CHAPITRE 23

Ecrit par Maylyn

-Yélen ?


-Hummm...


-Réveille-toi Yélen ! Non mais tu as vu l'heure ? Tu as encore oublié d'aller récupérer Lily à l'école !


Elle s'assit brusquement dans le lit.


-Mon Dieu ! Il est quelle heure ?


-Ce n'est pas la peine ! L'école m'a appelé et je suis allé la chercher encore une fois !


-C'est quoi ça ?


-Quoi ?


-Ce « encore une fois » ? Qu'est-ce que tu veux insinuer ? Que je suis une mauvaise mère ?


-Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit ok ?!


-Alors, arrête avec tes allusions ! Ce n'est pas ma faute si ces médicaments m'endorment à ce point ! 


-Tu sais que tu peux aussi faire le choix d'arrêter de les prendre n'est-ce pas ? 


-Laisse-moi tranquille Pierre-Marie ! Nous avons déjà eu cette discussion et nous savons très bien comment cela se termine ! Si tu me le permets, je vais aller prendre une douche et ensuite m'occuper de la seule fille qui me reste !


Une seconde après, la porte de la salle de bain claquait derrière elle. Je soupirai. Et voilà, toujours pareil ! Je me laissai tomber dans le fauteuil près du lit. Mes yeux rencontrèrent une photo de Sami posée sur la table de nuit. Mon Bébé...Cela faisait plus d'un an que nous avions perdu notre petite princesse mais la douleur restait toujours aussi vive. Avec son départ, c'est tout le bonheur de notre famille qui s'était envolé.


Je me souviendrai toujours de ce soir là, quand Andrew m'a annoncé cette terrible nouvelle. J'avais été tellement sonné que pour ne pas perdre la tête, j'avais enfoui tout sentiment et m'étais plutôt attelé à m'occuper de tout. Je n'avais pu parler à ma femme cette nuit-là parce qu'elle avait été mise sous calmants par les médecins. Heureusement que nous avions des amis aussi fidèles qu'Andrew et Zeinah. Celle-ci avait gardé Nielini jusqu'à mon arrivée et Andy lui, n'avait pas quitté sa meilleure amie d'un pouce. Juste après son appel, j'avais joint mes parents pour qu'ils n'apprennent pas cette terrible nouvelle à travers les médias. Puis j'avais pris le premier vol en partance pour New York le lendemain. Une fois sur place, j'avais enfin eu toutes les informations concernant l'infection qui avait emporté ma fille : le Docteur Anderson m'avait expliqué qu'ils n'en étaient pas sûrs mais il paraissait évident qu'elle avait attrapé la bactérie durant l'opération et cela sans doute à cause d'un instrument mal désinfecté. Et malheureusement pour la petite, son système immunitaire était encore trop fragile pour résister à une telle infection. Je fus tellement furieux en apprenant cela que décidai de porter plainte contre l'hôpital pour négligence. Les jours qui suivirent furent consacrés à l'organisation des obsèques. Toujours dans mon rôle de chef de famille, je m'occupai de tout. De toute façon, Yélen était tellement bouleversée qu'elle n'était en mesure de prendre presqu'aucune décision. La seule que nous prîmes ensemble fut celle de ramener le corps de Sami sur Abidjan. Nous tenions à ce qu'elle repose dans le caveau familial. Et ce fut fait ainsi. Je ne sais pas si c'est le mot exact mais elle eut de « belles funérailles », pleines d'émotion et de témoignages d'affection. 


Ce n'est que le jour de notre retour à la maison que je laissai enfin ma douleur éclater. Nous venions de coucher Lily dans notre lit. La pauvre n'arrivait plus à dormir dans la chambre qu'elle partageait avec sa petite sœur qu'elle nommait affectueusement « Bébé Sami ». Nous envisagions donc de l'installer dans la chambre des invités à l'étage suivant. Pour le moment, elle dormait profondément comme seuls savaient le faire les enfants, épuisée de ce long et pénible voyage. Après un dernier baiser sur son front, j'étais descendu avec l'intention d'aller dans la cuisine me servir un verre d'eau. En passant devant le salon, j'avais entendu des rires d'enfants. Intrigué, j'étais entré dans la pièce. C'était Yélen qui regardait la vidéo du deuxième anniversaire de Samira. Elle avait tourné la tête vers moi et m'avait tendu la main.


-Viens Chéri. 


Je la lui avais pris et m'étais assis après d'elle sur le canapé. 


-Tu sais Mon Cœur, tu as aussi le droit de pleurer, m'avait-elle rappelé doucement, ses yeux humides rivés sur l'écran. C'était aussi ta fille.


