Chapitre 33
Ecrit par leilaji
LOVE SONG
Episode 33
Alexander
Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point une arme était lourde. Je sens chaque irrégularité de la crosse à force de la serrer. Ce n’est pas comme si c’est la première fois que je pointe une arme sur une personne. Mais c’est bien la première fois que j’ai l’intention de tirer tôt ou tard. Il est hors de question que cet homme sorte de cette pièce vivant. Je n’aurai plus jamais une autre chance de pouvoir être aussi proche de lui sans ses gardes du corps.
Mais qu’est-ce qui me retiens de tirer? Peut-être le fait que ce n’est pas facile de passer de l’amoureux transis à l’assassin notoire !
— Me tuer n’arrangera surement pas vos affaires. Vous irez en prison, me fait constater Okili en s’admirant les ongles de la main droite.
— Et elle sera une bonne fois pour toute débarrassée de vous. Ça sera toujours ça de pris.
— Pour mieux appartenir à celui-là ? demande-t-il en pointant du menton Denis apparu dans mon dos.
Je ne l’avais pas entendu entrer. Lui aussi ça fait longtemps qu’on s’est vu. Longtemps. Il a bonne mine contrairement à moi. Ses cheveux grisonnant et la coupe de la chemise sur mesure lui donne fière
Allure. Il est accompagné d’Elle qui tente tant bien que mal de les faire ressortir de la pièce. Mais mal lui en prend. Il s’arrache à l’emprise de ses mains d’un geste brusque. Ses yeux ne cessent d’aller de moi à Leila. Il est en colère. Tant mieux.
— Qu’est-ce que tu fais là Khan ?
— Denis ! Laissons-les régler ça entre eux ! supplie-t-Elle.
— C’est toi qui l’as emmené ici ?
— Oui. Ce n’est pas contre toi Denis, je t’assure.
— Tu viens de tout foutre en l’air Elle ! Merde !
— Plus on est de fous plus on rit, lui-dis-je calmement.
— La ferme Khan !
— Non toi la ferme ! Tu as intérêt à ne pas faire le malin. Tes gardes du corps ne sont pas là. Il n’y a personne pour te protéger aujourd’hui et un coup est si vite parti. Mais ne t’inquiète pas. Je ne suis pas venu pour toi mais pour Okili. Alors fous le camp !
La porte d’entrée est ouverte. En voyant à quel point la situation est critique, Elle la referme derrière elle et s’adosse à la porte. Denis marche vers Leila et se positionne devant elle pour la protéger de son corps. Comme si j’allais lui faire du mal ! Peut-être a-t-il raison de ne pas me faire confiance.
Ma cœur bat à s’en briser.
— On a des comptes à régler Alexander ça c’est sûr. Je ne me défilerai pas, tu sais que ce n’est pas mon genre…
— Non ton genre c’est de poignarder les gens dans le dos.
Il ne relève pas.
— … Laisse-moi finir tu veux ! Tu ne régleras rien par la violence. Rien. Pose cette arme. Tu vas finir par blesser quelqu’un. Tu sais comment tu es quand tu es en colère. Tu le sais.
— Je ne suis pas en colère. Je ne le suis plus. Si je l’étais… Tu serais mort !
Okili se lève et j’avance d’un pas pour qu’il s’arrête. Je le tiens toujours en joug. Je ne veux pas qu’il nous approche. En réalité, je ne veux pas qu’il approche d’elle. Il lui a déjà fait assez de mal comme ça. Tout doit s’arrêter aujourd’hui.
— Si tu fais ça, je ne te le pardonnerai jamais, murmure Leila.
— Je ne cherche pas ton pardon Leila. Tu as peut-être oublié ce qu’il nous a fait mais moi non. Ce n’est pas le gentil grand-père qu’il semble être. Cet homme est un monstre.
Okili détourne son regard de moi, pour sourire à sa petite fille. Je crève d’envie de lui faire ravaler ce sourire.
— Le diable se trouve dans les détails, murmure-t-il en avançant d’un pas vers sa petite fille.
