Chapitre 5

Ecrit par Chrime Kouemo

Seba sortit du taxi et s'épousseta le pantalon. Il avait eu de la chance de ne pas se retrouver avec les vêtements troués par les ressorts apparents des sièges fatigués de la voiture. Jules son cousin lui lança un regard qui disait : " tu aurais dû m'écouter quand je te conseillais de ne pas monter dans n'importe quelle voiture". Sa sœur Arielle n'aurait jamais accepté d'emprunter une telle guimbarde. Il se souvenait encore qu'à l'époque, elle pouvait passer plus d'une demi-heure à stopper des taxis tout simplement parce qu'elle évitait les trop vieilles voitures.

 

Il leva les yeux et observa la pancarte de l'entrée du Maeva's club. Il n'y était jamais venu auparavant.  Trois jeunes femmes se tenaient également près de l'entrée parmi lesquelles il reconnut Ariane qui était en train de discuter au téléphone. Il s'approcha d'elles, les salua et attendit que son amie finisse sa conversation.

-    Ah Seba c'est comment? Quelle bonne surprise! Je ne m'attendais pas à te voir ici, s'exclama Ariane en l’embrassant chaleureusement.

-    Moi non plus! C’est un vieil ami de la Retraite qui m’a invité. Je ne sais pas si tu le connais, Roger Mbock?

-    Non pas du tout. Nous, c’est un ancien camarade de Vogt qui a organisé la rencontre avec d’autres potes qui sont en vacances au pays comme nous. Tu es arrivé quand finalement? Aux dernières nouvelles tu me disais que tu n’étais pas sûr d’être là. Je suis certaine que c’était encore une de tes blagues à deux balles là!

-    Je vois que tu me connais bien, répondit-il avec un sourire en coin. Je suis arrivé il y a deux jours.

 

Il se retourna vers son cousin pour faire les présentations, puis ils se dirigèrent vers l’entrée du restaurant. En apercevant les tables à l’extérieur, il espéra que son ami en avait choisi une à l’extérieur pour profiter de la brise douce qui soufflait. Après avoir été enfermé vingt minutes dans le vieux tacot que son cousin et lui avait pris pour se rendre jusque là, il n’avait qu’une seule envie : prendre une bonne bière fraîche dehors. Il aperçut très vite une table à laquelle il reconnut Roger et sa même vielle tête de l’époque avec la coiffure qu’il lui connaissait depuis toujours, une punk comme on l’appelait au Cameroun. Cette coiffure lui avait valu plusieurs moqueries quand ils étaient au Collège, mais son ami n’en avait cure. Toutes les remarques désobligeantes glissaient sur lui comme l’eau sur les feuilles de taro. Il affichait une confiance en lui à toute épreuve, et c’était l’une des choses qui les avait rapprochés.

 

Roger lui fit un signe de la main auquel il répondit. Ils s’approchèrent de la table et, à ce moment, la jeune femme assise en face de Roger se tourna, et il reçut un coup au cœur : Rachel! Que faisait-elle ici? Se demanda t’il. Puis il se souvint qu’elle était une ancienne élève de Vogt comme Ariane.

Son regard s’accrocha à celui de Rachel. Elle lui fit un sourire qu’il trouva crispé. Elle était toutefois magnifique comme d’habitude, vêtue d’une robe jaune à manches courtes qui allait à merveille à son teint chocolat au lait. Elle avait relevé ses tresses au sommet son crâne, ce qui lui donnait un port de reine. Au prix d’un effort surhumain, il détourna les yeux d’elle pour saluer le reste de la tablée, et son regard tomba sur le gars assis à côté de Rachel, qui n’était autre que son ex le Frimeur. Décidément, cette soirée lui réservait pleines de surprises. Il entendit Ariane s’écrier avec son exubérance habituelle :

-    Aristide!!! C’est comment?

-    On est là Ari! c’est how?

