Chapitre 23
Ecrit par Myss StaDou
Chapitre 23
Nous nous regardons un moment dans les yeux. En quelques secondes, je vois tant d’émotions passer dans ses yeux : surprise, joie, honte,…À ce moment, Victor se rend compte que je ne suis pas seule dans ce restaurant. Il pose donc son regard sur Olivier avant de le ramener vers moi et semble se poser des questions qui est mon partenaire de ce soir. Heureusement nous sommes assis à bonne distance l’un de l’autre, ce qui veut dire que nous ne sommes pas forcément un couple. Mais avec les gestes qu’il a eu avec la première femme, on ne peut pas dire la même chose de lui. Et il le sait.
Je vois Victor qui fait un pas dans ma direction avant de s’arrêter tout d’un coup, se rappelant sûrement tout d’un coup l’incongruité de la situation. Il ne peut pas laisser ses accompagnatrices pour venir me parler. Ce ne fera pas très poli. Les deux femmes parlent toujours ensemble, assez complices. Soudain une serveuse leur adresse la parole et elles se dirigent vers la réception. Victor se détourne pour les regarder.
Je me tourne vers Olivier qui est depuis tout ce temps toujours au téléphone. Il m’avait fait signe de lui pardonner. Au fil de la discussion, que j’écoutais d’une oreille distraite, je me suis rendu compte que sa conversation traitait apparemment d’un dossier à son travail. J’entends un bruit que j’ai tout d’abord du mal à ordonner dans ma tête avant de me rendre compte que ce doit être mon téléphone qui vibre. Je me dépêche de décrocher avant de perdre l’appel. C’est un numéro que je n’ai pas dans mon répertoire. C’est une galère d’avoir perdu tous mes numéros. Je décroche :
− Allô ?
Je n’entends rien.
− Allô ?
− Bonsoir Nick.
C’est Victor. Je reconnais bien sa voix rauque. Je me tourne dans sa direction, surprise de son appel et je le regarde sans répondre. Il s’est légèrement éloigné des deux dames et me regarde en coin, son téléphone à l’oreille.
− Que fais-tu ici ?
Je le regarde toujours sans répondre. Dans le fond, j’ai le cœur tellement lourd que je ne me sens pas prête à lui parler. Sous le regard étonné de Victor, je raccroche le téléphone sans rien dire. Il rappelle et je décroche :
− Réponds-moi, Nick !
Toujours muette, je le regarde, je baisse mon téléphone de mon oreille et je raccroche. Cette fois, je remets le téléphone dans le sac avec la ferme intention de ne plus décrocher. La situation est trop bizarre pour que je la simplifie. J’ai besoin de recul et de temps pour savoir comment gérer cette situation. Olivier a fini son coup de fil et prend un peu de temps pour se rafraîchir. J’ai l’impression que ça fait des heures que je suis assise là, enfermée dans mon propre corps. Je veux m’enfuir, m’en aller très loin de cet endroit. Mais je ne peux pas. Je dois endurer cette torture un moment encore.
J’entends mon téléphone vibrer de nouveau, plusieurs fois d’ailleurs, mais je ne fais aucun geste pour décrocher. Je n’ai même pas envie de regarder vers l’entrée du restaurant. Ce que j’y vois me fait trop souffrir. C’est un grand éclat de rire qui me pousse à tourner encore mon regard vers la réception où les deux femmes tenaient des paquets, contenant sûrement leurs repas et prenaient la facture, tout en se dirigeant vers la sortie, Victor bouclant la marche du groupe. Il me jette comme un dernier regard, plein de supplications. Les trois larrons sortent du restaurant. Je n’ai même pas remarqué qu’entre temps, le groupe avec le collègue d’Olivier, s’en est allé.
Tout ça m’embrouille, dis donc. Était-ce la soirée des révélations ?
− On peut partir ? demande Olivier. Il est déjà 22h passé.
− C’est vrai ? demandé-je, à côté de la plaque. Ok, allons-y.
La serveuse avait apporté la note depuis un moment et Olivier avait déjà réglé. Donc on pouvait partir. Nous nous dirigeons vers la sortie. Nous nous dirigeons vers la voiture d’Olivier. Étant un peu mal garé, Olivier m’intime d’attendre devant le restaurant qu’il sorte la voiture de l’endroit où il l’a garée pour que je puisse entrer sans souci. Quand il allume les phares, je me rends compte de la présence d’une silhouette dans le noir. C’est Victor qui est près d’une voiture et me regarde. Ses accompagnatrices sont déjà assises dans la voiture et bavardent toujours.
