Chapitre 4 : La gueule de bois
Ecrit par pretoryad
Nélia
Je
me redressai vivement, le souffle court et le visage perlé de sueur. Encore ce
cauchemar dans lequel Kalé mourait à cause d’un simple baiser de ma part !
Comment pouvait-on faire subir une telle chose à l’homme de sa vie ? Je
passai une main fébrile dans mes longues tresses emmêlées. Soudain, une douleur
aiguë me transperça le crâne. Celle-ci augmentait à mesure que je reprenais
conscience.
J’étais à l’agonie. Le petit rayon matinal du
soleil qui se glissait entre les rideaux de ma chambre ne ménageait pas ma
peine. Je reposai doucement ma tête sur le coussin et refermai les yeux pour en
chasser la douleur. J’en profitai pour essayer de me souvenir de ce que j’avais
fait la veille. Rien. Mon cerveau affichait une obscurité totale.
Aurais-je encore bu cette nuit ?
Je poussai un soupir las. Pendant que je m’étirais, ma main se heurta à quelque
chose de dur sur le côté gauche de mon lit. Je me tournai alors dans cette
direction, les yeux écarquillés. Quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir un
corps allongé près de moi ! Je retins ma respiration, sentant la panique
m’étreindre.
Je devais encore rêver. Lorsque je pus
enfin identifier l’individu, je crus défaillir en reconnaissant Dali. Cette
fois, j’étais convaincue d’être bel et bien dans un cauchemar !
Dali ? Avec un sourire épanoui sur le visage, il me fixait avec des yeux
comblés de bonheur. Je fermai les paupières pour tenter de faire disparaître
cette hallucination.
– Merci pour cette nuit inoubliable, ma
chérie ! murmura-t-il en se hissant sur un coude.
J’ouvris à nouveau les yeux pour me
rendre compte qu’il était encore présent. Alors, tout cela était bien
réel ? Je tentai un effort de mémoire, mais il y avait cette migraine qui
m’empêchait de réfléchir. Et la seule pensée obsédante dans mon esprit
embrumé : pourquoi n’était-ce pas Kalé à mes côtés ?
Une remontée acide me brûla le ventre
puis la gorge. Étouffant un gémissement, je me précipitai hors de la pièce pour
rejoindre la salle de bains au bout du couloir. Verrouillant la porte derrière
moi, je m’agenouillai promptement devant la cuvette des toilettes et vidai
entièrement mon estomac. Dali ? Comment avait-il atterri dans mon
lit ?
Et où étaient mes parents ? Je me rappelai vaguement qu’ils étaient partis pour le
week-end en compagnie de mes frères. Ils ne seraient de retour que dans la
soirée. Cela me laissait donc le temps de m’occuper du cas de Dali. Mais de
quelle manière ? Mon mal de tête s’intensifia, m’obligeant à abandonner
toute réflexion.
Je sentis
comme une boule se former dans ma gorge et ma vue fut brouillée par les larmes.
Non,
je ne pouvais pas pleurer, pas maintenant ! Tandis que je luttais
vaillamment pour endiguer le flot de mes émotions, j’entendis l’eau couler dans
la baignoire. Je ne me souvenais pas avoir ouvert le robinet.
La brume grisâtre qui en ressortait
m’indiqua sa température. Chaude et apaisante. J’en fus soudainement enveloppée
et tel un enchantement, je me retrouvai dans un bain thermal naturel. Je
m’abandonnai corps et âme à la magie de l’eau qui agissait tel un baume sur mon
cœur affolé et mon esprit troublé.
La migraine disparut aussitôt et je
sentis déferler en moi une énergie ardente qui se répandit dans tout mon corps.
Je fus submergée par une vague de chaleur intense qui m’engourdit. Je fermai
les yeux et laissai ma tête glisser dans la profondeur de l’eau. Mon corps devint soudain souple et léger. J’eus
l’impression de flotter, aussi légère qu’une plume.
J’avais
toujours adoré l’eau depuis ma plus tendre enfance. En grandissant, j’avais
fini par comprendre qu’elle avait une certaine emprise sur mon âme dont je ne
saisissais pas encore l’importance. Je me laissais aller à ce bien-être lorsque
j’entendis frapper à la porte.
