Chapitre 4: Le sexe du diable
Ecrit par Mady Remanda
Chapitre 4 : Le sexe du diable
- Melle Elina, le maître est là…il veut vous voir…
La voix d’Atos me ramena brusquement à la réalité. Je me redressai sur la chaise longue au bord de la piscine sur laquelle je m’étais allongée et m’était évadée vers le passé.
Combien de temps étais-je restée là ? Je n’aurais su le dire, peut-être une bonne demi-heure ou un peu plus.
Le retour vers mon passé m’avait quelque peu épuisée, et je ne me sentais soudain plus la force d’affronter cette brute de Mamani. Mais à quoi cela m’avancerait-il de repousser l’échéance, cela ne changerait pas mon destin ni même le cours des évènements.
J’avais assez gagné de temps, le mieux était encore de prendre le taureau par les cornes et affronter ma nouvelle vie.
Je me levai et plissai sur ma jupe un pli imaginaire pour me donner une contenance. Atos avait déjà tourné les talons.
Je savais que je ne tiendrais peut-être pas dans cette maison, je ne savais peut-être pas tout des affaires de Mamani, mais je savais au moins comment ma mère avait fini et c’était suffisant pour comprendre que cela n’allait pas être un paradis.
Je regrettai que Mayena ne soit plus au service de Mamani, à part Atos le majordome et Sybil la cuisinière, je ne connaissais rien du nouveau personnel ni même de la femme qu’il avait engagée pour être ma gouvernante.
- Tu verras, tu vas l’apprécier, c’est un modèle d’efficacité…
Venant de Mamani, cela signifiait que cette femme était aussi diabolique que lui.
Mais que pouvais-je y faire ? Toute cela ne dépendait pas de moi, mon sort et celui de mes frères avaient été scellé depuis bien longtemps alors que je n’avais pas encore voix au chapitre. Ravalant un soupir je me dirigeai d’un pas décidé vers la maison. Autant y aller puisque je ne pouvais plus reculer !
A ma grande surprise, Mamani ne m’attendait non pas dans son bureau comme d’habitude mais dans le salon rouge, le petit salon des affaires secrètes.
En longeant le couloir, les souvenirs affluèrent à nouveau, les cris, les pleurs que je n’avais jamais oublié, mais aussi les silences assourdissants qui me terrifiaient.
Puis il y avait eu le jour où j’avais été arrachée à ce monde maudit, à cette époque, le simple fait de respirer l’air de l’extérieur était un luxe que je pouvais veiller de ma vie, je n’avais pas encore compris que ce n’était qu’un répit.
Inspirant profondément j’essayai de refouler comme je l’avais toujours fait ces souvenirs pénibles.
Je frappai un léger coup à la porte, la voix grave que je n’avais pas oubliée, me répondit de l’autre côté du battant :
- Entre…
La seconde d’après, je pénétrai dans le salon rouge, l’antre du Diable !
La pièce n’était que sommairement meublée contrairement aux autres pièces de la maison qui rivalisaient les unes les autres d’un style tapageur et ostentatoire.
Des tentures rouge vifs s’étendaient le long des quatre murs, des rideaux rouges aux motifs dorés doublés de voilages d’un rouge plus fade ornaient les fenêtres.
Pour seuls meubles, on comptait deux sofas et une table basse, qui ne servaient sans doute jamais, car dans cette pièce, le maître s’asseyait le plus souvent sur les nombreux coussins rouges disposés à terre en dessous de la fenêtre qui faisait face à porte.
La pièce n’était pas grande, et ressemblait à un décor de boudoir indien, on se serait cru dans un lieu de culte et de fait, la pièce servait bien à des incantations.
Un frisson remonta le long de mon dos, au souvenir de la première fois où j’avais pénétré cette pièce. Mamani était alors assis comme aujourd’hui sur ses coussins, vêtu d’une longue toge noire, la tête recouverte d’un turban rouge. Devant lui, de gros cierges rouges consumaient lentement. C’est Mayena qui m’avait conduite devant la porte, quelques temps avant, elle m’avait apporté une longue tunique blanche qu’elle m’avait demandé de porter sans mes sous-vêtements.
C’était ce jour-là que…
- Ma chère Elina…
La voix de Mamani me ramena à l’instant présent. Comme autrefois, il était assis sur les coussins sous la fenêtre, mais cette fois il portait une longue toge mauve sombre sur laquelle était brodée une sorte de longue fourche rouge. En lieu et place du turban rouge, il portait un kufi rouge (chapeau de prière musulman) et arborait une longue barbe blanche.
Mamani avait vieilli, cela était visible même à cette distance. Paradoxalement, il ne me paraissait que plus terrifiant.
- Approche donc et prends place en face de moi…Ajouta-t-il de sa voix la plus douce possible
Les gros cierges rouges consumaient lentement comme autrefois devant lui et une odeur d’encens flottait dans l’air.
Rien n’avait changé.
Mamani n’avait pas changé, dix ans plus tard, cette homme était le même, sa maison était la même.
Je m’avançai tel un prisonnier vers la guillotine et me tint debout devant lui.
- Prends place…pourquoi n’as-tu pas revêtu l’habit de prière, tu sais bien qu’ici on entre pour prier…Dit-il d’un léger ton de reproche
- Désolée Mamani…ça fait si longtemps que j’avais oublié, et surtout je pensais que tu me recevrais dans ton bureau…
- Hum…non…en ce moment je suis en prière…je dois me préparer pour les prochains sacrifices…
Les sacrifices !
Toute la vie de Mamani tournait autour de ça.
Il en faisait de toutes les sortes.
A l’époque, trop jeune pour comprendre, je ne pourrais dire exactement quelle était son obédience si tant est qu’il n’en a qu’une seule. Mamani semblait être affidé à plusieurs sectes ou à une secte multiforme.
Mais ces sacrifices le lui rendaient bien apparemment puisqu’il était immensément riche.
Je m’assis en face de lui. Il me regarda un moment en silence avant de dire :
- Je savais que tu viendrais remplir ta part du contrat…
J’eus un haut le cœur.
Entendre Mamani me parler de « ma part du contrat » me remplissait d’un sentiment de dégoût envers moi-même.
Je ne comprenais pas ce que je faisais dans ce tourbillon. Au fond de moi, je savais que ce n’était pas le chemin, parfois je me disais que rien ne m’obligeait à rester, je pouvais m’enfuir…
M’enfuir ?
J’en avais eu l’occasion plusieurs fois en France.
Mais si je pouvais fuir physiquement, la dette mystique ne me quitterai pas, au contraire, elle serait plus lourde à porter en étant fugitive.
- Je suis là Mamani…j’attends que tu me dises maintenant ce que je dois faire…
- Calme-toi, rien ne presse…tu sais bien que ce qui nous lie est…
Je levai la main, je ne voulais surtout pas l’entendre
- Mamani…je préfèrerais qu’on ne parle plus du passé…
Il eut un regard circonspect puis sembla se raviser.
- As-tu mangé quelque chose ? Demanda-t-il gentiment
Je connaissais assez Mamani pour savoir que ce n’était pas un homme gentil et qu’il essayait de gagner du temps soit parce qu’il se posait encore quelques questions, soit parce qu’il savait que le coup qu’il m’assènerait serait assez dur et la deuxième option me paraissait la plus vraisemblable.
- Penses-tu que je puisse avoir le cœur à manger ?
Il ne répondit pas et j’enchainai :