Chapitre 36

Ecrit par Auby88

Paula KOUTON

Je continue d'écouter la conversation entre Femi et la mère de sa fille.

- Je vois que tu t'es bien renseignée !

- C'est Arabella qui parle tout le temps d'elle.

- Et je parie que tu en as profité pour découvrir plus sur ma vie privée !

La jeune femme secoue la tête.

- Eh bien, je t'informe que je suis bel et bien en couple avec Paula. Et je ne compte pas la remplacer pour toi ! C'est bien compris ?


Ah ! Il n'a pas démenti. A quoi joue Femi ? Pourquoi lui fait-il croire que nous sommes ensemble ?

Elle le regarde sans dire mot. Je ne supporte plus cette situation. En plus, je ne peux voir ces deux-là souffrir inutilement alors qu'ils s'aiment.

Je quitte ma cachette et descends les marches. Finalement, je n'aurais pas dû me montrer.


- Ah mon amour, nous parlions justement de toi. Viens !


La surprise se lit sur mon visage. Je jette des regards réprobateurs vers Femi qui évite mon regard. Il me tient par la taille en poursuivant :


- Paula, je te présente officiellement mon ex.

Normalement, on utilise des formules consacrées comme "Enchantée"  pour répondre. Cependant, je me dois avant tout de clarifier la nature de ma relation avec Femi.

- Un instant, Femi, je…

Il m'interrompt aussitôt.

- Oui, je sais que sa présence ne t'enchante pas. C'est normal. Moi non plus. Mais rassure-toi, elle s'en allait déjà ! N'est-ce pas, Aurore ?


Je lorgne Femi. Je n'arrive pas à croire qu'il se plaît à utiliser un stratagème aussi vieux et "enfantin" que celui-là pour se débarrasser de son ex. Et elle, à voir son air triste, semble tout gober. Pauvre femme !


- Non, Femi, finit-elle par répondre. Il reste un dernier point que nous devons aborder.

- Encore ?

- Oui, mais en privé.

Elle a ses yeux rivés sur moi. Ça tombe bien. M'éclipser est ce que je veux le plus.

- Je vous laisse, annonce-je.

- Non, mon cœur. Reste ! me prie Femi. Je n'ai rien à te cacher.

Puis s'adressant à elle, il ajoute :

- Allez, parle.


Elle fixe Femi, hésite un moment puis se décide :

- Pour la stabilité émotionnelle d'Arabella, je préconise qu'elle ne vienne plus rester chez toi. Tu pourras passer la voir à la maison autant de fois que tu veux.

- Pardon ! s'étonne-il.

Il libère ma taille.

- Je n'ai pas envie qu'elle finisse par être traumatisée, à force de se partager entre ici et là bas, c'est à dire entre moi et … vous.

- Tu t'entends ? T'as perdu la tête ?


Ah ça, oui. Je suis d'accord avec Femi. Elle est timbrée ou quoi cette Aurore ? Refuser à un père de passer des jours avec sa fille avec un prétexte aussi farfelu, alors qu'il est longtemps restée loin de cette fillette  ! C'est absurde ! C'est cruel ! Avec cela, elle vient d'envenimer sa relation déja bancale avec Femi.


- Je suis sérieuse, Femi.

Il entre dans une colère noire et lui crie dessus.

- Sérieuse ! Tu es cruelle, Aurore ! Tu m'as déjà pris trois années de ma vie de papa et maintenant tu veux me priver de la présence de ma fille ?

- Ce n'est pas mon intention, Femi. C'est juste que …

- Sache que tu ne parviendras pas à tes fins cette fois-ci. J'irai devant les tribunaux, s'il le faut, pour obtenir la garde exclusive de ma fille. Et crois-moi, vu le genre de mère que tu es, aucun juge ne me refusera ce droit.

Elle balance sa tête de gauche à droite comme pour signifier NON.

- Femi ! interviens-je pour le calmer.

Il ne m'écoute pas. Près d'elle, il se rapproche un peu plus.

- Quand je pense qu'un jour je t'ai aimée, que j'ai cru en toi, que j'ai pensé que tu avais changé ! Comment ai-je pu autant me tromper sur toi ! J'aurais dû me douter qu'un crocodile demeurera toujours tel, même si apprivoisé pendant des années !

- Ne me dis pas cela Femi. J'ai changé.

Des larmes coulent sur son visage. Elle me fait pitié, assise là dans ce fauteuil roulant qu'elle ne quittera sans doute jamais.

- Non, tu n'as pas changé. Tu es une mauvaise personne et tu le resteras pour toute ta vie. Je me rends à présent compte que tu mérites tout ce qui t'arrive, surtout ce fauteuil roulant dans lequel tu es condamnée à rester !

- Femi ! m'insurge-je.

Il vient de dépasser les bornes. S'attaquer ainsi à elle, en lui rappelant ce qui déjà doit être bien traumatisant pour elle : son paraplégisme. Elle le regarde une dernière fois avec des yeux pleins de larmes.