– Nélia, ça va ?
La
voix inquiète de Dali me fit désagréablement sortir de ma torpeur. J’ouvris les
yeux et fis ressortir ma tête de l’eau.
–
Oui, ça va. Je prends un bain, j’ai bientôt fini.
Je
m’efforçai de ne pas laisser mon dédain transparaître dans ma voix. Enragée, je
me redressai lentement et sortis de la baignoire. Je devais m’occuper du cas de
Dali au plus vite. J’enfilai mon peignoir et sortis de la salle de bains. Je ne
fus pas surprise de trouver cette sangsue devant la porte, un sourire niais sur
les lèvres.
Il
n’avait pas trouvé décent de couvrir son début d’embonpoint et ses jambes
chétives. Au lieu de cela, il se pavanait devant moi simplement vêtu d’un
caleçon rouge aussi grotesque que la situation dans laquelle je me trouvais. Ô
Dieu, il fallait que Dali disparaisse de ma vue !
– Je pensais pouvoir te rejoindre dans
ton bain, dit-il, le plus naturellement possible.
J’écarquillai
les yeux, ahurie. Quoi ? Qu’est-ce qu’il venait de dire ? Décidément, mon
cerveau avait du mal ce matin. Maudite boisson ! Je me fis la promesse
solennelle de ne jamais plus boire de ma vie. Dali devait disparaître.
J’inspirai à fond pour calmer mes nerfs.
–
Dali, tu es bien gentil mais là je pense qu’il est temps de reprendre ton
sérieux !
– Comment ça ? Je ne comprends
pas.
– Écoute, je ne me souviens pas avoir
passé la nuit avec toi, alors tu ferais mieux de ne pas prétendre le contraire,
compris ?
–
Moi, en tout cas, j’ai un très bon souvenir de cette magnifique nuit d’amour que
nous avons passée ensemble. Tu étais si belle et si…
– Bon, ça suffit ! Maintenant, tu
ferais mieux de sortir de chez moi avant que mes parents ne viennent te trouver
ici.
–
Ça tombe bien, car je souhaite les voir pour leur faire part de mes sentiments
à ton égard.
Quoi
? J’hallucinai. Pire, je devenais folle. Mon Dieu, il fallait vraiment que Dali
disparaisse, et tout de suite !
– Je veux me comporter en gentleman et
assumer la nuit que nous avons passée ensemble, tu comprends ? Je suis
prêt à demander ta main, Nélia.
Ma
migraine revint au galop, lancinante, me vrillant le crâne. Je sentis les
veines gonflées de mes tempes, prêtes à exploser. Je baissai mes paupières et
tentai de les masser doucement en espérant calmer la douleur.
Dali devait
mourir ! Je n’avais jamais autant désiré la mort de quelqu’un auparavant.
Lorsque j’ouvris les yeux, je ne me retins pas pour lui vomir la haine que je
pouvais ressentir à son égard.
–
Ça n’arrivera jamais, Dali ! Mets-toi bien ça dans ton foutu crâne !
Jamais je ne me marierai avec toi ! Même pas en rêve, tu entends ?
Il
ne parut nullement offusqué, comme s’il était préparé à ma réplique. Quelle
plaie !
–
Oui, bien sûr, parce que tu crois que c’est Kalé que tu vas épouser ? un rire
sardonique sortit de sa gorge. Eh bien, si je savais, je me serais épargné ces
tracasseries, hier soir ! J’aurais tout simplement dû accepter la
proposition de Kalé à ton sujet. Au moins, on n’en serait pas là tous les deux.
– Quoi ? Attends un peu là, de
quoi tu parles ? Quelle proposition ?
–
Ça, tu devrais plutôt le demander à Kalé lui-même ! Parce que moi, je n’ai
plus rien à faire ici !
Il fit mine
de partir, comme s’il cherchait à me narguer. Ô Dali, si tu
savais à quel point je me retenais de défigurer ce visage de vipère dont tu
étais si fier !
–
Dali, si tu ne me dis pas ce qu’il en est, je jure de raconter à mon père que
tu m’as violée cette nuit !
