Chapitre 4

Ecrit par Chrime Kouemo

Alexandre Siewé regardait sans vraiment les voir les tableaux de chiffres qui s’affichaient sur son écran d’ordinateur. Il n’arrêtait pas de penser au coup de fil qu’il avait reçu un peu plus tôt l’après- midi. Rachel était au pays! C’était un ancien camarade du Collège Vogt qui, en lui proposant une sortie au Maeva, avait cité son nom. Il n’avait pas espéré qu’elle lui téléphone pour l’informer de son retour au pays compte tenu de la façon dont s’était terminée leur histoire. Après son forfait, elle lui avait à peine laisser le temps de s’expliquer et n’avait plus jamais répondu à ses coups de fil. Il fallait dire qu’il avait sacrément merdé.

Quand il avait rencontré Rachel, le courant était tout de suite passé entre eux. Elle était belle, intelligente, et ils s’amusaient bien ensemble. Lorsqu’il avait obtenu sa mutation pour le Cameroun, il ne s’était pas vraiment posé de question sur la gestion d’une relation à distance. Il savait Rachel folle amoureuse de lui, et pressentait qu’elle attendait un signe de sa part pour le suivre au Cameroun. Seulement voilà, même s’il était très bien avec elle, il ne se voyait pas lui faire ce signe sans que ça ne sonne comme un véritable engagement. Ce pourquoi il n’était pas du tout prêt. Il n’avait même pas encore 30 ans!

A son arrivée au Cameroun, il avait découvert la vie à cent à l’heure des JCD comme on les appelait ici : jeune cadre dynamique. Les sorties quasiment tous les soirs dans les bars et cabarets branchés de la ville, les virées le week-end à Douala, Kribi ou Limbé. Très vite, il ne lui avait plus été possible de résister à la tentation. Ses potes mêmes casés ou mariés, ne se privaient pas pour ramener leurs ndjombas lors de ces virées, ce qui était à peu près la norme. Trois mois plus tard, il faisait la connaissance de Cécile, la bombasse comme ses amis l’appelaient. A 23 ans à peine, Cécile avait une maîtrise parfaite des rapports homme/femme. C’était le genre de femmes qui faisaient retourner les hommes sur son passage. Grande, claire de peau, avec des formes où il fallait. Il était tombé sans glisser ! Ce qui avait commencé comme un simple flirt avait très vite tourné à une relation passionnelle où le sexe était l’élément central. Il n’avait jamais connu ça auparavant, et surtout pas avec Rachel dont il était le premier amant et à qui il avait tout appris.

Dissimuler sa relation à sa nga de Paris lui avait semblé très simple au début. Aucun membre de sa famille n’était au courant de sa relation avec Cécile, et seul son grand frère savait vaguement qu’il avait laissé une copine en France. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’était la possessivité maladive virant à l’obsession de sa ndjomba. Il avait dû brutalement lui remettre les points sur les « i » quand elle lui avait piqué une crise en lisant les messages qu’il échangeait avec Rachel. Il avait cru s’être fait comprendre et avait baissé la garde, et un jour ce qui devait arriver arriva: alors qu’il prenait sa douche, Cécile avait décroché son téléphone sur son chevet pour répondre à un appel de Rachel et lui avait balancé qu’elle était désormais la titulaire et qu’il fallait qu’elle l’oublie. Quand il s'en était aperçu, il était rentré dans une rage folle et avait immédiatement chassé Cécile de sa maison, mettant ainsi fin à leur histoire. Il avait alors appelé Rachel pour essayer de rattraper le coup. Quand au bout de plusieurs tentatives elle avait enfin décroché son téléphone, il avait très nettement perçu les sanglots contenus dans sa voix qu’elle essayait de retenir. Plein de remords, il avait tenté en vain de s’expliquer sur ce qu’il s’était passé, mais n’avait pas su trouver les mots pour l’apaiser et pour qu’elle lui redonne une nouvelle chance. N’étant pas du genre à se décourager à l’échec de la première tentative, il avait laissé passer quelques jours, puis l’avait rappelée. La jeune femme était toujours restée hermétique à ses explications. Après qu’il eut renouvelé ses appels pendant trois semaines durant, elle lui avait signifié une fin de non-recevoir et là seulement, il avait cessé de lui téléphoner.

