviter toutes mes tentatives d’approches quasiment subtiles, m’a juste fait baisser les bras. A quoi bon continuer de se battre contre le courant quand il est plus fort que vous ? A la fin du dîner, j’ai fait ce que je fais le mieux, monter m’isoler.


Il est presque  22 heures et son avion décolle à minuit. Ils n’ont pas l’air de s’en rendre compte, si j’en crois leurs voix. La conversation continue de battre son plein. La joyeuse petite famille réunit qui passe du bon temps ensemble. J’ai bien failli m’y tromper moi aussi au cours du repas. Jomo et Uhu, discutant comme de bon vieux copains. Oublier d’un seul coup, la guerre qui les séparait il n’y a pas longtemps. En fait à bien y regarder, soit c’est moi le vilain petit canard, réfractaire à toute réconciliation, soit je suis tout simplement faite d’un autre bois. Peut-être que ce que je considère comme de l’hypocrisie, n’est en fait que le sentiment profond qui consolide les bases de la famille. N’est-il pas vrai qu’on se pardonne tout quand des liens de sang nous unissent ?


Je pousse un soupir brisé, puis me tourne lentement sur le lit. Je fais face à la fenêtre et ferme les yeux, l’espace d’une seconde. J’ai mal, au plus profond de mon être. Qu’il me mette ainsi sur le banc de touche, me brise énormément. Je suis sûr qu’il le sait, mais ça ne l’empêche pas de le faire quand même. « Je reviens au plus vite » il m’a dit avant de me laisser en plan. Oh Dieu, comme je l’ai cru. Je suis restée debout à l’attendre jusqu’à ce que la fatigue prenne possession de mon corps, et que je finisse par m’endormir, à moitié assise sur le lit. Ce lit où nous avons échangé plus que des discussions. Les plus grands évènements de notre couple ont été préparés là. J’avais espoir. Quoique je dise ou fasse, j’ai toujours eu espoir que ça finisse par s’arranger entre nous. J’ai toujours été persuadée qu’un jour ou l’autre nous finirions par traverser ce tumulte et que nous retournerions à nos bons jours.


Faut croire que je n’ai pas suffisamment espérer.


Un nouveau soupir vient briser le silence. Mon regard se balade sur les murs, je m’ennuis. Toute seule dans ma planque. Mais pour rien au monde, je n’irai encore subir l’humiliation d’être ignorée devant tout le monde. Il veut s’en aller, grand bien lui fasse. « Je ne me sens plus concerné » je me dis sans grande conviction. Ne pas être honnête avec moi-même ne me console pas, mais je préfère me mentir ainsi pour rendre les choses un tout petit peu plus supportable.


J’avise l’heure sur le cadran de ma montre. Le temps s’égrène à une vitesse de mollasson et ça n’arrange rien à mon humeur. J'ai l'impression de rêver, et quand j'ouvrirai les yeux, tout ceci sera derrière moi. Il ne sera pas en train de partir, et moi je ne serai pas impuissante face à ça. On sera assis dans le canapé, chez nous. Lui, la télécommande en main, et moi carré dans ses bras chauds et puissants. On sera devant un film, à rigoler comme des fous.


Si seulement.


Je me lève et fais quelque pas dans la chambre avant d’ouvrir la porte et de m'adosser au chambranle de la porte, les bras croisés. De là, les conversations me sembles encore plus proches. Je n’arrive pas à capter ce qui les fait autant rigoler, mais j’ai l’impression qu’ils se moquent de moi. Je suis un sujet de conversation risible, moi aussi à leur place, peut-être que j’en ferais autant ? Même Imani trouve ça drôle, je l’entends elle aussi. Il n’est pas difficile de l’imaginer sur les jambes de son père avec son petit air angélique, voler la vedette à ses grands-parents.


Tout d’un coup le silence se fait, puis j’entends des pas dans l’escalier. Je sais que c’est Uhu, ça ne peut être que lui. Et il vient pour moi, c’est évident. L’envie me prends de me réfugier de nouveau dans la chambre et de faire celle qui dort, mais je n’arrive pas à bouger. Je suis comme pétrifiée. Entendre ses pas sur chaque marche est un supplice. Comment dois-je réagir. L’ignorer moi aussi ? Ce sera difficile à faire étant donné l’endroit où je me trouve. L’attaquer… Je ne me sens pas l’envie de vivre notre dernière séparation. Je suis celle qui en a le plus souffert.


J’étouffe mon cri de frustration par un nouveau soupir abattu, et renforce mon appuie contre le cadre de la porte. Il apparaît enfin, toujours plus beau que dans mes souvenirs. Le chandail fin qu’il a choisi de mettre ce soir, lui sied comme une deuxième peau. Ca fait ressortir toute la puissance de ses muscles. Les femmes vont très probablement le dévorer des yeux sur son passage. Et dire qu’il est à moi… J’espère de tout cœur qu’il est toujours mien. Il suffit de bien moins que ce qui se passe entre nous, pour qu’un couple se brise. Il lève les yeux et quand il me voit, marque un temps d’arrêt puis pose le pied sur la dernière marche. 10 mètres nous séparent. Nous sommes si proches, en même temps si loin. Je me sens subitement toute chose, face à ses pupilles inquisitrices qui me scannent en profondeur.


