Chapitre 40

Ecrit par Auby88

Femi AKONDE

Je donne la main à l'homme d'affaires qui vient de sortir de mon bureau, puis je range les prospectus et autres documents posés sur ma table. Par inadvertance, ma main cogne le cadre en cristal qui contient la photo d'Arabella. Il chancelle. Je le rattrape de justesse et le remets en place.

Je promène mes doigts sur le visage angélique de ma fille, qui me rappelle beaucoup sa mère.

Aurore ! murmure-je.

Je nous revois avant-hier dans sa piscine. Je l'avais tout contre moi, sa peau touchant la mienne.

Aurore ! murmure-je à nouveau.

Si seulement …

Je voudrais lui dire que je l'aime encore, que Paula n'est qu'une amie. Mais je n'y arrive pas. Je bloque. Les mots se meurent dans ma gorge. Comme dit dans une vieille chanson béninoise : " (...) Même si mon cœur insiste, j'ai ma langue qui résiste (…)"


Je sens une main se poser sur mon épaule. Je sursaute.

- Paula ! m'exclame-je en voyant la personne derrière moi. Tu m'as fait peur !

- Excuse-moi ! dit-elle en souriant. Ta porte était entrouverte et je suis entrée.

- J'ai oublié de la refermer.

- Certainement parce que tu étais encore perdu dans tes pensées !


Je n'ai pas envie d'en parler avec elle. Alors, je détourne la discussion.

- Qu'est-ce que tu as en main ?

- Une copie du compte-rendu de la dernière réunion.

Je prends le document de ses mains, le parcours et le dépose dans l'étagère prévu à cet effet.

- Tout y est. Merci Paula.

- Je t'en prie.

Plutôt que de s'en aller, elle reste là à m'observer.

- Femi, tout va bien ?

- Oui.

- Tu n'en as pourtant pas l'air !

- Je n'ai pas bien dormi cette nuit. C'est tout.

- Parce que tu pensais à elle, n'est-ce pas ?

Je ne dis mot.

- Jusqu'à quand vas-tu continuer à taire tes sentiments et lui faire croire que tu aimes une autre, moi en l'occurrence ?

- Paula, ce n'est pas si simple et tu le sais !

- Dis plutôt que la situation t'arrange. Car en lui mentant ainsi, tu la tiens éloignée de toi jusqu'à ce que tu changes d'avis. N'est-ce pas ?

Je demeure dans mon mutisme. Elle a raison.

- J'espère que tu es conscient qu'en te taisant, tu la fais souffrir et toi aussi !


Hélas, j'en suis bien conscient. Mais, je ne compte pas l'admettre devant Paula.

- Je ne suis pas d'humeur à écouter tes sermons. Et puis en quoi cela te gêne qu'elle te prenne pour ma petite amie ? Elle n'a ni ton adresse, ni ton numéro de téléphone. Et je ne vois pas pourquoi elle chercherait à te contacter !

- Tu sembles tellement sûr de toi ! Et si elle parvenait quand même à me joindre ? Tu sais que moi je ne suis pas aussi menteuse que toi ! Je ne pourrai pas me taire davantage.

- Paula ! rétorque-je. Cesse de me traiter de menteur. Je n'en suis pas un ! D'accord, j'ai inventé une histoire fausse, mais c'était pour une bonne raison. Et puis, ce n'est pas à toi de lui dire la vérité. Je te le défends !

- Je ne sais pas si …

- Ça suffit, Paula ! Tu veux que je lui dise la vérité, alors oui je le ferai. Mais ce sera à ma façon et seulement quand je me sentirai enfin prêt !

- Et c'est pour quand ? demande-t-elle.

- Je le ferai, c'est tout ce que je peux te dire !

- Je me demande pourquoi je suis aussi patiente avec toi ! Tu es une vraie tête de mule, Femi !

- Pas de gros mots, Paula ! Reste courtoise !

- J'espère que quand enfin tu te décideras, il ne sera pas trop tard !

Sur ce, elle quitte mon bureau en claquant la porte. Je ne la retiens pas. J'en ai assez de ses remontrances. C'est ma vie après tout. J'en fais ce que je veux !



**********


Des jours plus tard


Aurore AMOUSSOU

Ce soir, j'ai le blues. En moi, je ressens un grand vide. Tout doucement, je me dégage d'Arabella, couchée près de moi cette nuit.

J'éteins la veilleuse et allume la lampe blanche. Le visage triste, je tire vers moi mon "fardeau mobile" et m'y assois.

En direction de mon dressing, je vais.

J'en sors une boîte, de la taille d'une boîte à chaussures. C'est là que j'ai rangé toutes mes photos de mannequin. Je les avais mises là comme pour les cacher, pour ne plus les revoir.

J'ouvre la boîte, les mains tremblantes.

Je me revois, debout sur mes deux pieds. Et je fonds en larmes, mouillant au passage quelques photos. N'en pouvant plus, j'éclate en sanglots, laisse les photos et la boîte tomber à terre et je reviens vers mon lit.


