Chapitre III

Ecrit par imalado

------Anaïs Oyoko------

17 ans après

      D’accord je ne crois pas en l’amour, mais j’adore les enfants et ma nièce, j’en suis complètement folle amoureuse ! Et il suffit de la voir grandir, toute joyeuse et toute belle ! Un souffle de bonheur depuis que le Seigneur nous a fait don il y’a de cela 17 ans. Exactement. Le temps passe vite et rien qu’à la voir, j’ai l’impression de vieillir. Passons…

      Naya est malade et se bat depuis près de 2 ans contre un cancer du sein. La vie est bien injuste envers nous. Mais elle la prend avec philosophie : profiter de chaque instant comme si c’était le dernier. Belinda, de son jeune âge, demeure forte, je ne me l’explique pas, moi qui flanche à chaque fois que je la voie dans ce lit d’hôpital. Et dire que tout ceci n’aurait pu être qu’un mauvais souvenir, si on avait encore les moyens, pour son opération. Mais non, malgré les revenus de ma société, je n’ai pas pu réunir la somme qu’il fallait et je ne peux pas dire que son état, va en s’améliorant…

      Déjà elle vient d’être hospitalisée, il y’a de cela une semaine. Son état s’est aggravé et les médecins sont sceptiques. Il ne nous reste plus qu’à attendre que son heure ne vienne. J’ai maigri. Je ne dors pas et je pense trop. Je ne me voie pas continuer cette aventure sans ma petite-sœur.

-         J’ai l’air plus présentable que toi.

Elle venait de se réveiller… Et affichait un air moqueur malgré la situation.

-         Tu ne cesses donc jamais ?

-         Anaïs… (en me tendant la main) Ne me vois-tu pas en elle ? Je ne vous quitte pas vraiment.

-         Ne dis pas de sottise. Tu m’as toi-même dit de croire aux miracles de la vie. Alors ne pense pas ainsi.

-         Oui, mais il y’a des vérités qu’il faut accepter, et j’ai envie de partir en sachant que tu es prête à encaisser pour toi et pour elle.

-         Je ne veux pas t’écouter, ça suffit, je vais appeler le docteur.

-         Attend. Je sais que c’est dur pour vous. Mais regarde comme elle est forte Anaïs. Elle a besoin de savoir qu’elle n’est pas seule. Aussi insupportables que sont ces moments, tu dois puiser en toi la force de l’accepter : je vais mourir…

-         Je t’interdis de dire une chose aussi absurde !

-         Je vais mourir Anaïs !

Sa voix avait pris plus de force, et je me rends compte que je lui puise trop d’énergie en l’entendant tousser.

-         Oh mon Dieu, désolée Naya.

-         Bonjour ! Maman ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

-         Ça va, je vais bien princesse. Anaïs, apporte-moi un peu d’eau…

Je m’exécute à la hâte. Naya ne peut pas partir ainsi. Et je ne veux pas y croire. Même si à ce stade de sa maladie, il n’y a plus de retour possible. Je me retourne et vois à son chevet Belinda, la tenant par la main et lui racontant sa journée. Seigneur, cet enfant mérite-t-elle tout ce mal ?

------Le Lendemain------

      Accrochez-vous bien : Naya ma sœur, vient de mourir. Recevez le choc. Et oui malheureusement, on n’a pas pu réunir toute la somme qu’il fallait pour la soigner. Elle me laisse Belinda, encore si jeune pour comprendre la mort… Je ne sais comment le lui dire, assise dans le couloir de l’hôpital. Il est 13h et dans 30 min, elle franchira cette porte comme chaque jour pour venir faire la pause auprès de Naya. Elle venait manger à son chevet puis repartir pour ses cours à l’université.

      Il y’a de cela 2 ans quand on lui annonça sa maladie, Naya craignait plus pour sa fille que pour elle-même. Mais cette dernière se trouva plus forte qu’on ne le pensait, plus optimiste malgré nos peines à assurer l’énorme somme que comptait la prise en charge et les traitements de sa mère.

      « Je suis désolé Anaïs, votre sœur est... Nous avons fait de notre mieux. Toutes mes condoléances» A ces mots, je saisis la blouse du Dr. Soko avant de me mettre genoux à terre. Est-ce seulement possible ? Je rentre dans la chambre et la vois, silencieuse, le visage détendu, étendue sans vie. Je m’approche d’elle tout doucement comme si je croisais le feu avant de m’écrouler sur son corps entre larmes et cris. Ma Naya n’est plus, ma sœur, mon tout n’est plus. Après un si long combat, elle dépose les armes à seulement 39 ans et cette maladie l’emporte.

