
Chapitre 8
Ecrit par Verdo
Ethiam nettoya le salon avec une minutie presque obsessionnelle. Il frotta chaque tache sur le sol, s’assurant que le sang de Nomagno avait totalement disparu. Il essuya les meubles, changea le tapis ensanglanté et le remplaça par un neuf qu'il avait acheté quelques semaines plus tôt pour une occasion spéciale. Il ne pouvait pas se permettre que la domestique ou Ayélévi remarque quoi que ce soit d’étrange.
Une fois le salon impeccable, il rassembla les affaires de Nomagno : ses vêtements, son sac à dos, et même les restes de sa fête bruyante. Il sortit tout dans le jardin et alluma un feu. Alors que les flammes consumaient les souvenirs de cet homme, Ethiam observa, le regard vide. Le crépitement du feu semblait accompagner les battements chaotiques de son cœur. Chaque objet détruit lui donnait un soulagement passager, mais un sentiment écrasant de peur restait.
Lorsqu’il eut terminé, Ethiam retourna dans le salon, fatigué physiquement et mentalement. Il se jeta dans le divan, espérant trouver un peu de répit. Mais le silence de la nuit semblait amplifié, comme si chaque bruit dans la maison chuchotait ses secrets. C’est alors qu’il tourna son regard vers la table centrale, et la sacoche noire lui rappela brutalement que ses problèmes étaient loin d’être terminés.
La sacoche était là, posée comme un témoin silencieux de ses crimes. Malgré la disparition de Nomagno, elle restait. Ethiam se redressa, son esprit en ébullition. Les cauris qu’il avait vus sur la table la veille ne le quittaient pas. Il était certain qu’il n’y avait que sept cauris auparavant, alors pourquoi y en avait-il huit maintenant ? Et que signifiait cette transformation ?
Il passa ses mains dans ses cheveux, essayant de réfléchir clairement. La sacoche semblait le narguer, comme un ennemi invisible qui connaissait tous ses péchés. Il se demanda s’il devait s’en débarrasser une bonne fois pour toutes, mais une voix au fond de lui chuchotait qu’il n’y parviendrait jamais.
La fatigue le submergea, mais le sommeil refusait de venir. La sacoche, cette énigme maudite, continuait de peser sur lui comme un fardeau insurmontable. Tandis que l’aube approchait, Ethiam savait qu’il devait trouver une solution avant que tout ne s’écroule définitivement.
Ethiam se leva du divan, le regard rivé sur la sacoche noire. Elle était là, toujours là, défiant toutes les lois de la logique et des efforts qu’il avait déployés pour s’en débarrasser. Ce n'était plus une simple sacoche pour lui. C'était une entité, une force qui semblait s’accrocher à son âme, une malédiction vivante qui refusait de le laisser en paix.
Il s’en approcha lentement, presque à contre-cœur, comme si la sacoche pouvait le mordre. Il tendit la main, hésita un instant, puis la posa sur le cuir froid et usé. À cet instant précis, une vague de frissons lui parcourut le corps. Il retira sa main brusquement, le cœur battant à tout rompre.
« Pourquoi ? » murmura-t-il dans le vide. « Pourquoi es-tu encore là ? »
Il recula de quelques pas, le visage marqué par la frustration et la peur. Après tout ce qu’il avait fait – l’enterrer, la jeter à la mer, la brûler – elle revenait toujours, intacte, comme si elle se jouait de lui. Il sentit une bouffée de colère monter en lui, mais elle fut rapidement noyée par le désespoir.
Assis de nouveau sur le divan, il tenta de réfléchir à une solution. Peut-être qu’il fallait chercher de l’aide. Mais à qui se confier ? À un homme spirituel ? Cette pensée le fit frissonner. Comment expliquer à un prêtre ou à un marabout que cette sacoche était liée à ses crimes les plus sombres ? Qu’il avait tué toute une famille pour s’accaparer de leur richesse et qu’il était maintenant hanté par les vestiges de ses actes ?
Il secoua la tête, les pensées se bousculant dans son esprit. Mais quelque chose en lui, un mince filet d’espoir, lui soufflait qu’un homme spirituel pourrait peut-être l’aider. Faire disparaître cette chose, briser cette malédiction qui pesait sur lui. L’idée le tentait. Après tout, il était riche, immensément riche.
