Chapitre 40

Ecrit par Myss StaDou

Chapitre 40


J’ai ouvert la bouche, tellement choquée par ce que ma mère vient de me dire. Mince… C’est déjà à ce niveau ? Ma mère me regarde, très menaçante. On dirait une vendeuse de beignets qui vient de voir une souris sortir du sac de haricots qu’elle doit préparer ce jour-là. Hum ! Cette affaire ne sera pas aisée !

 

− Mais Ma’a, j’ai déjà quelqu’un qui…

− Eh ! Je m’en fous, tu entends ? Tu vas faire ce qu’on te dit !

− Weh ! Tu ne me laisses même pas parler.

− Zamba ! Pour que tu dises quoi de bon ? Hein ? Ma fille, que connais-tu de la vie ? Il faut savoir écouter les ainés quand on veut vous aider.

 

Maman prend sa babouche en main :

 

− Et ne tente même pas de faire pas des bêtises. Je suis souffrante. Et si je fais une crise cardiaque à cause de toi et je meurs… Eh Ah Ngono, tu auras ma mort sur ta conscience !

 

Énervée, elle se lève brusquement et s’éloigne dans la maison. Je reste assise là sur le sol, perplexe. J’ai rêvé ou quoi ? Je ne sais pas quoi faire face à une telle explosion. Je demande que, ce Stéphane soit seulement revenu de l’Europe pour gâcher ma vie ? C’est comme ça qu’on envoie souvent les gens ! C’est quelle malchance ça ? Exactement quand les choses commencent à se concrétiser avec Victor, lui vient me noircir le paysage.

 

OK ! Ce n’est pas grave. Il veut m’épouser non ? Je vais lui en faire passer l’envie !!! C’est lui-même qui viendra dire à mes parents qu’il ne veut plus !

 

Je me lève et vaque à mes occupations. Je finis de faire la vaisselle et je nettoie le sol de la cuisine. Je suis en train de ranger les marmites que j’ai lavé le matin quand maman m’appelle au salon.

 

− Nicole ! Nicole oh ! Tu as un visiteur !

 

Je suis surprise car je n’attends personne. Ou alors c’est Vic qui me fait une petite surprise ? Cette pensée me fait me diriger au salon, toute souriante. Mon sourire s’efface quand je découvre la véritable identité de ce fameux visiteur : c’est Stéphane ! Oh non, pas lui… Devant moi, se tient un homme mis sur son 31, en chemise de soie noir et pantalon cintré, le tout terminé par une jolie paire de mocassins. Il va à quel mariage comme ça ? Il est assis à côté de ma mère et cela ne me plaît pas du tout. Ça n’annonce rien de bon. Je reste plantée à bonne distance, à le regarder, les bras croisés sur le devant de mon corps. Je vois maman froncer les sourcils :

 

− Ngono, ce sont quelles manières ça ? Tu ne salues pas ton invité ?

 

Invité de qui ? Qui lui a demandé de venir ici ? Pas moi en tout cas… Il peut aller sauter au goudron, s’il n’est pas content ! Mais si je dis ça tout haut, ma mère va me finir ici avec sa babouche ! En plus, la babouche qu’elle porte aujourd’hui a un talon en bois ! Pardon, je tiens à ma tête. Pleine de honte, je vais vers Stéphane et lui tends la main à bonne distance. Je vois bien la surprise se dessiner sur son visage, mais il ne dit rien et me tend aussi la main. La salutation met deux secondes. J’« arrache » ma main de la sienne. Je m’éloigne un peu et le regarde.

 

− Nicole, comment vas-tu ?

− Bien !

− Je dérange ?

 

Non, tu arranges ! Vois sa tête. Il croit que parce qu’il est particulièrement beau aujourd’hui, bien habillé, il sent divinement bon, je vais trembler hein ! Tu as menti !

 

− Non, mon fils. Jamais ! dit Maman, tout sourire. Tu es ici chez toi. Viens quand tu veux.

 

J’écarquille les yeux de dégoût. Est-ce déjà à ce niveau ? J’ai visiblement raté un épisode. Je n’ai pas vu la plaque sur le mur de notre maison : « Fille à vendre ». C’est quoi ça ? 

