Chapitre 8 : On doit faire quelque chose
Ecrit par Max Axel Bounda
Chapitre 8
: On doit faire quelque chose
Jessica n’arrêta pas de lire encore pendant une demi-heure.
Je restai bouche bée devant le visage de ma compagne
marqué par un sentiment d’horreur. Je ne savais pas quoi lui dire.
A ce qu’il semblait, la lettre qu’elle
venait de découvrir avait été écrite par l’étudiante morte, elle-même. La
lettre était destinée à l’épouse de celui que l’on comprit être un de ses
enseignants. La façon dont elle était écrite en disait long et son contenu se
passait de commentaires.
En lisant la lettre, je compris la
gravité de l’affaire. Si jamais elle était rendue publique, une telle
révélation aurait eu des conséquences énormes sur l’image de la première
université du pays. Combien de profs allaient être éclaboussés par ce scandale ? Combien d’étudiantes ?
Et surtout comment allait réagir l’opinion ?
Jessica et moi venions peut-être de
trouver les raisons de la mort de cette étudiante avait été tuée. Mais surtout
qui avait pu la tuer. Car si cette lettre était arrivée entre les mains de
cette femme, il ne faisait aucun doute que ce Jody aurait pu vouloir sa mort.
Ma princesse était touchée, cela se
voyait sur son visage. Elle avait un trop grand cœur pour laisser passer une
injustice. D’ailleurs, c’était la raison pour laquelle elle avait décidé d’étudier
le droit, pour pouvoir aider ceux qui ne pouvaient pas s’aider eux-mêmes. Les
oubliés de la société.
Depuis deux ans, Jessica était assistante
juridique dans un cabinet d’avocats, KN and Associates, qui s’occupait de gros
clients. Même si elle considérait ces derniers comme de vrais salauds, elle
prenait plaisir à faire son boulot. Tout le monde devait avoir droit à la
justice. Elle disait souvent que la raison d’être d’un avocat n’était pas de
savoir qui était coupable, mais plutôt de défendre son client qu’il soit riche
ou pauvre, Coupable ou pas.
Pourtant, si elle se plaisait tant à
KN and Associates, c’était en partie parce que son patron, n’hésitait pas à
défendre des innocents et à rendre justice aux faibles gratuitement. Ma juriste
à moi, disait que cela rééquilibrait la balance.
KN and Associates avait ouvert une
clinique juridique dont Jessica assurait la direction en temps réel. Et via cette
branche, le cabinet donnait la chance à quelques personnes d’avoir un procès
équitable.
Cette clinique juridique travaillait
sur plusieurs dossiers, dont des recours collectifs qui s’étaient soldés par de
brillantes victoires. Depuis trois mois, leur dévolu s’était jeté sur une
centaine de prisonniers en détention provisoire à la prison centrale de
Libreville et qui n’avaient jamais été jugés depuis des années.
*
Jessica faisait des tours dans la
chambre comme un hamster dans sa cage. Elle était tourmentée. Elle souffrait. Elle
était blessée par l’assassinat sauvage de cette étudiante. Elle n’acceptait pas
qu’une personne ayant avait subi autant d’injustices au cours de sa courte vie
finisse ainsi. Morte à vingt-six ans.
— Franchement, ton université
c’est de la merde. Dieu merci que je n’ai jamais étudié ici, dit-elle. Comment un
prof peut-il faire ça à une étudiante ? Il
ne pouvait se contenter de la baiser ? Fallait-il en plus qu’il la
fasse marcher ?
— Je ne…
Elle tournait rond dans la pièce les
mains derrière le dos, pensive et attristée.
— Ils
ne doivent pas s’en tirer aussi facilement. C’est trop facile.
À
l’entendre parler, je compris que l’affaire prendrait une autre tournure si Jessica
Nyingone décidait de s’en mêler. Je savais de quoi était capable ma petite amie
quand elle avait une idée derrière la tête.
Un
jour, cette petite femme avait bloqué un agent administratif dans son bureau
pour l’obliger à signer un document qu’elle devait déposer au tribunal le
lendemain. L’homme d’une cinquantaine d’années, avait non seulement raté son
déjeuner, mais aussi une importante réunion de travail. Ce fut au bout d’une heure
que Jessica avait fini par avoir gain de cause. Mais elle avait laissé trainer
les choses une demi-heure de plus, juste pour la leçon. Et en réparation des
tours qu’il lui avait fait faire en vain durant toute une semaine.
