Chapitre 6

Ecrit par Chrime Kouemo

Cette cérémonie de baptême était décidément bien longue se dit Rachel en baillant au moins pour la troisième fois à s’en décrocher la mâchoire. Marielle, assise à sa droite lui adressa un sourire moqueur, auquel elle se retint de répondre en tirant la langue comme une gamine.

Sa petite sœur ne pouvait pas comprendre qu’elle n’était plus habituée à des cérémonies aussi longues. Le prêtre n’en finissait pas d’égrener son chapelet de recommandations et de conseils aux parents sur l’éducation religieuse de leurs enfants. En France, un baptême ne durait pas plus d’une heure et encore, il fallait qu’il y ait plusieurs enfants à baptiser.

La plupart des membres de sa famille paternelle résidant à Yaoundé assistaient à l’office religieux. Liliane, pourtant arrivée de Limbé la veille, n’avait pas jugé utile d’être là. En chrétienne « born again », le baptême d’enfants en bas âge était un non-sens pour elle, puisqu’ils étaient trop jeunes pour comprendre l’engagement que cela représentait. Elle avait donc annoncé à ses parents le matin même avec le cran qui la caractérisait qu’elle ne viendrait pas. Elle retint un fou rire en se remémorant le regard déconfit de son père à ce moment-là. Son père avait encore du mal à digérer le fait que ses enfants et notamment sa fille toujours docile, n’obéissait plus au doigt et à l’œil à ses demandes. Sa mère et elle avaient quand même essayé de la convaincre, arguant de la cohésion familiale, mais n’avaient pas réussi à la faire plier.

Alors qu’elle se demandait encore combien de temps elle subirait ce supplice dans l’église dont le toit de tôles en aluminium jouait à la perfection son rôle de réflexion de la chaleur, le prêtre annonça enfin : « Je vous salue, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Ouf!
Sa cousine Alice prit dans ses bras son fils Tertulin, nouveau baptisé. Rachel se demandait toujours comment et pourquoi certains parents faisaient autant d’efforts pour affubler leurs enfants de prénoms aussi bizarres. Les 
Bam’s avaient vraiment le chic pour ce genre de choses. Dans sa famille, il y avait quelques pépites comme Bosco, Brillant, Mauricette, Juvin... Si elle avait espéré qu’avec la jeune génération les choses changent (sa cousine n’avait même pas encore 30 ans tout de même), c’était raté.

Toute la famille se retrouva devant le parvis de la chapelle d’Etoug Ebe. La façade de la bâtisse présentait encore telles des peintures rupestres les vestiges des couches de poussière et avait besoin d’un bon coup de peinture, maintenant que la route était enfin goudronnée. Le photographe attitré de la famille, son oncle Tonton Louis, leur rappela de rester groupés et s’énerva parce que plusieurs personnes essayaient de prendre à leur tour des photos avec leurs téléphones et que cela empiétait sur son travail. Ah! La Génération Android comme on les appelait au Cameroun. Elle fit de même que les autres et prit des selfies avec sa petite sœur et ses cousines malgré les regards assassins que lui lançait son oncle.

Après quelques photos, ils prirent la direction du domicile des parents d’Alice qui vivaient aussi à Mendong comme ses parents. L’appartement d’Alice et son mari ne pouvait pas accueillir tout le monde.
Alors c’est comment, tu as un nouveau gars? lui demanda sa cousine Alice avec son tact habituel.

Rachel se retint de grimacer. Les gens avaient vraiment le chic au pays de vous poser une question très personnelle sans aucun détour et surtout sans se soucier des oreilles alentour. La jeune femme pouvait presque voir se tendre les oreilles de ses tantes assises à côté. S’il était vrai que sa cousine était sa combé quand elle était au bled et l’était restée malgré la distance, son côté brut de décoffrage l’avait toujours à la fois horripilée et amusée. Dans le cas présent, elle était un peu agacée car sa cousine était parfaitement au courant de sa rupture avec Alexandre et savait qu’elle n’avait personne. C’était elle qui l’avait encouragée à se laisser tromper de nouveau comme elle disait.

  • -  Ça te gêne qu’on en parle plus tard? lui répondit Rachel en baissant le ton pour que sa cousine soit la seule à l’entendre.

  • -  Hum Hum... N’espère pas t’enfuir avec mes divers en tout cas, fit Alice en s’emparant d’un bout de bâton de manioc dans son assiette.

  • -  Comment pourrais-je le faire avec toi?

