Chapitre 7

Ecrit par Chrime Kouemo

Alors, comment tu le trouves ce modèle? demanda Ariane en lui tendant une photo représentant un modèle de robe en tissu pagne.

Les deux jeunes femmes se retrouvaient avec la tante d’Ariane, au quartier briqueterie dans l’atelier de couture d’Oumarou, un styliste réputé de la ville de Yaoundé. Rachel observa la robe que lui montrait son amie sur la photo et confirma que le modèle lui irait bien.

-  Je pense que ce serait superbe sur toi, lui répondit-elle en lui rendant la photo.

-  Adjugé!déclaraArianed’unevoixforte

-  Mais... tu n’as même pas regardé les modèles de gants que je t’ai proposé s’opposa sa tante en fronçant les sourcils.

-  Je sais, Tata. Mais tes modèles là font vraiment mater, continua Ariane avec le franc parler qui

la caractérisait.

  • Rachel étouffa un éclat de rire. Son amie avait le chic pour ne pas tourner autour du pot. En même temps, elle la comprenait quand elle voyait les modèles proposés par sa tante. A croire que toutes les femmes devaient porter leur « fameux gant » pour la cérémonie traditionnelle.

    Le couturier ayant fini de prendre les mesures dont il avait besoin, les deux jeunes femmes sortirent de l’atelier en attendant que la tante discute du prix avec lui. La rue était animée en ce milieu d’après-midi. Les motos-taxis slalomaient entre les voitures et les badauds qui marchaient sur la route en l’absence de trottoir. C’était l’une des raisons pour lesquelles, elle avait peur de conduire un véhicule au pays. Elle craignait trop d’écraser les gens.

    Son regard se dirigea vers la rue perpendiculaire un peu plus bas, où se trouvait le fameux ministère du soya où elles allaient manger de la viande et des brochettes de bœuf grillées. Aussi longtemps qu’elle s'en souvenait, le lieu était toujours égal à lui-même : poussiéreux, bruyant et bondé. Ce qui ne m’empêchait pas le soya d’être divinement bon. Certains disaient même que c’était tout cela qui participait à rendre cette viande braisée si goûteuse.

    Elles arrivèrent au stand appelé 50-50. On y vendait des brochettes de viande de 50 FCFA l’unité, d’où le nom. Ces brochettes étaient tellement savoureuses que lorsque le vendeur comptabilisait le nombre de bâtonnets à la fin du repas, les gens étaient toujours étonnés d’en avoir mangé autant.

    Ne voyant pas ses sœurs arriver, Rachel sortit son téléphone de son sac pour leur envoyer un message. Ariane lui fit signe de faire attention à son sac qui était resté ouvert et pendait négligemment sur son épaule, car le quartier était aussi réputé pour être truffé de pickpockets. La jeune femme resserra son sac contre son aisselle, tapa rapidement son message, puis rangea son téléphone.

    Dix minutes plus tard, Liliane et Marielle sortirent du taxi qui les déposa juste devant le grand barbecue du 50-50. Rachel était heureuse de passer ce moment avec ses sœurs. Elle oublia très vite qu’elle avait dû supplier Liliane pour qu’elle se joigne à elles. Sa sœur avait un programme chargé à son église. Elle avait argumenté, aidée de Marielle en insistant sur ses cinq ans d’absence pour réussir à lui faire accepter sa proposition de manger au ministère du soya. Rachel ne voulait pas critiquer les choix religieux de sa sœur, mais elle comprenait difficilement comment celle-ci ne pouvait même pas vouloir profiter de sa présence alors que cela faisait si longtemps qu’elle ne s’étaient vues. En plus, ce n’était même pas comme si elle lui demandait de l’accompagner partout (Marielle et sa mère se chargeaient avec plaisir de ce rôle). Elle avait vraiment l’impression que la famille était tout en bas de l’échelle des priorités de Liliane, et ça lui faisait mal.

    Repoussant ces pensées tristes de son esprit, elle prit une brochette posée sur le plateau devant elle, croqua dans un morceau et savoura la délicieuse viande grillée.