Maintenant qu’elle était de retour pour les vacances au pays, c’était peut-être l’occasion de lui redemander pardon et peut-être même qu’il pourrait la reconquérir. Ils avaient vécu une belle histoire et il avait espoir que les choses pourraient reprendre entre eux.

Il fut tiré de ses pensées par Hermine Diouedi sa collègue, qui rentra comme une tornade dans son bureau:
Alex, j’aimerais que tu jettes un coup d’œil sur les résultats de cette étude que nous avons menée à Douala dit-elle en posant avec autorité un rapport sur sa table de travail.

Le jeune homme se retint de lui rappeler que la décence voulait qu’elle frappe au moins à la porte avant d’entrer. Depuis leur brève aventure, elle se permettait des passe-droits et ce malgré le fait qu’il l’ait plusieurs fois rappelée à l’ordre. Elle était l’exemple parfait qui illustrait le fait que le plaisir et le travail ne faisaient pas bon ménage.

Ça attendra demain, lui répondit-il lui jetant à peine un coup d’œil.Quoi? il y’a un problème?

Il leva les yeux en l’air. Il y avait vraiment des gens sans gêne ici dehors!

  • -  Non, aucun. Juste que j’ai autre chose à faire et qu’en plus je dois partir tôt tout à l’heure.

  • -  Quoi? Tu as un rendez-vous?

  • -  Je crois que ça ne te regarde pas, et maintenant s’il te plait, laisse-moi finir de travailler. Je lirai

    ton rapport demain OK?

    Hermine sortit de son bureau en tirant la tronche. Alexandre s’adossa à son bureau en soupirant. Il fallait vraiment qu’il remette de l’ordre dans sa vie. Il avait vraiment fait tout et n’importe quoi depuis son retour au Cameroun. S’il voulait convaincre Rachel, il devait se montrer digne de confiance.

    ♣♣♣

    Rachel referma soigneusement le flacon de vernis qu’elle venait d’appliquer sur ses ongles. Etendant ses mains devant elle, elle observa le résultat: il était vraiment top ce rouge corail.

  • -  Hum, Mami Nyanga fit sa mère en lui adressant un sourire tendre. Tu es toujours aussi coquette

    hein!

  • -  Qui va se négliger ici dehors ? ajouta sa petite sœur Marielle.

  • -  Pardon, dépose moi lui rétorqua Rachel. Toi-même tu t’es vue?

    Rachel avait en effet encore du mal à voir que sa petite sœur garçon manqué il y a 5 ans, était devenue une belle jeune femme de 22 ans qui devait faire tourner la tête à plus d’un garçon. Elle avait littéralement changé du tout au tout : de ses cheveux jusqu’à la pointe de ses ongles qu’elle avait longs et beaux. Quand elle avait vue Marielle à l’aéroport de Nsimalen la veille, elle était tellement éberluée qu’elle était restée plusieurs secondes sans rien dire tellement le choc était intense. Sa petite sœur avait alors éclaté de rire. C’est vrai que cinq ans ça faisait long! Elle avait eu un pincement au cœur de ne pas avoir été là pour la voir se métamorphoser.

    Sa mère quant à elle avait un peu vieilli, ce qui était normal somme toute, mais ça lui faisait quand même bizarre. Son frère lui n’avait pas changé d’un iota, toujours égal à lui-même : moqueur, égocentrique et s’attendant toujours à ce que les gens se plient en quatre pour lui alors qu’il était lui-même incapable de rendre un service non rémunéré à quelqu’un.

    Elle n’avait pas encore revu Liliane, sa deuxième sœur et cadette directe qui vivait à Buea où elle effectuait ses études de lettres bilingues. Elle l’avait informée qu’elle ne pourrait arriver sur Yaoundé que le lendemain de Noël pour des raisons de contraintes dans son église. Rachel l’avait suppliée de modifier son programme pour que leur famille puisse être enfin réunie comme cela n’était pas arrivé depuis bientôt 10 ans qu’elle vivait en France, en vain. Elle ne la verrait donc que dans trois jours.

