Chapitre 3: Visions
Ecrit par Lalie308
Il était parfois difficile d'accepter sa différence. On préférait passer pour un râleur qu'un infirme. Et cela était aussi valable lorsqu'on avait du mal à accepter une différence qui n'était pas la nôtre, mais celle de l'être le plus précieux à nos yeux. Hongust ne cessait de tourner et retourner le problème dans sa tête, mais aucune solution ne fit acte de présence. Après tout, il ne voulait pas faire d'Axa une bête de foire et l'envoyer en laboratoire pour chercher et rechercher des solutions pour son trouble biologique. Hongust n'avait toujours pas assimilé depuis bientôt 18 ans le sort de sa fille, il trouvait encore cela incroyablement impossible et frustrant. Il aurait pu la laisser vivre sa différence, l'aider à se découvrir, à connaître ses origines, mais rien, il n'en fit absolument rien. Préférant depuis toutes ces années se forger un masque et maintenant passer pour le père strict et insensible. Il savait que cela ne changerait en rien l'état d'Axa, cela n'apaiserait aucunement cette lourde charge qui s'est posée sur le destin de sa fille. Mais il préférait qu'elle soit ainsi, il préférait qu'elle ait du mal avec lui plutôt qu'elle continue à supporter toutes ces injures qui lui étaient adressées de face ou de dos.
— Axa, que vais-je bien pouvoir faire de toi ?
Il se leva d'un geste nonchalant, terrassé par cette lutte mentale incessante et souffla longuement pour se redonner du courage. Il avait murmuré cette phrase à peine audible avec tristesse et désespoir. Il voulait le meilleur pour Axa, il voulait qu'elle soit heureuse, mais qu'elle ne connaisse pas ses origines des plus spéciales. Qu'elle ne sache pas ce qui s'était réellement passé des années plus tôt. Il allait donc rester sur son choix, rester dur et intransigeant. Il savait ce que cela impliquait et surtout que sa fille ne le supporterait pas. Mais certains risques étaient à prendre, pour la peine présente et le bien-être futur.
*
— On ne devrait pas être là.
Axa indiqua à son compagnon de se taire et continua à avancer lentement vers le petit laboratoire de M. Paul Jones, vice-gouverneur de la cité, personnage le plus important après le gouverneur et surtout le père de Cody. Sa résidence disposait tout comme la Troïka, d'un laboratoire privé, lieu où se tenaient à présent Axa et Cody, seuls et à l'abri des regards. Axa avait insisté pour en savoir plus sur ce fameux liquide qui lui avait imposé la blessure la plus longue et douloureuse de sa vie. Elle fut donc conduite clandestinement par Cody dans le laboratoire des Jones pour en avoir le cœur net.
— Voilà, déclara le brun en lui tendant un flacon identique à celui de la dernière fois.
Elle le prit doucement entre son pouce et son index en analysant minutieusement du regard le contenu rouge vermillon du tube. Elle le déposa ensuite et ouvrit un bocal où se trouvaient des seringues pour s'en procurer deux.
— Tu peux me dire ce que tu veux faire exactement ? s'intéressa le brun en plissant les yeux.
— Tais-toi Cody.
Il leva les yeux au ciel et haussa les épaules pour se contenter d'être un spectateur. Elle se saisit d'une plaque microtitre qu'elle posa sur le comptoir.
— Assis, ordonna-t-elle au brun sans lui lancer un regard.
— Oui... Patronne, marmonna-t-il en insistant sur chaque syllabe du dernier mot, mais il s'exécuta.
Elle chercha rapidement ses veines au niveau de son poignet et fit une incision pour prélever quelques gouttes de sang pendant que le brun grimaçait.
— Une vraie gamine, se moqua-t-elle avant de se positionner pour se faire le même prélèvement.