- Va au diable, Aurore ! achève-t-il tandis qu'elle quitte précipitamment la pièce.

Seule avec lui, je me trouve à présent.

- Femi, tu exagères !

- Tu trouves ?

Le ton de sa voix reste empreint de colère.

- Oui. Tu n'avais pas besoin d'être aussi discourtois avec elle, au point de lui dire qu'elle mérite son handicap !

- Paula, sache qu'elle mérite chaque mot que je lui ai dit. Cela faisait longtemps que j'avais besoin de sortir tout ça de mes entrailles. Mais je m'efforçais de me taire. Et puis, c'est elle qui est venue me "narguer" dans ma propre maison !

- Peut-être, mais tu as été quelque peu injuste avec elle.

- Injuste ! Tu prends sa défense maintenant ? Je te rappelle que c'est elle qui m'a fait mal. Et je me réjouis qu'elle ait mal à son tour.

- Je suis sûre que tu ne penses pas ce que tu dis. Tu l'aimes encore.

- Non Paula ! hurle-t-il. Je ne l'aime pas ! Je ne dois pas l'aimer ! Je ne peux pas l'aimer ! Tu comprends ?

- Calme-toi, Femi. Je ne te reconnais plus. Tant de rage ! Ça ne te ressemble pas !

- Alors, cesse de prendre sa défense en ma présence !

- Je ne vais quand même pas te féliciter quand tu agis mal !

- Je veux être seul à présent !


Bon sang ! Qu'est-ce qui lui prend ?

- Femi !

- Paula ! Va-t'en !

- Je te croyais différent du commun des hommes, mais je me rends compte que tu es pareil !

- Si tu fais allusion, entre autres, à ton ex barbare dont tu adorais les humiliations, les coups…

Son regard croise le mien.  Indignée et courroucée, je secoue la tête.

- Paula, je suis désolé. Je ne voulais pas…

Trop tard. La parole jetée ne peut plus être ramassée ! dit-on. Je n'ai plus rien à faire chez lui. Je sors de là, sans regarder derrière.



*******"

Aurore AMOUSSOU

Les paroles âpres de Femi tournent encore et encore dans ma tête. Je devrais lui en vouloir mais je n'y arrive pas. Il n'a fait que me dire la vérité. Dure, amère cependant réelle.

J'admets l'avoir provoqué en lui parlant d'Arabella. Mais ce n'était pas par mauvaise foi ou pur égoïsme. J'étais juste jalouse en voyant Paula et désespérée de ne pouvoir réaliser le rêve de ma fille.


J'avance mon fauteuil roulant. Ou plutôt c'est le chauffeur qui m'aide à me frayer un chemin dans ce lieu peu commun où je me trouve actuellement. Je ne remercierai jamais assez cet quadragénaire très effacé qui me conduit partout, m'aide avec mon fauteuil sans jamais montrer le moindre signe de fatigue, d'ennui. D'aucuns diront qu'il fait juste son travail, mais aucune somme d'argent ne saurait complètement compenser son abnégation au travail ainsi que les longues heures d'attente.

- Merci, lui dis-je une fois encore. C'est gentil. Je vous ferai signe dès que j'aurai fini.

- Bien, Mademoiselle.


Je le regarde s'éloigner puis je me concentre sur la raison de ma venue ici, sur ce détour que j'ai voulu faire en quittant la demeure de Femi. J'ai expressément besoion de parler, de m'épancher sur ma douleur, d'ouvrir mon cœur à la seule personne qui a toujours su m'écouter sans me juger, me réconforter, qui a toujours su me comprendre, qui m'a aimée, m'est restée fidèle… jusqu'au bout.


Tout autour de moi, je regarde. Ce lieu isolé, sinistre où règne un silence "mortifère" et où chaque être humain atterrit, m'effraye. Je respire profondément pour dissiper ma peur, puis je concentre mon regard sur la petite pancarte face à moi  : "Repose en paix, notre chère et regrettée Arabella Fifa ZANNOU".

Je me penche en avant et jette le bouquet de fleurs que j'ai apporté pour elle. Il va s'ajouter à ceux déjà présents sur sa tombe.

Je soupire longuement avant de libérer mes mots.


" Bonjour chère amie. Je sais que je ne te visite pas régulièrement, mais il n'y a pas un jour où je ne pense à toi, à ton sourire unique et tellement beau, à tes cheveux de peulh qui t'allaient si bien, à toutes nos folies depuis l'enfance...

Tu es partie et je continue de te pleurer. Parce que tu t'en es allée trop tôt, parce que tu ne méritais pas cette fin, parce que tu devais être encore ici et surtout parce que j'ai précipité ta mort. Et ce poids, cette culpabilité, je l'aurai sur la conscience pour toute ma vie.

