Chapitre 6

Ecrit par Jaulene Simangoye

La fin de semaine suivante

Joan Denvers

J'ai eu toute la semaine pour souffler un peu. J'ai flâné dans la ville pour aller à la redécouverte des coins que je fréquentais avant mon départ. Que de changements ! Plusieurs endroits sont devenus méconnaissables tandis que d'autres, mais très peu, sont quand même restés les mêmes. J'ai redécouvert certaines plages, j'ai notamment appris la fermeture d'un restaurant que j'aimais beaucoup.

J'ai fait un tour dans mon ancien quartier. Certains commerçants m'ont reconnus et ce fut vraiment cool d'échanger avec eux après tout ce temps. Prendre de leur nouvelle et donner des miennes. Le petit appartement que je louais est toujours là. Maintenant c'est un jeune couple qui s'y est installé. Ils ont refait la peinture à l'extérieur et ont rajouté un portillon. Je n'ai pas eu le courage d'aller frapper à la porte pour demander à voir l'intérieur. Rien que l'extérieur ça m'a fait un peu bizarre. Comme s'il avait enlevé quelque chose qui était à moi.

J'ai quitté l'hôtel après deux jours. L'ONG est propriétaire d'une grande cité dans la ville. C'était une construction de l'État mais qui au final ne servait plus. Il y a deux ans nous l'avons rachetée, nous avons rénover les bâtiments encore viables et nous avons rasé le reste et reconstruit deux bâtiments de quatre étages comptant chacun quatre appartements par étages. C'est dans ce lieu que nous logeons les femmes que nous recueillons. Les autres bâtiments nous servent de bureaux, d'infirmerie, de salle de réunion mais nous avons aussi une salle de cinéma. Je me suis installé dans un des appartements vides. C'est là que je résiderais le temps de mon séjour.

Là je fais ma valise. Je me rends au cap pour la présentation de ce week-end. Généralement c'est mon cousin, Yves, qui s'occupe de tout et moi je me contente de l'assister à distance : je corrige certaines choses, je donne certaines idées et j'envoie l'argent dont il a besoin. Je le faisais surtout pour ne pas avoir à revenir au pays. Mais pour ce projet là je ne pouvais pas me tenir à distance comme avec les autres. Ma motivation est bien trop personnelle.

J'ai grandit dans un foyer où presque chaque jour je voyais ma mère trembler de peur devant un homme qui la frappait pour un oui ou pour un non. Pendant des années j'étais impuissant, je ne pouvais rien faire d'autre que la regarder souffrir. Je ne comprenais pas pourquoi malgré les articulations cassées, les hématomes, les cicatrices, les bleus, les séjours à l'hôpital ; pourquoi malgré toute cette souffrance elle restait là et ne s'en allait pas. Cette question m'a tellement hanté que j'ai étudié la psychologie pour trouver une réponse.

Je suis devenu psychologue pour aider toutes ces femmes et ces enfants qui vivent un enfer auprès de monstres qui ne savent que les traumatiser avec la violence. Je voulais leur dire à elles ce que personne n'avait dit à ma mère pour lui donner la force de se libérer définitivement de son bourreau. Et je veux éviter que ces femmes aient le même destin, mourir à cause des coups. Parce que oui, ma mère a fini par en mourir.

Je ferme ma valise, je prends mon sac à dos et je sors pour embarquer le tout dans la voiture.

Yves : c'est bon tu as tout pris?

Moi (mettant mes affaires dans la voiture) : oui c'est bon on peut partir

Yves : ok

Nous avons démarré, direction le cap. Au moment où nous dépassions un supermarché je remarquais qu'il n'y avait aucune vivre dans le véhicule.

Moi : fais demi tour on va prendre des trucs à grignoter dans le supermarché

Yves : pff pour quoi faire? Avant midi on sera là bas vu qu'on démarre tôt

Moi : prévenir vaut toujours mieux que guérir

Il a garé le véhicule en boudant. Monsieur n'aime pas les choses improvisées. C'est son problème. Je suis entré dans le supermarché, j'ai pris une corbeille et rapidement j'ai fait mes amplettes. Au moment de passer à la caisse, la demoiselle devant moi se disputait avec la caissière. Apparemment la caissière a fait le compte pendant que la fille rangeait ses courses, le tout faisait 15.600 francs. La fille a sorti 16.000 francs mais la caissière a de suite exigé de recevoir soit les 15600 francs dûs soit 16100 francs. Et comme la demoiselle lui a répondu qu'elle n'avait pas de monnaie, réponse qui énerve toutes les caissières parce que c'est leur chanson, elle s'est énervée.

