Chapitre 5

Ecrit par Jaulene Simangoye

GRAZIE

Moi : non je vais l'attendre dans le hall

M. Abess : ce n'est pas du tout raisonnable comme solution. J'en ai une un peu fofolle

Moi : non c'est bon je crois que vous en avez assez fait pour aujourd'hui

M. Abess : euh...ok. Je vous attends à l'extérieur

Je pouvais sentir une pointe de déception dans sa voix. Mais bon ça va il m'a assez aidée je trouve ! J'ai enfilé ce qu'il m'a apporté, je me suis débarrassé de tout ce qui devait disparaitre et j'ai tout remis en ordre. J'ai ensuite avalé un comprimé parce que la douleur s'était accentuée. Vraiment ce qu'il y a de plus chiant avec les menstruations en dehors de la possibilité de tâcher ses vêtements sans s'en rendre compte et bien ce sont les crampes utérines. En tout cas, voilà une partie du problème de réglée.

Maintenant comment sortir sans que cette horrible tâche n'attire l'attention des gens dehors. Si j'avais un foulard l'affaire serait déjà réglée, je l'aurais camouflée. Si j'avais plus de temps j'aurais peut être essayé de nettoyer la tâche avec de l'eau et laissé sécher un temps. Mais là ! Bon, dans la vie il faut parfois foncer tête baissée, je serais obligée d'essayer de la cacher avec mon sac à main.

Je sors de la salle de bain puis du bureau. Monsieur Abess n'est nul part. Tant pis ! Puis qu'il n'y a personne ici j'ai marché normalement jusqu'à l'ascenseur. Mais une fois arrivée dans le hall j'ai mis mon sac derrière moi. C'était un peu la galère pour marcher et j'étais foudroyée de regards interrogateurs mais j'avançais tranquillement. Qu'ils disent ce qu'ils veulent au final, qui est déjà mort à cause des racontars des gens. Je sors du bâtiment.

Il est presque dix sept heures trente, le gardien doit déjà être en train de fermer les portes principales de tous les étages. Vue que j'étais du mauvais côté de la route j'ai traversé pour essayer d'arrêter un taxi. Katia va encore se moquer de moi en disant que si j'avais mon propre véhicule je n'aurais pas à subir ce genre de tracas. Elle a raison, surtout que non seulement j'ai mon permis mais en plus j'ai de quoi m'en acheter un. En tout cas quand j'aurais le temps je le ferais.

Un véhicule sort du parking souterrain. Il traverse de mon côté et après m'avoir dépassée, il s'arrête quelques centimètres plus loin avant de faire machine arrière. Une fois arrivé à ma hauteur, le chauffeur baisse la vitre côté passager. C'est Nathalie Simbou, la DRH.

Moi : mademoiselle Simbou

Nathalie : Grazie, je vous ai dit qu'à défaut de se tutoyer, on peut s'appeler par nos prénoms. J'ai horreur des formalités inutiles

Moi : désolée, Nathalie 

Nathalie : je peux vous avancer si vous voulez

Dans son regard, je pouvais voir que ça n'avait rien d'une proposition mais que c'était un ordre et qu'elle ne me laisserait pas refuser.

Moi : d'accord

J'ai ouvert la portière et je suis montée. Ma tâche est déjà bien sèche, aucune chance que je ne salisse son véhicule.

Nathalie : pourquoi vous teniez votre sac derrière vous comme ça ? c'est pas très prudent

Moi : c'était une tentative de camouflage. Disons que je me retrouve dans une position assez embarassante

Nathalie : ah ! D'accord

Nous sommes restées silencieuses pendant un long moment. Heureusement qu'il y avait la radio. Ce silence pesant était un peu bizarre, limite embarassant.

Nathalie : alors ça fait une semaine que vous êtes avec nous, comment trouvez vous l'ambiance au travail ?

Moi : ça va, je n'ai pas à me plaindre

Nathalie : c'est bien. Et vous vous êtes fait des amies ?

Moi : les amitiés au travail ce n'est pas trop mon truc

Nathalie : ah, mais vous savez ça peut toujours servir

Moi : peut être oui. Mais je suis de celles qui s'en réservent et préfèrent maintenir des relations conviviales entre collègues sans plus

Nathalie : hum et c'est aussi le cas pour vos amours ?

