Chapitre 49

Ecrit par Auby88

Aurore AMOUSSOU

Sur le visage de Femi, j'entrevois un sourire tandis que celui de sa mère reste grave. Je parie qu'elle se retient pour ne pas assommer ses deux traîtres de filles. Pour changer de sujet, je pense à lui offrir les présents que j'ai achetés pour elle.

- Maman, j'ai apporté ceci pour vous.  Je me suis dit que ça vous plairait.

- Je n'en veux pas ! lance-t-elle sans même regarder.

- Ce sont des bazins.

J'évite d'ajouter que ce sont de riches bazins.

- Je te le répète. Je n'en veux pas. Tu te trompes si tu penses m'acheter ainsi. D'ailleurs de ça, je ne manque pas. J'en vends plein dans la boutique que mon fils a ouverte pour moi !

- Tchié, maman ! Depuis quand tu vends bazin ?

- Idiote, va ! répond-t-elle à Olayinka.

- Ma soeur ne ment pas oh ! riposte Fumilayo.

- Avocate défenseur, toi aussi, viens dire pour toi ! On va régler tout cela tout à l'heure. Vous me connaissez bien !

- Han maman, on n'a fait quoi ? Depuis quand dire la vérité est un péché ?

- Ça suffit, vous deux ! Je suis votre mère et vous me devez respect total.

Femi, resté silencieux depuis, intervient dans la discussion.

- S'il te plaît, maman, arrête de faire la dure et accepte les présents. Je te sais plus gentille que ça, maman chérie !

En matière de flatterie, Femi sait bien s'y prendre. Sauf que sa mère n'est pas facile dêêê !

- Je ne veux rien de cette ….

Je devine déja le mot qui va suivre  : "infirme". Elle s'arrête. Ses yeux viennent de se poser sur Arabella.

- Je ne veux rien, reprend-t-elle. Sujet clos.

- Si maman ne veut pas, nous on veut hein ! rétorque les filles.

- Je regrette mes amies, mais j'ai apporté ces bazins pour maman. Je les dépose là près d'elle. Elle décidera de ce qu'elle en fera.

- Et pour nous alors ?

- Eh bien, pour vous j'ai amené des robes en pagne avec des bijoux assortis.

Je ne précise pas que je les ai conçus moi-même.

- Merci, belle-soeur.

Leurs visages si radieux me réjouit le coeur.

Ce qui m'étonne par contre, c'est que durant tout ce temps, Arabella est demeurée imperturbable. Sans doute parce qu'elle était trop occupée à fouiller le téléphone de sa mémé. (Sourire)


* *

 *

Nous sommes sur le chemin du retour. Nous venons d'atteindre Akpakpa. Quelle journée ! J'affiche une mine ni trop triste, ni trop gaie.

- Tu vois, Femi, ce n'est pas de sitôt que j'entrerai dans les bonnes grâces de la "Reine mère" !

C'est ainsi que j'appelle la mère de Femi quand Arabella est dans les parages.

- Au moins, tu auras essayé. Je suis bien fier de toi.

- Et moi alors, papa ? Tu m'as encore oubliée !

- Arabella, je t'ai toujours dit qu'un enfant n'intervient pas dans les discussions d'adultes !

La réaction de Femi est vive. Il doit peut-être être trop fatigué et donc facilement irritable pour réagir ainsi.

- Mais papa…

- Il n'y a pas de mais qui vaille ! Contente-toi de regarder ton livre !

Il continue de hausser le ton en lui parlant, ce qui lui arrache quelques larmes. J'ai envie de la consoler, mais je me ravise. Je préfère regarder à travers la vitre. Je ne veux contester l'autorité de Femi en présence de sa fille. Sinon, quelle éducation Arabella retiendra !


J'entends Femi soupirer longuement. L'instant d'après, il quitte la route principale et bifurque dans une rue. Je me demande bien où on va.

- Un souci, Femi ?

- Non.

- Ok, dis-je sans demander plus de précisions pour ne pas l'irriter davantage.


Il s'arrête après quelques mètres, prend un papier mouchoir, sort de la voiture pour venir ouvrir la portière d'Arabella. Il se rapproche d'elle et tente d'essuyer ses larmes, mais elle résiste.

- Toi, ne me touche pas !

- On ne parle pas ainsi à son papa ! rétorque-je !

- Maman est gentille, mais toi t'es méchant ! continue-t-elle.

- Pas de gros mots, ma princesse ! réplique Femi. C'est vrai qu'il m'arrive d'être sévère, rigoureux avec toi. Mais je ne suis pas méchant. T'ai-je jamais fait du mal ? T'ai-je une fois frappée ?

Elle secoue la tête sans pour autant défroisser sa mine.

- Ecoute ma princesse, je t'aime beaucoup. Si je suis parfois dur avec toi, c'est parce que j'ai des règles de vie, des principes que je souhaite t'enseigner pour la vie en société. Tu comprends ?