 

Ils se saluèrent tous chaleureusement. Lorsqu'il fit la bise sur les deux joues à Rachel, les souvenirs de leur dernière soirée à Lille qu’il n’arrivait pas à oublier malgré les cinq mois passés affluèrent à sa mémoire : le goût de ses lèvres, son parfum, sa… Stop! S’admonesta t’il. Si son fameux ex était là, ça voulait peut-être dire qu’ils remettaient le couvert.

-    Ça va Rachel?

-    Ça va et toi?

-    Ça fait aller. Content de profiter de la chaleur du pays!

 

Il tendit enfin la main à Alexandre qui la serra brièvement en faisant un hochement de tête. Malgré le fait qu’ils se soient retrouvés à plusieurs reprises dans les mêmes soirées, il n’avait jamais réussi à échanger plus d’une phrase avec l’ex de Rachel, lui qui était pourtant d’un naturel ouvert et enjoué. C’était peut-être lié au fait qu’il avait toujours été attiré par sa copine. Il prit place près de Roger, et de ce fait se trouva en face de Rachel. Il ne s’attendait vraiment pas à la retrouver au pays. Ni Ariane ni Gabrielle ne l’avait informé de son séjour au Cameroun. En même temps, il ne leur avait rien demandé non plus. Après sa débâcle au lendemain du mariage d’Ariane, il avait évité d’aborder le sujet avec elles. Il savait très bien qu’elles faisaient tout pour la caser avec lui et il était plus que partant. C’était même d’ailleurs lui qui en avait fait la demande à Ariane mais voilà, Rachel n’avait pas l’air intéressé, et elle le lui avait fait savoir. Elle lui avait certes envoyé des signaux contradictoires en répondant avec autant de passion à son baiser, mais le message avait été clair par la suite. Il n’avait aucunement l’intention de refaire une tentative. De toutes les façons, il voyait une fille en ce moment et ils prenaient du bon temps ensemble, et cela lui suffisait amplement pour l’instant.

 

Détournant les yeux de Rachel, il reporta son attention sur son cousin et son ami qui s’échangeaient vannes sur vannes. Son cousin était son compère de toujours, son pote des wakas et des mapans en tout genre. Dans l’adolescence, ils avaient fait les quatre cent coups ensemble et de ce fait, il connaissait très bien Roger. Il était content de voir Jules ainsi détendu parce qu’il savait qu’en vrai, ce dernier stressait énormément pour sa vie car ne trouvait pas de boulot depuis qu’il avait été licencié six mois auparavant par son ancien patron. Jules vivait avec sa copine, qui elle travaillait, et donc qui le prenait en charge. Son cousin vivait mal cette situation et lui en avait parlé. Seba lui avait alors proposé de l’aider financièrement à une affaire qu’il pourrait entreprendre lui permettant de gagner dignement sa vie. Il était donc supposé lui présenter un plan d’affaires d’ici la fin de ses vacances.

 

La vie au pays était vraiment rude : la plupart des gens de sa famille était au chômage ou alors faisaient des petits boulots tellement sous-payés qu’ils ne pouvaient faire face sans aide en cas de maladie ou d’imprévu. Sa sœur par exemple travaillait comme caissière dans un supermarché, mais peinait énormément à boucler ses fins de mois ou à faire face à la rentrée scolaire avec ses deux enfants et ce, bien que son mari travaille.

 

Il se demandait parfois quelle aurait été sa vie s’il était resté ici. A l’époque de son départ, il ne voyait aucune issue pour lui au Cameroun. Sa mère s’était battue comme une lionne pour les élever sa sœur et lui. Cela avait été très difficile pour eux mais ils s’en étaient sortis et toujours dans la dignité, et pour cela, il vouait une admiration sans borne à celle qui l’avait mise au monde. Quand il avait obtenu son baccalauréat, il s’était inscrit de façon quasi automatique en faculté de sciences économie à l’université de Soa. Il ne se projetait pas vraiment et donc au bout de trois mois il avait décroché, n’allait plus vraiment en cours, et avait commencé à rêver de voyage. Il avait fait part de son projet de poursuivre ses études supérieures en France à sa mère. Cette dernière avait cru à une lubie de sa part dans un premier temps puis, voyant son insistance, elle lui avait expliqué en pleurant qu’à moins d’un miracle, elle ne pourrait jamais réunir la somme nécessaire pour son voyage.

