Chapitre 5 : Un grand frère protecteur

Ecrit par Sandy BOMAS



***Yannick MIKALA***


« Yannick MIKALA trente-quatre ans, cadet de la très célèbre famille MIKALA. Une famille qui doit sa notoriété aux multiples frasques de feu mon père : Daniel MIKALA. 
C’est d’ailleurs à cause de tous les traficotages paternels que j’ai quitté le Bénin pour m’installer de manière permanente au Gabon. 

Ici des MIKALA, il y en a, à la pelle. Lorsque je me présente à des clients ou à des collaborateurs, je n’éprouve plus cette gêne, qui ne me quittait jamais lorsque je vivais à Cotonou.
Et même s’il est vrai que de temps à autre, les exploits du gang de mon père, font encore la une des journaux, je reconnais qu’en vivant à Libreville, il est plus facile pour moi de me détacher de tout ça ».

Lorsqu’on vient d’une famille archie connue,(surtout connue pour de vilaines raisons) il est souvent difficile de se faire un prénom. Mais en choisissant de vivre à Libreville, je n’avais pas trop cette pression, je pouvais évoluer en étant tout simplement moi : Yannick MIKALA un homme d’affaires, jeune, pas mal à regarder , talentueux, célibataire, DGA du restaurant gastronomique : Le Palais d’Epicure.

Oui j’ai une forte estime de moi. J’ai dû me forger un caractère d’acier et c’est pareil pour mes trois frères et mon unique sœur Francine. 
Il nous a fallu avoir les nerfs bien accrochés pour ne pas nous laisser atteindre par les allusions constantes liées aux activités paternelles. 

Lorsque nous étions plus jeunes, Maman avait réussi à nous tenir éloignés de tout ça. Mais à un certain âge il était difficile de continuer de faire la politique de l’autruche, il fallait se rendre à l’évidence. Nous étions des enfants d’un gangster. Réussir était alors l’unique moyen pour nous, de prouver que le grand banditisme n’était pas inscrit dans notre ADN. 

Et quand je nous regarde aujourd’hui, c’est avec fierté que j’admire les jeunes cadres que nous sommes tous devenus.

De toute la fratrie MIKALA, je suis le seul à ne pas encore être casé et même si je me fais traiter de célibataire endurci par mon entourage, je ne me mets pas du tout la pression.

Même si officiellement je ne suis en couple avec personne, il m’arrive de sortir avec des femmes de temps en temps, (je ne suis tout de même pas un moine ! *Grands rires*). D’ailleurs en ce moment, je fréquente une charmante dame que je respecte et que j’estime beaucoup, elle est mariée. On se voit quand on peut. Elle et moi savons tous les deux qu’il n’y aura jamais de « Nous » au futur. Elle est prise et moi je suis amené à rencontrer ma promise. J’attends la femme qui fera battre mon cœur pour m’engager véritablement et fonder une famille avec elle. Ça peut paraître vieux jeu, mais c’est ainsi que je vois les choses.

Pour l’instant je prends plaisir à m’occuper de ma nièce, Yasmine. Je lui donne tout l’amour paternel dont elle a besoin. Je ferai tout mon possible pour qu’elle guérisse de son cancer. »

***TROIS MOIS PLUS TARD***

Francine MIKALA 

« Nous sommes déjà au troisième mois de chimiothérapie et l’état de santé de Yasmine ne s’améliore toujours pas, bien au contraire, il se dégrade…

Quand je regarde ma fille, j’ai le cœur en lambeaux. Tous ses beaux cheveux sont tombés. Et elle a perdu du poids. Je me sens tellement impuissante ! Je n’arrête pas de pleurer, mais j’évite de craquer devant elle. Je dois rester forte. Il faut que je le sois pour ma fille. Mais à certains moments je me sens si seule…Heureusement que Yannick est là. Il excelle dans son rôle de grand frère protecteur.

Mon frère m’est d’un grand soutien psychologique, sans son appui, il y a longtemps qu’on m’aurait ramassée à la petite cuillère.Yannick joue les costauds et pourtant je vois que la maladie de Yasmine l’affecte beaucoup, mais il prend énormément sur lui pour ne rien laisser paraître.

Je suis soulagée de pouvoir compter sur lui, également pour le bon fonctionnement du restaurant. Il y a une semaine j’ai pu assurer les formations de cake design ça m’a fait beaucoup de bien, d’être au restaurant, de voir du monde, de penser à autre chose pendant le temps des ateliers.