Je regrette énormément d'avoir fait perdre trois années à ce père et sa fille. Parce que même si Femi n'en fait plus cas, je suis consciente que les quelques problèmes d'adaptation qui demeurent entre lui et Arabella sont dûs à cela. Malheureusement, on n'en a pas toujours conscience quand on fait des choix en matière de relations sentimentales. Il faudrait plus penser aux autres qu'à soi. En tout cas, cette leçon-là, je l'ai bien apprise.


Arabella garde les bras croisés et regarde ailleurs.

- Arabella !

Elle ne le calcule pas.

- Arabella, ton père te parle ! C'est quoi ces manières !

Femi la fixe. J'ai peur qu'il agisse avec colère. Mais c'est le contraire qu'il fait. Il lui fait plein de chatouillis. Elle est tellement sensible qu'elle tient une seconde à peine et se met à rire à n'en plus finir. Femi en profite pour essuyer son visage et lui donner un bisou sur le front.


Intérieurement, je souris, agréablement surprise par Femi. Ce sont de petits détails certes, mais pour  moi cela compte beaucoup. Je n'ai​ jamais douté que Femi puisse être un bon papa. Il me le prouve encore aujourd'hui, en faisant preuve de patience avec Arabella. C'est sûr, je n'aurais pas pu trouver meilleur papa pour ma fille.



 **********

Trois mois plus tard.

Femi AKONDE


Maman et moi occupons une place de choix dans la salle. Nous sommes tout près du podium. De temps en temps, maman s'adresse à moi. A voix basse, bien sûr, pour ne pas déranger les spectateurs qui nous entourent.

- Mes yeux adorent tout ce qu'ils voient. La personne qui a créé  tout ça est vraiment talentueuse hein. Je lui tire un grand chapeau !

- Ah vraiment ! m'exclame-je avec un sourire ironique.

- Oui, Femi. Tu sais que ta mère a toujours aimé bien s'habiller. Avant je n'avais pas beaucoup de moyens financiers, mais aujourd'hui c'est différent. J'adore tout ce qui est chic, tendance et beau, surtout fait en pagne et en bazin.

- C'est bien, dis-je simplement. Au fait maman, qu'as-tu fait des bazins qu'Aurore t'avait offerts ?

- Pourquoi faut-il à chaque fois que tu ramènes ton infirme sur le tapis ? Pour une fois qu'elle n'est pas à tes côtés, laisse-moi en profiter.

- Ok, c'est bon. Mais j'attends toujours  réponse à ma question.

- Il n'y a vraiment pas plus têtu que toi ! Eh bien, si cela peut te rassurer, je ne les ai pas jetés, encore moins donnés. Ils sont de grande qualité. Je les ai mis au fond de mon armoire en attendant de décider quoi en faire.  Mais ce qui est sûr, c'est que je ne les porterai​ jamais.


Je la regarde sans dire mot.

- Par contre, si tu tiens​ à me faire plaisir pour mon prochain anniversaire, pense à m'offrir l'un des boubous en bazins de cette collection, surtout ceux à deux tons, si brillamment brodés.

- Ah vraiment, tu veux ça ?

Elle me fait oui de la tête.

- Ne t'inquiète surtout pas, maman. Je commanderai toute la collection de bazins tout à l'heure pour toi.

 

Elle se frotte les mains.

- Je suis bien impatiente, mon fils. Merci d'avance.

- Je t'en prie, maman. Que ne ferais-je pour toi, maman !

- Ah oui, c'est vrai. Tu fais tout pour moi, sauf le principal.

- Le principal ?

Je joue l'étonné, même si je sais déjà ce dont elle parle.

- Oui, te débarrasser de ton infirme.

- Ce n'est point le moment pour remettre ça sur le tapis. Il vaut mieux qu'on arrête de parler. Il y a des têtes qui se tournent vers nous.

- T'as raison, mon fils. On en reparlera plus tard. Pour le moment, je ne veux plus rater une seule seconde de ce magnifique spectacle.


Tandis que maman garde ses yeux sur le podium, moi je consulte mes mails professionnels. Les défilés n'ont jamais été une passion pour moi mais je me devais d'être là pour soutenir ma femme, mais surtout pour voir le visage que fera ma mère tout à l'heure quand elle verra la créatrice de mode.  


- Femi, regarde. Depuis quand Arabella et ta collègue de travail …

- Paula, tu veux dire ?

- Oui, Paula. Depuis quand Arabella et elle font du mannequinat ?

- C'est récent, maman. C'est juste pour s'amuser. Rien de professionnel. Ne me dis pas que toi aussi tu souhaites faire carrière dans le mannequinat, parce que tu es bien trop vieille pour cela !

Les yeux avec lesquels elle me regarde me font comprendre que ma blague est de mauvais goût. Je n'en rajoute pas.


Enfin, c'est fini. Je ne tenais plus en place, moi. S'asseoir durant des minutes pour regarder des gens marcher n'est définitivement pas mon truc, mais je n'oserais jamais le dire à Aurore ! (Sourire).

Le présentateur nous invite à nous lever pour accueillir la styliste. Ma mère est l'une des premières à se lever et l'une des premières à applaudir.