 

Seba sirota tranquillement sa Guinness en observant Alexandre à la dérobée et se dit que malgré le fait qu’il ne pouvait pas le blairer, il l’enviait un peu parce qu’il vivait et travaillait au Cameroun, ce que lui n’avait pas encore accompli pour l’instant ; Il s’était fixé cela comme objectif à atteindre pour ses 35 ans au plus tard (il voulait assurer ses arrières avant); et, pour couronner le tout, il semblait être sur le point de reconquérir Rachel auprès de laquelle il était assis, et qu’il dévorait littéralement du regard. Chassant ensuite rapidement ces pensées moroses de son esprit, il engagea la conversation avec Pascal Dibonguè qu’il connaissait aussi depuis le Collège de la Retraite.

 

   

     

Le marché du Mfoundi était bondé en ce samedi à quelques jours des fêtes de fin d’année. Les comptoirs se disputaient la place avec les étalages à même le sol, tous remplis de victuailles. Les klaxons des taxis et voitures de particuliers se mêlaient au brouhaha des vendeurs à la criée. Rachel s’était proposée pour accompagner sa mère faire ses courses. La rumeur qui régnait ici contrastait énormément avec les marchés européens qui en comparaison paraissaient aussi silencieux que des cimetières.

 

La mère de Rachel bifurqua sur une allée pour retrouver sa vendeuse préférée de bâtons de manioc. Circuler entre ces étalages était un véritable parcours du combattant, d’autant plus qu’il fallait faire attention aux nombreux pickpockets. Sa mère n’avait pas arrêté de lui seriner tout au long du trajet entre leur maison et le marché qu’il fallait qu’elle tienne toujours son sac près de son cœur. A tel point que Rachel lui avait fait observer qu’elle prenait aussi ce même genre de précautions quand elle se rendait au marché de Wazemmes et dans tous les marchés en général. Après tout, les faiseurs de poches, il y en avait partout. Sa mère s’arrêta enfin devant l’étalage d’une vendeuse de bâtons :

-    Asso c’est comment? la salua t’elle

-    Huuuummm…On est là Mami, le marché est très dur ces derniers temps. On ne dirait même pas que c’est les fêtes, fit la vendeuse avec un sourire qui contredisait ses paroles.

 

Puis, se penchant sur le côté, elle désigna Rachel de la bouche et demanda :

-    C’est ta fille là-bas?

 

Rachel se retint de rire; ça faisait longtemps qu’elle n’avait plus vu quelqu’un « pointer » une personne avec la bouche. Il n’y avait qu’en Afrique qu’on voyait ce genre de mimiques.

-    Oui, répondit sa mère.

-    Mmmh ça se voit; elle te ressemble ooh !

-    Bonjour, la salua Rachel, amusée de voir qu’on parlait d’elle comme sil elle n’était pas là.

-     Ça va ma fille?

 

Elle lui répondit par un hochement de tête. La « bayam salam » présenta à sa mère deux sacs remplis de bâtons encore tièdes qui firent saliver Rachel. Sa mère s’empara d’un bâton qu’elle secoua pour mesurer son élasticité ainsi qu’elle le lui avait appris. Le test étant concluant, elle en commanda une vingtaine que la vendeuse mit de côté. Elles continuèrent leurs emplettes à travers le marché. Rachel se délectait du bruit ambiant tellement typique de son Cameroun natal. Quand elle était arrivée en France, elle avait trouvé tout tellement calme en comparaison avec le Cameroun, les rues, les supermarchés, l’université… Au pays, entre les klaxons, les bars, les gens qui riaient et parlaient fort, il n’y avait vraiment pas photo.

 

Le trajet du retour vers Mendong fut extrêmement long car elles tombèrent sur de gros bouchons au rond-point de la Poste Centrale. Assise sur le siège passager, observant les voitures qui avançaient pare chocs contre pare chocs, Rachel ne put s’empêcher de se remémorer la soirée avec les anciens de Vogt deux soirs plus tôt.

