Chapitre 3: Humaru Mamani

Ecrit par Mady Remanda

Chapitre 3 : Humaru Mamani

 

La maison était silencieuse.

Sur le pas de la porte que m’avait ouverte Atos, le majordome fidèle de Mamani, je restai là figée, je ne savais plus si je devais avancer ou plutôt reculer et m’enfuir le plus loin et le plus vite possible de là.

-      Mademoiselle Elina…nous vous attendions…le maître s’est absenté quelques heures, mais tout est prêt pour vous accueillir…Me dit Atos du ton révérencieux que je lui avais toujours connu.

Je hochai la tête sans dire mot.

L’absence de Mamani, me laissait un répit, si court fut-il.

-      Je vais chercher vos bagages pour les porter dans votre chambre…Ajouta-t-il en faisant mine de sortir

-      Ce n’est pas la peine Atos, je n’ai rien apporté à part ce sac…

Il parut surpris, mais ne releva pas.

-      Dans ce cas…avez-vous besoin de quelque chose d’autre ?

-      Euh…non…j’aimerais juste…

Je marquai une légère pause avant de continuer :

-      …faire un tour de la propriété…

Atos me regarda avec une moue surprise, mais dit :

-      Bien sûr Mademoiselle Elina, bien sûr que vous pouvez…

Je hochai la tête.

Oui j’avais craint que cela me soit interdit.

-      Merci Atos, je dépose mes affaires dans quelle chambre déjà ? Demandai-je encore

-      Le Maître vous a installée dans la chambre mauve…

Je ne pus réprimer une moue horrifiée, et Atos d’ajouter :

-      Bien sûr elle a été réaménagée et re-décorée depuis le temps…il envisage même de la baptiser de votre nom…

Et voilà !

Si j’avais espéré que Mamani avait changé, ou même qu’il était devenu moins cynique, c’était un vœu pieux. M’installer dans cette chambre était la preuve que Mamani était resté le même homme froid, sans cœur et machiavélique.

Humaru Mamani…

Une longue histoire dans laquelle j’avais été embarquée très jeune.

En fait de maison, la résidence principale de Mamani au quartier Okala, dans la banlieue nord de Libreville était en fait une sorte de palace à trois niveaux.

On pouvait facilement le prendre pour un hôtel et de fait, les chambres étaient baptisées soit des noms de femmes qui passaient dans la vie de cet ogre soit des noms de couleurs selon ce qu’il entendait y faire.

Le terrain était lui aussi très vaste, il y avait un grand jardin à la cour avant, une piscine, et un terrain de volley-ball à l’arrière.

Je connaissais cette demeure par cœur.

J’y avais passé tellement de temps à l’époque ! J’en connaissais les moindres recoins et pourtant, je ne m’y étais jamais senti chez moi.

Je montai au premier étage le cœur lourd.

Les intentions de Mamani étaient évidentes !

La chambre mauve…cela voulait simplement dire qu’il me réservait le même traitement que la dernière occupante des lieux qui n’était autre qu’Adèle Eyumane, ma propre mère !

La porte n’était pas verrouillée, j’entrais donc dans la chambre mauve.

Oui, elle avait changé, ce n’était plus la pièce austère et mystérieuse gravée dans mon souvenir, c’était une pièce lumineuse, le mauve des murs était plus clair, les rideaux fleuris égayaient l’ensemble et une grande baie vitrée avait remplacé les fenêtres pour laisser entrer plus de lumière.

Sur le lit, un bouquet de roses rouges et une carte attendaient sagement.

Hum ! Quel cynisme !

Mamani osait m’offrir des fleurs ?

Je pris la carte et l’ouvrit, de son écriture ferme et assurée, Mamani avait laissé trois phrases :

 

«  Bienvenue dans ta nouvelle vie chère Elina

J’espère que tu t’y feras très vite.

Moi j’ai hâte !

HM »

 

Il espérait que je m’y ferais très vite !

Hum il avait mis dix ans à me préparer à cette vie, mais je ne me sentais toujours pas prête.

Comme il aimait à le dire lui-même : «  Tu as eu plus de chances que d’autres Elina, tu devrais t’estimer heureuse… »

« M’estimer heureuse, de vivre sous la menace permanente ? De vivre une vie…aussi sombre ? »

Non !

Je ne m’estimais pas heureuse, mais le sacrifice en valait la chandelle, alors oui, je m’y ferais !

Je m’assis sur le lit.

Pendant quelques secondes, mes souvenirs me ramenèrent à mon escapade à Port-Gentil une semaine plus tôt, à ma rencontre avec Gaston Reliwa, à notre aventure dans sa villa, à ses caresses, à ses baisers, à nos jeux sensuels à…

STOP !

Je n’avais plus le droit de penser à ça !