  • -  C’est vrai que ça t’en bouche un coin hein? Tu as failli caler ignobo hier à l’aéroport lui retourna

    sa sœur.

  • -  Je vois que tu es très contente de ton effet. Depuis que je te demandais des photos et que tu me tournais, c’était donc pour ça.

  • -  Eh oui ma chère!

  • -  Une chose au moins n’a pas changé, tu as toujours la gueule comme d’hab.

    Sa mère les observa d’un air attendri; ça faisait tellement longtemps qu’elle n’avait pas vu sa petite fille. Même si elle était bel et bien une femme maintenant, elle avait encore du mal à s’y faire. Le temps avait passé si vite.

  • -  Tu fais quoi aujourd’hui ? lui demanda sa mère à Rachel

  • -  Je retrouve dans un cabaret des anciens amis du Collège Vogt qui sont également en vacances.

    Rachel vit sa mère faire la moue, mais décida de ne pas s’en formaliser. Elle reconnaissait bien là sa mère et ses principes rigides. Quand elle vivait encore sous le toit familial, les sorties le soir n’étaient autorisées que lorsqu’il s’agissait de fêtes organisées chez des amis. Les soirées en boîte de nuit étaient interdites. Elle se rappelait encore du savon qu’elle s’était pris quand sa mère avait appris que son frère l’avait emmenée au Katyos, la boîte en vogue à Yaoundé à l’époque de son adolescence. Aujourd’hui, elle n’avait plus besoin de demander la permission à ses parents pour sortir; elle n’allait donc pas se priver de cette virée avec des anciens camarades. La jeune femme saisit son téléphone portable et ouvrit le fil de discussion « Vacances au Mboa » créée par un de ces anciens camarades. Le nom du cabaret où avaient lieu les retrouvailles s’appelait le « Maeva ». Elle ne connaissait pas du tout l’endroit.

    Elle attendit que sa mère retourne à l’intérieur de la maison pour interroger sa sœur. Même si elle n’avait vraiment plus de comptes à lui rendre sur ses allées et venues, elle préférait ne pas déclencher un débat sur les sorties mondaines inutiles.
    Tu sais où se trouve le « Maeva »? Demanda-t-elle à Marielle.

    Ah,c’est là-bas que vous vous retrouvez cevsoir?

    Rachel secoua la tête. L’adage qui disait que les Camerounais répondaient toujours à une question par une autre question était donc vrai.

  • -  Oui, mais tu n’as pas répondu à ma question, indiqua-t-elle à sa sœur.

  • -  C’est dans le quartier Hippodrome. Tu n’auras qu’à demander au taxi de te déposer pile devant.

  • -  Ça te dit de te joindre à nous?

  • -  Non, vraiment, je vais vous laisser dans vos retrouvailles de Mbenguistes là répondit Marielle en secouant la tête en prenant un air faussement dégoûté. Vous êtes une bande de potes de la même génération à Vogt, je risque de me sentir un peu décalée.

  • -  Pas de souci. De toutes les façons, on aura le temps de se faire un truc entre sœurs quand Liliane sera là.

  • -  Hum...

  • -  Ce qui veut dire? interrogea Rachel

  • -  Tu sais que depuis qu’elle est devenue une chrétienne pure et dure, ce n’est plus comme avant hein? Tu auras l’occasion de constater par toi-même d’ici deux jours.