D’un signe de tête, il demande à Denis de se pousser. Ce dernier ne s’exécute pas. D’une pression de la main sur son épaule, Leila le convainc de le faire. Okili s’avance vers sa petite fille en s’appuyant fortement sur sa canne. Pendant un bref instant, plus un bruit ne trouble la pièce, un peu comme si nous retenions tous notre souffle.
— C’était tellement parfait ma petite fille, tellement bien orchestré.
— De quoi parles-tu grand-père ?
— Ne faisons plus semblant tu veux. Parlons d’homme à homme si tu me le permets. Je crois que la présence de l’étranger te fera abattre tes cartes plus tôt que prévu.
Elle détourne le regard. Denis quant à lui ne la quitte pas des yeux.
— Tu le ressens ?
— Quoi grand-père?
— Cette adrénaline. Ce sentiment de toute-puissance, de supériorité que l’on ressent quand on est maitre du jeu. Tu le ressens n’est-ce pas ? une fois qu’on l’a ressenti plus rien n’est pareil. On en veut toujours plus. C’est comme une addiction. C’est ça le pouvoir. Tu as orchestré tout ça et maintenant tu peux admirer dans le regard de ceux qui pensent être proches de toi, cette surprise qui révèle que vous n’appartenez pas au même monde. Qu’est-ce que ça te fait ? Tu es née pour cela et même si tu crois qu’aujourd’hui j’ai perdu, j’estime n’avoir rien perdu. Tu es exactement celle que je souhaitais que tu sois. Je t’ai poussée dans tes derniers retranchements et tu as été obligée de me sortir le grand jeu ! Et je suis tellement fier ma petite Lei. On va jouer carte sur table maintenant ? Au moins par respect pour moi. Puisqu’aujourd’hui c’est le final, puisque je me suis rendu de mon plein gré ici chez Denis que je pense que tu as choisi pour une raison peu avouable. Dis-moi ! Dis-moi à quelle sauce tu veux me manger.
Elle baisse la tête.
— Baisse ton arme toi, dit-il en me jetant un regard noir. Elle va t’expliquer. Parle-lui. Il pense être venu te sauver aujourd’hui alors que tu avais tout prévu c’est ça ?
— De quoi parle-t-il Lei ?
— Eclaire-moi, le docteur était dans le coup n’est-ce pas ? Forcément ! Il est fort ! J’avais pourtant fait vérifier les documents qu’il m’avait montrés, interrompt Okili bien avant qu’elle ne me réponde. Cette petite racaille a bien joué son jeu. C’est un béninois c’est ça. Je vais le mettre dans ma liste.
Silence. Petit à petit nous entrevoyons tous ce qu’Okili essaie de dire à demi-mots. Mais pour que les faux-semblants disparaissent Leila doit y consentir. Elle secoue la tête, refuse de parler. Elle s’accroche encore un peu puis ses épaules s’affaissent. Elle vient d’abandonner une lutte interne dont nous ignorions tout jusqu’à présent. Ses lèvres se mettent à trembler et ses yeux se remplissent de larmes. Elle la prend dans ses bras et les épaules de Leila tremblent de douleur. Je ne comprends rien à ce qui se passe. Elle se détache d’elle et lui caresse le visage come une mère le ferait à une fille retrouvée.
— Alexander m’a dit tout ce que Monsieur Okili vous a fait. Si tu as des choses à dire aujourd’hui fais-le. Leila ma chérie parle, réclame Elle. Pourquoi il parle d’Adrien, de documents à vérifier ? Il t’a forcé pour ce mariage ? Que se passe-t-il ?
— Il t’aime, c’est un homme bien…
— Qui ?
— Adrien t’aime si fort Elle. Quand je lui ai parlé. Il a dit qu’il m’aiderait à condition que je ne fasse rien qui te mette en danger. Alors on t’a tenu à l’écart. Le plan c’était de tenir tout le monde à l’écart Elle et c’était tellement dur de devoir se méfier de tous. Jour après jour de feindre, de ne pas trop en dire, de continuer à écouter tous les délires de cet homme ! Et tu l’as harcelé de question toutes les fois où tu le sentais faire des choses dans ton dos mais c’était pour moi Elle. Il a tenu bon pour te protéger de mon grand-père tout en m’aidant. Il t’aime Elle.
— Je le sais Lei. Mais toi ?
