Chapitre 30
Ecrit par Auby88
Eliad MONTEIRO
Je continue ma lecture.
"Ma vie n'a plus de sens. Ma mère m'a laissée une deuxième fois. C'est ainsi que je me sens depuis le que mon professeur est partie rejoindre son mari en Espagne. Mes notes sont en chute libre. J'ai perdu ma concentration. A la maison, ça va de mal en pire. Je ne suis pas heureuse. Je n'ai plus envie de rester dans cet endroit où ma tante me voit plus comme sa bonne que comme son enfant.
Il me faut quitter cette maison au plus vite. Pour repartir au village ? Jamais de la vie. Je préfère encore mourir que de repartir chez ma marâtre qui confondait trop souvent mon corps de fillette à un sac de punching-ball, sous le regard de mon père qui ne disait ni ne faisait rien.
Et puis qu'est-ce qu'on peut dire ou faire quand on est saoul ? Qu'est-ce qu'on peut dire à un enfant qu'on ne considère pas comme le sien parce qu'elle est la seule à avoir la peau trop claire parmi des gens trop noirs.
La génétique dirait pourtant que c'est possible puisque j'ai bien un ancêtre clair. Mais les cervelles étriquées et détraquées qui m'entouraient ne partageaient pas cet avis. Pour tous, j'étais une bâtarde, le résultat vivant de l'infidélité de ma mère qu'on accusait à tort et à travers parce qu'elle n'était plus là pour se défendre...
J'entends encore les cris de cette méchante femme quand chaque matin, elle venait me réveiller avec ses coups qui pleuvaient sur mon dos, surtout quand j'avais commis la maladresse de mouiller mon lit.
- Adidogo (Pisseuse au lit). Lève-toi, prends ton pagne et va vite le laver. Ensuite tu le sècheras au milieu de la cour. Allez, dépêche-toi.
Toute honteuse, je sortais de la case et me retrouvait dans la cour à peine éclairée. Je me dirigeais vers le puits et montais sur un tabouret pour puiser de l'eau. C'était bien pénible pour la fillette de 7 ans que j'étais de me servir des cordes qui brûlaient mes petites paumes et me laissaient plein d'ampoules.
Je frottais mon pagne du mieux que je pouvais pour ôter l'odeur d'urine, tout en coulant un tas de larmes. Ce n'était pas ma faute si je mouillais encore ma natte toutes les nuits. Mais ça personne ne voulait le comprendre. Si les choses se passaient ainsi, c'est parce que je ne sentais pas à mon aise, avec mon pere qui ne prêtait jamais attention à moi, ma marâtre qui me maltraitait, mes frères et sœurs qui s'isolaient de moi.
Si les choses se passaient ainsi, c'est parce que tous disent continuellement que je suis pas des leurs, que je suis un enfant-sorcier pour avoir tué ma mère…
Ils disent tant et tant de choses atroces que la fillette que je suis ne comprend pas vraiment. Mais elle les garde si tant dans son esprit que son cerveau trop occupé, trop stressé ne communique plus bien avec sa vessie pour finalement souffrir du "pipi au lit" qu'en langage médical, on appelle "Énurésie nocturne".
" Ouf, j'ai réussi à fuguer de la maison de ma tante. J'erre quelques jours dans la rue, puis croise cette femme chez qui je réside actuellement . Encore une qui s'intéresse à moi. Elle est si gentille, si coquette, si jolie. D'habitude je ne suis pas les inconnus, mais elle est différente. J'ai confiance en elle. C'est sûr, l'adolescente que je suis vient de trouver une nouvelle maman.
Sa maison est si grande, si belle. Elle vit avec d'autres jeunes filles qui s'habillent bizarrement. On voit presque tout leur corps. Et il y a même des hommes qui défilent tout le temps ici. C'est intriguant, mais comme ce ne sont pas mes affaires, je ne m'en mêle pas. Elle me traite bien, c'est l'essentiel.
Je l'aime tellement, cette femme-là. Comme madame Virginie. Je passe aussi des heures à contempler celle que tous surnomment la duchesse.
- Tu sais que tu es belle ?
Je hausse les épaules. Des garçons me l'ont dit, des professeurs aussi, mais moi je n'y fais pas attention.
- En plus, tu as un beau corps. Tu sais que tu pourrais te faire beaucoup d'argent, en laissant les hommes le toucher.
Je secoue la tête.
- Mon professeur d'espagnol m'a toujours dit que le corps est sacré et qu'on devrait seulement laisser son mari le toucher ! dis-je fièrement.
Elle éclate de rire avant d'ajouter.
- Je ne refute pas ce qu'a dit ton professeur. Le corps est sacré, oui. Et c'est pour cela que plein d'hommes sont prêts à dépenser beaucoup pour ça.
Là, je suis perdue.
- Je pensais que…
Elle prend mes mains dans les siennes.