    Rachel savait par Liliane elle-même qu’elle était devenue une « born again » quelques mois auparavant et qu’elle s’était même rebaptisée au grand dam de son père. La jeune femme respectait les choix de sa sœur, même si aujourd’hui elle ne partageait plus totalement sa vision de la foi chrétienne qu’elle trouvait quelque peu étriquée. Trois ans avant son départ pour la France, la mère de Rachel avait donné sa vie à Jésus (pour reprendre ses termes). Dès lors, elle avait commencé à organiser des séances de prière tous les soirs, de les emmener ses sœurs et elle dans les groupes de prière des jeunes de son église. Leur père n’avait pas du tout vu ça d’un 

bon œil, mais vivant à cette époque-là à Douala, et ne venant que les week-ends, il ne pouvait tout contrôler. C’est ainsi que Rachel, dans son adolescence, avait pleinement baigné dans la communauté chrétienne de sa mère. A son arrivée à Lille après l’obtention de son baccalauréat, avec l’aide de sa mère, elle avait cherché une église protestante à fréquenter. La première année elle était assidue, puis avec le temps, elle avait pris du recul, elle avait commencé à s’interroger sur les origines de la Bible, et sur l’histoire des religions. C’est ainsi qu’au fur et à mesure, elle avait cessé de pratiquer de façon moins dogmatique comme elle le disait avant. Elle restait chrétienne dans l’âme, mais ne concevait plus la religion chrétienne comme la voie unique pour atteindre Dieu.

La question de sa soeur la tira de ses réflexions :

  • -  C’est à quelle heure votre rendez-vous?

  • -  A 20h répondit Rachel en jetant un coup d’œil à la pendule de la cuisine qui affichait 16h. Ca me laisse le temps de passer voir Maman Rose, ce sera déjà ça de fait!

    Les vacances au pays étaient certes géniales, mais le revers de la médaille était que quelle que soit la durée de votre séjour, il fallait faire le tour des membres de la famille pour ne pas s’attirer les récriminations des parents et éviter les bavardages dans votre dos.
    Ça c’est ce qu’on appelle l’efficacité! s’exclama sa sœur. Je t’accompagne si tu veux.

    Avec plaisir!

    ♣♣♣

    Le taxi déposa Rachel au Maeva club à 20h30. Comme d’habitude elle était en retard, mais ici, personne ou presque ne s’en formaliserait. Elle régla la course et sortit son téléphone pour voir si elle avait un message en attente : aucun. Elle entra dans la cour du club où des tables étaient installées pour ceux qui préférait profiter de la douceur de la soirée, espérant ne pas être la première à être arrivée. Elle jeta un coup d’œil alentour et aperçut Aristide Lemana, un ancien camarade de Terminale D à Vogt, attablé avec deux autres personnes qu’elle ne reconnut pas de suite. Elle se dirigea vers la table.

  • -  Hé Nanhou c’est toi? s’écria Aristide en voyant la jeune femme s’avancer. J’ai failli ne pas te reconnaître, on dirait que tu as grandi!

  • -  Lemana, tu n’es pas fatigué de tes vieux koch là? répliqua Rachel.

    Ils éclatèrent de rire tous les deux, puis se firent la bise. Aristide la tint à bout de bras pour mieux l’observer.

  • -  A part la taille avec laquelle tu triches avec les talons, tu n’as vraiment pas changé, toujours aussi belle.

  • -  Merci fit Rachel avec un sourire. Toi non plus tu n’as pas beaucoup changé.

    Elle se retourna pour saluer les deux autres.

  • -  Tu te rappelles de Pascal Dibongué? Il était au collège Vogt jusqu’en troisième, puis il est allé à la Retraite en classe de seconde.

  • -  Le visage me dit quelque chose répondit Rachel. Je ne pense pas qu’on ait été dans la même classe.

  • -  Non effectivement confirma Pascal.

  • -  Et lui c’est Roger Mbock continua Aristide. C’est un ami du collège de la Retraite de Pascal.

  • -  Enchantée, fit Rachel.

    Elle prit place à côté d’Aristide, qui fit signe à la serveuse pour qu’elle prenne sa commande.

  • -  Je vois que je ne suis pas trop en retard s’enquit Rachel. On sera combien en tout? Le message de Valérie n’était pas très clair.

  • -  Je ne suis pas sûr, une bonne quinzaine je pense. Alors, que deviens tu? Toujours à Lille?

    • -  Non, plus maintenant; je suis à Paris depuis un peu plus d’un an. J’ai voulu changer un peu d’air après 7 ans à Lille.

    • -  Tout comme moi! J’ai quitté Berlin pour Francfort il y a peu. Faut dire qu’avec le métier que je fais, c’était plus simple pour moi d’y trouver du boulot.