Moi : Oui, pour ça aussi

Nathalie (avec un sourire bizarre) : c'est bien, c'est très bien. Vous êtes une femme prudente. Vous savez, il faut toujours éviter de se chercher des ennuis inutilement. Surtout dans les histoires d'amourettes de bureaux là. Entre collègues, entre chefs et stagiaires, entre assistantes et patrons, on voit tout le temps ce schéma se reproduire. Mais il fini toujours de la même manière aussi. La fille se rend compte qu'elle a perdu son temps et qu'elle aurait mieux fait de dire non parce qu'au fond l'homme, tout ce qui l'intéressait c'était d'inscrire un nom de plus dans son tableau de chasse.  Mais comme vous l'avez dit, vous préférez maintenir des relations cordiales et professionnelles donc ce n'est pas à vous que ce genre de chose pourrait arriver n'est ce pas ?

Je lui ai fait un sourire en guise de réponse.

Nous sommes arrivées à un carrefour et j'ai choisi de descendre là. Elle m'a souhaité de passer une bonne soirée et est repartie. J'ai pris un taxi en course jusqu'à chez moi. Une fois arrivée j'ai pris une bonne douche et j'ai mis tous mes vêtements du jour en machine. Le temps que ça tournait je me suis fais une tasse de thé bien chaude.

Je repensais à ma fin de soirée mouvementée et de comment Monsieur Abess m'a aidée. C'était vraiment trop mignon de sa part. Sa conversation bizarre avec Nathalie m'est revenue. Il est clair que cette femme en pince pour lui. Peut être même qu'il y a déjà eu quelque chose entre eux. Cette idée provoque un petit pincement dans mon cœur. J'avoue éprouver un peu de jalousie. J'ai bien senti tout à l'heure qu'elle essayait très clairement de me faire passer un message. Mais s'il y a bien une époque où les autres pouvaient m'intimider et me marcher dessus, elle est révolue. 

Après rinçage je suis allée étaler mon linge quand Katia a déboulé. Elle avait les bras chargés de sacs. J'imagine qu'elle a commandé à emporter vu ma situation. Les lieux publics pendant les menstruations je déteste et elle le sait. Nous nous sommes posées à la terrasse arrière. J'ai installé une natte et nous nous sommes assise dessus en mode pique nique. Je lui ai raconté tout ce qui s'est passé dans les détails et elle m'écoutait en lançant des ooh..aaaaah.

Katia : tu t'es déjà trouvé une rivale

Moi : nous ne sommes pas en rivalité

Katia : oh s'il te plaît elle a clairement montré les couleurs alors soit tu t'éclipses ou tu gagnes

Moi : on est pas en compétition et puis monsieur Abess n'a jamais dit qu'il était attiré par moi

Katia : oh s'il te plaît. Un mec qui tremble pour toi et qui va t'acheter tes serviettes en pharmacie sans broncher...il est mordu

Moi : humm...si tu le dis. Au fait t'étais pas sensée aller au resto avec ton chéri ?

Katia : il a annulé. Il a prétexté un dîner d'affaires mais je suis sûre qu'il est avec une fille. Qu'il continue de jouer. Le temps passe et tout joue en sa défaveur. Qu'il ne s'étonne pas seulement!

Moi : hum!

Katia : moi je cherche déjà l'homme de ma vie. Il est temps que je me pose et que je fasse des gosses. Si lui il ne suit pas je vais voir ailleurs.

On a fini de dîner puis elle est rentrée chez elle. Après avoir tout nettoyer je suis allée me coucher.

Le lendemain

Je suis arrivée à l'heure habituelle. Il semble n'y avoir personne dans le bureau de Monsieur Abess. Ça m'étonne un peu, il est toujours là très tôt. Je range mes affaires et j'active mon numéro professionnel. Je reçois presqu'immédiatement un message.

Bonjour, je suis dans la salle de réunion principale, je n'ai pas le temps de redescendre. Allez dans mon bureau, il y a un dossier posé sur la table, il est rouge. Apportez le moi s'il vous plaît.

