Chapitre 30 : Repartir à zéro

Ecrit par Auby88

Margareth IDOSSOU

Dans l'appartement de Judith, je viens d'arriver. Il est très modeste et pas assez grand. Cependant, depuis que j'ai commencé à y venir, j'ai toujours fait l'effort de ne pas m'attarder sur ce détail, ni sur les meubles, ni sur le décor. Tout ce qui m'importe ce sont les âmes qui y vivent.


Depuis que Judith et moi gardons alternativement Sibelle, nous nous voyons régulièrement. Soit quand je viens la déposer, Soit quand je viens l'emmener, soit quand on a envie d'être entre femmes.

Et là, oui je suis chez elle pour discuter un peu. Disons qu'elle est ma nouvelle amie. Drôle. Incroyable mais vrai. (Rires).

Actuellement "notre fille" est à l'école et la semaine, elle la passe avec Judith.


De tout et de rien, nous papotons. A un moment donné, je ne peux m'empêcher de lui poser une question assez personnelle.

- Judith, je ne voudrais pas paraître indiscrète, mais pourquoi vis-tu encore ici ? Pourquoi ne retournes-tu pas dans ton foyer ?

Elle soupire.

- C'est bien compliqué, Margareth. J'ai moi même délibérément quitté Arnaud quand je pensais ne plus revoir Sibelle.

- Je vois, mais à présent qu'elle est là, tu devrais revoir les choses.

- Ce n'est pas si simple, figure-toi. Il m'avait clairement prévenue que si je mettais un pied dehors, c'en serait fini pour nous deux.

- Il l'a sûrement dit pour te faire réagir ou juste parce qu'il était en colère. Ce ne doit pas être sérieux ! Vous vous aimez tellement et j'ai de la peine à vous voir séparés. Je porte cette culpabilité jour après jour.

- Tu n'y es pour rien, rassure-toi. Certes tout a commencé avec le départ de Sibelle, mais cela reste une décision personnelle.

- Je pense que vous devriez trouver le temps d'en discuter, de parler de l'avenir de votre couple.

- Je ne sais pas trop. A chaque fois qu'il s'amène ici, c'est juste pour voir ou emmener sa fille. Il m'adresse à peine la parole, reste distant et même parfois froid. Je sais qu'il est en colère contre moi et il en a bien le droit. Et puis, repartir dans mon foyer maintenant que j'ai retrouvé Sibelle, ce serait comme si elle seule comptait pour moi, comme si je n'avais jamais vraiment aimé Arnaud. Crois-moi, il le prendra mal. Tout cela, sans compter ma belle-mère qui se plaît à me persécuter continuellement parce que je suis stérile et pas assez convenable pour son fils.


Je soupire.

- J'avoue que moi aussi je ne t'ai pas trouvée convenable pour Arnaud, la toute première fois que je t'ai vue avec lui à l'anniversaire de Sibelle. Mais au fil du temps, j'ai fini par comprendre que tu le complétais et que vous vous aimiez d'un amour fort, durable et unique. Cet amour-là, on ne le laisse pas se détruire. Je sais que tu aimes énormément ton mari. Alors s'il ne veut pas faire le premier pas, fais-le !

- Tu ne peux savoir combien j'aime cet homme qui a été mon premier et unique amour depuis lors. Mais je n'ai pas assez de courage pour faire le "premier pas". Et puis, en étant seule ici, j'ai eu le temps de me questionner sur mon existence. J'ai toujours agi, toujours vécu comme l'ombre d'Arnaud même s'il n'approuvait pas cela. Mais les humiliations incessantes de sa mère et le regard moqueur qu'avaient les gens sur moi m'ont toujours fait manqué de confiance en moi, en ce que je suis vraiment. A présent que je suis loin de lui, j'ai besoin de me prouver que je suis une femme toute entière, une femme forte malgré mes rondeurs, ma petite taille et le fait que je ne sois pas assez coquette, assez élégante, assez jolie.


Je la regarde avec des yeux pleins d'admiration.

- Tout cela n'est que secondaire, Judith. Tout ce qui compte, c'est ce que tu es à l'intérieur. Seuls, ceux qui te cotoient ont le privilège de s'en rendre compte. Crois-moi, tu es une femme forte, encore plus que moi même si tu l'ignores ! Par contre, il est bien temps que tu trouves la vraie "toi", que tu penses beaucoup plus à toi !

