Chapitre 29 : Une nouvelle amitié

Ecrit par Auby88

Margareth IDOSSOU

J'ai repris le cours de mon existence. Plutôt, j'ai dû reprendre le cours de mon existence, avant l'entrée de Sibelle dans ma satanée vie. A une seule différence : je suis moins hautaine, moins aigrie, moins discourtoise.


Je sors du bureau de mon associé. J'ai tenu à le remercier pour la brillante manière dont il a géré mes affaires en particulier et le cabinet en général. Il a été agréablement surpris et a encore tenté de me séduire. Sauf que contrairement aux autres fois, je l'ai éconduit avec plus de tact et un large sourire aux lèvres.


Vers mon bureau, je me dirige tandis que ma secrétaire me regarde. Ce matin, je l'ai saluée en premier, ce que je n'ai jamais fait.

J'ouvre les fenêtres et laisse l'air naturel entrer. Je range ma table et m'assois pour étudier mes cas en instance.

Plus que jamais, j'ai besoin de plonger à fond dans mon travail. Autrement, je vais sombrer. C'est ainsi que je passe toute ma journée.


Le soir, en me rendant chez moi, je fais un détour à Cadjehoun. J'ai besoin de voir David. Je me dois de m'excuser auprès de lui. Si je ne suis pas allée à la Clinique à l'heure de pause, c'est parce que j'avais peur qu'il ne me reçoive.

Lentement, je monte les marches qui mènent vers son appartement. Avec une petite crainte, j'appuie un doigt sur la sonnerie et j'attends.


La porte s'ouvre, laissant apparaître David devant moi. Il arbore un look très décontracté qui lui va bien : un débardeur sans manche sur une culotte qui descend jusqu'à hauteur de ses genoux. Je ne peux m'empêcher de le regarder, tellement il me semble différent.

Il est sur le point de refermer sa porte.

- Attends, s'il te plaît.

- Qu'est-ce que tu me veux encore, Mélanie ? On s'était déjà tout dit.

- Je tiens …

J'entends une voix de femme, qui me fait perdre le fil de ma pensée.

- David, allez viens ! Je m'impatiente.

- Donne-moi juste une minute et je serai à toi.

Puis s'adressant à moi, il poursuit :

- Comme tu peux le constater, je suis très occupé. Alors parle vite !

Consternée, je suis. Vraiment perdue.

- Ce n'est rien d'important. Je m'excuse d'être venue à l'improviste.

- Cela ne m'étonne pas. Je savais bien que tu n'avais rien d'important à me dire. Sur ce, aurevoir ! conclut-il en me claquant la porte au nez.

Je reste là un moment puis je m'en vais bredouille et pleine de remords.



Une semaine plus tard.

Je suis chez moi. C'est le weekend. Comme d'habitude, je suis seule entre les quatre murs de mon appartement. On sonne. Je vais ouvrir. Là, je ne m'y attendais vraiment pas. Sibelle et Judith. Je les laisse entrer.


- Bonjour maman, me dit Sibelle en souriant.

Elle vient de m'appeler maman. Je suis tellement étonnée d'entendre ce mot sortir si facilement de sa bouche que je deviens subitement muette, ne sachant quoi répondre. Je finis par lui sourire.

- Bonjour Margareth !

Je me remets peu à peu de mes émotions.

- Bonjour, Judith ! Je suis contente de vous voir en meilleure forme. Faites comme chez vous, dis-je en déplaçant les coussins du grand canapé. Je vous apporte de l'eau.

Toute excitée, je me rends à la cuisine et reviens avec une carafe d'eau et des verres. Je m'empresse de les servir et je m'assois en face d'elles.

- Je dois avouer que je suis assez surprise de vous voir chez moi, après l'énorme gaffe que j'ai commise.

- Vous me l'avez ramenée et c'est l'essentiel.

- Vous avez sans doute raison.

- Cela n'a pas dû être facile pour vous, d'autant plus que cette petite chenapan m'a avoué vous avoir mené la vie dure.

- Oui. Et pas qu'un peu. Vous lui manquiez trop.

M'adressant à Sibelle, j'ajoute :

- Sibelle, je suppose qu'à présent, je suis toute pardonnée !

- Bien sûr que oui, maman, dit-elle en venant me gratifier d'un long bisou sur la joue.

Je la serre tout contre moi. Je suis vraiment aux anges.

- Eh bien, reprend Judith, je suppose que mère et fille doivent avoir beaucoup à se dire. Vous aurez toute une semaine pour cela. A présent, je dois partir.

Ces propos m'intriguent.

- Pardon !

- Sibelle passera toute la semaine avec vous ! A moins que cela vous dérange, vu que son école est à Cotonou.

- Vous êtes sérieuse !

Avec un large sourire aux lèvres, elle réplique :

- Je n'ai jamais été aussi sérieuse, Margareth ! Ses affaires sont en bas.


Mon cœur déborde tellement de joie que je me surprends à faire un geste que je n'aurais jamais cru : je me jette à son cou.