Actuellement, il m’est impossible de m’éloigner du chevet de Yasmine pour aller travailler même en la sachant avec une équipe médicale consciencieuse. Il y a aussi Aline sa nounou qu’elle considère comme une deuxième maman… »

Je me levai du lit d’hospitalisation que j’occupais depuis que Yasmine avait été internée et m’approchai de ma fille. Elle tenait sa poupée dans ses bras. 

« Elle est presque comme une fillette ordinaire… »

Je m’agenouillai aux pieds du lit et me mis à prier Dieu pour qu’il épargne ma fille...

« Mon bébé, ma petite Yasmine, pourquoi est-ce qu’il a fallu que ça tombe sur toi ? Est-ce pour me punir de t’avoir conçue avec le fiancé de ma meilleure amie ? Ou es-tu en train de payer pour tous les crimes commis par tes deux grands-pères ? »

Tout ce que je veux c’est que Yasmine guérisse ...

« Mon Dieu, faites qu’elle guérisse ».

(…)

Le lendemain matin, je suis rentrée à la maison, rapporter les vêtements usagés afin de les mettre à laver, puis en prendre d’autres, ainsi que des dvd pour Yasmine.

« A force de regarder sans arrêt La reine des neiges, elle connaît toutes les répliques par cœur.
C’est plaisant d’être à la maison, de respirer l’air de mon petit nid, ça fait du bien de ne plus sentir cette odeur d’hétère et de produits antiseptiques qui flottent continuellement dans la chambre de ma Yasmine. 
Venir chez moi me fait du bien, même si que ce n’est que très rapidement que j’y passe désormais… »

J’avais une grande envie de me relaxer avant d’attaquer cette journée. Je me fis couler un bon bain chaud. Dans ma baignoire seule avec moi-même, je pouvais enfin lâcher prise et pleurer librement, sans avoir peur de paraître faible. 

Une alerte sur mon smartphone me rappela que j’avais rendez-vous avec une Vanessa PAMBOU future mariée. On doit se rencontrer pour établir le menu pour son repas de mariage. Elle doit également choisir sa pièce montée parmi toute la farandole de gâteaux que je propose.

« J’aime mon métier. J’ai toujours aimé contribuer au bonheur des autres en leur offrant ce que je sais faire le plus. Ce que j’apprécie énormément, c’est d’avoir un retour positif des jeunes mariés. Les savoir plus que ravis et les entendre m’adresser des remerciements à n’en plus finir. Les voir heureux : c’est mon plus gros cachet. 

Mais aujourd’hui je ne sais pas si je pourrai assurer avec cette future mariée. Mon moral est au plus bas, je n’ai qu’une seule envie : tout plaquer.

Comment sourire alors que ma fille souffre ? Comment contribuer au bonheur des autres alors que je suis moi-même plus que malheureuse ?

Après avoir passé une bonne heure à me lamenter dans mon bain, mon côté professionnel prit le dessus sur mes émotions et je fis taire la voix qui me dissuadait d’honorer ce rendez-vous.

Je sortis de mon bain. Debout devant mon dressing, je réfléchissais sur la tenue qui serait la mieux adaptée pour rencontrer cette jeune dame. J’avais beaucoup maigri. En trois mois j’étais passée de la taille quarante-deux à la taille trente-huit. Mon choix se porta sur un ensemble wax avec des motifs arrondis dans une teinte marron et orangé.

« C’est un ensemble que m’avait offert Maman avant que je sois enceinte. Je ne l’avais porté qu’une fois ou deux…Depuis j’avais des kilos de grossesse que je n’avais pas réussi à perdre et à eux s’étaient rajoutés le résultat de mon goût pour les bonnes tablées »

Je rentrai sans problème dans ma jupe queue de poisson et mon haut trois quart aux manches évasées. Je nouai un foulard assorti sur ma tête en prenant soin de laisser visible ma frange : le résultat était plutôt satisfaisant. 

« Il ne me reste plus qu’à camoufler ces affreuses cernes et je pourrai enfin être présentable ».

(…)

J’arrivais au Palais d’Epicure autour de neuf heures et demie. En me garant sur le parking je pouvais déjà prendre « la température ». Il y avait du monde.

Quand je traversai la grande terrasse du restaurant, tous les regards se posèrent sur moi. D’un hochement de la tête accompagné de mon plus beau sourire commercial, je saluais mes clients, je m’attardais un peu plus à certaines tables plutôt qu’à d’autres. Tous semblaient avoir choisi de conclure une affaire autour d’un petit déjeuner.

« À en juger par le nombre de clients au restaurant ce matin, la formule Buffet en semaine, lancée récemment par Yannick donne l’impression d’être un succès.