- Oui, je le pense vraiment. J'ai décidé de devenir plus indépendante, surtout financièrement et personnellement en auto-entreprenant dans un domaine qui me passionne. Mais, j'ai beau cogiter là-dessus, je n'ai pas vraiment d'idée.

Je souris.

- Moi je sais.

- Vraiment !

Je hoche la tête.

- La restauration. Tu as tes doigts de fée en ce qui concerne la cuisine !

- C'est bizarre mais je n'y ai pas pensé. Pourtant, je passe tout mon temps à la cuisine. C'est vraiment une bonne idée, mais cela risque d'être coûteux et je ne pense pas avoir assez d'argent actuellement pour investir dans ce domaine.

- Je ne pense pas que ce serait trop coûteux pour un début, mais je me propose comme associée.

- Toi ! s'étonne-t-elle.

- Oui. Je participe à la constitution du capital et toi tu t'occupes de cuisiner, cuisiner et cuisiner. Bien sûr, je passerai de temps en temps pour t'aider et recevoir des cours de cuisine. Car "notre fille" reste assez stricte là-dessus.

Nous rions aux éclats.

- Marché conclu, chère associée ? demande-je en lui tendant la main.

- Oui, marché conclu. Il ne reste plus qu'à trouver le local, employer des gens et définir notre stratégie commerciale, d'autant plus que la concurrence reste rude dans ce domaine.

- Je pense entre autres que qualité des repas et accueil impeccable feront l'affaire. Quoi qu'il en soit, j'ai confiance en toi et je sais qu'aucun client ne résistera à ton joli sourire et tes délicieux plats.

Elle sourit. Je poursuis :

- Quant au local, j'ai ma petite idée là-dessus. Pas loin d'ici, tout en bordure de la route, j'ai remarqué un ancien restaurant qui me semble convenable. En plus, c'est mis en location. On pourrait se renseigner là-dessus tout à l'heure.

- Tout à l'heure, tu dis ?

- Eh bien oui. Plus vite on y va, plus on a des chances de l'acquérir si cela nous plaît.

Un silence s'installe entre nous. Elle me fixe longuement puis laisse échapper une larme.

- Qu'est-ce qui ne va pas, Judith ? J'ai dit quelque chose de mal ?

- Non. C'est juste que je te regarde et je regrette être longtemps restée hostile envers toi. Pourtant, tu es une femme bien, Margareth.

- Bien, c'est trop dire tu sais. Disons que je m'efforce de changer pour ceux que j'aime. Et tu en fais partie. Pour moi, tu es comme une grande sœur. Tu m'as redonné une deuxième chance quand j'avais perdu tout espoir. Et t'aider à présent, c'est comme te "renvoyer l'ascenseur".

Elle me prend la main.

- Merci beaucoup.

Je ne peux m'empêcher de couler des larmes, que j'essuie aussitôt.

- Si nous continuons ainsi, nous risquons d'inonder ton appartement avec nos larmes. Il vaut mieux que nous sortions prendre de l'air et visiter  le resto dont je t'ai parlé.

Elle acquiesce et nous y allons.



Judith da SILVA

Le local me plaît bien. Il est meublé. J'y vois une quinzaine de tables et de l'espace encore pour y mettre d'autres. Il y a aussi un frigo, un micro-ondes et de la vaisselle en assez bon état. Le propriétaire me propose de tester tout ça avant de conclure entièrement l'affaire. En tout cas, le cadre me convient. A Mélanie aussi.

Nous sortons de là, toutes heureuses et restons quelques minutes sur la devanture du resto, bien sûr pour bavarder un peu avant de se dire aurevoir.

- J'ai bien hâte de venir manger ici. Et puis ce n'est pas bien loin de mon cabinet.

- Oui. C'est vrai. N'oublions quand même pas les démarches administratives qui parfois prennent du temps ici.

- Ne t'inquiète surtout pas pour cela, Judith. J'ai plein de connaissances dans les administrations publiques qui s'empresseront de m'aider.

- Bah ! Si tu le dis. J'y crois...