- Qu'est ce que je représente pour toi ?
- Ma mère.
- Est ce qu'une mère peut mentir à son enfant ?
- Non, jamais.
- Est-ce qu'une mère peut vouloir du mal à son enfant.
- Non, jamais.
- Alors, fais-moi entièrement confiance.
- Oui, j'ai confiance en vous.
- Tu verras, ma fille. Bientôt, des tas d'hommes se mettront à tes pieds juste pour t'admirer. Et toi, tu auras une emprise totale sur eux. Tu pourras les contrôler à ta guise.
Je souris sans vraiment comprendre tout ce que les mots de la duchesse impliquent...
" Je suis là en face de cet homme. Un géant, je dirais. J'ai la tête qui tourne un peu. Ma "maman" m'a fait boire je ne sais quoi. L'homme baisse son pantalon puis m'ordonne de lui faire une fel******. C'est si ecoeurant pour moi de repenser à tout cela que je n'ose pas ecrire le mot en entier.
Je m'exécute et l'entends grogner. Puis il me met nue, se met entre mes jambes.."
Je me lève, degouté par ce que je suis en train de lire à l'instant. C'est encore pire que ce que je pensais de PAGE. Je me lève, essaie de fermer la tablette, mais n'y arrive pas. Je me rassois donc et continue de lire, comme si je voulais partager cette souffrance du passé avec elle.
" J'ai envie de bouger, mais n'y arrive pas. J'ai envie de m'en aller, mais n'y arrive pas. J'ai l'impression qu'il va m'écraser de tout son poids. Je sens quelque chose d'énorme entrer dans cette partie si étroite de mon anatomie. Ça brûle, ça fait mal. J'ai l'impression qu'on m'écartèle. La douleur est si vive que je crie à en perdre la voix.
Ce malade adore ça, adore m'entendre crier.
- Gueule plus fort, petite ! Je prends mon pied grave avec toi !
Ses mouvements s'accélèrent. J'hurle davantage. J'ai juste envie que mon martyr prenne fin.
Enfin, c'est fini. Il se rhabille et me jette un maigre billet en me disant que j'étais très bonne et qu'il reviendrait demain.
L'homme vient de partir. Je regarde en direction de mon intimité. Il y a plein de sang.
Je viens de comprendre que je me suis faite bernée et que je viens de perdre ce qu'il y avait de plus précieux pour une femme. Pour rien au final.
Je me dégoûte. Je me sens si sale. J'ai juste envie de mourir...
Puis après, le calvaire a continué. Je n'ai jamais essayé de fuir de chez la Duchesse. Car dehors, je n'avais personne qui m'attendait et je lui devais, disait-elle, tout ce qu'elle avait dépensé sur moi dès le début. Et puis, je me sentais trop sale pour espérer une vie toute autre ailleurs. En outre, j'avais dans cet endroit infernal une nouvelle amie Carine. Elle…"
Je referme la tablette. Ça me suffit ! Il vaut mieux que je quitte au plus vite cette pièce. Ce que je fais.
*********
Nadia Page AKLE
Je suis là, dans la pénombre. Sur le balcon. Assise à même le sol. Recroquevillée sur moi-même.
Tout m'est indifférent ce soir. Autant les vrombissements de moteurs que les klaxons d'engins, les moustiques qui me piquent sans vergogne, les voix de passants…
Monsieur Eliad se marie demain.
Plus les secondes se rapprochent de cette fatidique heure, plus je déprime.
Je croyais pouvoir rester forte jusqu'au bout, ne pas laisser cela m'affecter moralement, mais je me suis trompée.
Plus je repense à monsieur Eliad, plus je vois tout en noir. Surtout parce que récemment j'ai parlé dans mes ecrits de ce passé que j'évitais depuis.
Il ne me sert à rien de me voiler la face. Ma vie est chaotique. Il ne me sert à rien de croire que demain sera meilleur. Il ne le sera jamais tant qu'on continuera à me coller cette étiquette de prostituée.
Si seulement, je n'avais jamais emprunté ce mauvais chemin. Si seulement…
La lumière sur la terrasse s'allume.
- Nadia ! Que faisais-tu toute seule dans le noir ?
- J'avais besoin de prendre de l'air. Il y a une chaleur d'enfer à l'intérieur.
- Vraiment ? Et le ventilateur te sert à quoi ? Avoue que tu pensais encore à cet homme !
Elle arrange le pagne noué à sa taille, puis prend place près de moi. Je demeure silencieuse quelques secondes.
- Oui, mais pas qu'à lui. Je pense à ma vie en général, à combien elle est un désastre.
- Nadia, ce n'est pas parce que cet homme se marie demain que tu dois tout voir en noir. La vie continue, ma chérie.
- Dis-moi Annie, t'as déjà connu un chagrin d'amour par le passé ?