Il avance doucement jusqu’à me faire face. Toujours dans un silence violent. La main jouant avec la chevalière qui orne son auriculaire. C’est un geste que je ne lui connais pas. La première fois que je l’ai remarqué, j’ai été affligée de voir qu’il y avait des tics qu’il avait installé sans que je ne m’en rende compte.


Il se rapproche encore, s’adosse à son tour sur le pan inverse de la porte. Les yeux dans le miens, les mains dans les poches cette fois. Ca se voit qu’il se retient de me prendre les mains, parce que le combat qu’il se livre en ce moment est le même qui se passe dans ma tête.


-          Tu ne veux pas venir me dire au revoir ?


Le timbre de sa voix est engageant, et je me réjouis de son effort.


-          Je n’ai pas envie de te dire au revoir tout court.


Ca a le mérite d’être clair. Il inspire profondément en se redressant de tout son long.


-          Belinda, on ne va pas revenir dessus…

-          Je sais, excuse-moi, je n’ai pas pu m’empêcher. Je le coupe attristée. C’est juste que….


Je n’arrive pas à terminer ma phrase. Je baisse les yeux sur mes pieds croisés.


-          Je sais.


On reste une nouvelle fois dans ce silence lourd, chacun plongé dans ses pensées.


-          Pour hier… Je suis désolé. Dit-il hésitant.


Je relève la tête et le jauge. Il semble sincère. En tout cas son regard l’est.


-          Ce n’est pas grave. Je m’entends dire comme si de rien n’était.


L’envie me prends de rigoler devant ces paroles calmes et dénuées de toute rancœur. Rien à voir avec la rage qui m’a étreinte durant toute la soirée.


-          Non ce n’est pas rien. Je t’ai dit que je rentrais vite, mais les choses ne se sont pas passées comme je l’avais prévu.


Je lis un mélange de chagrin et de contrariété sur son visage, et j’ai envie de savoir de quoi il en retourne vraiment. Les mots n’arrivent pas à franchir le seuil de mes lèvres. Poser la question reviendrait à accepter la réponse, et je ne suis pas sûre d’être prête à entendre une histoire peu plaisante. Ce qu’ils tramaient hier, debout au milieu de la cours, ne me semblait pas être une histoire à l’eau de rose. On aurait dit une fourberie ou un complot terroriste. Non, je ne préfère pas savoir.


-          D’accord ! Je dis simplement.


Ses lèvres s’étirent en un sourire chaleureux que je lui rends timidement.


-          Tu me pardonnes ?


Je secoue la tête en guise de oui et croise les bras sur ma poitrine. Un pincement me ceint le cœur quand il fait son sourire charmeur, et je me mords l’intérieur de la joue pour ne pas complètement fondre. Le temps s’arrête, plus rien n’existe autour de nous. Je n’ai pas le temps de me comment nous en sommes arrivés là, qu’une voix nous parvient du bas de l’escalier.


-          Papa ! On va te laisse.


Après  un coup d’œil furtif derrière moi, il se rapproche encore plus.


-          Je crois qu’il est l’heure.


Il chuchote et son souffle vient finir sa course sur mes lèvres entrouvertes. Je suis hypnotisée par sa bouche, mais mon esprit est en ébullition. Je ne veux pas qu’il parte, on a encore tellement de choses à se dire.


-          A bientôt !


Mes mains remontent inconsciemment sur sa poitrine. Des paumes j’entends son cœur battre à l’unisson avec le mien. J’arrête de résister. Je capture ses lèvres âprement, et il répond avec la même force. Nos langues s’entrechoquent et nos dents se mènent un combat farouche. Nous avons tous les deux le souffle court. Les baisers d’adieux, comme dans les films sont souvent empreints de plus de douceur. Heureusement que ma vie n’est pas un film, car je ne l’aurai imaginé autrement. Je ne l’aurai pas imaginé tout court. La vie c’est des étapes, la plus douce c’est l’amour, la plus dure la séparation et la plus pénible c’est les adieux.


-          Je te veux ici avec moi. Je dis tristement entre deux souffles.

-          Je ne serai pas parti longtemps. Réplique-t-il son front sur le mien. Son nez contre le mien et ses lèvres à quelques centimètres des miennes.

-          Ne me fait pas de promesse que tu ne tiendras pas Uhu, mon cœur ne le supporterai pas.


Il veut encore parler, mais je pose mon doigt sur sa bouche pour le faire taire. Les pas bruyants d’Imani qui se rapprochent nous poussent à nous séparer comme des voleurs pris la main dans le sac.


-          Je t’appelle quand j’arrive.


Il s’en va après avoir capturé une dernière fois mes lèvres en un baiser rapide. Je le regarde disparaître avec sa fille dans ses bras et efface discrètement une larme.