Pendant qu'on parle, je ne peux m'empêcher de faire référence au docteur David. Je sais que tous deux sont en froid et que le statut quo demeure entre eux. Il reste indifférent malgré ses démarches. J'ai cogité là-dessus et trouvé un moyen de rapprocher ces deux amis. J'espère vraiment que cela marchera.

- Au fait Mélanie, après demain, Sibelle a un contrôle de routine chez son pédiatre.

Elle m'écoute sans dire mot.

- Mais je serai assez occupée ce jour-là, d'autant plus que je dois m'occuper de tout ce qui concerne le restaurant. Et je parie qu'Arnaud aussi sera très occupé. Est-ce que tu pourrais l'emmener à ma place ?

Elle me scrute attentivement.

- Est-ce que j'ai le choix ?

Je secoue la tête.

- Non, Mélanie. Tu n'as pas le choix ! Cela fait partie de tes responsabilités de maman.

Elle soupire.

- Je te vois venir, Judith. Mais je doute que ce soit une bonne idée. Je crains que David pense que je le harcèle pour qu'il me pardonne.

- Mais non, voyons ! Tu y vas juste pour Sibelle. Même si au final, tu feras d'une pierre deux coups. Avoue que l'idée ne te déplaît pas et que tu as envie de revoir voire renouer avec ton ami.

Elle sourit.

- Oui, rien ne me ferait plus plaisir.

- Alors ?

- C'est bon. Après demain, j'irai chez le pédiatre avec Sibelle. J'ai bien hâte qu'on soit après-demain pour revoir David.

Nous rions puis je la raccompagne à sa voiture.



Margareth IDOSSOU

Normalement je dois me rendre à mon cabinet. Mais j'ai décidé de faire un détour pour une bonne cause. Une affaire très urgente à régler. J'entre donc dans les locaux de la Direction générale d'une banque. Évidemment, celle dans laquelle travaille Arnaud da SILVA. J'ai "deux" mots à lui dire.


Près de sa secrétaire, visiblement une aguicheuse professionnelle vu le haut plongeant qu'elle porte, je m'annonce après lui avoir poliment adressé un bonjour qu'elle me rend en me toisant. Je devine qu'elle me prend pour une "rivale". Cela se sent qu'elle en pince beaucoup pour son supérieur hiérarchique. Soit elle est déjà passée dans son lit, ce dont je doute fort connaissant Arnaud ; soit elle en rêve.

- Je suis navrée, mademoiselle IDOSSOU, mais vous devez prendre rendez-vous avant de voir Arnaud.


"Arnaud" ! Cette fille ne manque vraiment pas d'air. J'avais rangé ma langue acerbe au placard mais je crois bien que je vais la ressortir tout à l'heure.

Le sourire aux lèvres, je lui réponds :

- Dites juste à monsieur Arnaud da SILVA, votre supérieur hiérarchique, que maître Margareth IDOSSOU souhaite brièvement lui parler. C'est très important !

- Je suis navrée, mais il ne peut pas vous recevoir.


Cette jeune femme ne semble pas me comprendre.

- Vraiment !

Elle hoche la tête.

- Vous l'aurez voulu, dis-je en fonçant droit sur le bureau d'Arnaud. Elle se précipite derrière moi. Heureusement, la porte n'est pas fermée à clé. Nous nous retrouvons toutes deux devant le visage étonné d'Arnaud. Seul, debout dans son bureau, il est.

- Monsieur, cette femme…

- C'est bon. Je la reçois.

Il ne semble pas content de me revoir, ce qui ne m'offusque pas. Je m'y attendais. C'est en partie à cause de moi que Judith et lui se sont séparés.

- Qu'est-ce que vous me voulez encore ?

- Je viens parler de Judith et vous.

- Judith et moi ! Depuis quand êtes-vous devenue agent matrimonial ?

- Depuis qu'elle et moi sommes devenues de très bonnes amies.

- Je suis heureux pour vous, mais cela ne m'intéresse pas du tout. Je vous ai déjà remercié pour avoir ramené ma fille, mais ça s'arrête là. Je n'ai plus envie que vous vous mêlez de ma vie, après tous les dégâts que vous y avez causés.

- J'en suis bien consciente et je suis désolée. C'est d'ailleurs pour cette raison là que je suis ici. Vous ne pouvez pas renoncer à Judith. Vous l'aimez et elle vous aime. Elle a peur de faire le premier pas vers vous, de peur que vous la rejettiez.