      Aristide avait fait des études en finances se rappela Rachel. La serveuse vint déposer sa commande, un Gino cocktail de fruits. C’était la seule boisson gazeuse des Brasseries du Cameroun que la jeune femme arrivait encore à boire. C’est fou ce que les papilles gustatives pouvaient évoluer. Elle porta son verre à ses lèvres et manqua d’avaler de travers quand elle entendit Pascal s’écrier :

    Siéwé! Nyè man!

    Non, ça ne pouvait pas être Alex pensa Rachel. Siéwé était un nom courant chez les bamilékés. Il pouvait s’agir de n’importe qui d’autre. Donnant dos à l’entrée, elle hésitait à se retourner quand elle entendit la voix d’Alex répondre :
    Dibonguè, tu n’étais pas censé passer me prendre au bureau?

    Complètement tétanisée, Rachel se demandait encore quelle attitude adopter quand elle le vit apparaître dans son champ de vision. Il était exactement comme dans son souvenir : grand, mince, le crâne rasé, et un sourire éclatant. Son teint d'ébène, encore plus marqué maintenant qu'il résidait sous les tropiques, tranchait avec sa chemise d'un blanc immaculé. Son jean bleu mettait en valeur ses longues cuisses musclées. Leurs yeux se croisèrent et elle sentit son cœur manquer un battement. Il la contempla avec ce sourire en coin charmeur qu’elle lui connaissait si bien, mais elle décela au fond de son regard une sorte de supplique et de culpabilité. Contrairement à elle, il n’avait pas l’impression d’être étonné de la voir là. Elle avait certes imaginé que leurs chemins se croiseraient lors de son séjour au pays, mais rien ne l’avait réellement préparé à la déferlante d’émotions qu’elle ressentait en ce moment : douleur, nostalgie, et ce qu’elle n’aurait pas cru possible après sa tromperie, du désir. Elle était horrifiée de constater qu’il lui plaisait toujours autant. Elle s’efforça de lui sourire en retour en espérant que cela suffirait à masquer son trouble.

    Rachel, ça va? s’enquit-il en se penchant pour lui faire la bise.

    Les effluves de son parfum qu’elle reconnaissait lui envahirent les narines et accentuèrent son trouble.
    Oui très bien et toi?
    Ça va! Ça me fait plaisir de te voir.

    Il salua les autres et regarda autour de la table pour voir où il pouvait s'installer. La jeune femme fut soulagée, car ayant Pascal à sa gauche et Aristide à sa droite, il ne pouvait s’assoir près d'elle. Ce dernier fit de nouveau appel à la serveuse pour la commande d'Alexandre. Celle-ci arriva en traînant des pieds. Le sens du service chez les Camerounais laissait vraiment à désirer. Les serveuses avaient le don de vous faire savoir par leurs mimiques et expressions du visage que votre demande les indisposait. Et ce n'était pas que celles qui vivaient au Cameroun qui affichaient ce comportement. Il n'y avait qu’à voir comment les gens étaient reçus dans certains restaurants camerounais à Paris.

    Je vous sers quoi? Demanda la serveuse à Alex, en minaudant.

    Rachel se retint de lever les yeux au ciel. Même pas un bonjour avant de s'adresser au client.Je vais prendre un martini s'il vous plaît, répondit le jeune homme.

    La serveuse partie, ils reprirent leurs conversations. Rachel se rendit compte qu'elle était la seule femme pour l'instant dans la bande. Elle se décida à envoyer un message WhatsApp à Ariane et Valérie, une amie et ancienne camarade de Vogt vivant à Lyon, pour leur demander à quelle heure elles comptaient arriver. En levant les yeux de son téléphone, elle surprit le regard appuyé que lui adressait Alexandre et eut un frisson. Il l'attirait toujours autant, c'était désespérant. La peine qu'elle avait ressentie quand elle avait reçu le coup de fil de sa maîtresse et qu'elle croyait être morte, revenait aussi avec force. Elle ne put empêcher ses pensées de remonter le temps vers ce qui s'était passé un an plus tôt.