Elle s'était ensuite esclaffée devant l'une des nombreuses pitreries que Sami faisait dans la vidéo. Je m'étais joint à elle et m'étais aussi mis à rire. Un rire qui s'était bientôt transformé en de gros sanglots déchirants au fur et à mesure que les minutes passaient. Mon épouse m'avait prit tendrement dans ses bras et c'est ainsi que j'avais enfin laissé toute ma souffrance s'exprimer. Longtemps après que la vidéo ne soit terminée, nous étions restés dans les bras l'un de l'autre, trouvant du réconfort dans notre douleur commune de parents. 


Malheureusement, cette union ne dura pas longtemps. L'entente du début laissa la place progressivement aux disputes et aux incompréhensions. Yélen, complètement drapée dans son rôle de mère éplorée ne faisait presque plus attention à personne. Elle s'isolait de plus en plus et ne trouvait de réconfort que dans les antidépresseurs prescrits par son médecin. Seule Nielini semblait l'intéresser, quand bien sûr elle n'était pas dans les vapes. Sa susceptibilité s'était exacerbée et un rien pouvait déclencher ses colères. De mon côté, je n'avais que mon travail comme échappatoire pour tenir. Je m'abrutissais donc de projets, passant parfois même des weekends entiers enfermés dans mon bureau. Nous nous éloignâmes ainsi jusqu'à ne devenir plus que des étrangers l'un pour l'autre. Si au moins nous avions conservé l'intimité de nos nuits, peut-être aurions-nous pu garder un semblant de tendresse. Mais même au lit, ma femme ne me permettait plus de la toucher. A peine me concédait-elle le droit de lui faire une bise sur la joue ou sur le front avant de me rendre au boulot. Tous ces facteurs favorisèrent donc une mésentente qui ne fit que croître au fil des mois. Et je sentais que ces mots échangés ce soir n'étaient que les prémices d'une énième dispute. 


Je l'entendis sortir de la salle de bain, les yeux rougis. Visiblement, elle venait encore de pleurer. Quelques minutes plus tard, elle sortit de son dressing, vêtue d'un pantalon de pyjama et d'un tee-shirt défraichis dont elle ne se séparait presque plus. Je levai les yeux au ciel.


-Quoi ?


-Non rien.


-Vas-y exprime-toi ! Fais-moi encore des reproches ! De toute façon, je suis habituée maintenant !


-Tu veux savoir le fond de ma pensée ? Eh bien voilà : je me disais juste que tu n'avais pas besoin de t'affubler de tes sempiternels aillons parce qu'il y a longtemps que j'avais compris le message ! Je n'essaierai même pas de te toucher Yélen !


-Hum ! Tu es bien un homme ! Ne penser qu'à ta libido alors que tu viens de perdre ta fille !


-Bon Dieu, arrêtes de déformer mes paroles ! J'ai simplement remarqué que tu te négligeais depuis un certain moment !


-Mais qu'est-ce que tu racontes ? J'ai seulement mis des vêtements confortables pour me sentir à l'aise ! Je suis chez moi non ? Rassures-moi, j'en ai encore le droit ?


Je me levai, soudain furieux.


-Bien sûr que tu as ce droit ma chère femme ! TU as le droit de te gaver de médocs qui te rendent complètement stone ! TU as le droit de rester dans ton lit à te morfondre toute la putain de journée ! TU as le droit de prendre ton air scandalisé quand ton mari ose poser la main sur toi pour te réclamer de l'attention! TU as le droit de repousser toutes les personnes qui t'aiment ! TU as le droit de laisser ta fille VIVANTE poireauter des heures devant son école, la pauvre espérant en vain te voir venir ! TU as même le droit de me reprocher la MORT de notre fille si cela te chante alors même que je n'étais pas là et pourtant toi si !


-COMMENT OSES-TU Pierre-Marie ?! Tu veux dire que c'est MA faute si notre fille est morte ? 


Devant son air horrifié, je me rendis compte trop tard de mes paroles. Regrettant immédiatement, je voulus la prendre dans mes bras pour m'excuser mais elle recula.


-NE ME TOUCHES PAS ! Ah maintenant je comprends TOUT ! Tu me reproches la mort de Sami !


-Mais non ! Tu sais bien que ce n'est pas...


-...Que ce n'est pas quoi ? Ce que tu voulais dire peut-être ? Ne me prends pas pour une conne ! J'ai très bien compris ce que tu voulais dire ! 


Elle éclata en sanglots, se courbant en se tenant le ventre comme si elle avait mal. J'essayai encore une fois de m'approcher d'elle mais elle me repoussa violemment. 


-JE T'AI DIT DE NE PAS ME TOUCHER ! Hurla-t-elle tremblante. 


Elle s'assit péniblement sur le lit et me jeta un regard meurtrier.