— J’ai dû chercher en moi, des ressources qui m’étaient inconnues. J’ai dû accepter de faire des choses dont je ne me croyais pas capable. Mais si tu voyais avec quelle froideur et quelle justesse j’ai tout accompli, si tu l’avais vu Elle, tu aurais peur de moi. Tu serais effrayée par ce que je suis capable de faire pour obtenir ce que je veux. J’ai fait torturer un homme. J’ai fait menacer des familles, payé des gens malhonnêtes pour trouver, débusquer la vérité sur l’homme que tu vois là. J’ai dû vous oublier…
— Je ne comprends pas Lei ! Tu parles de l’accident ! Tu as organisé l’accident ?
— Non l’accident ce n’était pas moi mais mon grand-père. Je m’étais déjà décidée à agir cette nuit-là. Je pensais à tout abandonner et m’enfuir … Mais je n’avais pas encore de plan définitif car il existait des zones d’ombres à éclaircir mais le temps me manquait pour le faire subtilement. L’accident a été mon salut. Je me suis rendue compte à quel point j’étais surveillée. L’accident m’a décidé à rester et m’a permis de préparer quelque chose contre lui sans qu’il ne se méfie de moi. A l’hôpital tout s’est éclaircit dans ma tête et j’ai su exactement ce que j’avais à faire. Et j’ai su jusqu’où j’irai pour obtenir ce que je voulais. Adrien a essayé de m’en dissuader mais … j’étais décidée. Alors il m’a aidée.
— Tu n’as … rien oublié ?
— Rien, répond-elle en jetant un regard vers Denis qui ne pipe mot.
— Oh mon Dieu !
Le silence dans la pièce nous engloutit tous. Je repense à toutes les fois où elle m’a repoussé froidement. Toutes les fois où elle regardait Denis comme si c’était moi… Elle n’a rien oublié ? La voix de Leila pleine de souffrance brise le silence.
— Avais-je le choix Elle ? Face à un homme capable de demander à ses hommes de mains de foncer sur notre voiture pour qu’il puisse me séparer de mon mari, me faire comprendre que jamais je ne vivrai en paix avec lui. Avais-je le choix face à un homme capable d’ôter la vie à une femme qui porte la vie ? Avais-je le choix Elle ?
— Mais Leila… te rends tu comptes de l’enfer que tu as fait vivre à ton mari et de celui que tu vas faire vivre à Denis ?
Lei pousse Elle sur le côté et marche vers moi à pas lents comme si maintenant qu’elle est libérée de son secret, un nouveau fardeau ’est installé sur ses épaules.
Je ne sais pas ce qui est le pire. Avoir pensé l’avoir perdue pour toujours ou me rendre compte du contraire et de toutes les limites qu’elle a franchies délibérément pour moi. La colère que je pensais volatilisée boue de nouveau dans mes veines, en magma puissant, impossible à éteindre. Quelque chose se révulse dans mes tripes à l’idée qu’elle n’a rien oublié mais qu’elle a couché …
Je sens un liquide dévaler ma joue, comme une caresse censée apaiser le cœur. Je passe ma main sur ma joue et sens une larme. Je l’essuie et regarde mes doigts. C’est bien ça, une larme. Je ferme les yeux. Je tremble.
— Qu’as-tu fait ? Mais qu’as-tu fait ? ne peux-je m’empêcher de psalmodier.
Elle est à mi-chemin entre Denis et moi. Elle ravale un sanglot mais ses yeux rougis par la culpabilité me tourmentent.
— Est-ce que le sacrifice en valait la peine ma petite fille ? lui demande Okili. Faire tout ça pour lui. Pour de l’amour. C’est ce que je voulais que tu comprennes. Aucun homme ne te mérite. Aucun homme ne doit être ta faiblesse parce que dans le monde ou je souhaite que tu évolues, ce serait fatal pour toi. Regarde comment il te regarde aujourd’hui malgré ce que tu as consenti à sacrifier pour lui ! Regarde-le. Est-ce que ça en valait la peine ? Mais moi malgré ce que tu as comploté contre moi, je t’aime toujours. Tu seras toujours ma petite fille. Seule la famille compte.
— Tais-toi ! lui hurle-t-elle.