Elle plaça les prélèvements dans les puits du microtitre. Elle remplit une pipette de la solution de cinabre, mit quelques gouttes dans le sang de Cody. Aucune réaction évidente ne se produit. Elle fronça les sourcils et fit la même chose pour son sang. Dans le dernier cas, la surface du contenu du puits fut parcourue de légères étincelles. Elle plissa les yeux en ajoutant encore quelques gouttes, voyant son sang se vider progressivement et les étincelles s'accroître. Elle prit ensuite quelques gouttes de la solution qu'elle versa sur le bras de Cody, toujours rien. Elle rapprocha donc la pipette de son avant-bras à elle en serrant les dents, la douleur sur sa jambe étant toujours présente. Dès que les premières gouttes ont atteint sa peau, une vive douleur identique à celle de l'autre fois se saisit d'elle et elle serra les dents pour ne pas crier.
— Bordel, Axa tu te brûles.
Le brun fit les gros yeux face à ce qu'il voyait et fut horrifié. Cela confirmait à présent qu'Axa était différente, différente des humains. Il se demanda même si elle était humaine. Malgré la douleur et son avant-bras brûlant quasiment, Axa continua.
— Mais arrête maintenant, grogna le brun en lui arrachant la pipette des mains.
La chaleur corporelle d'Axa était de plus en plus croissante et elle avait l'impression que tout tournait autour d'elle. La douleur lui étouffait le bras et la blessure ne se refermait pas comme celles qu'elle avait l'habitude d'avoir. Elle se cala au comptoir pour ne pas tomber, mais transpirait beaucoup. Ses paupières s'alourdissaient brusquement et une rapide série d'images la harcelait. Du sang, beaucoup de sang, des explosions, des pleurs. Elle crut reconnaître des êtres identiques à celui qui s'adressait souvent à elle, ces êtres étaient en pleurs du moins c'était ce qu'il semblait. Ils marchaient en file indienne tels des esclaves : petits comme grands. Ils avaient d'énormes brûlures sur le corps et semblaient des plus faibles. Ils hurlaient des « manza ! » (Pitié)certains boitaient, d'autres marchaient à peine. Elle rouvrit brutalement les yeux, comme si elle ressentait en cet instant tout le mal que pouvaient ressentir ces créatures, comme si toute leur souffrance reposait sur ses épaules.
Mais le répit fut de courte durée. Tout son corps s'alourdit et le monde tournoya autour d'elle. Ses yeux se refermaient lourdement et elle se sentit ensuite tomber dans les bras du brun qui paniquait. Il usa de toute la discrétion possible et conduisit Axa jusqu'à sa chambre en jurant. Il retourna au laboratoire pour effacer toute trace de leur passage dans ce lieu. Lorsqu'il revint dans la pièce où se trouvait Axa endormie, il se passa une main nerveuse sur le visage et alla soigner sa plaie. Il appliqua doucement le désinfectant sur la brûlure et fit un petit bandage. Il lui posa ensuite un chiffon mouillé sur le front, impuissant quant à ce qu'il adviendrait d'elle. Il posa deux doigts sur son poignet pour vérifier son pouls qui s'avéra stable et fut un peu moins inquiet en remarquant le soulèvement et l'affaissement réguliers de sa cage thoracique. S'il avertissait les autres, c'en était fini de leurs recherches. Leurs pères allaient en finir avec eux, se disait-il. Ils risqueraient d'enfermer Axa dans un laboratoire pour la traiter comme un instrument de recherche s'ils en venaient à apprendre ce qui s'était réellement passé.
Il souffla et s'installa près d'elle, admirant son visage dans le silence. La parfaite symétrie de son visage, ses fines lèvres entrouvertes et toutes les perfections de son visage contrastaient avec la misère permanente qui s'y reflétait. Axa semblait extérieurement calme et endormie, mais des images trop douloureuses se plantaient en réalité dans sa tête, son sommeil était des plus vertigineux. Elle voyait des humains enchaîner, frapper et maltraiter les créatures. Elle les voyait se faire égorger sans scrupule, des enfants mourant dans les bras de leurs parents, des parents mourant dans les bras de leurs enfants. Elle voyait des cités en ruine, en cendre. Des explosions, des morts par ration. Tout cela à travers des images très rapides, des images brusques et douloureuses. Elle avait mal malgré qu'elle fût inconsciente, elle avait l'impression que son cœur saignait, qu'on avait fait du mal aux siens, qu'on lui avait fait du mal à elle. Une dernière explosion se fit entendre et ses yeux s'ouvrirent brutalement, injectés de sang et délivrant des filets de larmes.