 

Elle n’en revenait pas qu’à une même soirée, elle soit tombée sur Alexandre et Seba. Le trop plein d’émotions qu’elle avait ressenties avaient quelque perturbé son sommeil à son retour. Autant pour son ex elle s’était douté que leurs chemins se croiseraient peut-être; après tout, ils connaissaient beaucoup de personnes en commun. Mais pour Seba, elle ne savait même pas qu’il serait en vacances au pays; elle avait cru entendre Ariane dire à Ousmane qu’il n’assisterait pas à leur mariage traditionnel.

Elle avait eu un choc de revoir Alexandre et de s’apercevoir du pouvoir d’attraction qu’il exerçait encore sur elle. Elle espérait être parvenue à donner le change. Elle essaya de se convaincre qu’il avait réussi à lui arracher un rendez-vous parce qu’elle souhaitait tourner la page. Il n’était pas question qu’elle reprenne quoique ce soit avec lui et puis… Arrête! Se morigéna t’elle intérieurement. Si ça se trouvait, Alexandre voulait la revoir juste pour avoir la conscience tranquille, même si elle en doutait fortement.

 

Pour ce qui est de Seba, le revoir lui avait rappelé le maelström de sensations qu’elle avait éprouvé pendant leur baiser. Pour être honnête, elle y avait repensé plusieurs fois durant ces cinq derniers mois, même si elle avait tout fait pour se le nier. Il l’avait prise par surprise et point à la ligne. Seulement, avant-hier, quand elle avait croisé son regard de braise, elle avait été plus que troublée. Elle avait par la suite été un peu dépitée de voir qu’il faisait à peine attention à elle contrairement à la soirée du mariage d’Ariane, même si elle se doutait que la façon dont elle l’avait rembarré y était certainement pour quelque chose. Il donnait en tout cas l’air d’être passé à autre chose et elle devrait en faire de même, se dit-elle. Le deuil de son histoire avec Alex étant achevé, c’était le moment de se lancer. Encore fallait-il que l’occasion se représente.

 

La jeune fille poussa un profond soupir et reporta son attention sur la circulation dense. Son téléphone vibra dans son sac à ce moment. C’était un message WhatsApp d’Alex.

« Hello Rachel! C’est comment? C'est toujours ok pour toi ce soir?

 

Elle hésita une seconde à lui répondre, puis tapa :

« Salut Alex. Oui c’est toujours ok »

« C’est parfait! Je passe te prendre où et à quelle heure? »

Dis donc ! Pensa Rachel en haussant un sourcil. Il sortait le grand jeu ! Elle s’était attendue à ce qu’ils se voient directement au lieu de rendez-vous.

 

Elle regarda l’heure affichée sur ton téléphone : 17h10, et demanda à sa mère :

-    Tu penses qu’on sera arrivées à quelle heure à la maison?

-    Hum… avec l’embouteillage-ci, pas avant 18h30 je pense. Pourquoi? Tu as prévu de sortir après?

-    Oui, j’ai un ami qui passera me chercher tout à l’heure.

-    C’est qui? Je le connais?

 

La jeune fille se retint de lever les yeux au ciel. Sa mère, cette éternelle fouineuse.

-    Non, je ne pense pas. C’est un ancien ami que j’ai connu en France et qui est revenu s’installer ici il y a un peu plus d’un an.

 

Rachel répugnait à dire à sa mère que cet ami n’était autre que son ex petit ami. Avec l’éducation qu’elle avait reçue, elle ne s’était jamais imaginée parler librement à sa mère de ses fréquentations avec le genre opposé. Celle-ci n’était donc pas au courant de sa douloureuse rupture avec Alexandre. Elle avait toujours eu l’impression de ne pouvoir présenter que son futur fiancé à ses parents, stade que sa relation avec son ex n’avait malheureusement pas atteint.