Elle me répond par l'affirmative en précisant :
- Et pas qu'une fois, Nadia.
- Alors dis-moi comment on arrive à oublier quelqu'un qu'on porte si fort dans son coeur ? Comment on arrive tout oublier de lui jusqu'à ses baisers, sa voix, son visage, son sourire, ses mots, ses yeux…. ? Comment fait-on ? Si tu possèdes le manuel de procédures pour ça, alors donne-le moi. Je t'en supplie. J'en ai grand besoin, tu comprends... Je croyais que cela passerait, que je l'oublierais, mais ce n'est pas le cas, Annie.
- Nadia ! Ça fait mal, je peux comprendre, mais ça finira par passer. Un jour, tu rencontreras ton homme, celui qui t'est vraiment destiné, celui-là qui t'aimera inconditionnellement, celui-là qui t'aimera tellement que toutes tes peines actuelles ne seront qu'un lointain souvenir.
- Je voudrais pouvoir te croire, mais je n'y arrive pas. Il n'y a pas de vie sociale, sentimentale ou familiale possible pour une prostituée !
- Une ex-prostituée !
- C'est pareil, Annie. J'ai beau essayé de changer, de me reconstruire, de me faire accepter. Ça se solde toujours par un échec ! On me juge toujours ! On me voit toujours comme une prostituée, une fille sans morale. Toujours ! Pourquoi personne ne m'aime, ne serait-ce qu'un tout petit peu, alors que moi j'ai tant d'amour à donner ?
- Moi, je ne te juge pas, Nadia. Et je ne le ferai jamais !
- Mais tu penses sûrement comme eux, au fond de toi. Avoue-le !
- Non, Nadia. Et je t'aime beaucoup. Arrête de tout voir en noir, ma chérie. Arrête d'être autant pessimiste. Tu devrais être fière de toi ! Fière de tous les progrès que tu as accomplis depuis. Fière d'être cette femme forte que tu es devenue et que j'admire tellement. Je suis sincère, Nadia.
- Cette femme forte n'était qu'apparence, Annie. Parce qu'au fond de moi, il y a a toujours eu abîme et tristesse profonde que je m'efforçais de cacher au quotidien.
- Cette femme forte existe toujours. Et je l'ai devant moi, même si elle en doute aujourd'hui. Si tu as envie de pleurer, Nadia, fais-le. Laisse-les larmes couler, se déverser sans avoir honte. Libère-toi, ma jolie. Mon épaule est là pour toi. Ne t'en prive pas. Mais après cette pause, tu te relèveras, Nadia et tu continueras ta marche vers le bonheur. Parce que crois-moi, tu y as aussi droit, Nadia. Tu as le droit d'être heureuse !
Ses mots me touchent tant. J'entoure ses épaules de mes bras et fonds en larmes.
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Le lendemain
Edric MARIANO
Il ne reste plus que quelques heures avant le mariage d'Eliad. Je suis angoissé. Je regarde en direction de mon mobile, attendant qu'il sonne.
Il finit par sonner. C'est Eliad. Enfin ! Je décroche vite, espérant qu'il me donne une bonne nouvelle.
- Bonjour frérot, je tiens à te rappeler que tu devrais déjà être ici avec moi. C'est toi qui m'aides à m'habiller. Tu t'en souviens, J'espère.
Je garde fortement le téléphone pour qu'il ne tombe pas et m'empresse de poser mes fesses sur une chaise.
- Tu n'as pas lu ...
- Si tu fais référence à PAGE, sache que j'ai lu son histoire.
- Et ?
- Ton plan n'a pas fonctionné. Tu pourras récupérer ta tablette, tout à l'heure.
- Eliad, tu…
- Écoute, frérot ! Je reconnais que Page a eu une vie compliquée. Mais bien qu'elle se soit faite duper, personne ne l'a obligée à continuer à se prostituer et à le faire pendant tant d'années... Et tout ce que j'ai lu sur elle me confirme que je dois rester le plus loin possible d'une fille aussi souillée qu'elle... Et c'est grâce à qui ? Grâce à mon ami, mon frère Edric MARIANO. N'est-ce pas superbe ?
- Tu ne …
- Cesse tes conneries et amène-toi maintenant ! achève-t-il en coupant l'appel.
Le volume de sa voix était si fort que j'ai dû eloigner le combiné de mes oreilles.
Je regarde le smoking sur le mur. J'aurais préféré le porter à une autre occasion. Pas au mariage de Maëlly avec Eliad. Qu'est ce que je fais maintenant ? Je vais à ce satané mariage ou pas ?
J'ai un engagement à tenir vis-à-vis d'Eliad mais je n'ai pas le cœur à me rendre là-bas. Je ne sais pas si je suporterai de les voir ensemble, si je pourrai résister de boire une mare d'alcool pour ne pas sombrer. Je ne sais si je finirai par faire une énième bêtise là-bas.