    ♣♣♣

    Après avoir été licenciée de son premier emploi suite au refus de sa demande de changement de statut par la direction du travail, elle avait cherché une nouvelle inscription à l'université pour pouvoir au moins renouveler son titre de séjour étudiant. En se rendant à la préfecture ce vendredi-là, une surprise de taille l'attendait. La préfecture lui avait accordé sa carte de séjour salarié! Elle ressentit une joie incommensurable; elle avait l'impression que la grisaille qui était son quotidien depuis le départ d'Alexandre et ses problèmes administratifs s'en allait enfin, chassée par un soleil radieux. Elle allait pouvoir se remettre à chercher du travail et, en attendant d'en trouver un, elle pouvait percevoir son allocation chômage, ce qui allait lui permettre de renflouer un peu son compte.

    De retour chez elle, elle appela ses parents pour leur annoncer la bonne nouvelle. Elle appela ensuite Alex mais, après plusieurs sonneries, elle tomba sur son répondeur. Elle essaya une seconde fois, elle avait tellement hâte de partager son bonheur avec lui. Mais elle reçut une douche froide à la place quand une voix de femme lui répondit au téléphone.

    Bonjour, pourrais-je parler à Alex ? Avait-elle demandé d'une voix qu'elle s'était efforcée de maîtriser pour qu'elle ne tremble pas.

    Son cœur battait à se rompre et elle sentait ses mains devenir moites. Elle espérait de tout son cœur que ce n'était pas ce qu'elle imaginait.
    C'est de la part de qui? Avait rétorqué la voix de femme d'un ton insolent.

    Le ton employé agaça prodigieusement Rachel. Elle prit sur elle pour ne pas retourner agressivement la question à la voix dans le combiné. Après tout, il pouvait s'agir de sa mère ou d'une de ses tantes, même si cette éventualité lui semblait peu probable compte tenu du ton de la voix.

    • -  Je suis Rachel, sa copine. Je peux vous demander qui vous êtes?

    • -  Sache que je suis sa nouvelle titulaire. Nous sommes ensemble depuis 3 mois et je te conseillerais de l'oublier. C'est moi qui le gère ici maintenant.

      Elle reçut ses paroles comme un uppercut en plein estomac. Ses soupçons d’il y a quelques minutes se confirmaient donc. Elle prit une inspiration pour essayer de juguler le cri qui menaçait de sortir de sa bouche. Reprenant son calme, elle demanda :

    • -  Je peux au moins lui parler?

    • -  Pour quoi faire? questionna la voix. Ce que je viens de te dire ne te suffit pas? Je répète, je suis maintenant sa titulaire et...

      A ce moment-là, Rachel entendit la voix d’Alexandre hurler :
      Cécile! Tu fais quoi avec mon téléphone ??? Donne-le-moi tout de suite !

      Des cris se succédèrent, Rachel n’avait pas pu entendre distinctement ce qu’ils se disaient par la suite tellement elle était bouleversée. Comment une journée qui avait si bien commencé pouvait- elle tourner de cette façon? De grosses larmes qu’elle n’arrivait plus à retenir se mirent à couler sur ses joues. Elle avait mal, tellement mal.

    • -  Rachel ma puce, fit enfin la voix essoufflée d’Alexandre à l’autre bout du fil. Ce n’est pas du tout ce que tu crois, je vais tout t’expliquer...

    • -  Ah bon? Le coupa t’elle en sanglotant. Tu veux... Tu veux me faire croire qu’il n’y a rien entre vous? Que c’est un canular?

    Je... Elle a pris mon téléphone quand j’avais le dos tourné et...
    Et quoi? L’interrompit-elle à nouveau. Elle n’est donc rien pour toi ???
    Les sanglots de la jeune femme redoublaient d’intensité. Elle n’arrivait même plus à entendre les piteuses excuses d’Alex.

    • -  Rachel, je suis désolé, c’était une petite incartade en passant...

    • -  Tu te fiches de moi ?? Elle vient de me dire que vous êtes ensemble depuis trois mois !! finit-elle par crier.