 

Elle reprit son téléphone pour répondre à Alex:

« Tu pourras passer me prendre à 19h30.  J’habite à Mendong Lycée. Fais-moi signe quand tu es dans le coin, je t’indiquerai comment faire pour arriver chez moi »

 

Ce qui lui laissait environ une heure pour prendre une bonne douche et se préparer, enfin… en espérant que l’eau soit revenue.

« C’est parfait! A tout à l’heure! »

-    Et tu as quelqu’un en France? lui demanda sa mère.

Rachel sursauta en entendant la question. C’était une grande première venant d’elle. Elle ne lui avait jamais posé cette question durant son adolescence, ni même lors de ces deux précédents séjours au Cameroun alors qu’elle vivait déjà seule en France.

-    Non, lui répondit elle simplement.

-    Tu sais que je commence à me faire du souci hein? Tu as déjà 27 ans et tu ne m’as jamais parlé de quelqu’un.

 

La mâchoire de Rachel faillit se décrocher à l’instar des dessins animés, tellement elle ne s’attendait pas à avoir ce type d’échanges avec sa mère.

-    Non, je n’ai personne en ce moment mais ne t’inquiète pas pour moi maman. Ça viendra.

-    MMhhh… On va mettre ça en prière.

 

La jeune femme reconnaissait bien là sa mère. Tout, absolument tout, passait par les prières. Non pas que Rachel soit contre la prière. Elle avait reçu une éducation chrétienne, et était chrétienne elle-même. Seulement elle trouvait que beaucoup de chrétiens se réfugiaient dans la prière et pas assez dans l’action. Ne voulant pas entamer un débat là-dessus, elle hocha la tête en guise de réponse.

 

   

   

La sonnette du portail retentit alors que Rachel essayait désespérément d’entortiller ses longues rastas pour en faire une sorte de chignon incliné.

-    Grrrr, pesta-t-elle.

-    On dirait que ton rendez-vous est arrivé, sourit Marielle en la voyant s’acharner sur sa coiffure.

-    Au lieu de rire, tu peux aller ouvrir non? Et s’il te plaît, fais le patienter au boucarou. J’en ai pour cinq minutes à peine.

-    D’accord acquiesça sa petite sœur en sortant de la chambre.

 

Au bout de trois tentatives, Rachel réussit enfin à fixer les épingles correctement sur son chignon. Avec la chaleur qu’il faisait au mois de Décembre au pays, il était hors de question de laisser ses tresses libres sans les attacher. Elle recula pour s’observer dans le miroir. Comme on disait au pays, elle donnait! Elle portait une jupe noire type danseuse avec de la tulle sur le dessus, et un top jaune sans manches avec un col en V qui mettait en valeur sa petite poitrine. Ses sandales à talon haut soulignaient le galbe de ses jambes qu’elle avait enduites d’huile de palmiste pour les faire briller. Elle tourna sur elle-même et, satisfaite de son reflet, saisit son petit sac à main et sortit rejoindre Alex.

 

-    Wow! Rachel, tu es magnifique s’exclama Alex quand il l’aperçut.

-    Merci répondit-elle avec un sourire, puis se tournant vers sa petite sœur qui affichait un petit air curieux.

-    Tu as fait la connaissance de Marielle? C’est ma dernière petite sœur dont je t’ai souvent parlé. Marielle voici Alex, un ami de la France qui vit désormais ici.

 

Alex hocha la tête à Marielle qui lui adressa un signe de la main avant de s’éclipser à l’intérieur de la maison. Ils sortirent et Rachel referma soigneusement le portillon derrière elle. Le jeune homme déverrouilla à distance les portières d’un 4x4 HYUNDAI. Il lui tint galamment la porte du passager avant de faire le tour pour s’installer au volant. La voiture était confortable et sentait bon le propre. La climatisation se mit instantanément en marche une fois qu’il démarra; ce qui était agréable avec la chaleur qu’il faisait. Ils restèrent un moment sans parler, puis Alexandre rompit le silence :

-    Alors, comment se passe ton séjour?