M’aurait-il attendu par hasard ? Nous restons un petit moment à nous observer dans la pénombre, juste éclairés par la lumière qui vient du restaurant et des lampadaires de la rue. Jusqu’au moment où Olivier vient garer sa voiture et je monte sans plus jeter un regard à Victor. Je ne veux pas qu’il voie la peine dans mes yeux. Olivier remarquant mon silence et mon air soucieux :
− C’est comment, Nicole ? La soirée ne t’a pas plu ?
− Si si. J’ai juste eu un mauvais moment, c’est tout. Tout était magnifique.
− Ça me rassure. J’avais l’impression que tu étais énervée.
− Non, ce n’est pas le cas. J’ai dû trop manger et je suis tout d’un coup fatiguée. Je veux juste me reposer.
− Ok. Je te dépose alors rapidement.
Nous roulons en silence dans la nuit. Il me dépose devant mon entrée. Je descends de la voiture et me place dans la fenêtre de la voiture.
− Je t’appelle alors pour qu’on se voie avant que je ne voyage, dit Olivier.
− Ok, il n y a pas de souci. Bonne nuit et merci.
− Bonne nuit Nicole.
Je m’éloigne dans la nuit, me dirigeant rapidement vers la maison. Entrée dans la concession, j’entends des bruits et des cris dans la maison. Un voleur ? Une bagarre ? Un décès ? Cela m’inquiète et je me dépêche pour y entrer. Quand j’entre dans le salon, je vois toute la famille réunie, ma mère qui crie des injonctions en langue. Papa, Carole et Junior sont assis sur les canapés du salon, l’air dépassés. Ma mère était assise sur le sol, l’air perturbée. Qu’est-ce qui se passe ici ?
− Eh Dieu. Ne nous fais pas ça ! gémit ma mère.
− Ma’a, qu’est-ce qu’il y a ?
− Oh Seigneur, pas maintenant, dit-elle en se mettant à pleurer.
− Ma’a, y a quoi non ?
Comme elle ne me répond pas, je me tourne vers le reste de la famille.
− Qu’est-ce qu’il y a ? Que quelqu’un me réponde.
− Tu es terrible ! s’exclame Carole. Depuis qu’on te cherche ?
− Me chercher ? Qui m’a cherché ?
− Je t’ai appelé à plusieurs reprises. Mais comme tu étais dans tes ambiances, tu as ignoré mes appels non. Voila maintenant un cas d’urgence et tu n’as pas réagi.
J’ai froid au dos de peur. Je ne sais toujours pas ce qui se passe, mais ça doit être grave. Je sors mon téléphone du sac et me rends compte que c’est Carole qui m’appelait après Victor. Et moi j’avais décidé d’ignorer les appels, pensant que c’était lui qui me rappelait.
− Je suis désolée. J’avais un problème. Qu’est-ce qu’il y a alors ?
Carole tchipe longuement.
− Tu es toujours comme ça !
− Weh ! Junior il y a quoi ?
Junior prend le temps de secouer la tête avant de me répondre. Ils commencent tous à m’énerver.
− C’est Rosie. Elle descendait d’un taxi à Etoug-Ebe (quartier de la ville) et une moto l’a cognée de plein fouet. Elle a eu le temps d’appeler Ma’a avant de perdre connaissance au téléphone. On ne sait même pas où elle est maintenant.
Oh mon Dieu !!! Rosie était la fille d’une cousine très proche de ma mère. Fille unique à ses parents, le papa décédé il y a quelques années, elle s’est mise en couple avec un homme qui est décédé dans un accident de voiture quelques mois avant leur mariage. Je l’avais croisé il y a trois mois en ville et elle est enceinte de cinq mois. Mon Dieu, faites que ce ne soit rien de grave.
− Mais sa maman est où ?
− Elle est allée à Dubaï il y a une semaine acheter la marchandise pour sa boutique, répond Maman en pleurant. Comme Rosie devait accoucher bientôt, elle a préféré partir pour revenir avant la naissance de l’enfant.
− Et le père de l’enfant ?
− Laisse-moi avec tes bêtes questions maintenant là ! Ta sœur a eu un accident et se trouve je ne sais où, tu es là, tu poses les questions.