« Je suis immensément riche, » se murmura-t-il, comme pour se convaincre. « Avec l’argent, on peut tout faire. Avec l’argent, on peut garder n’importe quel secret sur cette terre. »
Cette pensée le rassura temporairement. Il se leva et fit les cent pas dans le salon, comme un homme pris entre deux feux. Mais une autre voix, plus sombre, résonnait dans sa tête. Et si l’homme spirituel ne pouvait rien faire ? Et s’il dévoilait tout ?
Le doute l’assaillait, mais il savait qu’il ne pouvait pas continuer à vivre ainsi. Cette sacoche, ces cauris, ce poids invisible… Tout cela allait le rendre fou. Finalement, il se décida. Il fallait agir. Il allait trouver un homme spirituel, un puissant marabout ou un prêtre discret, peu importait. Tant qu’il pouvait se débarrasser de ce fardeau.
Avec cette résolution, il se sentit légèrement soulagé.
Ethiam s’assit longuement dans le silence de son salon, le regard fixé sur le vide, perdu dans ses pensées. Ses mains tremblaient légèrement tandis qu'il se remémorait les paroles de Nomagno. Une assurance. Ce mot résonnait dans sa tête comme une alarme incessante. Qu’avait-il voulu dire exactement ? Est-ce qu’il avait confié son secret à quelqu’un ? Ou avait-il laissé des preuves quelque part ? Peut-être même que d’autres personnes en dehors de Nomagno savaient aussi ce qu’il avait fait à Mawugno et à sa famille. Après tout, il avait affirmé suivre Ethiam depuis un moment, qu’il connaissait ses allées et venues. Cela voulait dire qu’il avait peut-être confié ses informations à d’autres personnes. Des complices ? Des témoins ? Des curieux prêts à exploiter cette histoire pour leur propre bénéfice ?
L’idée le terrifia. Depuis qu’il avait quitté Fongbé-Zogbédzi, il avait tout fait pour effacer son passé. Il avait changé de ville, changé d’identité sociale, construit une nouvelle vie fondée sur des mensonges et des crimes. Mais aujourd’hui, cette vie s’effritait peu à peu, comme un château de cartes menacé par une brise violente.
Ethiam sentit une sueur froide couler le long de son dos. Non, il ne pouvait pas prendre ce risque. À partir de maintenant, il devrait être extrêmement vigilant. Il ne pouvait plus faire confiance à personne, pas même à Ayélévi, bien qu’elle soit partie. Il devait garder l’œil ouvert, être à l’affût du moindre signe, du moindre murmure qui pourrait indiquer que quelqu’un d’autre connaissait son secret.
Il se tourna vers la sacoche noire, toujours posée sur la table centrale, comme une sentinelle immobile. Pendant un instant, il envisagea à nouveau de la brûler ou de la jeter, mais il s’arrêta net. Ce serait inutile. Elle reviendrait, comme elle l’avait toujours fait.
Prenant une décision, il s’avança, saisit la sacoche avec une prudence mêlée de dégoût, et sortit du salon. Il monta les escaliers jusqu’à l’une des chambres d’amis qu’il n’utilisait jamais. Là, il ouvrit l’armoire, déplaça quelques couvertures et cacha la sacoche au fond, dans un coin sombre. Il referma l’armoire, puis la porte de la chambre qu’il verrouilla à clé. Il mit ensuite la clé dans sa poche, comme pour s’assurer que personne ne pourrait y accéder sans son autorisation.
« Pour le moment, tu restes là, » murmura-t-il à l’attention de la sacoche, bien qu’il sache qu’elle ne répondrait pas.
Mais en son for intérieur, il n’était pas apaisé. Ce n’était qu’une solution temporaire, une manière de repousser l’inévitable. Il savait qu’il ne pourrait pas échapper à ce poids indéfiniment. Le secret de Nomagno et cette sacoche étaient des bombes à retardement, prêtes à exploser à tout moment.
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Kodjo, ce matin-là, roulait tranquillement en direction de son bureau, une musique douce résonnant dans l’habitacle de sa voiture. Sur son chemin habituel, il s’arrêta, comme il le faisait souvent, devant l’étal d’une jeune femme qui vendait des fruits. Son sourire courtois et sa manière élégante de s’exprimer avaient toujours éveillé sa curiosité. Cette femme semblait différente, comme si elle n’appartenait pas tout à fait au décor rude des rues de Lomé. Elle avait une prestance qui la démarquait des autres vendeuses ambulantes.
« Bonjour monsieur Kodjo ! » l’accueillit-elle chaleureusement en le voyant sortir de sa voiture.