- Elle est partie de son plein gré. Je ne compte pas la supplier pour qu'elle revienne. Vous perdez votre temps, Margareth !

- Elle était juste perdue. Elle avait juste besoin de se redéfinir. Cette femme a toujours vécu pour vous. Elle a toujours été là pour vous. C'est bien normal qu'elle ait besoin de penser un peu à elle. Vous ne pouvez pas continuer à lui en vouloir. Ce serait égoïste de votre part !

- Allez vous en, Margareth ! vocifère-t-il en ma direction. Je vous ai assez entendue. Ceci ne concerne que Judith et moi.

- Peut-être. Mais cela concerne aussi Sibelle qui a toujours été habituée à vous voir ensemble et unis. Vous y avez pensé ?

- Sibelle est une fillette forte. Elle s'y fait peu à peu. A présent, partez. J'ai du travail qui m'attend.

- D'accord.

Déçue je suis. Je m'apprête à partir mais finalement je m'arrête et m'approche un peu plus de lui en le scrutant attentivement.

- Il y a une dernière chose que je me dois de vous dire : La première fois que je vous ai vu chez vous, j'ai été vraiment impressionnée par votre allure, votre sourire, votre beauté, votre élégance, votre assurance et cette bonne "aura" indescriptible que vous dégagiez. Quand j'ai vu votre femme, j'ai eu un grand choc. Elle semblait si insignifiante, si banale à vos côtés, on aurait dit "moins que votre ombre". Mais maintenant que je vous regarde, je me rends compte que je me suis trompée. C'est plutôt elle qui dégageait cette "aura" et qui vous faisait briller autant à mes yeux. Arnaud, vous n'êtes définitivement rien sans Judith !

- Je ne vous permets pas…

- Quoi ! La vérité n'est pas bonne à entendre, n'est-ce pas ? Mais Regardez-vous, bon sang ! Vos traits sont défaits à dix heures du matin à peine, votre barbe et vos cheveux débordent, vos habits sont froissés, vous avez maigri, vos chaussures n'ont plus la même brillance, votre cravate est mal nouée, votre…

- Cela suffit, Margareth !


Je sais que j'en dis trop, mais je me dois de le choquer pour le faire réagir, c'est-à-dire l'emmener à faire le premier pas vers Judith.

- Cogitez là-dessus, Arnaud ! Et si vous aimez vraiment Judith — ce dont je suis sûre — faites tout pour la ramener chez vous. Sur ce, bonne journée !


Je m'en vais de son bureau, sans même regarder en arrière. J'espère que mes mots ne sont pas entrés dans des oreilles de sourd.


Je longe le couloir en passant près de la secrétaire qui me regarde méchamment. Je me rappelle que j'ai une dernière mission à accomplir. Je rebrousse donc chemin et me ramène devant la secrétaire.

- Que me voulez encore ? dit-elle en se redressant fièrement.

- Vous donner un conseil d'amie voire de grande-soeur.

- Vous n'êtes pas …

- Écoutez moi bien : derrière ce bureau (j'indique celui d'Arnaud), il y a un homme qui est votre supérieur hiérarchique. Evitez donc de l'appeler familièrement en utilisant son prénom.

- Vous…

Je ne lui laisse pas le temps de parler.

- En outre, derrière ce bureau (j'indique encore celui d'Arnaud), se trouve un homme exemplaire, un bon père de famille, un mari aimant qui adore son épouse. C'est une femme forte et très belle, près de laquelle vous êtes négligeable. Donc, abstenez-vous désormais de lui offrir vos balcons en spectacle quand vous travaillez avec lui. Jamais il ne s'intéressera à vous. Jamais ! Et même si vous êtes déjà passée dans son lit, ce dont je doute, mettez-vous bien en tête que vous ne serez qu'un coup d'un soir et rien de plus. Alors, si vous tenez vraiment à faire long feu professionnellement dans cette banque, rangez-vous ! Je vous le rappelle : c'est juste un conseil d'une personne qui vous veut du bien.


Elle n'ose pas me donner une seule réplique. Je n'en attendais pas moins. Je m'en vais, un large sourire aux lèvres tout en balançant mes mains en signe d'aurevoir. Elle détourne son visage tandis que moi je m'éclipse.







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