      Je me remets de mes émotions quand j’entends dans le couloir la voix de Belinda. Je cours la rencontrer avant qu’elle n’entre dans la chambre, je ne voudrais pas qu’elle la voit ainsi. Mais mon visage me trahit, à sa seule vue, elle laissa tomber la boite de nouilles chinoises qu’elle tenait. Lâche son sac tout doucement avant de s’adosser au mur, une main sur la bouche et l’autre sur la poitrine. Je la voie à travers cette fille de 17 ans tentant de contrôler ses émotions, forte comme sa mère. Je m’approche tout doucement, quand elle repousse ma main sur son épaule. De ses gros yeux baignés de larmes, me fixe avant de sortir :

-         Maman est partie ?  

A présent nous laissons cours à nos émotions, dans les bras de l’une et de l’autre, on s’accroche à nos larmes, qui seules nous tiennent compagnie en ce moment… Naya Robéri Oyoko puisses-tu compter parmi les anges et veiller sur Bel de là où tu es.

------Belinda Ottawi------

5 ans après

Aujourd’hui c’est le cinquième anniversaire de la mort de ma mère, Naya Oyoko.

Depuis deux heures déjà que je suis réveillée, et comme chaque année pour cette date, mon cœur froid me pèse et me laisse faible. Je regarde les rayons de soleil transpercer le rideau doré et se refléter sur le cadre en verre, déposé sur la table de chevet. Ce cadre et cette photo faisaient chaque fois, que le jour se prononçait, éclairer mon visage, d’un sourire, triste mais d’une douceur sans pareil.

-         Bonjour maman. Puisse cette journée être aussi éblouissante de merveilles que ce sourire que tu m’affiches chaque jour.

Cela pouvait paraître fou, mais il m’arrivait de parler à ce cadre comme s’il pouvait l’entendre ou même qu’il me répondait. Mais c’est ce que je croyais vraiment, et ça me suffisait. Je ne trouve pas la force de me lever, et de me dire que je devrais encore continuer sans elle. Ma foi n’est pas faible, au contraire, elle m’a permis de tenir jusqu’ici. Mais chaque jour devient un peu plus difficile après tout ce par quoi nous sommes passées.

Aujourd’hui c’est samedi. Je m’étire longuement sur le lit avant de retirer les couvertures qui m’enveloppent. Je traine des pieds jusqu’à la salle de bain et me regarde dans le miroir. J’aurais pu perdre cette photo, je l’aurais tout de même vue chaque fois que je me mire. Je lui ressemble trop. Le même teint crémeux, ce bout de nez élancé et ses gros yeux à vouloir sortir de leurs orbites. La seule chose qui pouvait nous différencier, c’étaient ses cheveux qu’elle aimait garder courts. J’arrange les miens en nœud, me brosse les dents avant de me glisser sous la douche.

Je suis Belinda Ottawi Oyoko. J’ai 22 ans et je suis orpheline… De mère, enfin des deux. Ma maman Naya n’est plus, et quant à celui dont je suis la progéniture, pour ne pas utiliser ce mot familier « papa », nous a abandonné il y’a de cela 22 ans. A 17 ans, ma tante Anaïs, la grande sœur de maman, s’est occupée de moi. Et depuis j’ai fini mes études, et a à mon compte un diplôme de master en Technologies des Energies Renouvelables et Gestion de l’Energie. Je me rappelle encore du jour où je l’ai annoncé à mes deux mamans :

-         Ah Bel, une jeune fille comme toi tu veux te fatiguer la tête avec ces trucs compliqués ? Regarde comment tu es belle, Seigneur, ma sœur a fait un beau bébé, faut pas gâter tes atouts. Pardon Naya parle à ta fille, encore une qui veut se lancer dans les grandes études !

-         Anaïs, laisse-là tranquille. Tu crois qu’elle a hérité de ton cerveau ?

-         Si tu écoutes ta mère, tu vas mourir vieille fille. Les filles avec les cerveaux de pastèques et dure comme le rock, ça ne trouve pas de mari. Parce qu’ils vont avoir peur de toi.

-         Tante Anaïs, écoute-moi…

-         Je t’ai toujours dit Bel, de ne jamais m’appeler tante. Tante d’une fille de 16 ans, tu veux que je me sente vieille.