Je me tais. Après réflexions, je fonce dans la chambre me changer pour porter un kaba. J’ai subitement l’idée de rappeler le numéro de ma cousine. Peut être une personne qui l’aurait secouru pourra nous aider. Nous rappelons le numéro de Rosie et c’est une dame qui décroche. Elle aurait conduit Rosie à l’hôpital central où les médecins attendent des membres de la famille avant d’intervenir. Rosie serait en état de choc et perdrait du sang. Maman et moi fonçons à l’hôpital dans un taxi course, prenant au préalable 200.000Francs que les parents avaient à la maison. Nous arrivons à temps pour qu’elle soit envoyée au bloc, la vie du bébé étant risqué, les médecins ont décidé de faire une césarienne.
Nous passons la nuit à l’hôpital. Le bébé est certes prématuré, l’accouchement étant prévu dans trois semaines, mais il est bien portant. C’est une magnifique fille de 2kg900. Elle est miset dans une couveuse pour la nuit. La nuit a été longue, entre prière et pleurs. J’ai laissé mon téléphone sur la table de la chambre dans l’empressement. Pas le temps de penser à Victor ou à quoi que ce soit d’autres pour l’instant. La vie de ma cousine et son bébé d’abord.
Rosie se remet bien de sa césarienne et n’a eu – à part une commotion sur la tête – aucune blessure majeure de son accident. Mais elle doit rester à l’hôpital pour se reposer et être suivie au cas où. Papa est allé chez elle chercher sa valise d’accouchement et nous l’apporte le matin. Vu qu’il n’y a personne pour veiller sur ma cousine, ma maman devant aller travailler, je dois rester toute la journée du vendredi à l’hôpital.
Ne me demandez pas où était Carole, on ne peut pas compter sur elle dans ce genre de situations !
Ma mère vient le soir après le travail et avec de la nourriture. Une de ses connaissances nous a apporté à manger en journée. Je peux ainsi rentrer me nettoyer et dormir un peu. Mon téléphone s’est éteint entretemps, la batterie étant déchargée. Je l’ai mis à la charge avant de me coucher. Je dois aller remplacer ma mère le matin.
M’étant réveillé le samedi matin en catastrophe, je pars à l’hôpital, oubliant encore mon téléphone à la maison. La journée est fatiguante. Je dois prendre soin de ma cousine et du bébé, avec des visiteurs qui vont et viennent. C’est pareil durant tout le week-end. Je vais à l’hôpital le matin et je rentre le soir pour dormir. Heureusement que le père de l’enfant, un homme anglophone de Bamenda a pu être prévenu de la situation. Il était allé voir sa famille et devait assister à un enterrement. Il revient dès le dimanche soir avec sa maman qui doit continuer à s’occuper de Rosie.
Ce n’est que le dimanche tard le soir, après une bonne douche et un copieux repas, que je prends mon téléphone, près à affronter les nouvelles ou les insultes que j’y trouverais. Je vois tout d’abord des appels d’Olivier. Il est déjà sûrement rentré sur Douala. Il m’a laissé un SMS :
« Salut Nicole. Tu ne réponds pas à mes appels. Un souci ? Olivier »
Celui-ci même m’énerve d’abord quand je me souviens de ses mensonges. Mais il m’a bien traité malgré le fait que je ne suis pas allé plus loin avec lui. Une fois de plus nous nous séparerons sur un non-dit. Je ne veux pas le confronter avec ses mensonges. Il est parti, ça suffit. Je l’éviterai à l’avenir. Par politesse je lui réponds :
« Désolée. J’assistais une cousine à l’hôpital. Merci pour ces moments. Bonne nuit. Nicole ».
Il y a aussi des appels de Victor. Tellement que je ne voulais pas compter. Qu’il ne me dérange pas !
Jeanne m’a laissé un message en journée.
« Je t’ai appelé sans succès. C’est comment ? Tu vas bien ? »
Mince, même elle m’a cherché ?! Où c’est son frère qui passait par elle pour avoir de mes nouvelles ? Non, Jeanne était déjà une bonne camarade et amie pour moi avant que je me mette avec Victor. Comme je ne manquais que très rarement les cours, elle a dû s’inquiéter de ne pas me voir à la Fac vendredi. Je vais quand même lui répondre.
« Je vais bien. J’assistais ma cousine à l’hôpital, Accident et BB. Bonne nuit ».
J’éteins mon téléphone pour dormir. J’ai besoin de reposer ma tête et réfléchir à quoi faire ensuite pour affronter Victor. La semaine commence bien, malgré la fatigue. Je parle avec Jeanne mardi. Nous mangeons même ensemble, mais elle n’a pas soufflé un mot sur le retour de Victor. Je reste aussi sans rien dire. Je l’observe toute la semaine. Rien ne sort de sa bouche. Nos rapports sont revenus petit à petit à la normale. Le vendredi entre deux cours, elle m’approche en souriant :
− Nicole, je peux te parler ?
