Chapitre 47
Ecrit par Auby88
Eliad MONTEIRO
Je glisse mes doigts le long de la bibliothèque, tout en pensant à celle qui fait battre mon coeur.
Camila ? Non. PAGE.
Je repense à tous les moments que nous avons vécus ensemble… jusqu'à ce jour anodin où je l'ai aperçue pour la première fois, là sur le seuil de la porte d'entrée.
Je souris en repensant à l'erreur monumentale que j'avais faite en prenant PAGE pour la nounou que j'attendais ce matin-là. Notre rencontre n'était sûrement pas un hasard, c'est sûr. Malheureusement, j'ai tout gâché entre nous.
Je mets en marche mon lecteur pour jouer en continu cette chanson que j'ai récemment entendue à la télévision, et dont les paroles me font tant penser à ma relation compliquée avec PAGE : "Unica mulher (La seule femme) du chanteur angolais Anselmo Ralph"
"Por vezes quando nós discutimos
E na raiva eu te digo coisas que até magoam…
Mas depois eu me arrependo
Sim, não liga não
O que na raiva eu te digo
Pois é ela a falar por mim
Não liga não
Pois na verdade o que eu sinto é que tu
Tu pra mim és a única mulher que me completa
Ficar sem ti um segundo me inquieta
Tu pra mim és a única mulher que me satisfaz
E com apenas um abraço me desmonta
Por vezes já magoada dizes que vais embora
E eu no meu orgulho digo “vai…”
Demonstro não me importar se tu já não queres ficar
Mas a cena é diferente, pois por dentro eu choro
Mas acredita que és a única que me faz sentir assim
Não existe uma, uma outra que me faz igual a ti
Mas eu finjo que se eu te perder, finjo que eu vou ficar bem
Mas a verdade é que tu
Tu pra mim és a única mulher que me completa...
(Parfois lorsque nous nous disputons,
Dans la colère, je te dis des choses blessantes...
Mais ensuite je regrette.
Oui, mais ne fais pas attention
A ce qu'avec la colère, je te dis
Car c'est elle qui parle pour moi.
Ne fais pas attention, non.
Parce qu'en réalité, ce que je ressens pour toi c'est que tu
Tu es pour moi la seule femme qui me complète.
Être sans toi une seconde m'inquiète.
Tu es pour moi la seule femme qui me satisfait.
Et avec à peine un câlin, tu me déséquilibres.
Parfois blessée, tu me dis que tu t'en vas.
Et mon orgueil te dit, va.
Je te montre que je m'en fous si tu ne veux pas rester.
Mais en réalité, mon coeur pleure.
Mais crois-moi, tu es la seule qui me fait cet effet
Il n'en existe aucune autre comme toi.
Mais je prétends que si je te perds,
Je prétends que tout ira bien
Mais la vérité c'est que tu
Tu es pour moi la seule femme qui me complète...)"
Je revois toutes les fois où j'ai blessé PAGE. Je revois toutes les fois où j'ai laissé mon orgueil, plutôt que mon coeur dicter ma conduite. Si seulement, j'avais agi différemment, on ne serait pas si près l'un de l'autre et pourtant si loin !
Je reste là quelques minutes encore, puis sors de la pièce. J'ai besoin de marcher un peu dehors pour m'aérer l'esprit.
Finalement, j'abandonne mon idée. Car je viens d'apercevoir PAGE, à l'étage. Elle ne semble pas aller bien. Je me précipite vers elle.
**********
Nadia PAGE AKLE
- Qu'est-ce qui ne va pas, PAGE ?
- Rien, mentis-je en fuyant le regard d'Eliad. Je m'en allais juste voir madame Jeanne.
- Les contractions ont commencé, c'est ça ?
- Oui, avoué-je, mais pour le moment, elles sont très espacées.
- Tu as très mal ?
- Juste un peu. C'est supportable. Ne t'inquiète pas pour moi. Je demanderai à madame Jeanne et au chauffeur de me conduire à l'hôpital.
- Je t'y emmène.
- Mais...
- Il n' y a pas de mais qui vaille. Pourquoi ne m'as-tu pas fait signe, en premier, PAGE ? Ce n'est pas parce qu'on est distants que je ne m'intéresse pas à ta santé. Et puis, c'est… aussi mon enfant... après tout !
" Son enfant !" Hmm ! Cet homme est devenu amnésique ou quoi !