  • -  Alors, comme ça se passe les préparatifs du mariage? Demanda Marielle à Ariane. Tu n’as pas trop le trac?

  • -  Non pas du tout. J’ai juste peur que les gens de ma famille profitent du fait que nous ayons fait les choses un peu à l’envers pour nous taxer les dos pendant la cérémonie. Tu sais qu’on aurait dû faire le mariage traditionnel avant.

  • -  Je vois ce que tu veux dire. En plus, vous venez tous les deux de Mbeng; donc les gens croient automatiquement que vous êtes plein aux as.

  • -  De toutes les façons j’ai prévenu mes parents qu’il fallait qu’ils réfrènent leurs familles respectives dans leur braquage là. La famille d’Ousmane vient de loin et il faudra être indulgent.

  • -  Tu es toujours aussi cash ! Fit Rachel avec un sourire admiratif.

  • -  Et comment ! Rétorqua Ariane en lui adressant un clin d’œil.

  • -  Et qu’avez-vous décidé sur le plan religieux si ce n’est pas indiscret? Questionna Liliane à son tour

  • -  Tu veux savoir si je vais me convertir c’est ça?

    Liliane hocha la tête.

  • -  Chacun vivra sa religion comme il l’entend. Nous nous sommes bien accordés dessus quand il a été question de mariage entre nous. Il ne m’a d’ailleurs pas demandé de me convertir, ce que j’aurais refusé de toutes les façons.

  • -  Tes parents ont dû être rassurés, je présume.

  • -  Ah ça oui! Je me rappelle encore la tête de ma mère quand je lui ai annoncé que j’avais rencontré un Sénégalais avec qui je comptais faire ma vie. Sa première inquiétude était qu’il était musulman. Je m’étais retenue d’éclater de rire pour ne pas la froisser.

    La conversation se poursuivit au rythme des piquets de brochettes qui s’empilaient sur une feuille de papier posé à côté du plateau.

    ♣♣♣

    Rachel jeta un regard appréciateur sur la grande pièce bien éclairée qui constituait le bureau d’Alexandre. Elle admira la grande table en bois sombre où trônait un ordinateur portable et des dossiers bien rangés. Un mini ballon de basket était posé sur un présentoir doré à côté d’autres gadgets de sport bien masculins.

    Elle s’approcha de la fenêtre sous laquelle un gros climatiseur diffusait un air froid bienfaisant après avoir passé une demie heure dans une voiture aux sièges surchauffées par le soleil brulant de midi.
    Elle entendit Alexandre refermer la porte derrière elle et se retourna.

  • -  Il est pas mal ton bureau, tu as une belle vue d’ici, le complimenta t’elle

  • -  Oui j’avoue que je ne me plains pas, surtout après n’avoir connu que les bureaux en open space quand j’étais en France.

  • -  Ils ont plus la culture du boss ici, avec les bureaux bien cloisonnés et dont la surface augmente en fonction du grade

  • -  Mmm... marmonna Alexandre en venant la rejoindre près de la fenêtre.
    C’était la troisième fois qu’ils se voyaient depuis leur première sortie au Yaoba une semaine plus tôt. Elle avait essayé à chaque fois de lutter contre le désir qui s’emparait d’elle quand il l’embrassait, mais c’était à chaque fois plus fort qu’elle; elle cédait lamentablement. Il fallait dire aussi qu’il déployait l’artillerie lourde pour revenir dans ses bonnes grâces. Il était doux, charmant, attentionné. Il prenait de ses nouvelles tous les jours et lui avait demandé pardon à plusieurs reprises en lui assurant que ces instants d’égarement appartenaient au passé. En bref, il était redevenu l’Alexandre qui l’avait fait craquer au premier regard. Les sentiments qu’elle croyait morts et enterrés étaient entrain de refaire surface, ce qu’elle n’aurait pas cru possible pour elle qui avait toujours considéré la fidélité comme une valeur non négociable dans un couple. La 
    détermination qu’elle affichait avant de le revoir n’était plus qu’un vestige et elle se sentait de plus en plus basculer.