− Tu veux encore me raconter quelle histoire ? demandé-je en riant. J’ai mal aux côtes depuis ton histoire de ce matin.
− C’est à propos de Victor.
Mon sourire s’efface tout d’un coup. Je la regarde sans rien dire.
− Il est déjà rentré. Il m’a appelé hier.
Je la regarde.
− Vous avez des soucis ?
Je regarde autour de moi.
− Je ne comprends pas ton silence. Victor m’a dit que tu refuses de répondre à ses appels. Qu’est-ce qui se passe ?
Je prends une bouffée d’air. Je la regarde, ne sachant réellement quoi lui dire.
− J’ai d’autres problèmes plus importants que Victor en ce moment.
− Ce n’est pas vrai et tu le sais.
− Je préfère discuter de cela avec lui, face à face.
− Je comprends ton choix. Mais parle-lui. Il a l’air vraiment inquiet.
− Ok.
Elle bavarde encore un moment, me poussant à appeler Victor. S’ils devaient tous les deux être si proches, elle devait donc sûrement être au courant de l’autre femme. Voulait elle que je sois la roue de secours de son cousin ?
Je passe la journée de samedi chez Jeanne à réviser. Elle m’a dit que Victor passerait peut-être en fin de journée. Je ne sais pas pourquoi, je me suis dépêchée de quitter les lieux. La frousse, la honte peut-être ? Je ne me sens pas prête à l’affronter.
Le dimanche matin vers 9h, je suis en train de faire ma lessive à l’arrière de la maison quand Junior vient de me rejoindre :
− Nini, on te cherche.
− Qui ?
− Ton copain.
− Quel gars ? demandé-je, stupéfaite.
− Ton petit ami. Victor… Ou tu as un nouveau copain ? Je ne sais pas.
− Non.
Je reste silencieuse.
− Où est-il ?
− Il est garé devant la maison.
− Dis-lui que je ne suis pas là !
Junior ouvre les yeux surpris, ne comprenant pas mon comportement.
− Je lui ai déjà dit que tu es là !
− Va lui dire que tu t’es trompé !
− Ekié ! Qu’est-ce qu’il y a ? Ce n’est pas pour le cadeau de cet homme que tu as bagarré dernièrement avec Carole ? Maintenant tu le fuis !
− Papi, lâche-moi ! Je ne veux pas bavarder là maintenant. Va lui dire que je ne suis pas là. C’est tout ce que je te demande.
Je me remets à laver mes habits, ignorant Junior qui me regarde un moment sans comprendre. Il s’en va porter mon message. Je finis de faire tranquillement la lessive et je vais me laver. Ensuite je m’allonge un moment. Il est presque 15h30 quand je décide de sortir pour recharger du crédit dans mon téléphone.
Je sors du portail et me dirige vers la route.
« Nicole », crie une voix qui m’appelle.
Que me veulent les gens de ce quartier ? Je continue comme si de rien n’était.
« Nicole ».
La voix s’est rapprochée et je peux bien la reconnaître. C’est Victor. Je me retournée, étonnée. Je le regarde s’approcher. On dirait qu’il est resté tout ce temps à attendre dans sa voiture. Il n’avait pas cru Junior.
« Ce qu’il est beau cet homme ».
Il porte un beau T-shirt bleu ciel avec une culotte à carreaux et des sneakers aux pieds. Je sens mes jambes trembler comme celle d’une ado devant le mec de ses rêves. Je joue la nerveuse, mais au fond de moi je suis trop heureuse de le voir. Victor ne se tient plus qu’à un mètre de moi. Il a l’air soucieux malgré son sourire.
− Bonjour ma belle.
− Bonjour !
Je suis sûre qu’il va commencer à me bombarder de questions par rapport à l’autre soir. Je me mets déjà mentalement sur la défensive. Je suis prête au combat ! Soudain, il se baisse et m’embrasse d’une manière si sensuelle et douce que ça me coupe le souffle quelques secondes. Ça me perd, m’embrouille, réveille tout genre d’émotions en moi.
« Ah, concentre-toi. Tu es en colère contre lui, souviens-toi. »
Il me regarde et sourit tout en me caressant la joue de son pouce droit.
− Tu m’as tellement manqué, dit Victor d’une voix suave.
Je m’attendais à tout sauf à ça.