Caissière : vous n'avez pas la monnaie de quoi? Que qui a la monnaie? C'est simple mademoiselle je vous ai dis d'ajouter 100 francs, sinon donnez moi 15.600. Moi je n'ai pas la monnaie oh. Vous ne comprenez pas ? Donc où vous mettez 100 francs au dessus où vous allez remettre les articles à leur place il ne faut pas venir me fatiguer

Demoiselle : non mais vous vous prenez pour qui pour me parler sur ce ton espèce de mal élevée. Parce que vous vous tenez derrière cette caisse vous pensez que vous pouvez traiter les gens comme des chiffons. Vous pensez que je suis à 100 francs ou à 400 francs près.

Elle lui a jeté les 16 000 francs au visage.

Demoiselle : donnez moi ma facture et gardez le reste comme pourboire

La caissière s'est levée, énervée et a essayé d'attraper le bras de la jeune dame. Celle-ci a immédiatement réagi en lui collant une baffe qui a résonné dans tout le magasin. Sérieusement, tous les regards se sont portés dans notre direction. S'en était trop pour moi. 

Moi : mesdemoiselles s'il vous plaît ! Ça suffit maintenant, votre petite scène bloque tout le monde.

Les autres derrière moi se sont mis à rouspéter pour acquiescer mes propos. La caissière s'est assise et a ramassé les billets énervée. Elle les a mis dans la caisse et a sorti la facture que la jeune fille lui a arrachée des mains. Elles se sont lancées un regard noir puis la demoiselle a soulevé ses courses et est sortie. Heureusement moi je n'ai eu aucun problème à régler ma note. J'ai pris mes courses et je suis sorti à mon tour.

Je marchais rapidement vers la voiture. Je savais que j'avais pris plus de temps que prévu donc je me dépêchais. Je passais derrière une voiture quand soudain une femme me rentrait dedans avant de tomber assise par terre.

Demoiselle : aïe

Moi : désolé, vraiment désolé mademoiselle je ne vous ai pas vue

C'était la fille de tout à l'heure. Je l'ai aidée à se relever, elle n'avait rien de cassé.

Demoiselle : ouch, vous avez essayé de me tuer. C'est votre vengeance j'imagine?

Moi : non qu'elle vengeance! Vous en avez des idées ! Vous êtes sortie de nul part je ne vous avais pas vue Je m'excuse encore

Demoiselle : ce n'est pas grave. Vous m'avez aidée à me relever et si tout à l'heure vous n'étiez pas intervenu dans le magasin il y aurait sûrement eu une bagarre alors je vous pardonne

Moi : merci.

Pimmmmmpimmmmmmmmmmm!!!

Yves, tellement impatient était en train de klaxonner comme un fou.

Moi : c'est mon frère, nous sommes un peu pressé, vraiment désolé encore

Demoiselle : non mais vraiment pas de quoi! Bonne journée !

Moi : bonne journée !

J'ai repris ma route vers la voiture et dès que je suis monté Yves a direct démarré. Il avait sa mine des mauvais jours. Plus impatient que ce mec est ce que ça existe même ?

Moi : je te jure que j'ai fait vite mais j'ai eu un contretemps

Yves : ouais, il fallait que tu dragues. J'espère que moins qu'elle est belle!

Moi : Mais non! Je ne draguais pas.

Je lui ai expliqué tout ce qui s'est passé à l'intérieur du magasin avant la scène à l'extérieur. Il a éclaté de rire quand j'ai mentionné la gifle.

Yves : ah ça, une femme de caractère. Tu l'énerves et paff elle te remet à ta place kia kia kia kia et comment elle s'appelle?

Moi : Aucune idée

Yves : tu lui a remis ton numéro ?

Moi : non

Yves : tu as pris le sien quand même ?