« Bonjour, Nadine, » répondit-il en souriant, ayant pris soin de retenir son prénom lors de leurs précédents échanges.
Cette fois encore, leur conversation fut plaisante. Kodjo appréciait son éloquence et son respect dans chaque mot qu’elle choisissait. Pourtant, quelque chose dans son regard lui donnait l’impression qu’elle portait un poids immense sur ses épaules. Ce jour-là, il ne posa pas de questions, préférant se concentrer sur son travail qui l’attendait.
Plus tard dans la semaine, en passant devant le même coin, il remarqua une agitation inhabituelle. Les agents de la mairie, en uniforme, étaient en train de renverser les fruits soigneusement disposés sur l’étal de Nadine. Elle tentait de les arrêter, suppliant et levant les mains en signe de désespoir. Les bananes, oranges et papayes roulaient sur la chaussée, piétinées par les passants indifférents.
Kodjo sentit son cœur se serrer devant cette scène d’injustice. Il ne pouvait rester inactif. Il freina brusquement, gara sa voiture sur le côté, et sortit rapidement.
« Hé ! Qu’est-ce qui se passe ici ? » lança-t-il d’une voix ferme, attirant l’attention des agents.
L’un d’eux, visiblement agacé, répondit : « Monsieur, cette dame occupe illégalement cet espace. Nous appliquons les consignes de déguerpissement. »
« Et où voulez-vous qu’elle aille ? Est-ce que vous avez proposé une solution alternative ? » répliqua Kodjo, son regard perçant défiant les agents.
Nadine, les yeux rougis par les larmes, regardait Kodjo avec gratitude mêlée d’espoir. Elle n’aurait jamais imaginé qu’il interviendrait pour elle. Les agents, mal à l’aise devant son insistance et son allure visiblement influente, finirent par reculer.
« D’accord, monsieur, on va lui laisser un peu de temps, » grogna l’un d’eux avant de faire signe à ses collègues de partir.
Lorsque les agents furent hors de vue, Kodjo se retourna vers Nadine. Elle semblait encore sous le choc, ses mains tremblantes ramassant les quelques fruits rescapés. Il s’accroupit à côté d’elle, posa une main réconfortante sur son épaule et lui dit doucement : « Calmez-vous. Ils ne reviendront pas aujourd’hui. »
Nadine hocha la tête, essuyant ses larmes avec un morceau de tissu qu’elle avait dans sa poche.
« Merci, monsieur Kodjo. Je ne sais pas comment vous remercier… » murmura-t-elle, sa voix brisée par l’émotion.
Kodjo, touché par sa détresse, l’invita à s’asseoir sur le trottoir à ses côtés. Pour la première fois, il décida de lui poser des questions sur sa vie.
« Nadine, dites-moi… Pourquoi vendez-vous des fruits ici ? Vous semblez être quelqu’un de très éduqué. »
Elle baissa les yeux, hésitant un moment avant de répondre.
« Vous avez raison, monsieur. J’ai une licence en communication des entreprises. J’ai obtenu mon diplôme il y a quelques années, mais depuis, je n’ai jamais trouvé de travail. J’ai cherché partout, déposé des CV dans plusieurs entreprises, mais rien. »
Elle marqua une pause, une ombre de tristesse traversant son visage.
« Ma mère est malade. Elle souffre d’une maladie chronique qui nécessite des médicaments coûteux. Alors, j’ai commencé à vendre des fruits pour pouvoir subvenir à ses besoins. Ce n’est pas ce que j’avais imaginé pour ma vie, mais je n’ai pas le choix. »
Kodjo sentit son cœur se serrer. La dignité avec laquelle Nadine racontait son histoire le bouleversa. Elle n’était pas en train de se plaindre ou de demander de l’aide, mais simplement d’expliquer son combat quotidien.
Il fouilla dans son portefeuille et en sortit une liasse de billets qu’il tendit à Nadine.
« Prenez ceci. C’est cent mille francs. Utilisez-le pour acheter des médicaments pour votre mère ou pour tout autre besoin. »
Nadine écarquilla les yeux, hésitant à accepter.
« Non, monsieur, c’est trop… Je ne peux pas accepter ça. »
« Si, vous pouvez, » insista Kodjo avec un sourire bienveillant. « Et prenez aussi ceci. »
Il lui tendit une carte de visite portant son nom et ses coordonnées.