Etait-ce à ce à cause des discours de sa cousine sur le mariage et celui de sa mère sur le pardon que son esprit logique était aussi perturbé? Si elle en croyait les femmes de sa famille, la trahison d’Alexandre était excusable. ll venait de s’installer au Cameroun, et n’était pas préparé à gérer son célibat dans un pays où les gens considéraient qu’il était normal pour un homme de sortir avec plusieurs femmes en même temps. Bien qu’elle trouvait ce raisonnement complètement à l’opposé du sien, elle ne pouvait s’empêcher de se remettre en question. Ne devait-elle pas prendre en compte le fait qu’il lui fasse encore autant de l’effet ? Le fait qu’il se donne autant de mal pour la reconquérir alors qu’il pourrait aisément au vu de sa situation se trouver une femme sur place au Cameroun? D’un autre côté, en se remettant avec lui, quelle garantie lui offrirait-il pour ne pas retomber dans ses anciens travers? Une choses était sûre, elle ne pouvait pas lui refaire une confiance aveugle comme par le passé. Elle avait besoin d’être sécurisée.

Alexandre la prit par la taille et se mit à lui picorer le cou de petits baisers, ce qui mit fin à son dialogue interne. Elle frissonna et inclina un peu plus la tête sur le côté. Il en profita pour mordiller la chair tendre de sa nuque. Elle gémit, puis releva la tête pour chercher ses lèvres.
Il ne se fit pas prier et se mit à l’embrasser avec fougue. Rachel s’abandonna complètement et se hissa sur la point des pieds pour profiter encore plus de son baiser.
La sonnerie du téléphone fixe posé sur la table raisonna et les fit sursauter tous les deux, interrompant leur intermède. Pendant quelques secondes, Alex la regarda sans rien dire, puis il tendit la main et appuya sur une touche de l’appareil pour faire taire la sonnerie.
Tu ne réponds pas? lui demanda Rachel
Non, je rappellerai tout à l’heure.
Elle s’écarta de lui. C’était peut être le moment de lui parler de ses inquiétudes. Ne sachant par où commencer, elle lança :

  • -  Tu sais que je rentre dans deux semaines en France. Que se passe t’il après?

  • -  Je te l’ai dit la semaine dernière quand nous étions au Yaoba, je veux qu’on reprenne notre histoire.

  • -  Et qu’en est-il de la distance?

  • -  On trouvera une solution. Tu as toujours voulu revenir t’installer ici non? Dans l’intervalle, nous nous organiserons pour nous voir autant que possible argumenta t-il d’un ton déterminé

  • -  Tu m’as l’air bien sûr de toi

  • -  Oui, j’ai fait une énorme gaffe et crois-moi, j’ai retenu la leçon. Tout ce que je sais, c’est que je ne veux pas te perdre à nouveau.

    Il se rapprocha de nouveau d’elle et lui prit la main, entrelaçant ses doigts aux siens.
    Je te demande juste de me refaire confiance et de me donner une seconde chance. Tu vois bien qu’entre nous c’est toujours aussi bien qu’avant continua t’il en essayant d’accrocher son regard.

    Rachel sentit les battements de son coeur s’accélérer. Il avait raison, c’était toujours aussi bien entre eux qu’avant. Elle n’allait pas se voiler la face. Elle se sentait flancher de jour en jour.
    Elle leva les yeux vers lui et hocha la tête :
    Ok, je veux bien réessayer
    Un large sourire fleurit sur le visage d’Alexandre. Il l’attira de nouveau à lui et leurs lèvres se joignirent. Il fallait vraiment qu’elle arrête de se prendre la tête pensa t’elle en pressant davantage son corps contre le sien.