-    Très bien. Pour le moment, c’est un peu la course parce que j’essaie de caser un maximum de visites à la famille pour que mes parents me collent la paix.

-    Je vois ce que tu veux dire. J’y ai eu aussi droit quand je suis rentré. Mes parents tenaient absolument à ce que j’aille saluer tel ou tel oncle pour l’informer de mon retour au Cameroun. A croire que c’est une dette.

-    C’est clair! C’est pareil dans ma famille aussi. Ma mère me met parfois tellement la pression, je me demande si c’est toujours la peur du « qu’en dira-t-on? »

-    A l’époque quand je venais en vacances ici, j’avais souvent l’impression que je n’en profitais pas vraiment à cause de tout ça. Quand je l’expliquais à mes anciens collègues en France, ils ne pigeaient pas vraiment.

-    Tu m’étonnes! Ils n'ont vraiment pas toutes ces tracasseries. Et sinon, on va où? Demanda Rachel en changeant de sujet.

-    Tu n’aimes toujours pas les surprises hein? Éluda t’il en lui adressant son fameux sourire en coin qui la faisait tant craquer à l’époque.

 

Et si elle était honnête avec elle-même, elle reconnaîtrait que ce sourire continuait de la remuer en ce moment.

-    Non, il y a des choses qui ne changent jamais. Alors?

-    Tu verras bien…

-    Allez dis-moi, insista-t-elle. C’est un endroit que je connais?

-    Ça m’étonnerait. C’est un restaurant sympa que j’aime bien qui s’appelle le Yao Bâ. Ça ne fait pas très longtemps qu’il a ouvert.

-    Je ne connais pas effectivement. Il me semble que Gabrielle m’en a parlé à son retour de vacances l’année dernière.

-    Au fait, comment va-t-elle?

-    Très bien, répondit-elle simplement.

 

Elle se retint de lui préciser que son amie l’étriperait si elle savait qu’il avait demandé de ses nouvelles. Depuis qu’elle avait découvert sa tromperie, elle l’avait classé.

 

Ils continuèrent de deviser tranquillement jusqu’au quartier Bastos où se trouvait le restaurant, que Rachel apprécia tant il lui sembla très raffiné. De toute son adolescence à Yaoundé, elle n’avait jamais fréquenté un tel endroit. De la salle de restauration où ils se trouvaient, ils avaient une vue plongeante sur la scène où un groupe musical devait se produire aux environs de 22h. Il y avait un bar lounge à l’ambiance très feutrée où on pouvait siroter un apéritif.  Le service était un peu long un peu comme dans la plupart des restaurants africains, mais il était impeccable. Leurs grillades étaient divines!

-    Je suis vraiment content que tu aies accepté mon invitation, s’enquit Alexandre une fois que la serveuse eut débarrassé leurs plats. Je t’avoue que je craignais un peu que tu m’envoies balader.

 

La jeune fille croisa les bras, le regarda droit dans les yeux avant de répondre :

-    Et moi je dois t’avouer que je n’avais pas du tout prévu de te voir pendant mon séjour.

 

Alexandre fit une grimace. Il ne devait pas s’attendre à ce qu’elle soit aussi directe.

-    Je m’en doutais aussi, commença-t-il. Euh... Je me suis vraiment mal comporté et je tenais à te présenter mes excuses. Je n’ai jamais eu l’intention de te faire du mal. Je te demande pardon.

 

En disant cela, il affichait un air vraiment suppliant. Que répondre à cela? Qu’elle lui pardonnait alors qu’elle lui en avait voulu pendant des mois au point de ne pas réussir à tourner la page? Au point de ne plus pouvoir faire confiance à un homme?

 

La serveuse revint avec la carte des desserts ce qui la dédouana de répondre de suite à sa demande. Elle saisit la sienne et plongea le nez dedans pour se donner une contenance.

-    Tu as choisi? Entendit-elle Alexandre lui demander après quelques instants

Rachel leva la tête et répondit directement à la serveuse :

-    Je vais vous prendre une salade de fruits s’il vous plaît.