—
Je parie que tu as une idée derrière la tête. Vide ton sac, s’il te plait.
— Il
faut que l’on fasse la lumière sur ce meurtre.
— En
quoi est-ce que cela nous concerne ? Si on vérifie bien, cette étudiante a
été tuée pour avoir rédigé cette lettre. Ceux qui l’ont fait ne tiennent pas à
cette histoire que ça se sache. Apres tout, ce n’est pas la seule à vivre ce
genre de choses. C’est ainsi depuis des décennies à l’université. Les profs
pourrissent la vie des étudiants. Ce n’est pas nouveau.
— Ah
bon, monsieur ! Comme ce n’est pas nouveau, c’est acceptable. On peut
traiter les étudiants comme l’on veut. Les maltraiter, abuser d’eux sous
prétexte que ce n’est pas nouveau ? Est-ce
que tu t’entends ?
Ma
petite amie se retourna vers moi, et me regarda droit dans les yeux.
— Je
ne vois pas ce que l’on peut faire. Nous ne sommes rien pour les arrêter
!
— Thierry,
les plus grandes avancées de ce monde ont été accomplies par des gens qui
n’étaient rien. Et c’est justement parce que nous ne sommes rien que nous allons
nous battre pour rendre justice à cette fille.
—
Et que veux-tu que l’on fasse alors ?
— Je
ne sais pas encore mais je trouverai. On peut remettre cette lettre aux policiers, par exemple. Et si c’est madame Jody qui a tué cette pauvre fille, elle ira en
prison pour le reste de ses jours…
— Ah
ouais, tu crois que c’est un film ?
Et quand ils nous demanderont où nous l’avons trouvé, qu’est-ce qu’on répondra ?
—
On trouvera.
—
Tu crois ? On n’aura déjà de la chance s’ils ne nous enferment pas. Et après
l’histoire sera étouffée en échange de quelques billets. Au final, notre
engagement n’aura servi à rien. Si on ne se retrouve pas dans des problèmes
pour une histoire ne nous regarde pas Jess.
—
Je préfère ce choix que le statut quo. Tu réalises toi ce que cette fille a
vécu ? Tu trouves cela juste.
— Je
soutiens bientôt chérie. Je préfère en finir et me tirer d’ici au lieu de
m’engager dans une histoire à dormir debout.
Jessica s’arrêta un instant, ouvrit
le réfrigérateur, mais n’en prit rien. Elle tourna rond dans la pièce pendant
plusieurs minutes avant de pouvoir me répondre.
— Thierry Mounanga ! D’après toi, c’est normal toi, que l’on tue une fille qui a subi
autant d’horreurs, et qu’on laisse son assassin en liberté ?
— Jessi…
— Si on ne fait rien, pense un instant à toutes les filles
que ce type détruira avec son virus. Ces filles le refileront à d’innocentes
personnes ainsi
de suite.
— Mais notre problème est où là-dedans ?
Ma promise ne répondit pas tout de
suite. Elle me regarda avec insistance.
— Es-tu conscient que qui
conque fait face à une injustice et ne cherche pas à la réparer est du côté de
l’injustice. Et franchement, maintenant que je sais tout ça, je ne peux pas
rester sans rien faire.
— Dans ce cas, faites votre boulot
Maitre Nyingone. C’est vous l’avocate !
— Je le ferai monsieur mon
fiancé ! Et tu y participeras. C’est une information. Tu ne vas pas te
défiler, crois-moi ! On ira au bout de cette
histoire que tu l’acceptes ou pas.
— Sérieusement, qu’est-ce que
tu as en tête bébé ?
— Faire tomber ce réseau
d’enseignants proxénètes. Est-ce difficile à comprendre ?
— Tu te prends Olivia Pope ou quoi ?
— Non. Moi je suis réelle. Et cette étudiante
qui est morte, n’est pas une fiction. Au cas où tu ne le réaliserais pas encore
bébé, je t’informe que tu connais le visage de leur complice. Tu es donc l’une
des clefs de ce dossier. Alors, ne te défile pas. N’essaie même pas Thierry !
Je
n’en croyais pas mes oreilles, cette fille était têtue comme une mule. Et je
savais qu’il me serait impossible de lui sortir cette idée de la tête.
— Est-ce que j’ai le
choix ?
— Non, je ne te le laisse pas.