    ♣♣♣

    Seba arriva pour la première fois dans la ville balnéaire de Limbé par un après-midi chaud et moite du mois de décembre. Le voyage depuis Yaoundé avait été pour le moins étonnant et haut en couleurs. Juste avant le départ, un passager s’était levé et avait dit une prière demandant à Dieu de les conduire à bon port jusqu’à leur destination, de baigner l’autobus et ainsi que tous ses passagers dans le sang précieux de Jésus. Il avait été surpris, mais en analysant la situation du pays avec les accidents de voiture qui étaient légion surtout sur cette route dite Axe Lourd qui reliait Yaoundé à Douala, il comprenait que les gens s’en réfèrent à Dieu. A deux ou trois reprises d’ailleurs, leur voiture avait failli rentrer en collision avec le véhicule venant d’en face parce que leur chauffeur avait tenté un dépassement hasardeux sans aucune visibilité. A peine sortis de la ville de Yaoundé, ils avaient eu droit à un contrôle routier durant lequel ils avaient été sortis de l’autobus pour y remonter deux cents mètres plus loin. Il n’avait rien compris au principe.

A la gare routière de Limbé, son cousin Jules et lui n’eurent aucun mal à trouver un taxi pour les transporter à l’Hôtel Semme Beach. C’était Roger qui s’était occupé des réservations. D’après les commentaires sur internet, l’hôtel situé en bord de plage jouissait d’une bonne réputation. Il avait hâte de découvrir la ville et ses environs. De son enfance au Cameroun, ils n’avaient connu que quatre villes : Yaoundé, Douala, Nkongsamba et Foumban. Lors de ses deux précédents voyages au pays, il avait visité Garoua et Kribi. N'ayant aucun membre de la famille dans la région du sud- ouest du Cameroun, et les moyens limités de sa mère ne leur permettant pas de rêver de vacances au sens européen du terme, il n’avait donc jamais eu l’occasion de visiter d’autres villes que celles où il avait de la famille.

Il était plus de 16h quand ils arrivèrent à l’hôtel. Après cinq heures de route, il ne rêvait que d’une bonne douche et d’une bière bien fraiche. Il récupéra à la réception sans problème les clés de la chambre qu’il partagerait avec Jules. Deux heures plus tard, Seba reçut un sms de Roger lui annonçant son arrivée à l’hôtel. Ils se donnèrent rendez-vous à la réception. Jules, encore profondément endormi, ne bougea pas d’un poil quand il sortit de la chambre.

En approchant du hall de réception, il reconnut plusieurs voix, dont celle de Rachel. Il savait qu’elle serait là. Il l’avait revue au mariage traditionnel d’Ariane il y avait quelques jours de cela. Elle était alors accompagnée de sa petite sœur. Ils avaient bien discuté et ri pendant toute la cérémonie. Il espérait secrètement qu’elle était venue seule pour ce séjour entre amis. Lui aurait-on demandé pourquoi, qu’il n’aurait avoué la vérité pour rien au monde. Le jeune homme déchanta très vite quand entrant dans le hall, il aperçut Rachel que son frimeur de gars enlaçait par la taille. Un coup de poignard n’aurait pas pu avoir meilleur effet. Alors qu’il essayait de se remettre de ce K.O., Roger l’interpella :

Mbout’ man c’est how? Tu es arrivé à quelle heure?

Il donna une accolade chaleureuse à son ami et lui répondit :
Il y a deux heures environ. J’en ai profité pour me poser un peu, je ne savais pas que la chaleur ici rivalisait avec celle de Douala.

Il se tourna vers le reste de la bande et les salua tour à tour. Quand il arriva à la hauteur de Rachel et d’Alexandre, il aperçut le regard ouvertement triomphant de celui-ci, comme s’il savait que Seba était intéressé par Rachel. Il ne lui restait plus qu’à avaler son macabo.

Down Beach était « the place to be » à Limbe. Aucun touriste digne de ce nom ne pouvait arriver dans cette ville sans s’y rendre pour déguster le poisson braisé aux épices locales, accompagné de miondos. La vue sur la plage des galets noirs était imprenable malgré les bateaux pétroliers qu’on apercevait au loin. Seba huma l’air marin. Le poisson braisé tenait vraiment toutes ses promesses. C’est dans des moments pareils qu’il se disait que la cuisine Camerounaise était la meilleure du monde. Il pensait cependant qu’en matière d’hygiène, les choses auraient pu être améliorées. Sur certains comptoirs, les poissons baignaient dans une eau à la couleur incertaine, si bien qu’il était impossible de s’assurer de leur fraicheur.