-    La même chose pour moi aussi.

 

Une fois la serveuse partie, le jeune homme revint à la charge:

-    Tu ne m’as pas répondu tout à l’heure.

-    Sincèrement, que voudrais-tu que je te réponde Alex? Que je te pardonne? Que je ne t’en veux plus? Ça changerait quoi à l’histoire? Tu as tracé ta route et fait ton choix.

-    Rachel, je sais que j’ai merdé mais j’ai vraiment besoin que tu me pardonnes.

 

Et ce faisant, il saisit sa main et entrelaça ses longs doigts fins aux siens. Un petit frisson la parcourut. Elle essaya tant bien que mal de se reprendre et retira sa main.

-    Je ne vois vraiment ce que ça changerait pour toi. Tu as l’air de bien mener ta vie ici et moi, je vis à 6000 km. Je ne vois pas très bien ce que ça peut te faire si je t’en veux encore.

-    Ça me ferait beaucoup de peine d’autant plus que je voudrais qu’on se remette ensemble.

 

Rachel ne put s’empêcher de sursauter à l’énoncé de sa requête. Si elle s’attendait à ça… Elle s’était dit qu’il voulait renouer le contact juste pour se racheter une conscience, mais nullement parce qu’il souhaitait reprendre leur histoire. En tout cas, il n’y allait pas par quatre chemins.

-    Je sais que je te prends de court. Mais même si j'ai tout gâché, je n’ai jamais voulu que notre histoire s’arrête ainsi.

-    Peut-être, mais tu n’as pas fait ce qu’il fallait pour ça, fit-elle avec aigreur.

-    Je sais et je m’en excuse. Mais je comprendrais aussi que tu ne sois pas prête à entendre ça pour le moment et je m’en contenterai.

-    C’est exactement ça.

 

Leurs desserts arrivèrent et ils le mangèrent dans un silence que Rachel trouva embarrassant. Elle ne chercha pas pour autant à renouer le dialogue.

-    Ça te dit de rester pour le concert? Les musiciens ne devraient plus tarder à arriver, lui demanda Alexandre quelques instants plus tard une fois leur table débarrassée

-    C’aurait été avec plaisir mais j'ai un baptême dans ma famille demain et je dois me lever tôt.

 

À vrai dire, elle aurait bien voulu assister, mais elle sentait flancher sa résolution de tirer un trait définitif sur son histoire avec Alexandre. Avec ce qu'il s'était passé, elle s'était attendue à ce qu'il y ait des silences embarrassants entre eux, ce qui n'était pas le cas en dehors de ce moment juste avant leur dessert. Ils avaient discuté librement comme s'ils s'étaient quittés la veille. Il avait toujours cette voix de basse qui la faisait frissonner. Ça devait faire trop longtemps qu'elle était seule se dit elle pour expliquer son hypersensibilité face à lui.

 

Le jeune homme hocha lentement la tête en réponse à son refus. Il appela la serveuse pour avoir la note et après avoir réglé, il la reconduisit chez elle. Le trajet du retour se déroula tranquillement; seule la radio en sourdine comblait le silence dans l'habitacle de la voiture. 

-    Tu as vu comment Yaoundé a changé? Dit finalement Alexandre à la traversée du carrefour Warda réaménagé et du bois de Sainte Anastasie, jardin botanique inauguré quelques années plus tôt.

-    C'est vrai qu'en 5 ans d'absence, il y a eu beaucoup d'évolution. Même si j'ai parfois l’impression que ça ne fait pas tant de temps que ça que je ne vis plus ici tellement certaines choses semblent immuables.

-    Oui, je vois ce que tu veux dire. Mais il y a une certaine dynamique dans beaucoup de secteurs. Bien évidemment, ça ne se ressent pas dans notre chère fonction publique, mais dans le privé énormément. Je vois des Camerounais bosseurs et inventifs au taf tous les jours et c'est rassurant, ce qu'on ne pouvait pas réellement apprécier du temps de nos parents qui étaient pour la plupart fonctionnaires.

Entre deux coeurs