Aussi beaux que furent ces moments, ils appartenaient désormais à une autre vie.

Décidée à reléguer le souvenir de Gaston aux oubliettes, je me levai promptement, troquai mes ballerines contre des tongs et descendit au rez-de-chaussée.

Je voulais commencer le tour de la maison par l’extérieur.

Je passai donc à l’arrière, où une rangée de palmiers marocains bordait une piscine en forme circulaire.

Je respirai un bon coup.

La première fois que j’étais arrivée ici, j’avais onze ans ! Une éternité. Au début, la petite fille que j’étais avait trouvé cet endroit magnifique certainement à cause du luxe qui s’en dégageait, un luxe comme je n’en avais jamais connu !

Il y’avait une aire de jeux pour enfants à l’époque, non loin de la piscine, mais au fil des années elle avait disparu, et avec elle, la fascination que cette maison exerçait sur moi.

Petit à petit, la maison de Mamani était de venu un enfer pour moi et je refusais d’y venir, Adèle Eyumane se voyait obligée de m’y trainer par la force, parfois en me tirant par les cheveux !

Je fermai les yeux, comme pour refouler ses sombres souvenirs.

Mais la mémoire était têtue parfois.

Sentant que cette fois je ne parviendrais pas à refouler, je partis m’étendre sur l’une des chaises longues qui bordaient la piscine, à l’ombre des palmiers.

Fermant les yeux, je laissai couler en moi le flot des souvenirs.

Cela faisait un peu plus d’un an que celle qui m’avait mise au monde était venue m’arracher à l’affection de celle que je considérais comme ma mère.

Je vivais donc chez Adèle Eyumane, dans sa villa des charbonnages, au départ, je ne me posais aucune question sur sa façon de gagner sa vie, elle ne travaillait pas, passait des journées entières à la maison, une dame du nom de Mayena lui livrait ses courses, et un monsieur passait la chercher en voiture.

A cette époque-là, les jumelles venaient de naître, elles avaient tout juste quelques mois.

Atamâ, la nièce de Mayena qui devait avoir tout juste trois ans de plus que moi, venait aider maman à s’en occuper.  Quand les jumelles ont eu six mois, maman restait de moins en moins à la maison, nous abandonnant Atamâ et moi avec les petites parfois pendant des jours entiers.

C’est là que j’avais développé cet instinct surprotecteur que j’avais à l’égard de mes cadettes, car je les avais quasiment élevées seules.

Pendant deux ans, Atamâ m’avait aidée avec les petites, pendant qu’Adèle Eyumane menait sa vie sans se préoccuper des enfants que nous étions. Puis Atamâ avait disparu dans la nature…

Je n’avais jamais su où elle était partie ni pourquoi. La seule chose que m’avait dite ma mère était :

-      C’était son heure…elle devait commencer une nouvelle vie…

Avant de m’interdire de reparler d’elle.

C’était étrange, cette façon qu’avait Adèle Eyumane de  « rayer » les gens de sa vie, comme s’ils étaient aussi importants que les sacs de marques qu’elle changeait au trimestre.

C’était à peu près à cette époque que j’avais commencé à fréquenter la maison de Mamani.

Au début, c’était « Papa Mamani ».

Un jour, maman était venue, heureuse ou anxieuse, je ne saurais plus le dire, mais en y réfléchissant bien, c’était certainement un peu des deux.

Les jumelles avaient deux ans, et on commençait à connaître une petite sécheresse financière.

Mayena ne livrait plus les vivres aussi souvent, et la voiture grise aux vitres fumées ne passait plus chercher maman, elle ne sortait plus et restait des journées à la maison, errant comme une âme en peine.

Un matin, un coup de fil avait redonné du sourire à ses lèvres et des éclats dans ses yeux, elle s’était pomponnée, puis une voiture était passée la chercher, pas la même voiture grise, non, une autre blanche, toujours aussi imposante et des vitres encore plus sombres.

Maman était partie, elle n’était rentrée que tard dans la nuit.

Les petites s’étaient déjà endormies. Restée seule, je regardais la télé. Les seuls moments où je pouvais rêver comme l’enfant de moins de douze ans que j’étais.

J’avais appris l’indépendance et l’autonomie, je gérais quasiment la maison de ma mère, je cuisinais, nettoyais, faisais la lessive et m’occupais des petites.

J’étais une grande !

A onze ans et demi, j’étais une femme, une mère…tout en restant une enfant.

Ce soir-là donc, Adèle Eyumane, ma mère rentra très tard, il devait être minuit et demi, mais je ne dormais pas, ou plutôt assise sur le canapé, je luttais contre le sommeil, je voulais à tout prix la savoir de retour avant de m’endormir.

Le Prix de ma Vie