Je salue rapidement les employés qui semblent tous étonnés de me voir là ce matin. Je vois de la compassion dans leur regard, mais je reste de marbre. Je n’ai pas envie qu’on me prenne en pitié. Je n’ai pas le droit de me montrer faible devant eux. Ici je suis la boss. Je réponds poliment, lorsqu’on me demanda des nouvelles de ma Yasmine et je rebondis aussitôt sur le travail ».

Je fis un tour en cuisine pour saluer le personnel et m’assurer que tout se passait bien. Puis je montai saluer mon frère avant de préparer mon entretient avec Mademoiselle Pambou.

Le bureau de Yannick était juste en face du mien. La porte était légèrement ouverte, je toquai discrètement, car il était au téléphone. Quand il me vit son visage s’éclaircit, il écourta sa conversation. Et vint me saluer chaleureusement.

-Fran ! Je suis surpris de te voir ici ce matin…

-J’ai failli ne pas venir…

-Mais pourquoi tu t’es déplacée ? Qui a-t-il de si urgent que je n’aurai pas pu gérer ? 

-J’ai un rendez-vous avec une future mariée...La fiancée du nouveau directeur de BGFI Akanda, monsieur WORA-MONPLAISIR. 

-Ah oui ! C’est vrai que Stanley se marie bientôt ! 

-Tu le connais bien à ce que je vois, ça ne m’étonne pas de toi, « monsieur réseau ». Tu ne connais pas qui à Libreville ? Huumm toi là !

J’arrive à sourire en taquinant mon frère. Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas manifesté de la joie. Je n’y arrive plus depuis que Yasmine est malade.

-Oui je le connais assez bien, vu qu’on est dans le même club de course à pieds. Tu aurais dû m’appeler je me serai occupé de renseigner sa dame.

-Ne t’inquiète pas pour moi Yann, ce rendez-vous m’aidera à penser à autre chose pendant quelques heures. Et de son côté, Yasmine est ravie d’être restée avec Aline.

-Au fait, on aura les résultats de nos analyses quand ?

-Le Docteur Faubert nous les donnera cet après-midi. Je croise les doigts pour que l’un de nous deux soit compatible.

Yannick arpentait son bureau nerveusement. Après avoir fait plusieurs fois le tour de la pièce, il s’arrêta.

-L’un de nous deux le sera. Ne t’inquiète pas. Dit-il avec conviction.

-Je l’espère Yann…Je l’espère...

Il me prit dans ses bras et me tapota dans le dos, comme on le fait, quand on veut calmer un tout petit enfant.

-Je l’espère aussi…

Sentant l’émotion me gagner, je m’éloignai de mon frère puis essuyai les larmes qui avaient commencé à me monter aux yeux.

On frappa à la porte. 

-Entrez ! 

-Désolée de vous interrompre, fit l’assistante visiblement gênée, Madame PAMBOU est arrivée.

-Merci…Faites-la patienter s’il vous plaît...

Quand l’assistante fut partie, je m’assurai de ne plus avoir de marque de tristesse sur le visage puis sortie du bureau de mon frère.

(…)

Vanessa PAMBOU est une jeune femme souriante au teint noir, elle est pleine de vie et visiblement heureuse de se marier. Dans mon bureau, on s’installa au coin salon. Je sorti nos différents catalogues. Afin qu’elle puisse les parcourir et se faire une idée sur la formule de repas souhaitée.

J’avais demandé au chef cuisinier de nous apporter des mignardises salées et sucrées pour qu’à la fin de cet entretien, la future madame WORA-MONPLAISIR puisse choisir parmi les petits fours dégustés et composer sa sélection pour le vin d’honneur.

-Pour la pièce montée, j’hésite entre la génoise, les macarons et le traditionnel chou.

Je lui souris

-Tout est tellement bon n’est-ce pas ? 

-Je ne vous le fait pas dire ! 

On se mit à rire toutes les deux. 

-Je peux vous proposer un wedding cake, avec une génoise comme gâteau principal. On le travaillera avec de la pâte à sucre et on tiendra compte de votre thème pour customiser le gâteau. Et puisque vous semblez hésiter entre les choux, les macarons et la génoise, je vous propose une farandole de desserts en gardant le tout.

-Tout dépendra du prix...

-Ne vous stressez pas avec le prix, je vous ferai un tarif intéressant, surtout depuis que je sais que votre futur époux est un ami de mon frère Yannick.

-Merci c’est très aimable à vous.

-Je vous en prie. 

(…)

« Ça m’a fait du bien de faire un tour au restaurant ce matin. Rencontrer cette future mariée m’a aider à penser à autre chose pendant la matinée ».