Le
regard menaçant que je lui lançai eut l’effet escompté.
–
C’est du chantage ça, lâcha-t-il.
– Prends-le comme tu veux. Le résultat
dépendra de ton choix. Alors ?
–
Bien, tu veux la vérité ? La voici : hier soir, je t’ai droguée sous les
menaces de Kalé.
– Quoi ? Ne mens pas, Dali !
J’étais
à deux doigts de l’étrangler de mes propres mains. Proférer des calomnies sur
l’homme de ma vie ? Vraiment, Dali ?
–
Tu n’auras qu’à vérifier ça avec lui. En attendant, laisse-moi te donner ma
version des faits.
J’acquiesçai,
résignée. Je devais admettre qu’il n’avait pas tort. Je me devais d’écouter sa
version de l’histoire, après tout.
–
Il est venu me voir, il y a quelques jours, pour me faire une
proposition : celle de m’aider à obtenir ton amour. Évidemment, je n’ai
pas hésité. J’ai donc fait tout ce qu’il m’a ordonné de faire. Je me suis
arrangé pour être au bar ce soir-là, puis il m’a remis une mixture que j’étais
supposé verser dans ta boisson. Seulement, j’ai eu un doute sur sa potion,
alors j’ai juste mis un somnifère dans la boisson que je t’ai servie. Curieux
de connaître ses intentions, j’ai fait comme on s’était entendus. Je t’ai
emmenée chez lui, dans sa chambre, puis j’ai attendu son arrivée. Lorsque je
lui ai demandé de l’assister, il m’a ordonné de partir et de revenir dans
l’heure. Cependant, je n’ai pas obéi. Je l’ai espionné en ta compagnie. Et je
l’ai vu faire un rituel sur toi, puis il a essayé de te violer, mais à ce
moment-là, je suis intervenu. Il s’est énervé puis il a voulu me faire profiter
de la situation, mais j’ai refusé. Alors, il est parti furieux. J’en ai profité
pour te ramener chez toi. J’ai pris tes clés dans ta poche, et une fois dans ta
chambre, j’ai fini par m’endormir sur ton lit, épuisé. Voilà, tu sais tout.
Au
fur et à mesure que j’écoutais son récit, je sentais mon esprit s’évader de mon
corps. Mon cœur était de plomb. Je ne pouvais pas croire que celui pour qui
j’étais prête à donner ma vie, n’était en fait qu’un salaud de première !
Même si je ne croyais la version de Dali qu’à moitié, je savais pertinemment
que Kalé n’était pas un homme d’honneur.
Il
était assoiffé de pouvoir. Tout le monde dans la ville savait qu’il aspirait à
être meilleur que son père. Ô Kalé, pourquoi ? J’aurais pu décrocher la
lune pour toi si tu me l’avais demandé. Mais maintenant, avec ce que je venais
d’apprendre, une chose était sûre dans mon esprit : il avait choisi la
mauvaise fille pour ses rituels !
Je
ramenai mon attention sur Dali qui m’observait attentivement. Malgré son calme,
je pouvais sentir sa nervosité. Il devait se demander si j’avais cru à son
histoire. Oh que oui, Dali ! Ton histoire t’a même sauvé la vie. J’étais
soulagée que rien ne se soit passé entre nous, cette nuit. Autrement, je ne me
voyais pas vivre avec ce sacrilège en le sachant en vie.
–
Je te remercie de m’avoir éclairée sur tout ça. Je te crois, Dali. Et je te
remercie de ne pas avoir profité de la situation. Nous sommes quittes, maintenant.
–
Et qu’est-ce que tu comptes faire pour Kalé ?
–
Pour l’instant rien, mais je peux t’assurer qu’il ne s’en sortira pas aussi
facilement. Maintenant, je voudrais bien aller m’allonger, j’ai encore à me
débarrasser des effets secondaires de ta mixture, j’insistai sur le dernier
mot, comme pour le marquer au fer rouge. Je t’accompagne à la porte.
Aussitôt
dit, aussitôt fait ! Dali s’en alla sans broncher. Quant à moi, il me
fallait réfléchir à la suite des événements, mais seulement après un bon sommeil
réparateur.