-Pendant que nous sommes au stade des reproches, saches que je suis en rogne contre toi ! Si tu savais à quel point je t'en veux Pierre-Marie ! Tu n'as même pas idée ! Et tu sais pourquoi ? Eh bien parce que tu n'étais pas là justement ! Au lieu d'être à des milliers de kilomètres de ta famille, tu aurais dû être ici, avec nous ! Tu aurais dû nous protéger ! Quand moi je pensais à une simple fièvre, tu aurais dû être la voix de la raison et décider qu'on devait se rendre à l'hôpital ! C'est TON DEVOIR non ? Nous avions besoin de toi ! J'AVAIS besoin de toi ! Mais tu n'étais pas là ! Pendant que notre bébé s'éteignait dans mes bras et que je ne savais pas quoi faire, toi tu étais là bas, sans doute riant et t'amusant à réaliser ton nouveau joujou ! Oui Pierre-Marie, c'est peut-être injuste mais je m'en fiche ! Pour moi, c'est TOI le responsable ! 


Elle recommença à pleurer. Complètement choqué par ces paroles, je la regardai sans rien dire. Je me dirigeai ensuite vers la porte et me rendis dans mon bureau. Là, je pris une bouteille de cognac dans le buffet et un verre, m'installai dans le fauteuil et me servis le premier verre d'une longue série qui dura une bonne partie de la nuit.


Après cette dispute, nos rapports se dégradèrent encore plus. C'était devenu un véritable dialogue de sourds. Ne supportant plus cette situation, je décidai de m'éloigner un peu de la maison. C'était sans doute une manière pour moi de prendre la fuite mais je préférais cela parce que je sentais que si je restais, nous risquions d'arriver à un point de non retour. Je repris donc la supervision d'un des plus grands projets de notre boîte : la construction d'un complexe hôtelier à Dubaï. Je comptais sur la complexité de son architecture pour m'accaparer complètement l'esprit. L'annoncer à Yélé fut une épreuve de plus à supporter. Je la trouvai dans la cuisine. Elle ne leva pas la tête quand j'y entrai. Etouffant un soupir, j'affichai un air amusé et vins m'asseoir en face d'elle sur l'un des tabourets installés autour du plan de travail.


-Qu'est-ce que tu fais ? 


-Un gâteau pour Lily.


-Celui au yaourt ?


-Hummm...


-Et j'aurai le droit de lécher le fond de la terrine quand tu auras renversé la pâte ? 


Je la vis retenir un sourire. 


-Cela dépendra...


-De quoi ?


-Du sujet dont tu hésites à me parler. Précisa-t-elle en levant brièvement les yeux. 


J'eus un petit rire et repris :


-Tu as raison. Eh bien voilà : je dois faire un voyage à Dubaï.


-Les affaires reprennent, ironisa-t-elle dans un murmure.


-Yélén, on ne va pas...


-C'est bon, c'est bon ! Tu pars pour combien de temps ?


-Je serai absent environs deux mois.


Elle stoppa son geste une fraction de seconde avant de recommencer à touiller la pâte.


-Ok ! Et tu pars quand ?


-Le samedi.


-Ce samedi ?


-Exact.


Elle releva brusquement la tête.


-Le jour de mon anniversaire ?


Quoi ? Samedi, on était le...Merde ! J'avais complètement oublié !


-Oh Chérie pardon...


-Non non ça va! Ce n'est pas grave !


-Bien sûr que c'est grave ! Ne m'en veux pas d'accord ? Tu sais, j'ai tellement de choses dans la tête...


-J'ai dit c'est bon ! Ce ne sera qu'un anniversaire de plus c'est tout ! On ne va pas en faire tout un plat ! 


-Je vais repousser ! J'irai diman...


-Non pas la peine ! Laisse tomber ! Tout ça m'aide à comprendre beaucoup de choses !


Et voilà, c'est reparti !


-Comprendre quoi ?


-Que tu as de nouvelles priorités ! Le travail avant tout n'est-ce pas ?


-Mais non ! Tu sais très bien que Lily et toi comptez plus que tout pour moi !


-C'est vrai ce mensonge ? Nous comptons tellement pour toi que tu décides de nous abandonner durant deux longs mois?!


-Ce ne sont que deux malheureux mois Yélen ! Tu en parles comme si c'était un siècle ! Je serai vite de retour !


-Hum ! De toute façon, je suis habituée maintenant ! Ce ne sera pas la première fois que tu seras absent pour un évènement important n'est-ce pas ?


-Et ça veut dire quoi ça ? 


-Ce que tu as compris ! Cria-t-elle en lâchant la cuillère en bois sur la table.


-Tu sais Yélen ? Dans ces moments-là, je regrette vraiment ce mariage !


-Mais ça tombe bien alors ! Tu pourras profiter de l'atmosphère romantique des nuits de Dubaï pour te trouver une maîtresse !


-Beh oui ! Tu as parfaitement raison ! Merci pour le conseil !