Je n’ai pas réussi à avaler quoique ce soit . Yannick et moi étions à peine sorti du restaurant, que le stress me reprit. J’avais cet énorme nœud dans le ventre qui me serrait au point de me faire manquer d’air. Voyant que je n’allais pas bien, mon frère proposa qu’on aille à l’hôpital avec sa voiture.

-Il est préférable que ce soit moi qui conduise Fran.

-Ok.

Yannick avait eu raison, de prendre le volant. Le trajet qui nous menait au centre de cancérologie d’Angondgé, semblait interminablement long. Mon frère essayait de détendre l’atmosphère tant bien que mal mais c’était peine perdu. Lorsqu’il me posait une question j’étais incapable de lui répondre, puisque je ne l’avais pas écouté. 

-Désolée Yann, mais mon esprit est absent…Je te remercie pour les efforts que tu fais pour essayer de me faire penser à autre chose, mais je suis complètement préoccupée par les résultats de nos analyses…

-Je te comprends Fran...

Le reste du trajet se fit dans un silence pesant.

(…)

Dès que nous sommes arrivés à l’hôpital, le Docteur Faubert nous reçut immédiatement.

-Bonjour Madame MIKALA.

-Bonjour Docteur.

-Monsieur…

Elle serra la main à Yannick.

-Prenez place je vous prie…

L’expression de son visage ne présageait rien de bon. Ses traits étaient tirés, son regard était fuyant, comme si elle évitait volontairement de poser les yeux sur nous.

Elle sortit plusieurs feuilles d’une grande enveloppe blanche.

-J’ai reçu les résultats de vos examens…
Elle s’arrêta de parler. Se gratta la tête, rajusta ses lunettes.

La tension était palpable. Même Yannick qui domine son stress habituellement, avait le front dégoulinant de sueur. Comme moi il appréhendait la bombe qu’était prête à lancer le docteur…Ou pas…

-…Aucun de vous deux n’est compatible….

-Non ! Pas ça ! Ne dites pas ça Docteur ! Hurlai-je de désespoir.

-Je suis désolée.

-Vous voulez nous dire que Yasmine est condamnée à mourir ? Demanda Yannick avec une voix marquée par l’inquiétude.

-La maladie de la petite Yasmine est en grande progression…Sa dernière numération formule sanguine, montre qu’il y a toujours des anomalies. Elle a une forte anémie et la moelle osseuse est complètement envahit pas des blastes qui se multiplient de manière incontrôlée.

Pendant que le Docteur Faubert donnait des explications qui condamnaient toutes ma fille, je me noyais dans le torrent de mes larmes. Mon frère tenta de me calmer, mais je ne voulais pas être consolée. 
C’était trop violent. J’avais mal au-dedans de moi, tout ce que je voulais c’est qu’on trouve une solution miracle pour sortir ma fille des griffes du cancer.

-La chimiothérapie est inefficace …On va arrêter avec ça…

-Vous allez arrêter la chimiothérapie et laisser ma nièce mourir à petit feu c’est ça ?!

-Monsieur MIKALA, je comprends que vous soyez triste et en colère

-Non !...Vous ne pouvez pas comprendre…

-Si au contraire…Je me suis déjà battue contre cette maladie…Ma mère est morte d’un cancer…

-Je suis…Désolé…Je ne voulais pas vous froisser.

-C’est rien. Je vous comprends. Je vais vous proposer d’essayer une nouvelle méthode grâce à laquelle on a eu des cas de rémission, jusqu' à la guérison totale.

-Quelle cette méthode ? 

-Quand pouvons-nous essayer ce traitement ? Demandai-je entre deux sanglots.

-Le plus tôt possible.

-Ça me va ! Essayons-le même tout de suite s’il le faut ! 

-Mais il y a un détail important que vous devriez savoir, dit le Docteur.

-Lequel Docteur ?

-L’oncologue qui pourra suivre Yasmine est au Bénin. C’est le seul inconvénient…

Je partis dans un rire nerveux. Le Docteur Faubert me regardait comme si j’étais une extraterrestre.

-Vous pensez que le Bénin c’est loin ? On montera un dossier pour la prise en charge de Yasmine, dit le Docteur Faubert.

-Ne vous inquiétez pas docteur, le Bénin c’est chez moi

Elle me regarda, sourcils interrogateurs.

-Nous sommes béninois de mère, dit Yannick. Votre proposition de soigner Yasmine au Bénin est comme un signe de Dieu…

« Un signe de Dieu ? Je dirais plutôt un rendez-vous avec mon passé… »

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