Je détourne la tête pour ne rien lui dire de blessant. Il y a des fois comme aujourd'hui où je regrette ne pas avoir l'âme belliqueuse de Carine. Autrement, j'aurais suivi le conseil de l'une de mes lectrices dans une histoire précédente : "Le broyer comme le poivre de Penja (au Cameroun) sur une pierre à écraser !"
Comme cela m'aurait fait du bien !
- Ta valise de maternité est prête?
- Oui, Eliad.
- Allez, viens ! continue-t-il en passant un bras autour de ma taille. Tu t'allongeras sur ton lit pendant que je mettrai tes affaires dans la voiture.
- D'accord ! dis-je simplement.
**********
A la clinique
Eliad MONTEIRO
Le gynécologue-obstétricien qui suit PAGE s'est dépêché d'arriver. C'est la première fois que je rencontre cet homme, qui doit avoir la cinquantaine tout au plus...
- Préparez-la pour le bloc ! l'entends-je dire aux infirmières.
Je me lève aussitôt.
- Un instant ! Vous parlez de qui ?
- De ma patiente ! Nous avions programmé sa césarienne pour la semaine prochaine, mais le bébé a préféré venir plus tôt. Vous ne le saviez pas ?
Je peine à lui répondre. Je suis complètement perdu. Il raconte quoi celui-là ? Je regarde en direction de PAGE qui ne dit mot depuis.
- Ecoutez monsieur, la radio-pelvimétrie de la parturiente a confirmé qu'elle avait un bassin largement trop étroit pour laisser passer un bébé, quelle que soit sa taille. Alors…
- C'est pas vrai ! m'écrié-je en mettant mes deux mains sur ma tête.
Puis je m'adresse au docteur sur un ton menaçant.
- Je refuse qu'on emmène ma femme au bloc opératoire !
- Elle est assez dilatée. Ce qui signifie que le bébé s'emploie à sortir. Vous faites inutilement souffrir votre femme et vous mettez la vie du bébé en danger ! C'est cela que vous voulez ?
Une fois encore, je regarde en direction de Nadia qui prend des respirations profondes.
- Je me contrefiche du bébé, vous entendez ! Je ne donne pas mon autorisation pour la césarienne. Je voudrais d'abord avoir un autre avis !
- Arrête d'être aussi insensé, Eliad ! Je ne veux pas perdre mon bébé.
- Nous perdons du temps, monsieur ! reprend le docteur.
Je me penche au-dessus de PAGE, couchée sur le lit d'hôpital !
- Je ne veux pas te perdre ! Tu comprends ?
- Va au diable, Eliad ! Tu n'es qu'un égoïste ! Eloigne-toi de moi !
- PAGE !
- Vous pouvez emmener ma belle-fille au bloc, je donne mon autorisation.
- Papa ! m'étonné-je en le voyant suivi d'Edric.
Le personnel médical s'approche de PAGE.
- Laissez ma femme !
- Tu te calmes, Eliad !
- Je ne veux pas la perdre ! répété-je, complètement paniqué, tandis que les bras de papa et d'Edric me retiennent.
Impuissant, je regarde PAGE s'en aller, avec la peur au ventre. Je me revois des années en arrière. Avec Camila...
Tous disent que ce n'est qu'une césarienne, mais pour moi, tout ce qui touche au bloc opératoire m'effraie. Et ce depuis la mort de Camila. Comme le dit l'adage fongbé "Nu dan dou wé o, a mon dovon a na hon" (Quand tu as été mordu une fois par un serpent, même le ver de terre te fait fuir).
* *
*
Les minutes me semblent interminables.
- Pourquoi ne sortent-ils pas depuis ?
- Ça fait à peine une demi-heure ! Sois patient, Eliad.
- Ton père a raison, renchérit Edric.
- Je ne me sentirai mieux que quand PAGE sera hors de danger.
- PAGE et le bébé, tu veux dire !
- Seule PAGE m'intéresse pour l'instant.
- Inconscient ! me lance papa.
Je n'y fais pas attention. Je continue de déambuler dans la salle d'attente.
- Assois-toi et calme-toi ! m'intime mon père. Je risque d'avoir le tournis à force de te regarder aller et venir ainsi devant moi.
- Écoute ton père ! renchérit Edric.
- Comment me calmer quand la femme que j'aime est..
- Ah ! maintenant, tu l'aimes ? commente mon père avec un sourire ironique sur son visage.
- Oui, je l'aime.
- Que de mots !
- Je l'aime même si tu en doutes... Et je ne veux pas la perdre.
- Ton amour à deux balles là n'émeut personne, Eliad. Mais rassure-toi. Tu ne la perdras pas. Ni elle, ni le bébé. Ils resteront tous deux en vie pour te rappeler combien tu as été insensé !