Moi : non plus

Yves : mais alors vous vous racontiez quoi comme ça ?

Moi : je m'excusais juste pour sa chute. Je te l'ai dis je ne draguais pas

Yves : toi vraiment !

On a éclaté de rire. Je regardais à travers la vitre et je repensais à la scène de la gifle. Une image de ce monstre giflant ma mère ce jour là m'est venue. Je l'ai immédiatement chassée de mon esprit. Il vaut mieux que j'arrive là où on m'attend de bonne humeur.

Grazie


Je regarde à nouveau ma montre et je commence à bouder. Ça fait un moment qu'il m'a dit qu'il était en chemin et il n'arrive toujours pas. Les gabonais avec cette mentalité du retard. C'est grave! Me voilà debout à l'échangeur de Nzeng-Ayong avec ce gros trolley et les gens qui me regardent de travers quand ils passent. Je n'ai jamais compris cette sale habitude d'ailleurs. Tu vois quelqu'un avec un objet ou dans une position qui t'amène à te questionner, va lui poser la question. Pourquoi lui jeter un regard bizarre et insistant?

Pendant que je me questionne là dessus, un  véhicule gare devant moi. Monsieur Abess descend et vient prendre mon bagage pour le charger à l'arrière.

M.Abess : je suis vraiment désolé du retard

Je ne l'écoutais pas. J'étais trop occupée à le mater. Il avait troqué le costume pour un jean, un polo et une paire de baskets. Il était à couper le souffle j'en bavais littéralement. Il a refermé l'arrière, nous sommes montés dans la voiture et il a repris la route.

M.Abess : vous n'avez rien contre le reggae j'espère ?

Moi : Euh non

M.Abess : ok

Il a appuyé sur le lecteur pour le mettre en marche et la voix envoûtante de Lucky Dube a envahi la voiture.

M.Abess : quel genre de musique écoutez vous?

Moi : oh euh un peu de tout, aucun genre en particulier. Pourquoi ?

M.Abess : nous sommes deux dans la voiture, le trajet ne vas pas être rythmé uniquement par la musique que j'aime. Je veux que vous soyez à l'aise alors dès que les deux derniers titres finissent vous pourrez jouer au DJ

Moi : oh mais ça ne le dérange pas je vous assure

M.Abess : vraiment?

Moi : vraiment. En plus Lucky Dube c'est un artiste que j'aime bien.

M.Abess : voyez vous ça ? Et laquelle de ses chansons est votre préférée ?

Moi : hum je dirais I've Got You Babe

M.Abess : kia kia kia kia

Moi : pourquoi vous riez?

M.Abess : ben il se trouve que c'est aussi la préférée. Nous avons donc un point commun

Il l'a dit en me faisant un sourire tellement mignon qu'il aurait fait fondre un cœur de glace. Cet homme me plaît vraiment beaucoup et je ne sais pas pendant combien de temps encore j'arriverais à le lui cacher.

Il a pris l'étui eu cd qu'il avait inséré et l'a rapidement lu avant de pianoter sur les boutons du lecteur. Quand la chanson a débuté j'ai souri et nous avons échangé un regard complice.

M.Abess : I have gone right round the world, trying to find a women, a women that'll understand me. Allez chantez avec moi!

Moi : kia kia non non je ne maîtrise pas vraiment les paroles, en plus je chante comme une casserole

M.Abess : ce n'est pas grave, personne ne le saura, allez...c'est le début du week-end aujourd'hui, lâchez vous. Now that I've found you baby. I ain't gonna look no further


Moi : It's so nice when you're there, so nice, so nice. I love you I love you I love you I love you I love you. I've got you babe to make me feel alright


Nous chantions comme deux gamins dans la voiture. C'était magique. C'était comme si le monde autour de nous n'existait pas. Il n'y avait que lui, moi et Lucky Dube qui semblait nous dire qu'après tant de temps, on s'était enfin trouvé tous les deux et donc que la flamme que je sentais brûler dans mon cœur était normale. À cet instant je n'avais qu'une envie, qu'un seul désire, qu'il me prenne la main.

????You know baby my life depends on you. You are my future you are everything I've got. Please baby please baby, yeah ! I've got you babe to make me feel alright????

À suivre...????????

La Larme De Trop