Je ferme les yeux. C’est pire encore de savoir la vérité. Elle ne me libère pas du tout. Elle m’enchaine dans le néant. Je vois Denis la toucher, lui sourire… Je les rouvre immédiatement pour ne plus subir les assauts de mon imagination.
— Alexander, gémit-elle en tendant la main pour me caresser le visage.
Je recule comme brulé par le feu. Elle abaisse sa main sans arriver à cacher son désespoir.
— Est-ce que ça en valait la peine ma petite fille?
— Je ne veux plus jamais t’entendre ! crache-t-elle en se tournant vivement vers son grand-père tandis que je pose mes mains sur ma tête en signe d’impuissance. Ton règne est terminé. Tu vas finir en prison pour avoir commandité le meurtre de Neina.
— La vie de cette femme comptait à tes yeux ? Cette femme qui a brisé ta vie ? Vraiment ?
— Je me fiche de ce qu’elle a fait. C’est ce que toi tu as fait qui est impardonnable.
— Donc je dois aller en prison parce que tu l’as décidé ? Si je dis non que feras-tu ?
— Je vais te détruire. Morceau par morceau comme tu l’as si bien fait pour moi. A force de côtoyer un monstre j’en suis devenue un moi-même. C’est ce que tu voulais n’est-ce pas ? Hé bien écoute moi attentivement. J’ai retrouvé le code du coffre. Je l’ai fouillé lorsque Denis t’invitait manger pour parler des fiançailles. J’ai payé tes gardes de la maison pour qu’ils n’en disent rien. Corrompre c’est ce que tu m’as appris. Je suis devenue très douée dans cela.
— Bien. Très bien.
— Tu m’as aussi appris que tout homme à un prix. Sauf toi. Mais moi j’ai appris que ceux qui ne veulent pas se vendre ont quand même quelque chose qu’ils ne veulent pas qu’on leur arrache. Ceux qui n’ont pas de prix comme toi, ont quelque chose à perdre n’est-ce pas ? Si tu te complais tant dans ta manie de manipuler les gens tout en restant dans l’ombre c’est parce que tu as su rester inconnu du grand-public. On en te voit pas venir, rare sont ceux qui savent à quel point tu es dangereux. Tu vas en prison et personne n’entendra parler de toi. Le procès se tiendra en Inde, tu ne seras pas exposé. J’ai déjà négocié tes conditions d’incarcération avec l’ambassadeur.
— Hum ! Donc tu comptes me remettre à l’Inde ?
— Ton petit-fils que tu détestes tant sais-tu qu’il est d’Interpol ? Les enquêtes sur les biens mal acquis au Gabon menaient tous à un homme de l’ombre dont personne ne connaissait l’identité. Cette information n’a pas été révélée au public parce-qu’Interpol est à la recherche de l’identité de cet homme. Prince est rentré au Gabon en tant qu’agent infiltré. Si tu ne l’avais pas tellement méprisé, tu l’aurais su. Tu m’as donné les armes pour un dossier béton contre toi. Si tu ne quittes pas le pays immédiatement, soit sur que je divulguerai l’information. Je ne donnerai pas cher de ta peau car toutes ces personnes à qui tu as rendu de sale services et eu en récompenses des biens qui ne leur appartenaient pas auront tôt fait de te faire liquider pour que tu ne parles pas.
— Hum.
— Si quoique ce soit m’arrive ou arrive à Alexander ou une personne que j’aime, le dossier sera divulgué.
— Bien, bien.
— Alexander mon amour, je te demandais de rentrer chez toi parce que je ne voulais pas…
— Que tu entendes cette version des faits, ricane Okili
— Non, je ne voulais pas te mettre en danger ! Je voulais garder l’esprit clair, aller jusqu’au bout sans avoir à craindre pour toi. Je comptais lui faire avouer de lui-même tous ses crimes. Il y a une camera dans cette pièce … Mais maintenant je me jette à l’eau, je fais avec ce que j’ai déjà. A l’heure qu’il est, les agents sont déjà en route pour toi.
— C’est ça ton plan ? Le laisser partir vivant ? je demande à Leila, furibond.