Je la regarde. Le sourire radieux sur son visage se déforme et laisse place à une mine déchantée. Ses mains ralentissent leur cadence et ses jambes trop tremblantes l'obligent à s'asseoir. Il semble subitement faire très chaud pour ma mère, malgré l'air climatisé. Elle se met à s'éventer. Intérieurement, je ris. Au moins, je n'ai pas attendu pour rien. Je jubile trop rien qu'à la voir.

Vers moi, elle lève des yeux encore perdus.

- Elle !

- Oui, elle, l'infirme ! réponds-je en souriant grandement.

Je la laisse là et vais sur le devant de la scène embrasser ma chérie. Quand je regarde à nouveau vers ma mère, elle n'est plus là. Cela ne m'étonnerait pas qu'elle soit partie.

* *

 *

Plus tard dans la nuit.

Aurore AMOUSSOU


Femi et moi nous remémorons encore la scène avec sa mère. Nous sommes étendus sur le lit. Arabella dort déjà dans sa chambre.

-Tu aurais dû voir le visage de maman. C'était trop hilarant. Au départ, elle était très enthousiaste, elle louait la styliste à n'en plus finir. Mais dès qu'elle t'a vue, on aurait dit que le diable se tenait devant elle. J'ai fait un effort surhumain pour ne pas rire.

- J'imagine sa surprise. Ça n'a pas dû être une partie de plaisir pour elle. Tu devrais l'appeler pour t'assurer qu'elle est rentrée à Porto-Novo et qu'elle va bien.

- Je l'ai déjà fait.

- Et …

- J'ai eu à peine le temps de demander de ses nouvelles que déjà elle me raccrochait au nez.

- Elle est peut-être fâchée contre toi et moi.

- Peu m'importe cette fois-ci. J'ai vraiment adoré lui clouer le bec !

- Femi, ne parle pas ainsi de ta mère !

- Ok. Je te le concède. Mais malgré le fait que je l'aime énormément, je trouve qu'elle exagère un peu trop avec toi. Regarde tout le mal que tu te donnes à chaque fois pour lui plaire. Pourtant depuis lors, c'est toujours le statu quo entre vous.

- Oui, malheureusement. Mais je ne perds pas espoir, la concernant. J'ai parfois envie d'abandonner, mais quand je me rappelle ton amour ainsi que toute la patience de ma mère envers la peste que j'étais, je reprends confiance en l'avenir. Un jour, j'en suis sûre, ta maman finira par m'accepter.

Sur ma joue, il dépose une bise avant d'ajouter.

- Tu me rends vraiment fier, Aurore.

- Merci, mon cœur.

- Tu …


Il ne termine pas sa phrase. Il se redresse brusquement.

- Un souci, Femi ?

- Oui, ta main.

- Qu'est-ce qu'elle a ma main ?

- Regarde-la.

J'observe attentivement ma main, mais je ne remarque rien.

- Mais, je ne vois rien !

- Il te faut une loupe alors pour te rendre compte qu'elle manque d'éclat ! Elle semble bien trop pâle, tu sais !

- Pâle ! Je ne suis pourtant pas anémiée !

Si je n'ai pas évoqué une éventuelle grossesse, c'est parce que j'ai eu mon "salaire" récemment. "Mon salaire", c'est ainsi que Femi surnomme mes menstrues.

- Vraiment, Aurore ?

Là, je commence à m'inquiéter.

- Tu penses que je devrais voir un docteur ?

- Oui. Finalement Non, ce n'est pas la peine. J'ai mieux pour toi.

- Depuis quand t'es docteur ?

- Patiente !

Il descend du lit et va dans la salle de bain. Je l'entends ouvrir et refermer l'armoire. Quelques secondes plus tard, il revient vers moi.

- Voilà, avec ceci, ta main sera plus éclatante ! Mais d'abord tu dois l'accepter.

Au creux de sa main, repose une bague.

- Femi ! m'exclame-je.

- Aurore Fifa AMOUSSOU, veux-tu m'épouser ?


Je m'attendais à tout sauf à cela.

Je le regarde. Je suis tellement émerveillée, tellement émue que je perds mes mots. Je veux lui dire Oui, mais je n'arrive plus à parler. Des larmes coulent de mes yeux.

- Dois-je prendre cela pour un Oui ? me demande-t-il en souriant.

Avec vivacité, je hoche la tête. Autour de mon annulaire, il enroule la bague.

- Voilà, maintenant ta main brille !


Encore et encore, je regarde la bague. Elle est tellement belle à mes yeux.

- J'aurais pu t'offrir une bague en diamant. Mais j'ai préféré te porter celle-ci. Elle est simple mais signifie beaucoup de mois de sacrifices pour moi. Je l'avais achetée quand nous sortions ensemble avant. Je comptais te l'offrir mais …. (il soupire)… les choses ne se sont pas passées comme je le voulais. A présent, je souhaite qu'elle reste à ton doigt pour te rappeler combien je t'aime.

- Merci Femi ! Pardonne-moi pour …

Sur mes lèvres, il pose un doigt.

- Shut.

- Tout ça est derrière nous. Tout ce qui compte à présent, c'est ce que nous allons construire dès maintenant pour Arabella​ et pour nous.

J'acquiesce.

Nous scellons notre amour par un long baiser puis etc. (sourire)






SECONDE CHANCE