— Ça me brûle, hurla-t-elle en se redressant et se passant incessamment les mains sur le corps.
— Axa calme toi s'il te plait.
Ce fut la seule phrase qui put sortir de la bouche de Cody qui ne savait plus comment agir avec Axa, sachant que tout ce qui lui arrivait était hors du commun. Elle se leva du lit, ayant à peine entendu le brun et glissa sur le sol, recroquevillée et en pleurs. Cody ne sut quelle réaction avoir, il ne savait pas ce qui lui arrivait.
— Aide-moi s'il te plait, continua-t-elle de hurler en se tirant les cheveux.
Il se passa une main dans les cheveux et grogna. Il se laissa glisser sur le sol près d'Axa qui ne criait plus, mais se tordait silencieusement de douleur. Il haussa la voix :
— Madame ou monsieur ou je ne sais pas trop ce que vous êtes. Axa dit que vous traînez souvent avec elle donc s'il vous plait aidez là. La dernière fois vous avez voulu me tuer. Je promets de passer l'éponge dessus si vous l'aidez.
Il grogna de nouveau, le regard se promenant désespérément dans les coins de la pièce. Il supplia à maintes reprises la créature de venir à l'aide d'Axa qui se débattait de plus en plus, les cris ayant de nouveau fait leur entrée. Elle se jetait contre les meubles de la pièce en pleurant et criant tant la sensation de brûlure était intense. Une douleur et une chaleur insupportable l'étouffaient. Elle ressentit soudain une douce fraîcheur sur ses joues, comme si deux mains fraîches les caressaient puis elle sentit doucement la chaleur et la douleur se dissiper. La créature apparut de nouveau en face d'elle, toujours recouverte de ce halo lumineux. L'immense sérénité qu'elle ressentait chaque fois qu'elle la voyait réapparut lorsque les yeux verts miroités furent plongés dans les siens. Elle respira un grand coup pour apprécier cet instant. Son cœur s'apaisa.
— Tu vois ce qu'ils nous ont fait Axa ? Glami, vo vidite(Déesse tu vois) ? Venge-nous, lui murmura doucement la créature malgré qu'une vaste haine remplissait sa voix.
Puis elle disparut progressivement en lançant un regard à Cody qui ne la voyait pas, mais espérait qu'elle soit à l'origine du soudain calme d'Axa.
Cette dernière se releva difficilement en venant s'installer sur le lit.
— Ça va ? demanda Cody en se rapprochant d'elle.
Elle hocha positivement la tête et soupira longuement.
— Il faut que je quitte cette cité.
Le brun fit les gros yeux face à sa déclaration, mais ne répondit rien.
— Ne me regarde pas comme ça. J'ai besoin d'explorer l'extérieur. Je sens que je dois le faire. J'y parviendrai, je te le jure, soutint-elle.
Il était terrifié par la soudaine détermination d'Axa mais ne refoula pas l'envie qu'il avait aussi de découvrir ce qu'il y avait à l'extérieur. Axa avait le visage fermé, pas une once d'émotion.
— Tu l'as revue ? lui demanda-t-il.
Elle leva les yeux vers lui puis les rabaissa.
— Je prends ça pour un oui. Tu as vu quoi d'autre ?
Elle se leva et se dirigea vers la sortie.
— Ce ne sont pas tes affaires, lança-t-elle sèchement.
Cody qui s'était trouvé trop patient avec elle pressa le pas pour la retenir par le bras. Il serra sa prise et la retourna vers lui d'un geste vif. Leurs visages n'étaient qu'à quelques centimètres et il en profita pour paraître plus menaçant. Elle retira violemment son bras alors que son regard devenait sombre.