C'est vrai que ta mère m'a pardonnée, c'est vrai que j'ai pu aller de l'avant malgré ton absence et mon handicap, que j'ai pu réaliser un projet commun en devenant styliste, que j'ai connu l'amour quand je n'y croyais plus, que j'ai eu une adorable petite fille qui porte ton prénom … (je renifle avant de continuer)... mais il y a des jours comme​ aujourd'hui où plus rien n'a de sens pour moi, où j'ai envie de me terrer sous terre, où je ne sais plus qui je suis, où…"

J'éclate en sanglots.

"Tu me manques tellement Bella. Si seulement… Si seulement…"

Je me recueille là, quelques minutes encore puis je préviens le chauffeur.

"A bientôt, Bella", murmure-je...


Environ une demi-heure plus tard.

Je viens de rentrer chez moi. Tout près du salon, je suis. Arabella accourt en criant :

- Maman, Maman !

Elle lève ses bras vers moi :

- Ça y est, Ça y est maman ! Vite !

Je devine sa requête.

- Eh bien, Princesse Arabella, votre carrosse est prêt ! réplique-je en lui tendant mes bras.

Elle les attrape et se hisse sur mes jambes.

- Maman, je peux te dire un secret ?

- Oui, lequel ? demande-je avec empressement.

- Approche ton oreille.

Je m'exécute. Tout doucement, elle y murmure :

- Tu es la meilleure maman du monde et moi, je t'aime grand comme ça !

Pour me décrire la grandeur de son amour, elle dessine un coeur avec ses petites mains. Je suis tellement émue. Je lui souris et elle me gratifie, à son tour de son magnifique et pur sourire, qui me réchauffe le cœur. Et ce qui me réjouit le plus, c'est que dans ses yeux qui me regardent, je ne lis ni opprobre, ni jugement, ni pitié...

Je n'y vois que de l'amour. L'amour désintéressé, l'amour inconditionnel d'un enfant pour sa mère. Je me mire dans son innocence et je vois une toute autre Aurore, une toute autre Moi.





***********"

Femi AKONDE


Vingtième tentative infructueuse. Paula ne répond toujours pas à mes appels, ni à mes messages. Je sais que je la verrai demain à l'entreprise mais j'ai besoin de l'entendre, besoin de lui demander pardon.

Tout à l'heure, j'étais chez elle... Ou plutôt devant sa porte, la cognant à répétition. En vain. Tout ce à quoi j'ai eu droit, c'est un "Va-t'en, Femi. Laisse-moi tranquille ! " de Paula suivi d'un " Monsieur, vous pertubez la tranquillité des locataires !" du concierge. J'ai donc rebroussé chemin.


Je ne sais pas ce qui m'a pris de lui parler comme je l'ai fait. Pourtant je suis bien conscient de ce que sa dernière relation a été assez éprouvante pour elle. A nouveau, je la rappelle. Sans succès.

Je me lève du canapé et déambule dans le salon, soupirant encore et encore. L'homme rancunier, enragé, susceptible que je suis devenu, m'inquiète.


Serait-ce la déception amoureuse vécue avec Aurore qui m'a rendu ainsi ? Serait-ce l'argent et le pouvoir qui m'ont tant transformé ? Ou serait-ce simplement le vrai MOI qui se dévoile ?


Je m'approche de mon bar et me sers un petit verre de whisky​ puis un deuxième. Je m'efforcerai de ne pas en prendre un troisième. D'habitude​, le bar ne sert que de décoration ou pour les rares invités qui viennent chez moi. Mais là, j'ai besoin de sentir un liquide fort dans mon gosier.


Comment ai-je pu m'en prendre à des femmes ? Oui, des femmes. L'article "des" a tout son sens ici puisqu'il s'agit de deux femmes. Même si je m'évertue depuis ce matin à ne penser qu'à … Paula.


Je me sers un … troisième verre. Ça ne me fera pas de mal et c'est bien le dernier. Promis. Juré.

Bon sang, ma conscience ne me laisse toujours pas tranquille. Elle continue à me persécuter. Jusqu'à quand ?

Je vais prendre l'air sur la véranda. J'étouffe ici.

Malgré moi, mes pensées vont vers … Aurore. Je ne peux m'empêcher de sentir cette boule qui me noue l'estomac rien qu'en me rappelant les mots que je lui ai dits : "(...) .Je me rends à présent compte que tu mérites tout ce qui t'arrive, surtout ce fauteuil roulant dans lequel tu es condamnée à rester."

Je vide mon verre. Pourquoi me sentir mal pour elle ? Je n'ai dit que ... la vérité ! ... Ou pas ?

Des souvenirs que je gardais cachés dans ma mémoire me reviennent. Je me remémore les larmes qui coulaient des yeux desespérés d'Aurore. Je me rappelle la douleur qui était sienne. Je me souviens des paroles que je lui adressais pour la réconforter. Et je me rends compte que ce matin, je l'ai trahie. Je l'ai toujours traitée d'égoïste, pourtant l'hypocrite, c'est moi.








SECONDE CHANCE