« Appelez-moi dès que vous êtes prête. Je vais voir ce que je peux faire pour vous trouver un vrai emploi. Vous méritez mieux que ça. »
Les larmes aux yeux, Nadine accepta finalement la carte et l’argent, murmurant des remerciements. Pour la première fois depuis longtemps, elle sentit un mince rayon d’espoir illuminer son horizon.
Kodjo, quant à lui, remonta dans sa voiture avec une nouvelle résolution. Il ne pouvait pas sauver le monde, mais il pouvait au moins changer la vie de cette femme courageuse.
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Ayélévi était installée dans le salon de sa maison, une main caressant son ventre bien arrondi, l’autre feuilletant distraitement un magazine. La chaleur douce de l’après-midi faisait danser les rayons du soleil sur les murs. Bien qu’elle soit entourée de calme et de sérénité dans cette maison qu’elle considérait comme un refuge, son esprit était agité. La solitude pesait sur elle, surtout avec la fin de sa grossesse approchant à grands pas. Elle aurait voulu que les choses soient différentes avec Ethiam, mais elle n’avait pas eu le courage de retourner chez lui après tout ce qu’elle avait traversé.
Un bruit de voiture se fit entendre dans la cour, la tirant de ses pensées. Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre et vit Ethiam descendre de sa voiture. Il portait un air grave et déterminé. Elle soupira profondément, sachant que cette visite n’était pas fortuite. Depuis qu’elle était partie, il avait tenté à plusieurs reprises de la convaincre de revenir, mais elle s’était montrée inflexible. Cette fois encore, elle se promit de ne pas céder.
Ethiam frappa doucement à la porte, puis entra après qu’elle lui eut donné la permission. Ayélévi resta assise, l’observant avec un mélange de méfiance et de curiosité. Il s’approcha lentement, s’arrêtant à une distance respectueuse.
« Ayélévi, » commença-t-il doucement, sa voix teintée de fatigue. « Comment te sens-tu ? Et… comment va notre bébé ? »
« Nous allons bien, » répondit-elle froidement, son regard fixé sur lui.
Il hocha la tête, visiblement mal à l’aise. Après un moment de silence, il s’agenouilla soudainement devant elle, la prenant de court.
« Je sais que j’ai fait des erreurs, Ayélévi. Je sais que j’ai failli à te protéger et à faire de notre maison un lieu sûr pour toi et notre enfant. Mais je te supplie de me donner une autre chance. »
Elle fronça les sourcils, croisant les bras sur sa poitrine.
« Une autre chance, Ethiam ? Tu m’as déjà dit ça. Mais que se passera-t-il si quelqu’un comme Nomagno refait surface ? Que se passera-t-il si je me retrouve encore une fois à vivre dans la peur et l’insécurité ? »
Ethiam baissa la tête, ses épaules s’affaissant sous le poids de la culpabilité.
« Nomagno est parti, Ayélévi. Pour de bon. Il ne reviendra plus jamais. Je te le promets. »
Elle le fixa longuement, cherchant à déceler la moindre trace de mensonge dans ses paroles. Mais il semblait sincère, plus sincère qu’elle ne l’avait jamais vu.
« Parti, dis-tu ? Comment puis-je te croire, Ethiam ? »
« Parce que c’est la vérité, » répondit-il avec conviction. « Je ne peux pas tout te dire, mais sache que tu n’auras plus jamais à t’inquiéter de lui. Je suis prêt à tout faire pour te prouver que je suis sérieux. »
Un silence pesant s’installa entre eux. Ayélévi détourna les yeux, hésitant.
« Je ne veux plus de drame, Ethiam. Je ne veux plus de secrets ni de surprises. Si je reviens, c’est pour notre enfant. Pas pour toi. »
Ces mots, bien que durs, firent naître une étincelle d’espoir chez Ethiam. Il hocha la tête avec gratitude.
« Je comprends, Ayélévi. Je ferai tout pour te montrer que je peux changer. Que je peux être l’homme que tu mérites. »
Elle le regarda à nouveau, ses yeux brillant d’une émotion qu’elle tentait de contenir.
« Je vais réfléchir. Je ne te promets rien, mais je vais réfléchir. »
Ce fut suffisant pour Ethiam. Il se releva, posa doucement une main sur son ventre, et murmura :
« Merci, Ayélévi. Merci de me donner une chance, ne serait-ce que d’essayer. »
Après son départ, Ayélévi resta assise, les larmes coulant doucement sur ses joues. Elle savait que cette décision allait marquer un tournant dans sa vie. Pour elle, pour son enfant, et peut-être même pour Ethiam.
Écrit par Koffi Olivier HONSOU.
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