    A la fin du repas, Rachel et les autres femmes de la famille s’attelèrent à débarrasser les tables et à faire la vaisselle pendant que les hommes sirotaient leurs bières dehors. Comment pouvait on ainsi éduquer les garçons à être aussi machos? Ses parents n’avaient d’ailleurs pas dérogé à la règle : son père interdisait à son frère de mettre pied à la cuisine car il estimait que c’était un lieu exclusivement féminin. Son père l’avait même traitée de féministe au cours d’un de leurs multiples débats à ce sujet lors de ses premières vacances au pays. Comme si être féministe était une injure ou une tare.

    La vaisselle terminée, Alice confia le petit Tertulin à sa mère et la tira hors de la barrière. Elles marchèrent un instant et se retrouvèrent devant l’ancienne aire de jeux, qui ne ressemblait plus à rien par manque d’entretien. Les toboggans et balançoires avaient laissé place à un vague petit terrain où des comptoirs de bois étaient installés.

  • -  Alors,mes divers?

  • -  Il n’y a jamais de préambule avec toi hein? S’enquit Rachel avec un sourire.

  • -  C’est les préambules qu’on mange?? Rétorqua sa cousine en riant.

  • -  Il faut quand même mettre les formes de temps en temps non? Dis-moi d’abord comment tu vas?

  • -  Ça va, nous sommes là. C’était un peu chaud pour nous ces derniers temps comme Tertulin a été malade.

  • -  Oui tu m’avais dit, mais j’ai vu que ça allait mieux et qu’il a même repris du poids par rapport aux photos que tu m’as envoyées sur WhatsApp.

  • -  Il n’a pas encore tout récupéré mais il est sur la bonne voie. On a vraiment cru que la fièvre typhoïde là allait l’emporter. Dieu merci, le Seigneur était au contrôle.

  • -  Oui, heureusement.

  • -  C’est pour ça que maman a tenu à ce qu’on le baptise au plus vite, c’était comme une façon de rendre encore plus grâce à Dieu.

    Rachel hocha simplement la tête.

  • -  Et toi alors? continua sa cousine. J’ai de la peine à croire que ça fait 5 ans que je ne t’avais pas vue en chair et en os, tu n’as même pas un peu changé. Pas comme moi ci qui suis devenue bomtolo .

  • -  N’exagère quand même pas! S’exclama Rachel en riant. Tu as certes pris quelques rondeurs, mais franchement de là à dire que tu es devenue grosse, c’est un peu abusé. Sinon je vais bien, poursuivit-t-elle, et oui cinq ans ça fait long. Heureusement qu’aujourd’hui avec les réseaux sociaux et consort c’est plus facile de garder le contact.

  • -  C’est clair! Bon, mes divers maintenant. Est-ce que tu as rencontré des gens intéressants à ta soirée d’anciens élèves?

  • -  Euh... J’ai revu Alexandre...

  • -  Et?

  • -  Il m’a demandé pardon et il souhaiterait qu’on se remette ensemble.

  • -  Ça alors ! Et tu lui as répondu quoi?

  • -  Je lui ai fait comprendre que je ne lui avais pas pardonné son infidélité.

  • -  As-tunseulement l’intention de le lui pardonner un jour?

  • -  Je n’en sais rien. Avant de le revoir j’étais sûre de moi, voire catégorique! Mais maintenant je ne sais plus trop quoi penser.

    Sa cousine s'arrêta net, la fixa droit dans les yeux en haussant un sourcil. 

    - Ce qui veut dire? La questionna-t-elle.

- Il m'a embrassée et je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi bon qu'avant confia t'elle

-  Ikiiiii!! Voilà alors le divers que j’attendais! S’écria Alice. Qu'est-ce que tu croyais? Que ce que tu ressentais pour lui allait s’éteindre d’un coup de baguette magique? 

-  Peut-être pas...

-  Ce que je peux te dire, c’est que si ce baiser t’a tant remuée, c’est qu’il faudrait peut-être que tu

  • étudies l’éventualité de vous donner une seconde chance.

    Ce fut au tour de Rachel de hausser un sourcil, dubitative.

    -  J’ai toujours trouvé que tu avais un peu bâclé votre histoire et je crois te l’avoir dit, poursuivit sa cousine.

  • -  Que j’ai bâclé notre histoire? l’interrompit-elle, outrée. Je te rappelle que je suis tombée sur sa nga au téléphone qui m’a balancé qu’elle sortait avec lui depuis trois mois, soit quelques semaines à peine après son arrivée. C’est dire à quel point il a essayé de m’être fidèle !!