Je suis entrée et j'ai pris le dossier. J'ai fermé la porte à clé en ressortant, on en sait jamais.  La salle de réunion principale est à l'étage au dessus. Je prends l'ascenseur pour aller vite. Dès qu'il s'ouvre je tombe sur Nathalie qui discutait avec monsieur Abess. Décidément elle ne le lâche plus celle-là. 

Moi : bonjour (à monsieur Abess) le dossier que vous m'avez demandé

M.Abess : merci

Il l'a pris et il est directement entré dans la salle de réunion. Nathalie m'a fait une sorte de sourire auquel j'ai répondu avant de revenir vers l'ascenseur. Définitivement cette femme me gonfle. Une fois revenue à mon bureau je me concentre sur mes tâches du jour. J'évite le plus possible de penser à ces deux là. Presque deux heures s'écoulent quand monsieur arrive enfin. Je lui remets sa clé, il ouvre et entre dans son bureau. Quelques minutes après il m'appelle.

M.Abess : avez vous des obligations personnelles pour le week-end prochain?

Moi : euh..non aucunes

M.Abess : bien. La semaine prochaine j'aimerais que nous allions ensemble du côté du cap pour le week-end.

Moi : pardon? Qu...quoi?

M.Abess : Nous avons une nouvelle opportunité d'affaire qui s'offre à nous. L'ONG FAITH & HOPE lance bientôt une nouvelle campagne de sensibilisation. Les investisseurs et les signataires de ce projet vont se rencontrer dans un hôtel au cap le week-end. Notre entreprise a été choisie pour tout ce qui concerne la communication et les besoins infographiques. Ce voyage sera pour nous l'occasion de fixer les closes du contrat avec l'ONG mais aussi de mieux nous imprégner du projet. Mais voilà je ne pourrais pas tout faire en même temps raison pour laquelle je voudrais que vous veniez avec moi. Êtes vous disponible ?

Moi : oui bien sûr 

M.Abess : alors nous partirons vendredi prochain dans la matinée et dimanche dans la soirée nous serons déjà de retour

Moi : bien

M.Abess : au fait, j'ai été très surpris hier de ne pas vous retrouver à mon bureau quand je suis remonté

Moi : je ne savais pas où vous étiez et l'heure défilait alors je suis rentrée

M.Abess : d'accord. Et sinon comment vous vous sentez aujourd'hui ?

Moi : ça va

M.Abess : parfait

Quelque part dans un hôtel de la ville

Joan Denvers


Je suis assis au balcon de ma chambre. Je peaufine les derniers ajustements du projet. Je devrais être en train de me reposer pour récupérer du décalage horaire mais ce projet me tiens vraiment à cœur il faut que la campagne soit une réussite et qu'elle produise des résultats réels. On m'a un peu briefé hier à mon arrivée sur ce qui a été fait mais je préfère tout revoir et proposer déjà les réajustements dans les parties qui me dérangent.


Je suis Joan Denvers, psychologue, co-dirigeant de l'association FAITH & HOPE mais aussi donateur principal du projet LVF, Lutte contre les Violences faites aux Femmes. Ça fait quatre ans que je n'avais pas mis les pieds dans mon pays. J'avoue ça fait du bien de revenir. Après tout ce temps loin de chez moi je comprends mieux la mélancolie d'Enrico Macias dans Adieu Mon Pays. C'est vrai qu'on peut aller partout mais on se sentira toujours mieux chez soi.


De ma chambre j'ai une vue sur la ville. Les bruits, les odeurs qui me parviennent me rappellent des souvenirs tellement beaux et douloureux à la fois. Oui. Ils me rappellent l'enfant puis l'homme que j'ai été avant mon départ. Ils me rappellent combien la vie peut nous corriger quand on joue le con.


J'enregistre tous les derniers ajouts et je ferme mon ordinateur. Je sors mon portefeuille et je retire la photo. Je la regarde un moment avant de la remettre à l'intérieur. Je me pose tellement de questions. Qu'est-t-elle devenue? Est-elle heureuse ? Pense-t-elle toujours à moi?


Moi : qu'es-tu devenue après tout ce temps mon amour?


À suivre...

La Larme De Trop