 

− Je ne sais pas, dis-je sèchement. Je suis en train de travailler à la cuisine. Je n’ai pas le temps pour recevoir qui que ce soit !

− Mais il est 15h et on est samedi, remarque Stéphane avec stupéfaction.

− Et puis quoi ?

− Je passais vous chercher, Junior et toi, pour qu’on aille faire un tour en ville.

− Désolée. Mais je ne peux pas. J’ai encore à faire.

− Tu as quoi à faire ? demande ma mère. Ça attendra ton retour, dit-elle en tchipant. Pardon, fais vite et va te laver.

 

Elle se tourne vers Stéphane.

 

− Junior compose bientôt, donc il doit rester réviser. Vous irez à deux. N’est-ce pas, mon fils ?

 

J’ai failli crier tellement l’attitude de ma mère m’écœure.

 

− Ok. Tantine.

− Va alors, Nicole, me dit ma mère. Fais vite.

 

Je lance un regard meurtrier à Stéphane. J’ai envie d’être Laura dans le dessin animé « Nicky Larson » pour appliquer une massue de 10.000 tonnes sur la tête de ce gars à cet instant ! Je me dirige lentement vers la chambre. Je suis obligée de faire ce que maman dit pour éviter de m’attirer ses foudres. Et de toutes les manières, j’en profiterais pour mettre les points sur les i à ce don juan à la sauce béchamel. Je vais prendre une douche rapide. Ensuite j’enfile une petite robe en jean avec des ballerines assorties. Je me fais bien belle pour chasser ce gars de ma vie. Mince, il va me gâter les plans, en y repensant ! J’ai rendez-vous chez ma coiffeuse à 18h30 pour me refaire une beauté. Il faut bien que je frappe dans l’œil des beaux-parents.

 

Je sors et me dirige comme une condamnée vers le salon. C’est avec un immense sourire que Stéphane m’accueille en se levant.

 

− On y va ?

− Oui, murmuré-je

 

Il passe devant moi et on sort dans la véranda, sous le regard attentif de ma mère. Il faut que j’aie une conversation sérieuse avec celle-là, de préférence avec témoin. Nous sortons au quartier et j’ai l’impression que tellement d’yeux sont posés sur nous. Je sais que ça va  commencer à jazzer ; ce que je tenais absolument à éviter.

 

Je ne sais même pas si et comment je dois parler de cette histoire à Victor. Il pourrait le prendre très mal. Ou au pire, penser que j’ai tout inventé pour l’obliger à m’épouser au plus vite. Notre relation est en danger à cause de ce fils à maman incapable de draguer lui-même une femme !

 

Je le suis sans rien dire, jusqu’au bord de la route où il se tourne vers moi, intrigué.

 

− Où allons-nous ? demande Stéphane.

− Tu demandes à qui ? rétorqué-je nerveusement.

− Pourquoi ce ton agressif ?

− C’est toi qui es venu me chercher. Pourquoi me poses-tu encore des questions ?

− Nicole… S’il te plaît… J’ai faim. Où peut-on bien mangé et rapidement ici ?

 

Je veux bouder ma chose. Mais en pensant à la bonne nourriture – à chacun son péché mignon – je ne peux pas résister.

 

− Ça dépend de ce que tu veux manger.

− Tu aimes quoi, toi ?

− Poulet braisé, murmuré-je.

− Ok. Moi aussi j’aime bien ça. Et on peut en manger où ici?

JC Bastos.

− On y va alors. C’est toi qui connais le chemin.

 

Je tchipe pour traverser la route et aller de l’autre côté. Quand un taxi vide se gare devant nous. Je vois Stéphane se baisser pour s’adresser au chauffeur :

 

− Je voudrais un dépôt.

− Mais ce n’est pas loin, remarqué-je, étonnée.

− Ce n’est pas grave. On sera ainsi plus à l’aise.

 

L’argent dérange les gens ici. Un endroit qui n’est même pas loin, il veut prendre une course ! Je ne veux pas l’emmener au JC d’Essos ici pour que les gens du quartier ne me voient pas avec lui.

 

− Chauffeur, tu nous laisses à 1500F à JC Bastos ? dis-je avec douceur.