  • -  Il n’est peut-être pas le gars clean que tu avais imaginé dans tes rêves de petite princesse, mais je veux juste te faire comprendre que tout n’est pas tout blanc ou tout noir et que des fois, il faut composer avec certaines choses, contra sa cousine. Il a ndem c’est vrai, mais qui ne commet pas d’erreur dans la vie? Il a au moins le mérite d’avoir insisté pour s’excuser et surtout il veut que vous vous remettiez ensemble. Je pense que tout cela nécessite que tu y réfléchisses un petit peu.

  • -  Mais pourquoi prends-tu ainsi sa défense? Tu ne le connais même pas!

  • -  Je ne prends pas sa défense, je veux juste que tu arrêtes de croire que tout est parfait dans la vie et que tu arrêtes de te cacher derrière les faiblesses des autres pour t’empêcher de prendre des risques.

  • -  Et toi, tu pardonnerais à Hervé un truc comme ça?

    Alice ne lui répondit pas, mais le regard qu’elle lui adressa était éloquent.
    Rachel, à un moment dans la vie, faute d’avoir ce que tu veux, tu composes avec ce que tu as. Hervé n’est pas l’homme parfait, mais il s’occupe bien de moi et de Tertulin et je crois que c’est déjà pas mal.

    La jeune femme, complètement assommée par le discours que lui tenait sa cousine, resta un instant à court de mots. Sa cousine reprit:
    Ma chère, juste pour te dire qu’il faut arrêter de croire au prince charmant à un moment! Tu as déjà 27 ans et il faudra bien que tu te poses un jour avec quelqu’un hein?

    La jeune femme était estomaquée par les propos d’Alice. Comment celle avec qui elle avait tant partagé autrefois pouvait-elle être aussi désabusée? C’était à elle qu’elle avait raconté ses premiers émois d’adolescente quand un garçon l’avait invitée à sortir pour la première fois. A l’époque, elles s’abreuvaient de Harlequin et croyaient dur comme fer que la fidélité était une notion non négociable dans le couple qu’elles auraient un jour. L’entendre lui parler ainsi lui faisait un choc. Les conversations téléphoniques qu’elles avaient continué à entretenir malgré la distance ne lui avaient jamais permis de se rendre compte que sa cousine devenait tellement blasée au point de sous-entendre qu’à 27 ans, il était plus que temps qu’elle se case.

    En même temps, sans qu’elle le veuille, certaines de ses paroles la mettaient un peu mal à l’aise. Se cachait-elle vraiment derrière les erreurs des autres pour s’empêcher de prendre des risques? Elle se rappelait qu’elle n’avait pas laissé une chance à Alexandre de s’expliquer sur son infidélité. Elle avait rompu sur le champ et n’avait plus jamais pris un appel de sa part. Est-ce que le grand amour qu’elle disait lui porter ne demandait pas qu’elle prenne un peu de recul? En y réfléchissant, elle se rendait compte qu’avant hier, elle n’avait même jamais envisagé de lui pardonner ou de lui redonner une chance. Pour elle, il avait commis une erreur tout simplement impardonnable.

Ecoute, fit sa cousine d’un ton plus doux, rompant ainsi le silence un peu embarrassant qui s’était installé. Je ne suis pas en train de te dire de te remettre avec lui mais je veux juste essayer de te faire comprendre qu’il faut parfois faire des compromis. Alexandre te fait encore visiblement de l’effet, pourquoi te triturer l’esprit alors que tu pourrais simplement profiter de l’instant présent? Ça ne t’engage à rien. Tu auras toujours le temps de faire le point sur tes

sentiments plus tard.
Je vais y réfléchir répondit Rachel.

Puis, essayant de détendre l’atmosphère, elle lui lança:

-  Hum... Le prénom de Tertulin là, c’était ton choix?

-  Je savais bien que ça te démangeait de me poser la question depuis le jour où je te l’ai annoncé, fit Alice en éclatant de rire. C’était le prénom du feu père d’Hervé qui est décédé quand j’étais enceinte. Tu comprends donc que je ne pouvais même pas trop dire quoique ce soit. Mais, tu sais, avec le temps je m’y suis faite hein.

  • Elles se sourirent d’un air complice puis, bras dessus bras dessous, reprirent le chemin de la maison des parents d’Alice tout en continuant de se raconter les derniers événements.

Entre deux coeurs