— Humm. C’est bon, cédai-je. J’accepte de t’aider mais
je ne suis pas partant pour parler de cette lettre à la police.
— Et que proposez-vous
monsieur ?
— Nous devons voir le recteur, lui
remettre la lettre pour qu’il ouvre une enquête interne. Je crois que cela nous
protègera tous les deux.
— Quelle idée ! Tu blagues ! Il n’en est pas question ! répondit froidement ma petite amie. Je n’ai
aucune confiance en une telle démarche. Cette torture dure depuis des années, pourquoi
le recteur n’a jamais rien fait pour arrêter les choses !
— Si on ne fait pas ça, on
risque de salir la réputation de l’Université.
— Mais je m’en fiche moi ! De quelle réputation parles-tu ? Dans les universités qui ont une réputation à défendre on ne se
fait pas malmener par des enseignants, à l’éthique douteuse. Et ces derniers ne
sont pas payés pour abuser d’innocentes étudiantes. Trouve autre chose.
Je savais du fond de mon cœur que
cette histoire touchait Jessica au plus haut point. Je le voyais bien. Mais l’incertitude
qui m’habitait m’effrayait énormément. On ne pouvait prédire où cela nous mènerait.
Un moment, le silence s’installa
dans la pièce. Elle en profita pour faire la vaisselle pendant que je lisais un
livre. Quand elle eut terminé, elle revint vers moi.
— Que lis-tu mon homme ? demande-t-elle
en s’asseyant près de moi.
— Max Weber, le politique et le
savant.
— Je vois. Elle me passa ses bras autour du cou et me sourit avant de
m’embrasser. Tu sais bébé, toute à l’heure, j’ai eu une idée.
— Laquelle ?
— Je te propose d’entamer… Une
procédure… judiciaire avec… KN and Associates pour harcèlement sexuel et moral.
Ses mots étaient entrecoupés de baisers, mais cela ne m’empêchait pas de
clairement comprendre ce qu’elle voulait dire. Et je n’étais vraiment pas
convaincu. Je savais très bien que si l’on ne faisait pas attention, on
risquait d’avoir de gros problèmes.
— Chérie,
je vais te suivre dans tout ce que tu voudras. Mais avant, j’aimerais que l’on
voie le recteur. Je sais pourquoi… Elle m’embrassa avant que je n’eus le temps
de finir ma phrase. Quand elle eut terminé, elle me regarda dans les yeux, je
compris aussitôt qu’elle me préparait un truc béton et sans possibilité de
parade. Alors je décidai que quoi qu’elle dise ou fasse, j’irai rencontrer le
recteur le lendemain, en finir avec cette histoire et me concentrer sur ma
soutanance.
— Tu sais quoi ? me dit-elle en souriant. Laisse-moi d’abord en parler avec mon
patron. Et en suite tu pourras aller voir le recteur. D’accord ?
Je regardais cette femme qui me
souriait toujours en cherchant une réplique. Je n’en trouvai aucune. Comment
lui dire non ? Elle était si jolie, avait de si beaux yeux et surtout,
une détermination à toute épreuve.
— D’accord, lui dis-je sans
conviction.
Jessica regarda sa montre, il était
bientôt vingt-deux heures. Elle devait rentrer. Mais avant, elle prit soin de
remettre tout le contenu dans le sac bleu. Et sans que je m’y attende, elle me
proposa de s’en aller avec, chez elle. Mon cœur se mit à battre très vite.
Franchement celle-là je ne l’avais pas vu venir. Elle m’expliqua qu’elle ne
voulait pas qu’il soit retrouvé chez moi, au cas où quelqu’un aimerait le
récupérer ou que la police décide de fouiller ma chambre.
— Comme ça, si la fille qui te l’a
donné veut te faire porter le chapeau, elle se peut se fourrer le doigt dans
l’œil. Personne ne touche à mon mec.
J’hésitais, mais dans son état il valait
mieux ne pas la contrarier. Alors je la raccompagnai au portail de l’université.
En sortant, je remarquai que la porte en face de la mienne avait été scellée
par la police. Deux bandes jaunes formaient un X devant celle-ci. Le campus
était silencieux en cette nuit au ciel étoilé.
Ma petite amie m’embrassa avant de
partir, mais me regarda fixement avant de monter dans le taxi. Elle semblait
vouloir dire quelque chose, mais s’abstint. Dans son regard je pouvais lire la
douleur qui l’habitait.