    • -  Attends,s’il te plait, écoute....

    • -  Arrête Alex, ce n’est pas la peine de t’enfoncer encore plus dans ton mensonge. Pour moi, tout est clair!

      Et sur ces dernières paroles, elle avait coupé brutalement la communication. Elle s’était ensuite effondrée sur son lit comme une poupée de chiffon. Son téléphone avait sonné, et elle s’était retenu de le balancer à travers le mur de son petit studio en voyant le numéro d’Alex s’afficher. Il avait rappelé plusieurs fois dans la journée, puis le lendemain. De guerre lasse, elle avait fini par décrocher; et il avait encore essayé lamentablement de s’expliquer, de s’excuser. Tout ce qu’il pourrait lui dire n’y changerait rien. Son cœur était en lambeaux. Son histoire conte de fées s’effondrait tel un château de cartes et elle tombait de haut. Malgré tout ce que ses amies pensaient de la fidélité des hommes, elle avait toujours cru dur comme fer que son Alex ne faisait pas partie de ce lot-là, qu’il était une sorte d’exception qui confirmait la règle. Quelle cruche elle avait été!

      La vibration de son téléphone annonçant la réception d’un message la tira de ses pensées. C’était Valérie qui lui annonçait qu’elle arrivait dans moins de cinq minutes. Elle essayait de faire abstraction du regard insistant que lui lançait Alexandre. C’était difficile mais elle allait y arriver. Il ne perdait vraiment rien pour attendre. Qu’est-ce qu’il croyait? Quel que soit le nombre de coups d’œil qu’il lui lancerait, elle avait l’intention de ne pas se laisser troubler. Elle s’efforça de porter son attention sur le ciel pur, plein d’étoiles. Le temps était doux, rien à voir avec le froid polaire qu’il devait faire en ce moment à Paris. Depuis son départ du Cameroun, elle n’avait plus eu l’occasion de vivre un mois de décembre chaud comme le temps qu’il faisait en ce moment. Perdue dans sa contemplation, elle ne s’aperçut pas tout de suite qu’Aristide se levait de sa chaise pour céder sa place à Alexandre. Elle ne pouvait décemment pas protester sans attirer l’attention. Personne autour de la table n’était au courant de son histoire avec lui. Il tira la chaise et s’approcha de ce fait plus près de Rachel.

      Alors,tu es arrivée quand? lui demandat’il.
      Hier soir répondit-elle de façon laconique.
      Hum... Et tu es là pour combien de temps?
      Trois semaines. Pourquoi? lui retourna t’elle d’un ton qui lui parut agressif à ses propres oreilles.

      On repassera pour la maîtrise de soi...
      Euh... Je me disais que tu pourrais m’accorder un petit moment dans ton agenda que j’imagine

      ultra serré comme c’est souvent le cas quand on vient en vacances au pays.

      Non, mais quel culot? !! Il ne se prenait vraiment pas pour l’eau du haricot.
      Honnêtement? Je ne sais pas si c’est possible fit-elle avec un sourire qu’elle-même elle trouva faux-cul. Comme tu l’as si bien souligné, mon programme ici est assez serré. En 5 ans d’absence, tu te doutes bien que j’ai plein de gens à voir.

      Il marqua une pause avant de continuer, et elle put remarquer qu’il était vraiment trop près à son goût. De sa grande main, il prit le verre posé devant lui et but quelques gorgées de son cocktail. Elle ne put s’empêcher de fixer ses lèvres pleines, et des flashs de leurs baisers enflammés envahirent son esprit. Elle était vraiment irrécupérable!

      S’il te plaît, tu peux faire un petit effort non? Je sais que c’est peut-être trop te demander, mais j’aimerais vraiment qu’on puisse discuter tous les deux la supplia t’il. 

    C’était peut-être l’occasion de tirer un trait définitif sur cette histoire. Elle n’avait plus aucune vie amoureuse depuis plus d’un an. Cette entrevue lui permettrait peut-être d’aller de l’avant, ce qu’elle n’arrivait pas à faire depuis leur séparation.
    Ok, lui répondit-elle simplement.


Entre deux coeurs