— C’est mon grand-père, que veux-tu que je fasse ? Que je franchisse encore une autre limite et le fasse tuer ? Ça ne nous rendra pas ce qu’il nous a pris Alexander !
— Tu parles comme si on allait reprendre tranquillement le cours de nos vies ! Il n’y a … plus de nous Lei. Tout a été détruit ! Tout. Je ne peux pas tolérer qu’il s’en tire à si bon compte. Je t’ai perdue…
— Non ! je suis là, bien vivante… je suis toujours ta Lei.
— Arrête !
Je m’avance vers Okili et pousse sa tête avec l’arme.
— A genoux.
— Alexander ! intervient Elle.
— J’ai dit à genoux.
Il ne bronche pas. Je lui assène un coup qui fait saigner sa lèvre.
— A genoux. Je ne le répèterai pas.
Il me sourit encore une fois.
— Un baobab ne peut plier son tronc cher ami. Ce n’est pas dans son ADN.
— Alexander ne fais pas ça, me dit Elle. Tu vas finir en prison, pense à ta fille !
— C’est à elle que je pense. Il a tué la mère de ma fille. Puja n’aura plus jamais de mère. Qui la vengera si vous le laisser tranquillement partir à l’autre bout du monde pour être enfermé dans une prison. C’est trop facile.
— On ne peut pas gagner contre lui de cette manière. Il y a un choix à faire et je l’ai fait
— Il t’a changée… La Leila que je connais, celle que j’aime n’aurait jamais… Non. Ma fille n’a plus de mère. Tu n’auras plus de grand-père Lei. Dis-lui au revoir.
— Je suis là pour Puja comme je l’ai toujours été. On formera une famille. A nouveau Alexander.
La porte s’ouvre sur Gabriel qui se statufie une seconde face à l’horreur de la scène qu’il voit, avant de faire courir ses yeux sur nous tous.
— Leila, je venais te dire que tout le monde te cherche ainsi que ton grand-père et Denis… Mais je vois que vous êtes tous là. Mais bordel de merde qu’est-ce qui se passe ici ?
Sans lâcher la porte, il crie dans le couloir qu’il n’y a personne dans le salon avant de la refermer à son tour.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Gabriel sors d’ici, lui demande Lei en essuyant ses larmes.
— Non, je ne te laisse pas seule. Ça va dégénérer !
— Tu ne crois pas si bien dire petit, dit Okili à Gabriel.
La porte qui donne accès à la face sud de la maison grince en s’ouvrant doucement.
— Voici mon plan B. Je sais ma petite fille que tu adores le concept du plan B mais sache que je l’ai inventé bien avant ta naissance. Et maintenant l’indien, tu vas baisser ton arme et reculer de quelques pas. Ton odeur m’indispose.
Il y a tellement d’assurance dans sa voix quand il me parle que le doute s’installe dans mon esprit. Depuis le début, il ricane à tout bout de champs comme s’il savait d’avance comment tout cela allait terminer.
— Daddy ! dit la voix tremblante d’une petite fille que je reconnaitrai entre mille.
D’instinct je baisse mon arme et plisse les yeux. La porte n’est pas éclairée mais je distingue la silhouette d’un homme et d’une petite fille.
— Puja ?
— Daddy !
Elle pleure et je suis tellement stupéfait par sa présence que mon cerveau s’arrête de fonctionner correctement. Il y a un homme qui tient ma fille en otage ? Je regarde Okili. Le fichu sourire a enfin disparu de son visage.