Vous faites quoi demain matin ? Demanda Seba à ses amis.
Dormir, répondit paresseusement Roger en prenant une gorgée de bière. Tu as prévu quoi toi?Je ferai une visite au jardin botanique et au zoo de Limbé. Ça ne te dit rien?
Pardon, laisse-nous tes way des whites là se moqua Roger.

-  Pourquoi serait-ce seulement l’apanage des whites que de vouloir découvrir les régions de son pays? Intervint Rachel.

-  Ils ont raison, appuya Ariane. Il nous appartient de valoriser notre pays en visitant nos lieux touristiques.

-  Oh Oh pardon! Déposez-moi hein? Fit Roger en levant les mains en signe de reddition. Faites comme si je n’avais rien dit. Vous allez go dans vos ways, moi je reste nang.

Les autres éclatèrent de rire. Seba secoua la tête, un sourire en coin. Il était désolant de voir à quel point certains jeunes ne mettaient en avant le Cameroun qu’au travers des soirées pendant les fêtes de fin d’année, la Njoka comme on disait ici, et négligeaient le potentiel touristique. Heureusement, il y avait quand même des lueurs d’espoir au travers de certains blogs de Camerounais qu’il fréquentait sur internet... Et puis l’intervention de Rachel et Ariane prouvaient qu’il n’était pas le seul à penser de cette façon. Il ne put s’empêcher de regarder dans la direction de la jeune femme. Leurs regards se croisèrent et s’accrochèrent quelques instants. Il y lut un certain trouble, ou alors il se faisait des idées? Elle détourna le regard en premier.

Seba reporta son attention sur la plage où Alex était en train de faire des va-et-vient, visiblement agacé. C’était la troisième fois qu’il se levait de table pour aller téléphoner.


Il y’a encore quoi? aboya Alexandre en décrochant son téléphone.

  • Cette fille était vraiment une tête de mule, ou alors elle faisait exprès pour lui porter sur les nerfs.

    -  Je ne comprends pas que tu me laisses tomber comme ça, sanglota la jeune femme dans le

  • combiné.

    -  Je te rappelle que je ne t’ai rien promis; mais alors absolument rien! Tu prends l’argent que je

  • t’ai donné - et je pense que c’est largement suffisant - et tu fais ce qu’il faut; ne m’oblige pas à

    être totalement désagréable avec toi, menaça t’il.

  • -  Il n’y a donc rien qui puisse te faire changer d’avis ? Continua t’elle d’une voix suppliante.

  • -  Non! Ecoute, je dois te laisser. N’oublie pas de régler ça au plus vite. J’ai fait ma part, à ton tour maintenant.

    Et sans aucune autre forme de procès, il raccrocha. Il passa la main sur son crâne nu et regarda en direction de la table où ses potes et Rachel l’attendaient. Il n’était pas question que cette Stéphanie gâche tout. Surtout pas maintenant! Il n’avait pas encore totalement regagné la confiance de Rachel. Certes, ils avaient refait l’amour, mais il sentait encore une certaine retenue comme si elle s’efforçait de ne plus se méfier de lui. Et le fait que ses rapports soient tendus avec Ariane, une de plus ses proches amies, ne jouait pas en sa faveur. Non pas qu’il la pensait influençable à ce point, mais cela ne lui facilitait pas la tâche.

    De toutes les façons, il n’allait pas se décourager parce qu’ il avait un but : reconquérir Rachel entièrement. Avec les filles toutes plus vénales les unes que les autres qu’il avait rencontrées depuis son retour au pays, il se disait qu’il valait mieux se consacrer à une valeur sûre, une femme qui ne voyait pas en lui le seul aspect pécuniaire. Avec Rachel, les choses étaient simples; elle ne lui demandait rien. Elle était très indépendante. De plus, il avait été son premier amant, et il avait la nette impression qu’il était resté le seul. Elle ne semblait pas avoir été avec quelqu’un d’autre que lui malgré sa tromperie. Ça comptait non?

