Chapitre 5 : Souviens-toi cette nuit

Ecrit par pretoryad

Masala

Le soleil était haut dans le ciel, déversant timidement ses rayons sur mes tresses rassemblées en un chignon royal sur le sommet de ma tête. Vêtue dune simple robe droite imprimée, et les bras chargés de provisions, je me tenais debout, depuis un quart dheure, devant la porte de la maison de la famille Mbassal. Mes coups réguliers à la porte navaient apporté aucune réponse, ni même mes appels à répétition.

         La maison était verrouillée. Frustrée, je ne mavouai pas vaincue pour autant. Je savais que Nélia était à lintérieur. Il était quinze heures, sa famille nétait pas encore rentrée de son séjour à la campagne. Je fis le tour de la propriété pour détecter des signes de présence humaine, en vain. Cest alors que lidée d’y pénétrer par effraction me vint.

         Dans le jardin, jinspectai les fenêtres et fus soulagée den voir une céder à ma poigne. Après un léger coup d’œil à la maison voisine, je déposai tout dabord mes sacs de provisions à lintérieur, puis je me hissai par la fenêtre et atterris, sans aucune égratignure, dans la salle à manger.

         Je traversai ensuite la pièce et me retrouvai dans le couloir. Jempruntai les escaliers jusquau premier étage, et là, jeus le choix entre cinq portes : une à ma droite pour la salle de bains ; trois en face de moi pour les chambres des garçons ; et une dernière à ma gauche pour la chambre de Nélia. Je me dirigeai vers celle-ci que jouvris doucement.

         Lobscurité avait masqué le décor cosy de la chambre, aux murs peints de couleurs océaniques qui invitaient au voyage dans les profondeurs de la mer. Nélia avait toujours été passionnée par le monde aquatique. Si je ne la connaissais pas, jaurais juré quelle finirait sa vie au fin fond de locéan !

Je recherchai linterrupteur que je finis par trouver puis lactionnai pour remplacer les ténèbres par la lumière, mais rien ne se passa. Lampoule devait être grillée. Prenant mon courage à deux mains, je pénétrai dans lobscurité de la pièce et me dirigeai tout droit vers la fenêtre.

Jouvris promptement les doubles rideaux, et enfin, la lumière du jour erra dans la chambre, chassant subitement les ténèbres. Je soupirai de soulagement. Javais une peur pathétique du noir.

         – Debout, Belle au bois dormant ! Il est déjà quinze heures, lançai-je, tout en inspectant la pièce.

         Proche de la fenêtre se trouvait un grand lit sur lequel était allongée Nélia, camouflée sous la couverture. Elle semblait ne pas avoir entendu ma forte voix ni même avoir remarqué lapparition soudaine de la lumière dans la chambre. Je pris place sur le lit et la tapotai doucement sur les cuisses. Elle laissa échapper un grognement. 

         – Nelia ? Réveille-toi !

         Elle tourna lentement son visage vers la fenêtre, à moitié endormie. Elle prit conscience de la clarté de la pièce. Battant des cils pour apaiser ses yeux brûlants, elle reprit lentement pied dans la réalité. Elle se risqua à ouvrir un œil puis un deuxième avant de poser un regard somnambule sur moi.

         – Mmm…

         – Tu as assez dormi, debout !

         – Mmm… Mass ? sa voix était rauque, à peine audible.

         – En personne. Ça va, toi ?

         – Mmm… jai soif…

         Elle tenta d’avaler sa salive, mais sa bouche était sèche. Elle essaya vainement de se redresser. Je me rapprochai delle et passai mes bras sous ses aisselles pour l’aider à se hisser. Puis, japerçus une bouteille deau de mer et un verre vide sur la table de chevet. Je men emparai et lui servis un verre quelle but dun trait, et en redemanda.

         Au deuxième verre, son esprit parut sortir des brumes. Elle reprit peu à peu de sa vivacité. Je mis cela sur le compte de son eau miraculeuse. Depuis que je la connaissais, je ne lavais jamais vue boire autre chose que de leau de mer. Je me demandais comment elle faisait pour avaler cette boisson salée !

         – Tu te sens mieux ?

         – Beaucoup mieux, merci. Qu’est-ce que tu fais ici à cette heure ? Tas encore fait faux bond à ta grand-mère ?

         Le dimanche matin, cétait léglise pour ma famille. Ma grand-mère était une fervente chrétienne. Après le service, les fidèles partageaient un repas offert par une famille désignée au préalable. Dans laprès-midi, ma grand-mère faisait ensuite du porte-à-porte en compagnie de quelques volontaires afin de retrouver les brebis égarées.

         Depuis mes treize ans, cette dernière ne mobligeait plus à laccompagner dans ses tournées bibliques. Je pouvais enfin disposer de mon après-midi dominical. Il marrivait toutefois de laccompagner de temps en temps pour réjouir son cœur. Mais ce nétait clairement pas ma passion.