Mon téléphone sonne. Je n'y fais pas attention. Mon téléphone sonne à nouveau. Je consulte l'écran fissuré sur les bords. C'est Femi. Je ne veux pas lui parler. D'ailleurs, depuis notre dernière rencontre autour de la piscine, je l'évite.


Qu'est-ce que tu veux à la fin, Aurore ? Rester près de lui ou pas ?

Bien sûr que c'est ce que je voudrais. Mais j'en ai marre de me nourrir d'espoir, j'en ai marre de n'être que la mère d'Arabella à ses yeux. Je ne supporte plus d'être si près de lui et en même temps si loin de son coeur.

D'aucuns diraient que je suis passive, que je devrais lutter encore et encore pour son amour. Mais je ne sais plus me battre, je n'ai plus autant de force mentale qu'avant mon accident. Je ne suis plus l'Aurore d'avant. C'est sûr.

Et puis, j'ai déjà essayé auparavant de me remettre avec lui. Il m'a bien fait comprendre qu'il tenait beaucoup à sa Paula. Que puis-je​ faire d'autre, sinon me résigner ?

Je soupire longuement en repensant aux paroles de CASCADA. Ses mots restent miens. Femi ! murmure-je encore et encore. Si seulement …


Le téléphone sonne à nouveau. C'est encore lui. J'essuie mes larmes, toussote un peu pour clarifier ma voix puis décroche.

- Bonsoir Aurore !

- Bonsoir Femi, réponds-je sans grand entrain.

- Tu étais occupée ? Si c'est le cas, je peux te rappeler demain.

- Non, je m'étais assoupie. Je t'écoute.

- Eh bien, je voudrais t'inviter ce samedi au bar chez Alex pour une soirée karaoké comme celles d'avant. Tu t'en souviens ?

- Oui, dis-je tout simplement.

De toutes façons, ce qui constitue ma vie actuelle, ce sont surtout des souvenirs.

- Alors, tu viendras ?

J'en ai bien envie, mais je décline son invitation.

- Non, je regrette. Je ne serai pas libre. Tu sais que je ...

- …que tu prépares le défilé. Je connais cette excuse par cœur, Aurore. Depuis des semaines, tu m'évites, tu refuses mes invitations. Qu'est-ce qui se passe ? Ai-je commis quelque imprudence ? T'ai-je manqué de respect ? Ou ai-je dit quelque chose de blessant ?

- Non ! rassure-toi. Ce n'est pas cela.

- Ou bien c'est à cause de Paula que tu me fuis ?

Je ne dis rien.

- Aurore, si c'est le cas, sache qu'elle ne voit aucun inconvénient à ce qu'on se fréquente. Nous avons une fille qui nous lie après tout !


Oui, une fille et rien de plus ! pense-je intérieurement.

- Aurore, tu es toujours là ?

- Je ne t'entends pas bien, Femi.

Il continue de parler mais je ne l'écoute pas. Moi aussi je parle sans m'arrêter, initiant ainsi un dialogue de sourds.

- ... Je ne t'entends pas bien, Femi. Ce doit être le réseau, finis-je par dire. Il vaut mieux que je raccroche.

Ce que je fais l'instant d'après.

Sur mon lit, je vais me recoucher. Vers le plafond je fixe les yeux, songeuse. Arabella, toujours endormie, bouge et revient se blottir tout contre moi. Je contemple ce petit ange couché près de moi. Sans même m'en rendre compte, je souris. Dans ses cheveux, je passe mes doigts.


Mon téléphone sonne à nouveau. Je n'y fais plus attention. Ce doit toujours être Femi.

Un quart d'heure plus tard, je reçois un message. Ce doit encore être Femi. Je suis bien curieuse de savoir ce qu'il m'a écrit.

C'est bizarre. Le message provient d'un numéro que je ne connais pas.

Quelle surprise ! Elle ? Qu'est-ce-que cela signifie ? Que peut-elle bien me vouloir ? Perplexe, je demeure.



*********

Deux jours plus tard


Femi AKONDE

Je pense à Aurore. Elle m'évite de plus en plus, ne répond plus à mes messages, mes appels et s'arrange toujours pour être absente quand je passe chez elle voir Arabella. Et même les fois où je m'amène là-bas à l'improviste, elle reste réservée avec moi.

Je ne comprends plus ce qui se passe avec elle. Pourquoi me fuit-elle autant ? Au moins avant, on se parlait comme des amis, mais maintenant on est comme des étrangers.


- Femi, qu'en penses-tu ?


Je n'entends pas le Directeur Général qui me parle. Au CoDir, je ne suis présent que de corps. Mon esprit est ailleurs.

- Femi !

Il hausse le ton et là je l'entends bien.

- Oui DG, réponds-je avec hâte.

Tous ont les yeux rivés sur moi.

- Donne-nous ton avis quant à la proposition d'Henri.

Henri, c'est le Directeur des Ressources Humaines (DRH). Qu'est-ce qu'il a bien pu dire ?

- Euh … je …

- Henri, veuille bien reprendre ta proposition.

- Bien DG, répond le DRH.

Cette fois-ci, je l'écoute sans perdre une seule miette...


* *

 *

A la fin de la réunion.