On s’était mise à en rire toutes les trois. Ces deux-là se chamaillaient tout le temps, mais s’aimaient énormément et elle a toujours été là pour nous tante Anaïs.

Je ressors de la douche et dessèche mes cheveux qui avaient subi l’ultime épreuve du shampooing. Le temps de mettre ma petite robe noire et direction le cimetière.

-         Eh jeune fille d’où sors-tu comme cela ?

-         Bonjour Anaïs. Ça va ?

-         Comme chaque 10 Aout.

Comme je me hâtais de porter les chaussures, je m’arrête et regarde vers elle. Je déteste les 10 Aout, on les déteste. Elle portait toujours sa robe de nuit, les cheveux en bourrique et d’immenses cernes sous ses yeux. Je remarque aussi la bouteille ouverte sur la table de cuisine et fronce les sourcils. Elle sourit.

-         Tu veux me faire la morale jeune fille ?

Je m’approche, m’assoie près d’elle et verse du whisky dans le verre sur la table que je vide d’un coup sec.

-         Eh bien Bel ? Tu peux passer l’étape où tu dois me dire de ne pas boire !

-         J’ai mal. Tout comme toi Anaïs. Elle ne reviendra pas.

-         Tu devais sortir non ?

-         Anaïs… Tu dois être forte pour moi, ce n’est pas censé être l’inverse.

-         Ce n’est pas de ma faute ni de la tienne, si tu es intelligente et responsable. Je ne peux être que fière de toi.

-         Tu devrais venir avec moi.

-         Au cimetière ? Je n’aime pas cet endroit-là. D’ailleurs si je meurs, enterrez-moi près de mon lit.

-         Je vais mettre ça sous le coup de l’alcool. J’y vais. Je vais aussi te prendre le reste de la bouteille et te remettre ce paquet de mouchoirs, tu pourras passer toute la journée à pleurer si tu veux. Moi, il faut que j’y aille. Mais en cas de besoin…

-         Je peux toujours t’appeler ?

-         Oui, c’est ça. Je prends ta voiture aussi, la mienne est au garage.

Je pose une bise sur sa tête, porte mes chaussures et récupère les clés de la voiture sur la table de sortie. Elle a vraiment l’air abattue la pauvre. Du haut de ses 48 ans, Anaïs ne s’est jamais mariée et n’a jamais cru au grand amour. Elle vivait pour son travail et sa sœur. Rien de plus. Elle fut brisée à sa mort, mais aujourd’hui elle tient encore le coup.

Au volant de la BMW, je me rends au cimetière qui se trouve juste de l’autre côté du pont. J’ai déjà pris mes dispositions, je vais surtout beaucoup parler… Je gare la voiture non loin et atteint le cimetière à pied. Devant sa tombe, je m’arrête un moment et lis : « Ici demeure Naya Oyoko, sœur et mère, avec tout notre amour, puisses-tu reposer en paix ». Je dépose les fleurs que j’avais apportées. Et m’assoie sur le gazon à côté, il est temps de prendre mon petit déjeuner.

J’ai fini de lire ce roman de Danielle Stell : La maison des jours heureux. Un roman que ma mère affectionnait tant. Ce n’est pas la peine de vous dire que c’était la cinquième fois que je le lisais.

Et déjà le soleil se battait pour ses derniers rayons de soleil.

