Chapitre 7 : chère madame Jody
Ecrit par Max Axel Bounda
Chère
madame Jody, bonjour.
Je
sais que nous ne nous connaissons pas, mais il est temps d’y remédier. Je pense
que c’est normal quand on a un homme en commun. Je suis le papillon. Et je suis
ravie de faire votre connaissance.
Alors, par où commencer ? Eh bien, j’entretiens une relation
avec votre époux, c’est mon bourreau. Il a décidé de faire de ma vie un enfer
alors j’en ferai de même avec la sienne. Je sais que cela vous fera un choc,
mais vous vous y ferez !
On a toutes dû accepter avec le temps les misères que votre mari et ses
collègues nous font subir depuis des années. Je n’en ai jamais parlé à
personne, mais à vous ça vous concerne.
J’ai
26 ans, je suis étudiante à l’UPG. Au lycée, j’ai été de ceux qu’on
prenait pour exemple afin d’insuffler aux autres élèves l’envie de travailler.
J’ai eu mon bac à 17 ans avec mention « Assez
bien », pour une moyenne de 12,92. Et
avoir une telle moyenne dans notre pays n’est pas chose facile. C’est carrément
un exploit. Mais grâce à mon travail et mon assiduité, j’y suis arrivée.
Ma
pauvre mère a fourni tous les efforts, frappé à toutes les portes, suivi toutes
les procédures afin que j’obtienne une bourse d’études pour l’étranger, mais
rien n’a marché. Elle savait que si je restais au pays, mon avenir serait
incertain. J’ai aussi passé plusieurs concours, seulement, pour être retenue,
il faut glisser des billets aux examinateurs lors des entretiens. Ma mère m’a
élevée seule en vendant des bananes au marché, elle n’avait pas les moyens.
Contrainte, je suis allée à l’UPG.
Maman m’avait prévenue sur le genre
d’établissement que j’allais fréquenter. Elle m’a donc sommé de travailler,
bien plus qu’au lycée. Je l’ai fait, de toutes mes forces. Au département des
Sciences économiques où j’étais à l’époque, il y avait une loi qu’un prof nous
avait exposée au premier cours : tout le monde doit échouer en première
année, c’est comme ça l’UPG. J’étais jeune, toute cette ambiance m’a
traumatisée et j’ai échoué la première année : mon premier échec scolaire
depuis ma naissance.
Les
bouquins sont trop chers, de même que les fascicules. La bourse est une
question de chance, en plus d’être dérisoire. Notre soi-disant bibliothèque est
pleine de livres antiques qui n’ont leur place que dans des musées d’histoire
de la littérature. Les difficultés et les échecs s’accumulaient. En 4 ans,
j’avais déjà presque fait toutes les filières. 2 ans en économie, 1 an en
droit, 1 an en lettres modernes (pour ne citer que ces filières) cherchant
un moyen de m’en sortir. Et dans chaque filière, le système faisait tout pour
me retenir. C’est le décès de ma mère qui a tout bouleversé.
Mes
difficultés s’étaient accentuées à une vitesse incroyable. Je n’avais plus
aucun rempart dans la vie. J’avais les rêves plein la tête, mais aucun moyen de
les réaliser. Jusqu’à ce que j’apprenne que beaucoup d’étudiantes étaient
contraintes de se prostituer pour financer leurs études ou passer en classe
supérieure. Mais moi, à 21 ans, je n’avais pas encore connu les hommes,
car j’avais tout donné à mes études. Mais j’ai été moi aussi contrainte de me
vendre pour combler les faiblesses du système et les appétits sexuels des
hommes comme votre époux et ses collègues. Appétit que vous n’arrivez
visiblement pas à satisfaire vu que c’est nous qui subissons les conséquences
de votre frigidité.
Les études coûtent cher ici, et le
système nous enchaîne à la misère. Alors, tête baissée, j’ai foncé dans la
prostitution. Je n’avais jamais imaginé que le jour où je perdrais mon
pucelage, ce serait en me vendant. Nous sommes des dizaines, peut-être même des
centaines d’étudiantes qui se vendent pour finir leurs études. Mais cela ne m’a
pas anéanti. J’ai toujours été brillante et j’ai réussi à tirer profit de cette
situation.
Pendant
des années les choses ont bien marché pour moi. Et jusqu’ici je m’en sortais
très bien, les affaires étaient fructueuses et discrètes. Je suis actuellement
en Master 2 en Sciences de l’environnement (après des années d’errements
de filière en filière). Et mon encadreur qui est votre époux comme ils le font
pratiquement tous ici, m’a exigé de coucher avec lui afin que je puisse soutenir.
Oui, ils le font. D’autres exigent même de sodomiser les hommes si ces derniers
veulent obtenir leurs diplômes. Le père de votre famille, celui à qui vous êtes
marié, me l’a exigé et nous l’avons fait et en plus sans se protéger c’était sa
condition.
Ma
vie s’est effondrée quand j’ai été déclarée positive au test du VIH, il y a
deux mois. J’étais désemparée. Aucun doute, je l’ai chopé avec de votre mari,
vu qu’il n’y a qu’avec lui que j’ai eu des rapports ces derniers mois. Je n’ai
pas de petit-amis, les hommes ne m’intéressent pas. C’est vrai que certains
clients paient très cher pour le faire sans précaution, mais même quand je le
faisais je n’ai jamais accepté. Mais avec lui c’était la condition pour
soutenir donc je l’ai fait. Même porteuse de cette épée de Damoclès sur la
tête, je me suis donné pour objectif de finir mes études, trouver un emploi qui
rémunère bien, et traiter cette maladie. Mais je me souviendrai longtemps à
cause de qui j’en suis arrivée là : Jody. Celui qui a abusé de moi et qui
ensuite n’a pas tenu parole. Car il m’a demandé à nouveau de coucher avec lui
deux mois après avoir repoussé ma soutenance et incité ses collègues à en faire
autant.
J’ai choisi cette fois-là de ne
prendre aucune précaution avec eux, parce que lui n’en a pris aucune avec moi
lorsqu’il a décidé de me contraindre à ça. Je suis partie d’élève brillante,
discrète, pucelle à étudiante prostituée, séropositive et incubatrice du virus.
Cette maladie est là, et je l’ai acceptée. J’aurais dû avoir mon master, dès la
première fois que j’ai couchée avec votre mari, mais il n’a pas tenu parole. Et
en plus, je suis enceinte de votre époux. Et cet enfant a tout changé. C’est le
seul peut-être que j’aurais dans ma vie. J’ai décidé de le garder.
Ma patience est arrivée au bout de
ses limites, et je remuerai ciel et terre pour que Jody, votre mari insatisfait
me laisse soutenir de gré ou de force. Un arrangement est un arrangement.
J’irai jusqu’à commettre l’irréparable pour le contraindre à accepter. Même
s’il faut rendre cette histoire publique. Car j’ai toutes les preuves, photo et
carnets de notes contenant les noms de tous les enseignants qui ont eu recours
à cette pratique durant les six dernières années. Je suis prête à tout. Je sais que ce n’est
pas de votre faute, mais il fallait que je vous informe. Car si vous avez eu
des rapports sexuels non protégés avec votre époux durant les trois derniers
mois, alors je suis à peu près sûr que vous aussi vous êtes porteuse du virus
maintenant.
Bonne
journée à vous.
Le
Papillon.