— Il n’y a que la famille qui compte Leila. La famille. C’est le socle de toute société. Pas l’amour ! La famille. Concernant ton accident, le travail a été mal fait et sois sure que j’ai puni ceux qui en était responsable. Gabriel sait comment je punis les gens qui me déçoivent. Tu n’étais pas censé être blessée. Et parce que j’étais l’auteur de cet accident, tout ce qui en a découlé par la suite était pour moi plausible. Même si ma manie de tout vérifier m’a fait chercher des failles mais tout était parfaitement calculé alors j’ai pensé que les cieux avaient enfin remis de l’ordre dans les choses. Oublier tout le monde et ne te souvenir que de lui. C’était bien joué car c’était un peu le but de toutes mes demandes aux ancêtres. Te voir si heureuse avec Denis a fini de me convaincre que j’ai toujours eu raison. Cependant, j’ai vu comment tu m’aidais dans les affaires, pour les sociétés et tous mes biens et j’ai vu en toi une immense tacticienne et je me suis dit « et si tu étais aussi douée que je l’espérai ». Après l’accident, il n’y a pas eu ce rejet de ce que j’avais à te proposer alors que lors de nos premières rencontres, tu pensais beaucoup à ce que ta mère avait enduré par ma faute. Le doute s’est installé et parce que je sais que cet homme, cet étranger est ton talon d’Achille, je me suis dit « si elle doit céder, elle le fera si lui est en danger ». J’ai donc pris mes précautions au cas où tu aurais l’idée de me mettre des bâtons dans les roues. Au cas où tu aurais réussi à berner le vieux singe que je suis. Comme je te l’ai dit ma petite fille, il n’y a que la famille qui compte.
Il a terminé en se tournant vers l’homme dissimulé dans l’ombre. Nous avons tous fixé notre regard sur lui. Il s’est avancé, fuyant l’obscurité. Contrairement à ce que j’avais cru, ce n’était pas son garde du corps. Non. Oh mon Dieu !
— Quand tu as un plan de cette envergure contre un homme comme moi, tu dois vérifier tes arrières deux fois avant d'avancer tes pions. L’identité d’agent d’Interpol, je l’ai inventée. Interpol c’est une simple collaboration entre les différents services de police de tous les pays. Interpol ne dispose pas d’agent sur le terrain. Par ailleurs, je n’ai jamais détesté mon petit-fils. J’ai fait une erreur impardonnable une fois avec mon propre fils et tu croyais sincèrement que j’allais répéter cette même erreur avec mon petit-fils. J’avais juste besoin que tu puisses lui faire confiance et pour cela, il fallait que lui et moi soyons en froid. Par conséquent l’indien, c’est moi qui t’es convoqué au mariage. C’est moi qui ai demandé à ce qu’on attire ton attention. Je voulais qu’on démêle le vrai du faux une bonne fois pour toutes. C’est maintenant chose faite. Veux-tu toujours tirer sur moi ? je t’y invite cordialement devant ta fille venue spécialement d’Inde pour toi ? A mes frais évidemment.
Prince tient ma fille en joug. Seigneur ! Prince ? On est tous abasourdi.
— Et toi Gabriel, sache que tu as travaillé et admiré l’homme qui a fait tuer ton frère. Et l’homme de main que j’ai envoyé faire ce boulot est là devant toi. J’avais placé beaucoup d’espoir en toi mais tu t’es retourné contre moi alors vis avec !
Je vois la colère s’emparer des traits de Gabriel. Je vois la colère s’emparer de nous tous ici réunis.
— Tu as fait délivrer un mandat d’arrêt international contre moi. Malheureusement pour moi, tu n’es pas passé par Prince pour le faire mais par l’ambassadeur. Je n’ai donc pas pu contrecarrer cette phase de ton plan. Le dossier aussi tu n’as pas dit à Prince ou il est dissimulé, je ne peux donc le détruire. C’était de bonnes précautions à prendre. Mais il reste toujours ton point faible : la famille Khan ! Il est hors de question que j’aille en prison donc j’ai pris les devants ma petite fille. Je m’en vais, je disparais mais pas sans en finir avec ton éducation. La pitié c’est pour les faibles tu comprends. Tu aurais mieux fait de demander à ceux que tu as corrompus de m’abattre. La pitié c’est pour les faibles Alors Khan, va me suivre sans faire d’esclandre. Si un quelconque agent me suit, je lui trancherai la gorge moi-même. Si tu veux absolument que je reste ici pour qu’on vienne m’arrêter, je resterai aussi mais tu auras le sang de cette jeune enfant sur les mains. Comme tu aimes choisir pour les autres, choisis.
— Tu ne peux pas faire ça… Tu ne peux pas être haïssable à ce point !
— Choisis !
— Prince laisse partir ma fille, je supplie le frère de Leila. Ce n’est qu’une enfant laisse la partir.
Il se met à genoux derrière Puja et pose sa main sur sa gorge.