         – Cette fois, cest elle qui menvoie tapporter ton panier-repas que jai laissé dans la salle à manger. 

         – Comment es-tu entrée ?

         – Par la fenêtre de la salle à manger. Tu ne répondais pas à mes appels, alors jai trouvé une autre solution.

         Elle sourit dun air complice, et jen profitai pour lui parler de la veille. Je ne savais pas comment elle allait réagir.

         – Nélia, il faut quon parle de cette nuit, dis-je dun air condescendant.

         Son regard se fit vague. Néanmoins, elle me laissa poursuivre.

         – Je tai vue boire de lalcool, hier, laccusai-je.

         – Ah bon ? Quest-ce qui te fait croire que cétait de lalcool ? Tu nétais pas près de moi, à ce que je sache ? répliqua-t-elle sur la défensive.

         – Cest vrai, mais il ma simplement suffi de te voir échouer dans les bras de Dali pour deviner le contenu de ton verre ! mon ton était teinté de mépris.

         – Eh bien, tu as tort ! Jai demandé à Dali de passer la soirée avec moi.

         Jouvris les yeux dun air incrédule. Impossible ! Javais dû rater un épisode.

         – Et Kalé, alors ?

         – Cest de lhistoire ancienne.

         – Soit ! Dans ce cas, explique-moi pourquoi Dali ta emmenée chez Kalé ?

         Elle me jeta un regard inquisiteur.

         – Tu ne ten souviens peut-être pas ? Après tout, tu étais beaucoup trop intoxiquée !

         – Je ne suis pas dhumeur à écouter tes sermons, Mass !

         – Tu sais déjà que je napprouve pas lalcool, alors je ne vais pas revenir là-dessus. Par contre, je vais te dire ce que jai vu hier, que tu veuilles lentendre ou pas !

         Elle soupira, la mine boudeuse.

         – Après avoir quitté le bar, je tai vue sur la piste de danse avec Dali. Je me suis rendue aux toilettes et à mon retour, vous aviez disparu. Avec les bonnes questions et aux bonnes personnes, jai pu vous rattraper sans peine à mi-chemin. Mais déjà, Dali te faisait entrer chez Kalé. Lorsque jai voulu vous rejoindre, Kalé a fait son apparition. Jai trouvé plus sage dattendre quil rentre, et je lai imité par la suite. Mais devant la porte, je me suis retrouvée nez à nez avec Dali qui sortait sans toi. Lorsquil ma aperçue, il a agrippé mon bras pour méloigner de la maison, malgré mes protestations. Il semblait inquiet pour toi, alors il ma ordonné daller chercher du renfort. Ce que jai fait sans tarder. Mais lorsque je suis revenue avec mes frères, après une bonne vingtaine de minutes, je crois, Dali avait disparu. Heureusement, la porte dentrée nétait pas verrouillée. On a pu accéder à lintérieur, et cest là quon a trouvé Dali qui essayait difficilement de te faire sortir de la maison. Avec laide dIdriss et Saïd, on a pu te ramener chez toi. Jai ensuite insisté auprès de Dali pour rester avec toi cette nuit, pendant quil dormait au salon. Jai dû partir très tôt ce matin sous les ordres de mon grand-père. Et me voici donc de retour.

         Elle mécoutait vaguement, comme si son esprit sétait évadé de son corps. Son visage paraissait mélancolique.

         – Nélia, tu veux en parler ? lincitai-je dune voix pleine de compassion. 

         – Non ! Je ne veux plus jamais parler de ce type !

         Elle avait hurlé ces mots avec une telle rage que je sursautai. Puis elle éclata en sanglots. Je lenlaçai tendrement tout en essayant de contrôler mes émotions. Jétais une fille assez sensible.

         – Peu importe ce qui sest passé cette nuit, je te jure quil va regretter de sen être pris à toi ! 

         Je connaissais la raison de son désarroi. Dali mavait raconté ce qui sétait passé cette nuit. Si je lavais cru à moitié, je navais nullement été surprise par limplication de Kalé. Cétait un sorcier qui se préparait à passer une épreuve de passation dans quelques mois. Que pouvait-on espérer de lui ? Si ce nétait de se servir des gens pour accéder au pouvoir !

         Et en quoi Nélia pouvait-elle bien lintéresser ? Elle était spéciale. Et ça, je le savais depuis un moment déjà. Quant à Nélia, elle baignait encore dans lignorance de ses origines. Son père nayant trouvé aucune urgence à la mettre dans la confidence.

Pendant que je berçais une Nélia inconsolable, jenserrai doucement son poignet de ma main droite, préalablement enduite dun onguent à la Belladone, pour prendre son empreinte. Dans le langage occulte, la prise dempreinte permettait de connaître la puissance occulte dune personne dans le but de travailler sur son esprit.

Ô Nélia, toi la sœur que Dieu avait fait entrer dans ma vie, jespérais simplement que tu pourrais comprendre ma démarche. Kalé devait payer pour ce quil avait osé te faire !              

Femmes de pouvoir :...