- Merci, Judith. Merci beaucoup. Vous ne pouvez comprendre à quel point vous me rendez heureuse. Je ne sais comment vous témoigner toute ma gratitude.

- C'est pourtant bien simple, Margareth. Il vous suffit juste de bien prendre soin de "notre" fille. Elle est tout autant la mienne que la vôtre, vous savez !

- Oui, "notre" fille, dis-je en y mettant plus d'accent.

- Allez, venez avec moi prendre ses bagages. Notre avocate en devenir semble bien occuper à fouiller votre bibliothèque !

- Oui.

Vers "notre" fille, nous levons les yeux puis descendons. Quelques minutes plus tard, je suis de retour. Sibelle est tellement occupée par mes livres qu'elle ne me remarque même pas. J'en profite pour la contempler. Elle finit par se rendre compte de ma présence et vient vers moi.

- Maman, tu es de retour ?

- Oui.

- Tu m'as beaucoup manqué, tu sais !

- Et toi, encore plus ma puce. J'espère que tu as pu trouver un livre intéressant sur le Droit !

- Oui, il y en a plein. Mais c'est d'autre chose dont j'ai besoin maintenant. J'en ai déjà parlé à maman et elle est d'accord pour qu'on en discute toi et moi.

Là, je crains vraiment le pire. Elle semble tout d'un coup sérieuse.

- Je t'écoute ma chérie.

- Je veux que tu me parles de mon deuxième papa.

Sa requête me prend au dépourvu.

- C'est le docteur David ? ajoute-t-elle.

Je soupire. Tout aurait été si simple et différent si David était son père.

- Non, ma puce. David est juste un ami que je connais depuis plusieurs années.

- Alors, qui est mon père ? Je le connais ?

- Disons que oui, disons que non.

- Alors, c'est "le gentil" monsieur que j'avais vu chez toi et qui m'avait posé beaucoup de questions ?


Je trouve que le mot "gentil" ne convient pas à Charles, mais je n'ai point envie de le dénigrer, ni de dire du mal de lui devant sa fille. Parce que même si l'idée ne me ravit pas, Sibelle est bien sa fille.

- Oui, Sibelle. Ce monsieur est ton père.

- Je veux le connaître.

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, Sibelle.

- Pourquoi ?

Je me ravise de lui dire tout le fond de ma pensée.

- Pour rien, ma fille. Oublie ce que je viens de dire. Tu souhaites le voir et bien, tu le verras.

- Maintenant ? S'il te plaît, dis oui.

Je me demande pourquoi elle ne semble point fâchée contre ce père qu'elle n'a jamais connu et qu'elle soit si impatiente de le revoir.

- Il faut d'abord que je l'appelle.


Je n'ose pas ajouter qu'il ne la connait même pas comme sa fille, de peur de gâcher sa joie.

- Alors, fais-le maintenant ! me supplie-t-elle presque.

- C'est d'accord. Reste bien sage ici. Je reviens.


Sur la terrasse, je m'en vais composer le numéro de Charles après avoir fait plusieurs respirations successives.

- Allô, Charles !

- Bonjour Mel ! Je suppose que je te manque et que tu tiens à t'excuser pour la manière dont tu m'as chassé de chez toi la dernière fois.


Comme toujours, Charles ne fait jamais preuve de délicatesse envers moi.

- Détrompe-toi. J'appelle juste pour te dire que "ta" fille souhaite te rencontrer.

Il reste silencieux quelques secondes avant de reprendre :

- Qu'est-ce que tu viens de dire ?

- Tu m'as bien entendu. Nous avons une fille.

- Mais tu m'as dit que …

- Je t'avais menti. J'ai bien eu une fille de toi que j'ai remis en adoption. Elle a dix ans aujourd'hui et vit très heureuse avec ses parents adoptifs. Actuellement, elle est ici avec moi et désire te voir.

- La petite Sibelle, n'est-ce pas ?

- Oui, c'est bien elle.

- Je l'avais senti, la fois où j'étais chez toi. Cette fillette avait les traits caractéristiques de ma mère. Tu ne peux savoir à quel point je suis heureux, Mel. Dis-lui que je l'embrasse très fort et que je serai avec elle dans trente minutes tout au plus. Je me dépêche.



Charles da MATHA

J'avais complétement perdu espoir et là, tout change pour moi.

"Je suis père ! " murmure-je sans cesse. J'informe mon épouse de la bonne nouvelle et prends la direction d'Abomey-Calavi. J'ai tellement hâte de serrer ma fille dans mes bras.

Tout heureux, je sonne plusieurs fois à la porte. Je salue brièvement Mel, en lui précisant qu'elle me donnera plus d'explications plus tard sur cette histoire d'adoption, puis je me précipite à l'intérieur pour voir ma fille.

Dès qu'elle m'aperçoit, elle se lève et vient à ma rencontre.

- Alors, c'est toi mon papa ? me demande-t-elle en affichant son beau sourire.

- Oui, Sibelle. C'est moi ton père.