    En s’approchant de leur table, il surprit encore une fois le regard envieux que ce connard qui se faisait appeler Seba jetait à sa nga. Cela lui donna envie de lui flanquer un coup de poing. Il avait toujours su qu’il lui enviait Rachel et ce dès la première fois qu’ils avaient fait connaissance.
    De toutes les façons, il pouvait toujours courir; Rachel était à lui et rien qu’à lui. Adressant un sourire narquois au jeune homme, Alexandre reprit sa place à la droite de Rachel et lui planta un baiser dans le cou.


Rachel se retint de sursauter quand Alex l’embrassa dans la nuque. Elle n’était pas très fan de ce type de démonstrations en public. Elle devait aussi reconnaître qu’elle était un peu gênée d’avoir Seba assis juste en face d’elle. Bizarrement, les flashes de leur baiser après la soirée de mariage d’Ariane, lui revenaient en masse. Etait-elle normale? Elle avait renoué avec Alexandre et avait vraiment envie d’accorder une vraie seconde chance à leur histoire. Pourquoi donc son esprit lui rappelait-il le petit intermède avec Seba? Elle s’efforça de diriger ses pensées vers autre chose.

Les tables de l’esplanade de Down Beach étaient bondées. Les tubes en vogue du pays tournaient en boucle dans les appareils HiFi des bars à proximité. Chaque tenancier de bar mettant autant de volume qu’il pouvait; à croire que c’était un concours pour lequel un prix serait décerné à celui qui casserait le plus les oreilles aux gens. Il était donc pratiquement impossible de mener une conversation digne de ce nom.

Quand elle vivait au Cameroun, elle n’était que moyennement gênée par le nombre de décibels de la musique diffusée par les bars de quartier. Cependant au fil de ces dernières années, le nombre de bars avait doublé, voire triplé. Quelle n’avait été sa surprise de constater que Mendong - Cité SIC qui était réputé pour être un quartier calme, était devenu extrêmement bruyant. On pouvait compter un bar ou un débit de boisson tous les 500m. Heureusement pour elle, son sommeil ne souffrait d’aucune discussion, mais elle se demandait comment faisaient les gens qui avaient naturellement un sommeil léger ou perturbé. Les seuls établissements qui pouvaient rivaliser en nombre avec les bars étaient les églises, comme le chantait Maahlox, un jeune chanteur populaire du moment.

A propos d’église, elle se rappela que la semaine prochaine, elle avait promis à sa mère de l’accompagner à sa séance de prière du mardi. Elle avait réussi à esquiver jusque-là le culte du dimanche, mais elle ne pourrait pas refuser indéfiniment ses invitations. Sa mère avait du mal à accepter qu’elle n’était plus la docile servante chrétienne de son adolescence au Cameroun. Elle la croyait même encore vierge si elle se référait à l’une de leurs récentes conversations. Sa mère lui avait rappelé combien la fornication était un péché à fuir à tout prix surtout compte tenu du fait qu’elle était banalisée et tacitement admise dans certaines églises. Elle avait envisagé lui donner le fond de sa pensée, mais s’était finalement abstenue. A quoi cela servirait-il de se battre contre des moulins à vent? Sa mère avait les idées très arrêtées sur la religion, et ce n’est pas en un séjour qu’elle aurait pu la convaincre de ne pas être aussi catégorique sur tout.

A son tour, elle observa Seba à la dérobée. Il discutait avec son cousin qui l’accompagnait le jour de la soirée au Maeva. Ils avaient l’air d’être vraiment complices. Depuis qu’ils s’étaient embrassés l’année dernière, elle l’avait revue à deux ou trois occasions. Il s’était alors montré poli et distant, ce qui en un sens l’avait arrangée puisque cela lui évitait de se poser des questions. Elle se souvenait du trouble qu’elle avait ressenti quand il était arrivé au Maeva, trouble qu’elle avait attribué à l’effet de surprise étant donné qu’elle ne savait même pas qu’il était aussi en vacances au pays en décembre. De toute façon, cette page était tournée. Ça faisait maintenant une semaine qu’elle s’était officiellement remise avec Alexandre. Les choses n’étaient certes plus comme avant ; ce qui en soit était normal, puisque beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts; mais elle se sentait confiante. 

Entre deux coeurs