Je n'écoute pas vraiment les sermons de papa. Je flippe grave en pensant à ma PAGE.
- Assois-toi et détends-toi !
- Non, papa, dis-je en continuant de déambuler dans la salle d'attente. Si quelque chose arrive à PAGE, je t'en tiendrai responsable, papa !
- Je te le répète. Il n'arrivera rien. Ni à elle, ni au bébé. La césarienne a beaucoup évolué. Et PAGE n'a eu aucune complication durant sa grossesse, hormis un bassin largement étroit. Alors, assois-toi et calme-toi.
- Donc, tu le savais ?
- Oui, je sais tout concernant la grossesse de PAGE. J'étais aussi avec elle pendant ses échographies.
Je reste bouche bée.
- Tu croyais que quoi ? Que j'allais laisser cette pauvre fille seule, quand toi tu ne voulais pas assumer tes responsabilités de père ?
Il complète en direction d'Edric :
- Vois, Edric, combien c'est drôle. Le grand-père est plus informé que le père. Le monde à l'envers !
Je m'assois et baisse la tête, tout honteux.
* *
*
L'obstétricien s'amène enfin.
- Comment va ma femme ? demandé-je aussitôt en quittant mon siège.
- Très bien.
Enfin, je respire.
- Puis-je la voir ?
- Non, pas pour le moment. Elle est en salle de réveil.
- Vous ne me mentez pas, j'espère !
- Non, monsieur.
- Je suis rassuré ! m'exclamé-je en allant me rasseoiir, le visage détendu et souriant.
- Comment va le bébé ? demande papa.
Lui, je l'avoue. Je l'avais complétement oublié.
- Ah ! fait le docteur. Je pensais que le bébé n'intéressait personne !
- Oh que oui, docteur ! réplique papa.
- Eh bien, votre belle-fille vous a donné un beau garçon.
Un garçon ! murmuré-je intérieurement.
- Nous pouvons le voir ? continue papa.
- Pour l'instant, les infirmières s'occupent de lui. S'il n'y a rien à signaler, nous vous le remettrons en attendant que sa mère sorte de la salle de réveil...
Je reste en retrait, écoutant la discussion.
- Venez, poursuit le docteur, vous attendrez la mère dans l'une des salles de maternité..
- Eliad, tu ne viens pas avec nous ? me demande Edric, étonné que je sois encore assis.
- Non, allez-y ! Je… viendrai plus tard.
- Mais…
- Edric, laisse-le ! intervient papa. C'est la honte qui le fait agir ainsi.
Je ne fais pas attention à la remarque de papa.
Pour l'heure, j'ai besoin de me remettre de mes émotions. Je joins mes mains vers le Ciel. Je suis heureux que PAGE soit saine et sauve. Mais je serai complètement rassuré quand je pourrai enfin la voir.…
* *
*
J'avance à pas lents vers la salle où se trouvent déjà Edric et papa.
- Enfin, tu es là !
Je ne dis mot. Mes yeux sont fixés sur la couverture bleu ciel dans les mains de mon père.
- Tu attends quoi, frérot ? Approche et viens voir ton fils !
Je reste là, immobile sur le seuil de la porte.
- Mon fils, réagis !
A pas plus que lents, j'avance en direction de papa. Mon cœur bat à la chamade.
Ma surprise à la vue du bébé est si grande que je reste bouche bée en le contemplant.
- Il est mon portrait craché, papa !
- Quelle phrase mémorable ! ironise papa.
- C'est vraiment mon fils, papa ! m'exclamé-je tout heureux.
- Tu n'es qu'un imbécile, Eliad ! Un salaud de la pire espèce. Tu as fait souffrir la pauvre fille pour rien. Tu as chance qu'elle soit patiente avec toi, qu'elle continue de t'aimer et de te respecter en dépit de ton sale caractère, Parce que crois-moi, à sa place, d'autres femmes t'auraient déjà coupé les couilles
Je regarde papa sans dire mot.
- Si vraiment tu aimes Nadia, tu as intérêt, dès à présent, à la chérir, à ne plus l'humilier ou la rabaisser à cause de son passé, à ne plus la faire pleurer, à lui donner la place qu'elle mérite, à cesser tes enfantillages et prendre tes responsabilités en tant que père. Tu m'as bien compris ?
- Oui papa, accepté-je avec empressement.
J'ai tellement honte de moi, que je fuis le regard de papa.