Je suis si ému, que mes yeux brillent. Je me retiens pour ne pas pleurer. J'ouvre tout grand mes bras et elle y saute. Je la serre tout contre moi. Je n'ai point envie de desserrer mon étreinte. J'ai juste envie de l'emmener avec moi, de l'emmener chez moi pour qu'elle rencontre mon épouse et ma mère.

Sur le canapé, nous allons nous asseoir. De tout et de rien, nous parlons.

Pendant​ qu'on discute, Mel reste à l'écart. Par moments, je la regarde avec des yeux pleins de colère. Tous ces mois à me morfondre, à souffrir pendant que mon enfant était bien vivant. Je reconnais avoir été odieux envers Mel par le passé, avoir nié l'avoir mise enceinte. Mais elle n'avait nullement le droit de me mentir, de me tromper comme elle l'a fait.

A Sibelle, je laisse mon téléphone, histoire de la familiariser avec Larissa et ma mère, au travers de leurs photos. Au moins, cela ne l'a pas choquée d'apprendre que je suis marié et qu'elle a une autre maman.


De Mel, je m'approche.

- A nous deux maintenant. Nous serons mieux sur ta terrasse.


Nous y allons.

- Que veux-tu que je te dise encore ? me demande-t-elle.

- Pourquoi m'avoir menti ?

- Parce que tu le méritais. De toute manière, à présent tu sais que tu as une fille.

- Je vois. Une fille que je ne pourrai pas avoir près de moi, parce que tu t'es empressée de la faire adopter après l'avoir gardée neuf mois dans ton ventre !

- Que voulais-tu que je fasse ? J'étais jeune et sans soutien. J'espère au moins que tu te rappelles que tu ne voulais pas d'elle.

- Peut-être. Mais tu n'avais pas ce droit, Mel. Au fond, avoue que si tu te plais à me torturer autant, c'est parce que tu m'aimes encore et tu m'en veux de t'avoir rejetée, d'avoir joué avec toi, de ne t'avoir jamais aimée, !

Au nez, elle me rit. En me regardant droit dans les yeux, elle réplique :

- Je ne t'aime plus, Charles da MATHA !

- Ce n'est pas ce que ton corps ou tes lèvres disaient les dernières fois dans mes bras, dis-je en m'approchant plus près d'elle.

Elle me fixe toujours, avec les yeux pleins d'assurance. Elle doit avoir raison : je ne lui fais plus aucun effet.

- Ces fois-là, j'étais perdue, troublée de te revoir après tant d'années. Mais maintenant, je n'ai plus aucun doute. Tu n'existes plus dans mon cœur, Charles da MATHA !


La savoir si confiante, la voir me narguer ainsi m'énerve. Je préférais l'avoir sous ma coupe, demeurer son dominateur.

- Je vois. Tu as commencé à coucher avec lui, n'est-ce pas ?

- Pardon !

- Ne fais pas semblant, Mel. Je parle de ton soi-disant ami Docteur David N'KOUE. Il a enfin eu ce qu'il voulait de toi depuis tant d'années. De toute façon, les amis sont faits pour les amies.

-  Pense ce que tu veux ! Je m'en moque. Et puis, il n' y a même pas matière à comparer entre toi et lui. Vous êtes si différents ! D'ailleurs en quoi ma vie privée te concerne ? Tu es censé être heureux​ en couple !

- Oui, dis-je avec fierté. Je suis heureux​ en couple. Et j'aime énormément mon épouse, tu ne peux savoir à quel point. Elle est la seule qui a su fait battre mon cœur, là où tant d'autres comme toi ont échoué. Larissa est une femme forte, pas une fille facile ou naïve comme certaines et elle sait me combler dans tous les domaines. Sache que tu ne lui arrives même pas à la cheville !


Je la fixe en espérant une pointe de jalousie, mais rien. Elle semble indifférente. Sur son visage, je découvre un sourire assez ironique.

- Oui, je vois. Ta femme est une femme exceptionnelle. Je ne lui arrive vraiment pas à la cheville. Mais c'est uniquement moi cette femme faible, idiote que tu te plais à humilier, avec laquelle tu aimes jouer, cette femme que tu te plais à garder sous ton joug, que tu n'as jamais aimé, qui a réussi à faire de toi un vrai homme, à te faire père. Ce que ton épouse extraordinaire ne pourra jamais accomplir, même si elle le voulait. Jamais, elle ne pourra te donner un enfant qui partagera le même sang que toi. Et pour cela, tu auras beau me considérer comme insignifiante à tes yeux, tu auras beau me martyriser, m'humilier, je garderai toujours sur mon visage ce sourire de victoire. Je tomberai mais me relèverai à chaque fois, tel un roseau qui plie mais ne rompt pas.


Ses mots sont rudes mais vrais. Je ne sais quelle réplique lui donner. Je la laisse là sur la terrasse et reviens près de Sibelle. Nous reprenons notre discussion de tout à l'heure. Mais par moments, je ne peux m'empêcher de regarder en direction de Mel ( à présent dans un coin du salon ) qui à chaque fois me gratifie d'un sourire narquois.







 
 










DESTINS DE FEMMES