-         Maman, comme chaque 10 Aout, je me permets de venir passer la journée ici, et je ne fais que pleurer. Mais cette année, c’est bien différent. Je ne t’ai jamais demandé la vérité sur mon père. Mais tu m’as toujours dit : de le faire quand je serais prête. Aujourd’hui je le suis, mais tu n’es pas là. Aussi, Anaïs, tu la connais, elle déteste aborder ce sujet. Mais de là où tu es maman, donne lui la force de tenir encore, car j’ai vraiment besoin d’elle. Et en plus ça fait déjà deux mois que je galère pour trouver un boulot. J’ai déposé mon cv partout, mais toi tu connais ce pays, aucune relation alors pas de portes de sortie. Et tu te rappelles de Mira ? Tu ne la connais pas, mais je t’en avais parlé l’année dernière, mon amie. Eh bien, elle a trouvé l’amour ! Ce qui bien-sûr enchante Anaïs, qui aime bien me critiquer. Mais rassures-toi, je ne finirais pas vieille fille comme elle. Enfin je l’espère… Donc Mira s’est fiancée à un brillant policier. Il s’appelle Sofiane. Il est très gentil et je crois sincèrement qu’ils vont bien ensemble. Et puis il y’a Jonathan, notre troisième mousquetaire, il n’a pas fini de jouer ses tours de grand tombeur, un vrai tombeur, je ne sais plus si sa copine actuelle s’appelle Anna ou Marylou. Il n’arrête jamais. Mira a eu un poste de journaliste à plein temps qu’elle a débuté il y’a trois mois sur la chaine nationale, et Jonathan vit de sa passion : la médicine. Je suis heureuse pour eux, et de toutes les façons je tue mon temps en travaillant avec Anaïs, sa marque de produits cosmétiques marche bien à présent. Elle est calée parmi les meilleures marques. Ça l’occupe au moins… Et ce n’est pas la peine de te dire que tu me manques, tu me manques tellement maman, mais j’ai l’impression que tu n’es jamais loin, pas vraiment, je te porte si près dans mon cœur. Il faut que j’y aille. Avec Mira et Jonathan, on va faire notre rituel de bonne humeur. Ils sont fous ces deux. Mais c’est leur manière de me montrer qu’ils sont là aussi dans ces moments-là. Je t’aime maman Naya, mais les fourmis-là qui te servent de compagnie ne m’encouragent guerre. Ta fille qui t’aime tant. Bisous.

Je saisis mon sac et regarde une dernière fois, si je reste, à coup sûr je vais pleurer. Je souris au gardien qui me fait signe de la main, un gentil monsieur à qui je donne toujours les parts de gâteau qui me restent. Direction le club Loft, pour retrouver Jonathan et Mira, un de nos endroits fétiches.

-         Tu es douée pour être à l’heure Bel, j’avais prévenu Mira !

-         Accorde-moi le bénéfice du doute pour une fois Nathan…

-         Je t’assure qu’il dit vrai mais pour une fois, tu n’es en retard que d’une heure !

-         Arrêtez, vous exagérez. Je suis d‘accord pour 30 min.

-         J’ai déjà commandé les trois bouteilles.

-         Tu es folle Mira !

-         Elle ne veut pas y aller de mains mortes, ça s’est sûr.

-         J’ai eu une mauvaise journée aussi.

Lorsqu’on se retrouve on oublie tout autour. J’ai rencontré Mira à l’université et Jonathan je le connaissais depuis toujours, on était voisins. Et ça a bien collé avec Mira. Un beau trio.

-         Eh ben lâchez-vous les filles j’encaisse ce soir pour deux.

-         As-tu seulement le choix Casanova ?

-         Là tu viens de faire ma soirée, elle est passée où ta Marylou ?

-         Il ne s’agit pas de moi-là, je vous le rappelle.

-         Tu es sûre Mira qu’il ne s’agit pas d’Anna ? Ou de Christina ?

-         Non, non Christina c’est celle de la pharmacie !

-         C’est ça moquez-vous, à chacun son tour.

-         Levons nos verres à nous. Et à vous deux, merci d’être là, je ne sais pas ce que je serais sans vous.

-         Et à notre brillant chirurgien en chef, le plus jeune de l’hôpital !

-         Quoi Nathan ? Mira, tu es au sérieux ?

-         Je voulais te le dire mais…

Je me lève et me jette à son coup. Jonathan est plus qu’un ami, je suis contente pour lui.

      Je rentre donc tard ce soir-là, Anaïs était couchée dans le canapé ivre morte, deux bouteilles vides et des mégots de cigarettes. Elle ne fume pas, mais pour chaque 10 Aout, elle aime bien se gâcher la vie. Je récupère vite fait une couverture dans la chambre pour la couvrir. Si je devais la réveiller pour la passer dans sa chambre, on passerait la nuit à parler. Je remarque l’album sur le tapis, mais rien, je ne veux pas pleurer sur de vieilles photos de moi, et de… maman. Direction ma chambre. Je retire passablement mes chaussures avant de me jeter sur le lit. Et je porte la même robe jusqu’au petit matin quand le réveil se charge de me donner un coup de marteau. Aie la gueule de bois.

Les cheveux en bourrique je me lance dans la salle de bain au son de « ojueleba » de Wizkid. Dites qui déteste cette chanson ? Impossible. Je finis de prendre ma douche et de me préparer pour récupérer ma berline noire au garage, avant de faire un crochet au pressing et à la boutique d’Anaïs, car à coup sûr un dimanche, elle n’ira nulle part.

Les larmes des liens