- Si jamais, tu la fais à nouveau pleurer, si tu la tourmentes encore, tu auras affaire à moi ! Ce ne sont pas des paroles en l'air, Eliad.
- C'est pareil pour moi aussi ! renchérit Edric.
- Je promets de changer. Je le promets. C'est sincère. A présent, puis-je le prendre ?
- Je n'attendais que ça, mon fils ! Assois-toi dans ce fauteuil.
Je m'exécute à la hâte. Mes doigts tremblent.
- Détends-toi, Eliad.
- Oui, papa.
Avec délicatesse, papa pose le bébé dans mes bras... On dirait qu'il s'éveille, vu la façon dont il étire ses membres. Je le contemple, avec admiration. Il est si beau.
Sur son poignet, il a un papier sur lequel est inscrit "Bébé MONTEIRO". Je mets un doigt tremblant dans le creux de sa main et il le serre fortement, comme s'il me disait "Bonjour PAPA". J'en suis ému, jusqu'aux larmes.
Mon Dieu, comment ai-ju pu être inhumain à ce point, comment ai-je pu rejeter autant un être innocent, la chair de ma chair ? Lui, mon fils, qui me ressemble comme deux gouttes d'eau…. Mon fils ! Oui, le mien.
*******
Des heures plus tard
Nadia PAGE AKLE
Il est enfin là, mon prince. Quel miracle que celui-là. Moi, la prostituée d'hier, je suis maman aujourd'hui ! Merci, Seigneur, pour cette grâce !
Je souris en voyant mon fils pour la deuxième fois. La première fois, j'étais au bloc à demi-endormie par l'anesthésie et fatiguée d'avoir trop vomi sûrement à cause du produit utilisé pour arrêter les contractions ou simplement parce que je n'étais pas a jeun avant l'opération.
Quoi qu'il en soit, ce moment désagréable est derrière moi. Mon fils est là, et c'est l'essentiel. Je le regarde sans trop bouger la tête pour éviter les migraines post-anesthésie.
Tout à l'heure, il y avait un beau monde ici : Le père d'Eliad, Edric, Milena, Sarah, Jeanne, Annie... Tous venus pour admirer mon prince. A présent, nous ne sommes que trois : moi, bébé et Eliad.
- C'est fou comme il me ressemble, PAGE ! Je n'en reviens toujours pas !
Il le dit gaiement. Je le lorgne discrètement.
"Andouille, comme ça là !"pensé-je intérieurement.
- Oui, je l'ai remarqué ! commenté-je simplement.
- Je suis désolé pour tout, PAGE ! Pardonne-moi pour avoir osé douter de toi ! Pardon pour avoir rejeté mon propre sang. Je suis un vrai idiot.
Enfin ! Il admet être un crétin.
- J'ai compris, dis-je simplement en froissant les lèvres.
- PAGE, je…
Il est interrompu par un bruit de porte... Une infirmière qui fait sa ronde habituelle…
- Vous lui avez déjà donné un prénom ?
- Non, nous…
- Oui, objecté-je. Il s'appelle Camilo.
Eliad regarde dans ma direction.
- Eliad, tu n'y vois aucun aucun inconvénient, j'espère.
- Non. C'est un très beau prénom.
Je remarque un sourire sur ses lèvres. Il semble bien content.
En réalité, c'est pour faire plaisir à Milena que j'ai choisi de donner la forme masculine du prénom de sa mère au bébé.
- Vous pouvez donc marquer Camilo MONTEIRO, en attendant que son père et moi choisissons d'autres prénoms.
Les yeux d'Eliad restent fixés sur moi, même après le départ de l'infirmière…
Il se lève de sa chaise et s'approche du lit.
Ses lèvres viennent toucher mon front puis embrassent mes mains. Je le laisse faire sans dire mot.
- Merci PAGE, merci pour tout ! Et surtout pour ce beau garçon que tu viens de me donner. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivé, PAGE ! Et je regrette tellement de t'avoir fait autant de mal. Toute une vie ne me suffirait pas pour implorer ton pardon, PAGE. Mais je le fais quand même. Sincèrement.
Je le vois se mettre à genoux.
- Pardonne-moi, PAGE ! Je t'en supplie.
Il vient de dire des mots que je voulais entendre, mais je les trouve vides. Cependant ses yeux, au bord des larmes, me touchent. Juste un peu.
- Je te pardonne, Eliad ! finis-je par dire pour libérer sa conscience.
- Merci, mon amour !
Je ne réponds pas. Tout doucement, je libère mes mains des siennes et tourne la tête.