 

Le taximan réfléchit un peu avant de klaxonner et nous demander de monter. Stéphane ouvre la porte  arrière et m’invite à entrer la première. S’il croit que sa galanterie m’intéresse… Je monte et vais me coller sur la portière de l’autre côté. Il me suit et s’assied en silence. Le taximan démarre et on se met en route. Durant tout le trajet, je n’ai pas dit mot. Mais je sentais le regard de Stéphane posé sur moi.

 

Arrivés à destination, je le vois sortir un billet de 2000Francs craquant comme si ça sortait directement de la BEAC… Il le remet au taximan et lui demande carrément de garder la monnaie. Celui-ci sort d’où ? Je crois qu’il faut que je lui rappelle qu’il n’est plus en Mbeng. Qu’il nous excuse avec l’affaire de pourboire. Nous descendons et je lui montre l’enseigne de la rôtisserie. Nous entrons et nous prenons une table à l’entrée. À peine assis, une serveuse vient prendre nos commandes. Apparemment un peu perdu, Stéphane se tourne vers moi :

 

− Tu prends quoi ?

 

Je souris à la serveuse :

 

− Je veux un Fanta. Bien glacée, s’il vous plaît.

− Et vous, Monsieur ? demande la serveuse à Stéphane.

− Je prendrais un Top Grenadine.

− Désirez-vous manger ?

− Et comment ? interviens-je. Je veux un poulet entier.

− Eh beh… Quel appétit ! s’exclame Stéphane.

− Ça te dérange ? Ou tu n’as juste pas assez de sous pour payer ?

− Loin de là, dit-il en se tournant vers la serveuse, moi aussi je prendrais un poulet. Si la demoiselle peut en finir un, j’estime que j’en serais aussi capable.

 

La serveuse s’éloigne et je croise les bras comme pour signifier mon complet mépris de lui parler. Il pose ses coudes sur la table et son menton est soutenu par ses mains. Dans cette position, il reste quelques instants à m’observer.

 

− Nicole, pourquoi es-tu si dure envers moi ?

− Pourquoi devrais-je être tendre ?

− Nous pouvons être des amis.

− Est-ce que je t’ai dit que j’en manquais ?

− Calmons-nous. Il n’y a aucun souci entre nous.

− Peut-être pas pour toi, mais de mon côté, si.

 

Il veut parler, mais c’est à cet instant précis que la serveuse nous apporte nos boissons. On la regarde nous servir, sans un mot. Jusqu’au moment où nous la remercions et elle s’éloigne.

 

− Mais de quoi parles-tu ? me demande-t-il.

− Tu sais quoi ? Je ne te connais pas. Mais il y a une chose que je déteste royalement. C’est le fait qu’on me force la main.

− Je vais me répéter, mais… De quoi parles-tu ? De cette sortie ?

− Ouais c’est ça ! Joue à l’idiot si tu veux.

− Je suis désolé. À la base c’est avec ton frère que je voulais sortir. Mais ta mère, par son attitude, m’a obligé à vite réviser mon plan.

− Ce n’est pas de ça dont je parle. C’est de ce que ta mère a discuté avec la mienne…

 

Stéphane soupire longuement :

 

− Oh ça !

− Oh ça hein ? Maintenant tu comprends ! Tu es incapable de draguer une femme pour que ta mère t’aide à le faire ?

− S’il te plait, n’en profite pas pour m’insulter, s’énerve-t-il. Car ce que tu ignores, c’est qu’on est dans le même bateau !

− Qu’est-ce que tu racontes ? En tout cas, je ne suis pas à la recherche d’un mari.

− Ni moi d’une femme !

− Hein ? Ce qui veut dire ?

 

La serveuse apporte nos plats de poulet. Je fais un signe de croix et attaque le mien avec un appétit féroce. Oh ce poulet m’a manqué…

 

− De quoi parles-tu ? demandé-je en lui lançant un coup d’œil.

− Je suis surpris de ce qui ce passe autant que toi, dit-il, l’air triste. Mais avec du recul, il fallait si attendre.

− Explique-toi, je ne te suis pas du tout.

− Mangeons d’abord, s’il te plaît. Nous en parlerons plus posément après.

− Comme tu veux.

 

Nous mangeons ainsi en silence. Je suis intriguée par toute la situation et même comme je joue la nerveuse, je tiens quand même à savoir quel est le noyau de cette histoire. À la fin du repas, je le regarde et lui souris, pour la première fois depuis que je le connais :

 

− Alors, je t’écoute.