Pendant que tous rangeons nos affaires pour quitter la pièce, le DG s'approche de moi. Il attend que le dernier membre du CoDir sorte pour me parler.

- Femi, tout va bien ?

- Oui, DG.

En parlant, je m'efforce de sourire.

- Je te connais très bien, Femi, et je sais que tu mens quand tu prétends que tout va bien. Hier, tu m'as présenté un bilan erroné et aujourd'hui tu es resté distrait pendant toute la réunion. Ce qui est pourtant contraire à tes habitudes. Que me réserves-tu pour demain ?


Ses mots sont vrais. Je ne suis pas fier de moi.

- Je ... suis vraiment désolé, DG. Je vous assure que cela ne se répètera plus.

- Je l'espère bien, Femi. Mais qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?

- Je suis juste un peu stressé ces jours-ci.

- Stressé ! Tu as donc besoin de repos ?

- Non, DG. Rassurez-vous ! Mon stress n'a rien à voir avec l'entreprise. C'est plutôt privé.

- Je te rappelle qu'on n'amène pas les soucis de la maison à l'entreprise !

- Vous avez raison, DG.

- Si ce problème te tracasse tant, trouve-lui une solution !

- Oui, DG. Je vous promets que…

- Arrête de me promettre ceci ou cela ! Agis ! Aujourd'hui j'ai évité de t'humilier publiquement parce que je t'apprécie beaucoup. Mais la prochaine fois, je n'hésiterai pas à le faire ! C'est bien compris ?

- Oui, DG. Merci beaucoup.

Il hoche juste la tête et quitte la salle.

Je ramasse mes affaires et sors à sa suite pour rejoindre mon bureau.


Contre l'un des murs, je m'adosse.

"Aurore, mon problème et ma solution ! " murmure-je.

Je ne peux plus taire ce que je ressens pour elle. Je la veux près de moi.

Comment ai-je pu être idiot à ce point ? Comment la réconquérir maintenant qu'elle est autant distante de moi ? J'espère vraiment qu'elle ne voit pas quelqu'un d'autre ! Non, pas ça. Je ne supporterai pas que quelqu'un d'autre me la vole !


Je me souviens de cet homme que j'ai vu récemment dans son atelier. Deux fois de suite d'ailleurs. Elle m'a assuré que c'était juste un client, mais je ne suis pas rassuré. Je secoue fortement la tête. Il faut que je m'enlève cette idée de l'esprit. Aurore n'aime que moi ! C'est certain.


* *

 *

Encore inquiet, je déambule dans mon bureau​.

Comment ai-je pu laisser les choses se détériorer autant entre elle et moi ? J'aurais dû nous donner une seconde chance depuis. J'aurais dû ne pas faillir aux promesses que je lui avais faites. A l'esprit, me reviennent les paroles de Timi Dakolo que j'aimais fredonner pour elle.


"(…)

Je te connais depuis longtemps

Nous avons parcouru un long chemin

Tu étais comme mon rayon de soleil

Après une journée d'orage

Ils disent que l'amour est aveugle

Mais je peux le voir à travers tes yeux

Femme, tu me donnes tellement de bonheur

Et je ne veux te donner rien de moins.

Je promets d'être vrai,

de tout te donner

Peu importe ce qu'ils disent

Ce coeur t'appartient (…)

Pour toujours, c'est toi et moi (...)

Regarde, la vie est comme un voyage

C'est plein de hauts et de bas

Peu importe ce que tu traverses

Je serai toujours là

Nous prendrons nos espoirs et nos rêves pour les transformer en réalité ...Baby Ensemble.

Regarde, je serai ton amoureux

Et je serai ton ami

Je t'aimerai comme aucun autre

Jusqu'à la fin (…)

Bébé, je serai ... ton soldat, je mènerai tes batailles

Bébé, je serai ... une épaule, tu peux t'appuyer là-dessus.

Bébé, je serai ... ton mari et ton meilleur ami.

Et il n'y a rien que je ne ferai

Juste pour te prouver que je te serai fidèle (…)

Timi Dakolo, the vow (Le vœu)"


Longuement, je soupire. Paula avait raison : "JE NE SUIS QU'UN MENTEUR !". Dans mon fauteuil, je me laisse choir et lève les yeux vers le plafond. Le vibreur de mon téléphone attire mon attention. Aurore ! Je décroche aussitôt.

- Bonjour Femi.

Sa voix est très chaleureuse.

- Bonjour, lui réponds-je. Tu sembles bien gaie !

- Oui, aujourd'hui je me suis levée du bon pied.

- Content de l'entendre.

J'évite d'ajouter "ENFIN !"

- Ton invitation au Karaoké bar tient toujours ?

- Oui, dis-je, devinant déjà la suite de notre conversation.

- Je serai là.

- C'est parfait ! Je passe te chercher ?

- Non, ce n'est pas la peine. Je viendrai avec Gérard, mon chauffeur. A présent, je dois te laisser. Bye.

- Bye ! dis-je.


Elle vient de raccrocher, mais je garde encore l'appareil à l'oreille. A la commissure de mes lèvres, apparaît un sourire.













SECONDE CHANCE