Chapitre 4 : Une journée mémorable

Ecrit par Auby88

"L'amour fraternel c'est l'amitié du sang. Née au berceau, cette affection croît et se développe sous le toit paternel, au milieu des jeux et des ris folâtres, mûrit au sein des mêmes études et des mêmes travaux, et vit encore au milieu du monde bien que les frères et les sœurs se trouvent séparés dans des conditions différentes.

Louis-Auguste Martin ; Esprit moral du XIXe siècle (1855)"


Après une partie de ping-pong sur la plage, Richmond et son adversaire s'allongent sur les fauteuils pliables.

- Tu m'as complètement anéanti. Je ne te savais pas autant redoutable, Satine !

- Zut ! fait-elle en plaisantant. J'ai oublié de te dire que je m'entraîne tous les week-ends.

- Tricheuse ! J'aurai ma revanche !

Satine éclate de rire. De tout et de rien, ils parlent longuement : de leurs bêtises d'adolescence, de leurs passions respectives ... et de la véritable raison pour laquelle Richmond fuit la demeure familiale.


Au départ, ils étaient trois frères. A présent, il n'en reste que deux, la mort ayant fauché le frère cadet à la fleur de l'âge. Il avait succombé à un accident de circulation à dix-huit ans, après un verre d'alcool en trop.


- Tu sais, Satine, aujourd'hui encore, je me sens coupable de n'avoir pas été là durant les dernières heures de Jonas, d'avoir négligé son alcoolisme ainsi que ses fréquentations que papa qualifiait de douteuses. Je me suis disputé avec lui, peu avant son départ de la maison, je l'ai traité d'immature et de lâche. Pire encore, je n'ai rien fait pour le retrouver et le ramener à la maison. Au final, je n'ai même pas eu le temps de lui dire combien je l'aimais. Je …

Les mots se bloquent dans son gosier. Il ne réussit pas à avouer sa soeur qu'il était absent, injoignable le jour de l'accident, parce que trop occupé à prendre son pied avec ses conquêtes d'antan.

 - Je te comprends, Richmond. Je n'étais encore qu'une gamine mais sa mort m'a bouleversée. C'est un supplice pour moi que de passer devant sa porte chaque matin et de réaliser qu'il ne reviendra plus jamais.

- J'ai la même appréhension, Satine. Jamais, je n'ai réussi à pénétrer le mausolée derrière notre maison. Je suis conscient que Jonas n'est plus là, mais je n'accepte pas sa mort. Il reste vivant dans mes pensées, aussi vivant que papa.

Il soupire longuement en se rappelant de son père, mort d'une crise cardiaque suite au décès de son fils préféré, celui qui lui ressemblait beaucoup et qu'il destinait à être médecin comme lui.

- Cesse de culpabiliser, Ricky ! poursuit Satine, les yeux remplis de larmes. Tu n'y es pour rien. Il est temps que tu fasses ton deuil pour aller de l'avant.

- Six années se sont écoulées mais je n'y suis pas parvenu, Satine. J'ai le coeur qui serre à chaque fois que je me les remémore. J'ai tellement mal !

- C'est pareil pour moi, grand frère. Cependant, Jonas et papa n'auraient pas voulu qu'on se morfonde ainsi en pensant à eux.

Du revers de la main, elle essuie les larmes qui coulent sur son bustier.

- Il est préférable que nous changions de sujet, Satine. Il y a trop d'ondes négatives par ici.

Elle fait un oui de la tête et reprend :

- Je suis ravie de passer du temps avec toi, sans ta sangsue.

- Voyons, Satine ! rétorque Richmond.

- Je ne peux m'en empêcher ! Je ne la supporte pas !

- Il te le faudra pourtant. Je te rappelle qu'elle deviendra mon épouse.

- Mais tu ne l'aimes pas, Ricky ! Et elle encore moins ! s'indigne-t-elle.

- Que sais-tu de l'amour ?

- Je suis jeune certes, mais il est évident que votre relation manque de punch !

- De punch ! s'étonne-t-il.

Il se redresse.

- Satine, je ne suis pas l'adolescent fou amoureux que tu rencontres dans tes romans à l'eau de rose ! Tu comprendras bientôt que la vie est trop compliquée pour qu'on se laisse aller au romantisme tout le temps. Je ne me plains pas de ma relation avec Sandra et c'est l'essentiel. De toute façon, tu n'as jamais apprécié mes conquêtes. Je me trompe ?

- Bah ! dit-elle en se redressant à son tour. Je veux demeurer ta préférée, la seule dans ton cœur, celle qui importe le plus à tes yeux.

Richmond est confus. Il ne sait quoi répondre.

Elle poursuit :

- Cette Sandra est hautaine et prétentieuse. C'est le pire choix que tu aies fait. Et dire que je devrai supporter sa tronche pendant longtemps !

Il la regarde, ébahi. Puis, en la fixant droit dans les yeux, il ajoute :

- Relaxe, Satine ! Cela me touche que tu te préoccupes autant pour moi mais tu n'as rien à craindre. Dans mon coeur, tu gardes une place de choix : tu es ma petite soeur adorée ! Mais Sandra aussi compte beaucoup à mes yeux. Elle remplit mes critères d'une femme parfaite, même si toi tu te limites à ce que tu appelles défauts. Elle est magnifique …

- Une beauté artificielle, susurre-t-elle, en fixant un point imaginaire.

- En effet, elle a eu recours à la chirurgie plastique et j'adore le résultat. Ce n'est pas un crime à ce que je sache !

- Bah, si tu le penses.

Elle se lève et fixe la mer, en lui faisant dos. Il sourit et vient se mettre à côté d'elle.

- Crois-moi, elle est intelligente, forte, d'une bonne famille, elle m'aime et il y a d'autres petits détails que tu n'as pas besoin de savoir.

Elle le regarde et ricane.

- Tu me promets de faire des efforts avec Sandra ?

- Si c'est faire amie-amie avec elle, jamais, mais je ne l'enquiquinerai plus. C'est promis.

- Je suis rassuré.

Il lui met une main au-dessus de l'épaule.

Ils restent là un moment encore puis se baignent dans la mer, déjeunent, s'adonnent à des jeux de société…



- J'ai passé une journée mémorable, grand frère ! s'extasie Satine lorsque Richmond et elle entrent dans le garage.

Il lui sourit. Elle désactive l'alarme de sa voiture.

- Une BMW ! s'étonne-t-il.

- Elle te plaît ? C'est la vieille qui me l'a offerte pour mes dix-huit ans.

- Le modèle est sublime mais trop tape-à-l'oeil. Cela ne me rassure pas que tu conduises une voiture pareille. Il y a beaucoup de rôdeurs, tu sais !

- Je suis prudente.

Elle répond avec assurance dans la voix. Il n'est pas convaincu.

- Il est temps que tu y ailles maintenant, diablesse ! La nuit tombe. Ne fais surtout pas de détour. J'ai noté l'heure de ton départ. Un instant, j'appelle maman.

-T'es sérieux ?

Il lui fait un chut de la main, avant de reprendre :

- Allô maman, Satine est sur le point de quitter ma demeure.

Il raccroche. Elle éclate de rire.

- J'adore quand tu me chouchoutes ainsi ! Tu es le meilleur des grands frères !

- Allez, va-t'en. Je ne suis pas un fanatique des scènes émotives !

Elle lui dépose un bisou sur la joue avant de monter à bord de son véhicule. Il la regarde s'éloigner.

- Gontrand, vous pouvez refermer le portail.


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