— Tu as entendu le vieux ! C’est Leila qui choisit, pas toi. Si tu ouvres encore une fois ta gueule, je lui brise le cou devant toi.
Où est passé l’aimable frère sur lequel elle pouvait compter ? Je me tourne vers Leila et la supplie du regard. Elle refuse de céder. Elle est morte de peur mais veut garder le contrôle sur une situation qui vient de lui échapper.
— Si tu t’en vas avec lui, jamais il ne te relâchera vivant Alexander tu le sais. Je ne peux pas te perdre après tout ça. Même si tu me détestes, même si tu ne…
— Leila. Il s’agit de sa fille, lui dit doucement Denis comme pour lui faire prendre conscience qu’elle n’a pas le choix.
— Leila ! je supplie d’une voix que je reconnais à peine tellement elle est frêle. Protège-la. C’est ce que tu as toujours fait depuis qu’elle est née.
Elle serre les poings et détourne la tête en signe d’assentiment. Prince me demande de jeter mon arme. Ce que je fais immédiatement. Il pointe le sien sur moi et me demande de me rapprocher. Dès que je suis à portée de main, il relâche ma fille qui pleure à chaudes larmes. Je la prends dans mes bras et la serre tellement fort qu’elle geint légèrement. Elle a assez souffert comme ça. Je lui souffle à l’oreille que je l’aime fort et que jamais elle ne doit en douter. Puis je lui dis d’aller se cacher dans les bras de la dame en bleu et de toujours faire ce qu’elle lui demandera de faire car elle est très gentille. Elle hoche la tête et descend. Puja est récupérée par Lei.
— Prends ton téléphone et dis à l’ambassadeur ainsi qu’aux agents de la police judiciaire de faire demi-tour.
Sans jamais lâcher ma fille, Leila appelle et donne les nouvelles instructions d’une voix monotone. Je grave dans ma tête cette image de ma fille dans les bras de ma femme et me laisse faire. Je suppose que c’est la dernière belle chose que je verrai dans ma vie. Prince me fait avancer. La porte se referme sur nous.
*
**
Elle
— Tu le savais ? Que c’est ton grand-père qui a fait tuer mon frère ? Tu le savais ? hurle Gabriel en regardant Leila.
— Gabriel tu fais peur à Puja, lui fait constater Lei pour qu’il se calme.
Nous avons tous été très secoués par les différentes révélations. Mais Puja n’est qu’une petite fille. Elle doit être complètement terrorisée de se retrouver avec des inconnus. Alors ce n’est vraiment pas le moment de l’effrayer encore plus.
Parce que les jambes de Leila ne la porte presque plus, je lui prends l’enfant des mains avant qu’elle ne la lâche.
Sans plus réfléchir, Gabriel ramasse l’arme de Khan et ouvre la porte à toute volée. Monsieur Okili a tué son frère jumeau. Nous pensions tous qu’il s’agissait d’un accident. Denis court après Gabriel pour l’empêcher de faire une bêtise et Leila les suit.
Ce côté-ci de la maison est complètement vide. Le garde du corps posté là par Okili surpris, laisse passer Gabriel mais réussi à s’interposer entre ce dernier qui a déjà passé le portillon, et Denis. Pour la première fois de ma vie, je vois Denis asséner un violent coup à un homme. Il s’écroule comme une masse difforme. Le choc a été tellement violent que je crois que j’ai entendu la fracture de la mâchoire.
Nous sommes à présent dans la ruelle sinueuse vide. Je vois Gabriel courir derrière la voiture l’arme à la main. A bout de souffle il s’arrête et vise pour tirer. La voiture s’arrête. Et avant que je ne comprenne ce qui se passe, elle fait marche arrière à toute vitesse.
— Gabriel attention ! hurle Denis.
Le choc !
La vision d’horreur du corps qui s’envole avec une facilité déconcertante comme si il n’était qu’une poupée de chiffon. Le bruit mat lorsqu’il tombe sur l’asphalte. Je crois que j’ai arrêté de respirer.
La voiture redémarre et disparait.