J'étais tellement furieux que je préférai sortir avant de débiter d'autres bêtises. Derrière moi, je l'entendis hurler :


-Tu as ma bénédiction !


Finalement, ce voyage était une excellente idée.


***

-Tout va bien Andrew ?

-Oui ça va, ne t'inquiète pas Pierre-Marie. Je veille sur elle. J'ai l'impression que la disparition momentanée de Lily a eu un impact favorable sur elle. Il lui fallait un tel choc pour se ressaisir. Elle a jeté toutes ces saletés de médocs qui la faisaient planer et hier, elle est même allée au parc passer la journée avec la petite. Et tiens-toi bien ! Elle a enfin mis une robe !

J'éclatai de rire.

-Dieu soit loué alors !

-Et toi ? Comment vas-tu ? Les choses avancent là-bas ?

-Ouais ça va ! Le projet est fastidieux mais il avance bien.

-Tu leur manques beaucoup tu sais PM. Yélen joue la forte tête mais elle est perdue sans toi. 

-Elles aussi me manquent beaucoup mais je pense que c'est mieux ainsi !

-Pierre-Marie, tu sais bien que je ne me mêle jamais de vos affaires mais depuis que tu es parti, tu n'es revenu que deux mois plutôt pour Noël et le Nouvel An ! Tu ne penses pas qu'il serait temps de rentrer au bercail ?

-Laisse ça Andy ! Je sais ce que je fais d'accord ?

-Ok c'est bon ! Je n'insiste pas. Bon, j'ai promis à Lily qu'on irait prendre des glaces vers 10h alors je ne vais pas la faire attendre plus longtemps.

-Amusez-vous bien ! Dis-lui que je l'aime, qu'elle me manque et que j'ai hâte de bavarder avec elle ce soir sur Skype. 

-Et à Yélen ?

-Dis-lui ce que tu veux Andrew. Elle ne le croira pas de toute façon.

-Pierre-Marie...

-A plus Frérot !

J'interrompis la conversation vidéo et fermai mon laptop d'un geste brusque. Puis je me pris la tête dans les mains. Mon Dieu ! Cinq mois que je suis loin de ma famille ! D'un côté, c'était tout aussi bien parce que rien que les quelques jours que j'avais passé là-bas pour le réveillon avaient été un véritable calvaire. Avec Yélen, nous oscillions entre piques désobligeantes et disputes orageuses. Oui, c'était mieux ainsi. En plus, ce que venait de me dire Andrew était une lueur d'espoir. Au moins, la petite frayeur que nous avait faite Nielini avait eu le mérite de la secouer un peu. Quand je repensais à cette nuit-là, j'avais encore des frissons. 

Il était environs 4h ici quand j'avais été réveillé par la sonnerie de mon téléphone. Lorsque j'avais vu le nom de ma femme s'afficher, sachant qu'elle ne m'avait jamais appelé depuis que j'étais ici, une terreur sans nom m'avait submergé. Lorsque j'avais enfin décroché, elle m'avait appris en larmes qu'elle avait encore oublié d'aller chercher la petite et que celle-ci avait déjoué l'attention de sa maîtresse pour quitter l'école. Heureusement, après des heures passées à sillonner Brooklyn, en rentrant à la maison pour venir chercher son portable qu'elle avait oublié, elle avait trouvé Lily assise devant les marches de la maison. D'après ce que me raconta ma fille ensuite, elle se doutait que sa Maman devait se reposer donc pour ne pas la déranger, elle avait préféré emprunter un taxi pour rentrer. Finalement, il y avait eu plus de peur que de mal mais les quelques heures durant lesquelles j'avais attendu que Yélen me donne des nouvelles avaient été les plus longues de ma vie. Au moins maintenant, elle porterait plus d'attention à notre fille. C'était déjà ça. 

Le lendemain matin, je me levai assez tôt comme d'habitude pour profiter allègrement de la salle de sport installée au sous-sol de mon immense appartement. A cette heure, il n'y avait pratiquement personne et je préférais cela. Une heure après, je remontai pour me régaler de la vue imprenable que j'avais de mon salon sur la ville. Le soleil se levait à peine et ce spectacle me ravissait à chaque fois. J'étais debout en pantalon de jogging et débardeur gris, un verre de jus de fruit dans la main, admirant la vue à travers mes baies vitrées quand j'entendis la sonnerie de la porte d'entrée retentir. Curieux de savoir qui cela pouvait bien être à une heure pareille, je posai mon verre sur la table basse et allai ouvrir. Quelle ne fut pas ma surprise de me retrouver en face d'une ravissante jeune femme qui affichait un sourire contagieux. Avant même que je ne sorte un mot, elle débita la main tendue :

-Bonjour Monsieur Aka ! Je m'appelle Risna Derma et je suis votre nouvelle assistante !


YELE, Lumière de ma...