 

Stéphane pousse un soupir :

 

− L’histoire est assez compliquée. Mais je vais la résumer pour que tu comprennes.

− Ok.

− J’ai 30ans et ça va bientôt faire presque 15ans que je vis en Europe.

− Je sais ça.

− Je travaille déjà depuis un bout. Avec un ami, on a ouvert une boite là-bas et je dois dire que ça nous rapporte assez. Mais il y a hic.

− Lequel ?

− J’ai une copine.

− Tant mieux alors, remarqué en souriant. Ça résout tout le problème.

− Non, bien au contraire. C’est justement elle la cause de mes problèmes.

− Comment ça ? 

− C’est à cause d’elle que je suis ici.

− Mais pourquoi ? Explique-toi.

− Ce n’est pas une fille camerounaise. Son grand-père paternel était camerounais. Un monsieur nordiste, je crois, et il est allé vivre au Maroc. Son père est donc moitié camerounais et marocain, sa maman est de l’Arabie Saoudite. Tout ça pour dire qu’ils sont musulmans.

− Hum…

− Tu commences à comprendre. Nous avons fait l’université ensemble en Belgique et nous sommes tombés amoureux à ce moment-là. Je ne cachais pas vraiment notre relation et je crois que c’est ça qui nous à porter préjudice. Tu connais Facebook ?

− Bien sûr ! Je ne suis pas villageoise, toi aussi !

− Je n’ai jamais pensé une telle chose.

− Tant mieux.

− Je crois que mes petites sœurs, avec qui je suis ami sur ce réseau ont eu accès à mes photos avec elle, et elles ont dû dire à mes parents pour ma copine. Je le leur cachais, sachant qu’ils n’apprécieraient pas, tout comme ça été le cas avec les parents de ma copine.

− La technologie et ses désavantages.

− Mes parents m’ont appelé et menacé. Ils m’ont rappelé que j’étais leur seul garçon et il était hors de question que je m’islamise pour une femme. Que ma vie devait être avec une fille Bafang (ethnie de l’Ouest Cameroun) comme moi, ou une camerounaise. Mais rien d’autre. Ça faisait déjà plus d’un an que ça durait quand il y a eu une période d’accalmie de leur côté. Je pensais qu’ils commençaient déjà à accepter mon choix.

− C’est bien.

− Ma mère m’a appelé un jour en panique et demander de me préparer urgemment à venir au pays. Mon père serait gravement malade et on lui aurait prescrit un repos total. Il fallait que je rentre m’occuper de ses affaires et de sa société de construction.

− Weh ! Je ne le savais pas.

− C’est normal et tu comprendras pourquoi. J’ai pris de l’argent et demander à mon collaborateur de rester gérer les affaires. Je ne reviendrais que si urgence. J’ai pris six mois de congé.

− Ok.

− Quelle ne fut pas ma surprise de voir mon père bien portant quand je suis arrivé ici. Ma mère que j’avais pris en confiance a pris mon passeport à l’aéroport pour éviter qu’on ne le vole. En fait, ils m’avaient menti !

− Zamba ! Les parents d’aujourd’hui !

− Ils m’ont piégé pour m’obliger à rentrer. Ils m’ont directement emmené au village, soi-disant pour des rites de désenvoûtements et depuis, ils me tiennent à la limite enfermé dans la maison. Je n’ai pas de sous et je suis constamment surveillé. Je n’ai aucune nouvelle de ma copine, depuis bientôt un mois que je suis là.

− Mais c’est terrible ça.

− Je leur en veux terriblement ! Mais dans le fond, je les comprends.

− Et la suite, c’est quoi ?

− Ils veulent que je me marie ici avant de me laisser repartir. C’est là où tu entres en jeu.

− Eh pardon, excusez-moi dans vos choses !

− Ne t’inquiète pas, se moque-t-il. Je sais que tu es déjà avec quelqu’un.

− Qui t’a dit ça ? 

− Junior m’a parlé de ta relation et j’étais l’autre soir quand il est venu te laisser.

− Ok. Tu sais donc où te placer.

− Oui, mais je veux que tu m’aides.

− En quoi faisant ?

− En te faisant passer pour ma copine…

Mon amour, mon comba...