— Lâche-moi, grogna-t-elle.
— Écoute Axa, j'ai été assez patient. Tu pourrais quand même coopérer et me parler afin qu'on avance vite, se plaignit-il sans détourner son regard.
Axa fronça les sourcils comme pour réfléchir puis essaya de lui détailler les quelques images troublantes qu'elle a pu voir.
— Tu te souviens de cette femme ? Enfin la créature que tu as vue le jour où nous nous sommes battus ?
Il hocha positivement la tête.
— Il y avait plusieurs autres créatures du genre. Il y avait des femmes, des enfants, des hommes comme nous. Je crois qu'ils n'étaient pas humains. Ils se faisaient tuer et maltraiter par les humains. Je ne sais pas. Il y avait des explosions aussi. Un véritable champ de bataille.
Elle fit son monologue lentement, adossée au mur qui se trouvait derrière elle et le regard plongé dans le vide.
— Hum. Dans la cité ou ailleurs ?
— Non, non. Je crois que c'était la Terre. L'endroit n'avait rien à voir avec la cité et encore moins avec le peu que j'ai pu voir de l'extérieur.
— Si ça se trouve, tu as vu des images de la guerre, plaisanta-t-il.
Axa fronça encore plus les sourcils.
— Peut-être que tu as raison en fait, annonça-t-elle comme si elle avait eu une illumination.
— Je blaguais, tu sais ? En plus, ce serait absurde et bizarre.
— Tout ce qui m'arrive l'est donc...
— Tu penses à quoi exactement ?
— Je ne sais pas, mais je veux savoir. Je vais laisser cette créature communiquer avec moi. Je sens que j'ai beaucoup à apprendre et que tout ça à un rapport avec cette satanée guerre.
— Tu as de la chance alors, notre équipe fera bientôt sa première randonnée à l'extérieur.
Axa se redressa, le visage lumineux. Un léger rictus apparut sur ses lèvres.
— Cody ?
Axa se retira subitement du mur contre lequel elle s'était adossée et recula pour maintenant croiser le regard sceptique de l'homme aux cheveux blonds grisonnants attachés derrière la nuque qui venait de débarquer dans la pièce.
— Axa ?
— M. Jones.
L'homme plissa les yeux, éberlué non seulement par le fait de voir Axa en compagnie de son fils, mais aussi par l'état de la pièce, mais ne le releva pas. Ils se serrèrent rapidement la main.
— Cody es-tu entré dans le labo ? J'ai vu ça sur le comptoir, interrogea le vice-gouverneur en lui montrant le tube de cinabre.
Le rythme cardiaque de Cody s'accéléra soudainement et il répondit maladroitement en lui tendant la main pour récupérer le tube :
— Je... Oui. Je voulais justement déposer ça. Je trouve ça un peu inutile.
Le visage de son paternel s'assombrit.
— Tu n'as pas intérêt. Tu le gardes.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Axa qui n'avait pas l'air troublée.
Elle avait les bras croisés sous sa poitrine et analysait du regard monsieur Jones.
— Bonne journée Axa.
Ce fut la seule réplique de Paul Jones avant sa sortie de la pièce, il lança un dernier regard menaçant à l'endroit de son fils.
— C'est clair qu'il sait quelque chose, s''irrita Axa en se tournant vers Cody qui rangeait le tube dans sa poche.
— Ils savent tous quelque chose, Axa. Viens je te raccompagne.
Ils sortirent ainsi de la pièce pour traverser les couloirs de la résidence sous les regards sceptiques des personnes qu'ils croisaient. Dès qu'ils furent dans la pièce principale de la résidence, un léger bipe se fit entendre. Cody tapota le lobule de son auricule. Quelques instants après il siffla un « ok » et fit le même geste.
— Princesse Axa, vos rêves deviendront bientôt réalité.
Merci de lire, voter et commenter.
Lalie