Son coup de fil n’a pas tardé cette fois. Il était à peine 9 heures quand mon téléphone a sonné. La conversation n’a pas durée, le pauvre devait entamer sa journée après plus de 8 heures de vol. C’est donc le cœur en paix que j’ai commencé la mienne. Imani et moi sommes allées faires des courses, acheter des cadeaux pour la famille et surtout refaire notre garde-robe. J’en ai profité pour acheter quelques trucs pour Jason, quand je l’aurai enfin près de moi, il ne manquera pas de quoi se vêtir.


J’observais Aba, très concentré au volant. La présence d’Imani avec nous m’empêchait de le relancer, mais si je crois le regard que j’ai capté à plusieurs reprises dans le rétroviseur, il sait. Quand on se gare dans la cours, j’envoie la petite devant et ne m’encombre pas de scrupules.


-          Qu’est-ce que tu tramais avec Uhu ?


Il n’est pas surpris de mon attaque, son visage reste impassible.


-          Je n’arrive pas à croire que tu perdes autant de temps, alors que tu sais que j’ai besoin de toi. 2 jours sont passés, je ne suis pas sûre qu’il soit toujours à Kibera, ou qu’il soit en vie.

-          Il est en vie.


Je le regarde avec méfiance. Est-ce qu’il irait jusqu’à me raconter des bobards ? Dans quel but ?


-          Comment tu sais, je n’ai même pas eu le temps de te dire quoi que ce soit.

-          Je sais c’est tout ce que vous devez savoir madame.

-          Aba… Je commence.

-          Madame Kibaki, je vous ai fait la promesse de vous le ramener en vie, je m’efforce de la tenir cette promesse.


Je sonde ses yeux. Ses paroles sont claires, je n’y décrypte aucune fourberie. Mais ne dit-on pas que la sincérité passe par les yeux et non par les paroles ?


-          D’accord je veux bien te croire. Mais…

-          Pas de question, je ne pourrai pas vous répondre.

-          Pourquoi faire autant de mystère ?


Il sourit un instant, le regard baladeur, puis se tourne vers moi, nonchalant.


-          Vous avez l’art de vous mettre dans des situations… je dirai dangereuse.


Je prends la mouche. J’ouvre la bouche puis la referme sans rien dire.


-          Tu sais où il est ? Je finis par demander inquiète.

-          Oui j’ai réussi à le localiser.

-          Alors ?

-          Alors rien. On attend le bon moment.

-          Qui ça on ?


Il me regarde avec insistance.


-          D’accord j’ai compris. Pas de question. Mais je ne vois vraiment pas en quoi me laisser dans l’ignorance va changer quoi que ce soit.


Il ne dit rien.


-          Très bien, j’abandonne.


Je pose la main sur la portière, puis me ravise.


-          Je peux au moins savoir quand est-ce que tu vas te décider à me le ramener ?

-          Désolé, mais je ne peux rien dire sur ça non plus.


Je grogne de frustration en sortant de la voiture dont je claque la portière avec rage. Ca me désappointe complètement d’être ainsi handicapée. Je n’aime pas être dans le brouillard. Je récupère mes paquets et monte les ranger dans mes valises que je prépare doucement. Quand je redescends, la maison est calme. Aucune trace d’Imani, ni de son papi. J’éprouve le besoin de marcher pour réfléchir et sans m’en rendre compte, je me retrouve entre les plants aux fortes senteurs. J’avance entre les rangers et respire à grand coup cette odeur forte et poignante. Je me laisse imprégner, les yeux fermés.


Au bout d’une demi-heure de marche, je reviens sur mes pas et tombe nez à nez avec Jomo. A sa façon de me regarder, je me dis que la récréation a assez durée pour moi.


-          Tu as bien profité de ta balade ?


Sa voix est neutre, mais son regard l’est moins. J’essaie de passer ma route sans m’attarder, mais il me barre le chemin.


-          Pourquoi ne pas garder nos relations là où elles étaient ? Je dis d’un ton las.

-          Ce serait moins drôle.


Il a vraiment l’air de s’amuser le con.


-          Sans vouloir te blesser, tout ceci n’est drôle que pour toi.

-          C’est le plus important.


Même pas une journée qu’Uhu est partie que déjà il reprend ses bonnes vieilles habitudes.


-          Qu’est-ce qui a changé avec le départ d’Uhu ? Il a menacé de te casser la gueule ?


J’examine son attitude de plus près, mais il ne me semble pas le moindre du monde gêné. Au contraire, j’arrive à lire l’amusement dans ses yeux.


-          Bien essayé chérie, mais tu n’arriveras pas à me faire sortir de mes gonds. Du  moins pas ce soir.


Il se décale un tout petit peu et j’en profite pour rejoindre la porte. Toutefois pas suffisamment vite pour ne pas entendre la fin de sa phrase.


-          Je voulais juste t’informer que je n’ai pas renoncé à te mettre de nouveau dans mon lit.


Je me retiens de toutes mes forces de lui faire plaisir, en m’enfuyant à grandes enjambées. Son éclat de rire m’accompagne jusqu’à ce que je disparaisse dans la maison.

Jamais sans elle