Je ne veux pas que puja voit ce spectacle alors je m’arrête. Denis tente de retenir Leila. Elle lui hurle de la lâcher. Je crois qu’elle n’est plus elle-même. Elle s’avance doucement vers le corps immobile et tombe à genoux. Elle ne pleure pas. Elle prend Gabriel dans ses bras et lui murmure :
— Champion, je t’en supplie pense à Lola accroche toi.
La poitrine de Gabriel se soulève et s’affaisse à un rythme soutenu. Denis sort son téléphone de sa poche et appelle une ambulance. Je ne peux pas m’approcher, je ne le veux pas. Je refuse cette réalité. Puis tout d’un coup, les larmes me remplissent les yeux. Je me dis que c’est parce que je n’y vois plus rien que je constate qu’il ne bouge plus.
Combien de fois devons-nous vivre le malheur avant que la vie ne se rende compte qu’on en a eu pour notre compte ? Combien de fois ? Il faut une bonne vingtaine de minutes avant que l’ambulance n’arrive. Les minutes les plus longues de ma vie. Les minutes les plus douloureuses aussi car il est trop tard. Trop tard.
Lorsqu’ils sont là, elle refuse de le quitter. Il faut la force de persuasion de Denis pour qu’elle consente à le laisser. Elle est couverte de sang. Son chignon s’est détaché. Ses cheveux flottent sur ses épaules. Elle sort son téléphone à son tour de la poche gauche dissimulée sur la hanche de la robe.
*
**
Okili
Nous nous sommes rendus à une de mes nombreuses villas où était dissimulée une voiture tout terrain avec ce que j’estimais important à prendre avec moi. Prince est resté pour couvrir mes arrières et le dernier homme de main à ma disposition et en qui j’avais toute confiance, a pris le volant.
Nous avons roulé longtemps.
— Elle y était presque ! Presque ! Vous l’avez fait perdre.
Khan a les mains solidement ligotées dans le dos. Il a une sale tête ! Je l’ai peut-être un peu fait passer à tabac par Prince. Il était trop agité à mon gout lors du changement de voiture.
Il a du mal à respirer et doit avoir deux ou trois côtes cassées.
— Vous savez très bien que vous n’allez pas me laisser vivre alors finissons-en !
— Tu peux au moins me laisser savourer un peu ma victoire. C’est vrai qu’elle est en demi-teinte. Je ne pensais pas qu’elle réussirait à me foutre dans le bordel des biens mal acquis ! C’était bien joué.
La voiture s’arrête sans que je ne le demande. Quelques secondes plus tard, la portière s’ouvre du coté de Khan. On le fait descendre. J’en suis tellement abasourdi que je lâche un juron bien senti. Une silhouette fait le tour de la voiture. Les vitres des voitures étant toutes teintées, je n’y vois rien avec mes yeux fatigués. L’écran d’un téléphone s’allume et la personne colle le téléphone à la vitre pour que je puisse lire sur l’écran.
« Va en enfer !
Leila»
En retirant l’écran de la vitre une lumière bleue éclaire fugacement son visage d’homme revenu d’entre les morts. Je ne crois pas ce que je viens de voir.
Il s’agit du jumeau mort dans l’accident.
Mais s’il est mort que fait-il là ? J’essaie d’ouvrir la portière de la voiture mais elle est bloquée. Elles sont toutes bloquées ! Le bruit d’un train fonçant à toute allure sur des rails me parvient à distance. Il a bloqué la voiture sur le chemin de fer. Il n’y a plus rien a faire sinon attendre ! Attendre la mort. Je compose un numéro. Elle décroche.
— Donc il n’était pas mort ?
— Comme tu le vois. Je n’en avais aucune idée. Et je ne vais surement pas perdre le peu de temps qu’il te reste à t’expliquer le pourquoi du comment. Ce qui va t’arriver là tout de suite, tu le mérites grand-père ! Tu le mérites amplement. Préparation, action, manipulation, réaction ! c’est toi qui me l’as appris.
— Félicitation ma petite fille ! tu es devenue moi. Du courage pour la suite et surtout n’aie aucun remords! Aucun.
— Comme je te l’ai déjà dit : va en enfer !
Elle raccroche. Je ris à gorge déployée, de manière presque hystérique.
J’ai tout de même le temps de l’applaudir une dernière fois avant que le train ne percute la voiture.