CHAPITRE XVIII

Ecrit par Samensa

KARIM

Nous avons failli perdre nos enfants.

Cela fait maintenant trois jours qu’elle est inconsciente. Je passe mes journées à l’hôpital, incapable de la laisser toute seule ici. Elle mérite que je sois là, près d’elle pour la soutenir car elle a tellement lutté pour ne pas perdre nos enfants.

Assis dans un fauteuil près d’elle, je passe paresseusement ma main sur ma barbe de trois jours puis m’étire avant de me lever. Ma mère entre.

-Bonjour mon fils. Elle me prend dans ces bras. Comment tu vas ?

-Ça pourrait aller mieux maman.

-Je t’ai envoyé quelques affaires de rechange.

-Merci maman.

-Fais un effort pour te nourrir, regarde comme tu as maigri ! Quand elle se réveillera, elle aura besoin de quelqu’un de fort pour la soutenir.

Je soupire. Maman Djenebou a raison mais je n’ai aucune envie à part celle de la voir se réveiller. Manger m’importe peu.

Elle reste avec nous pendant une demi-heure et part. Je me débarbouille et me change dans la salle de bain de la chambre puis revient m’assoir auprès d’elle. Je me mets à lui parler comme j’ai l’habitude de le faire ces derniers jours.

-Mon amour, il faut que tu réveilles maintenant. Tu me manques tellement. Ça fait bien trop longtemps que je n’ai pas vu tes yeux, ton sourire, entendu ta voix. Nos bébés ont besoin de toi ma chérie. S’il te plait, reviens à nous… Je t’ai acheté une bague mon bébé, il faut que la porte au plus vite… ma future Madame Cissé.

Sa main, je la serre un instant espérant détecter ne serait-ce qu’un signe, un mouvement. Mon portable vibre dans ma poche. Je le vérifie et vois un message d’Ali qui dit m’attendre sur le parking ; nous avons rendez-vous. Je la laisse donc avec un garde posté discrètement devant sa chambre et part au parking.

-Monsieur, nous avons pu le retrouvé.

-Où ?

-Il est dans un quartier précaire, dans la commune de Yopougon. Hier les hommes ont pu le trouvé sa trace grâce à des indics.

-D’accord. Assurez-vous de ne pas le perdre, on ira lui rendre une petite visite.

-Bien sûr. Et quand est ce qu’on ira le voir ?

-Quand Madame ira mieux.

-Ok patron.

-D’ici là, je veux que tout soit en place.

-Ne vous inquiétez pas.

-Vous avez fait du bon boulot.

-Merci patron.

Je repars dans l’enceinte de l’hôpital en pestant contre moi-même. Si seulement j’avais pris cette histoire au sérieux depuis longtemps, rien de tout cela ne serait arrivé. Si seulement… Mais je le jure, il n’aura plus la capacité de faire quoi que ce soit.

Je retourne m’assoir auprès de ma princesse et m’assoupis rapidement. Un bip sonore me tire de mon sommeil. Le temps que j’y vois plus clair, la chambre est pleine d’infirmiers qui me demandent de sortir. Safi est en train de suffoquer. Un masque lui est posé sur le visage. C’est la dernière image que j’ai en sortant.

Je suis de confession musulmane, pas vraiment pratiquant je le concède. Toutefois,  je suis convaincu qu’il y a un Dieu, une entité supérieure. Et c’est à cette dernière que je m’adresse dès que je sors de la chambre. J’ai besoin de Safi. Qu’il ne me l’enlève pas.

Une heure plus tard, je suis autorisé à entrer dans la chambre. Une vision sublime m’y accueille. Ma Safi, assise sur le lit, un sourire aux lèvres quand nos yeux se rencontrent. Elle a l’air si fragile dans ce lit. Je la prends délicatement dans mes bras et pose un baiser sur son front.

-Salut toi.

-Salut.

-Tu m’as manqué Safi.

Elle se contente de sourire.

Nous restons dans les bras l’un de l’autre puis elle s’endort.

Le lendemain, la chambre est pleine de fleurs et de cadeaux de mes collaborateurs. Bintou et ma mère sont présentes. Nous discutons gaiement pendant que Safi prend son déjeuner.

Lorsqu’elle finit de manger, je m’approche d’elle et lui prend les mains.

-J’aurai voulu faire ça autrement mais bon.

-Tu parles de quoi Karim ?

-Votre attention s’il vous plait ! Je hausse la voix.

Elles s’arrêtent de discuter pour me regarder.

-Vous le savez toutes les deux. Vous en avez été témoins. J’ai failli me perdre quand cette fille allait mal. J’étais méconnaissable.

Je me tourne vers ma princesse.

-Ma princesse, je me suis rendu compte que ma vie sans toi est comme un soleil sans éclat, inconcevable. Je veux être celui qui partage ta vie, qui prend soin de toi et de nos enfants. Je veux être ta moitié, officiellement, devant Dieu et les hommes.

Je vois ses yeux s’ouvrir grandement quand je me mets à genoux.

-Je te jure que j’aurais voulu te faire une demande digne d’une reine mais je ne pouvais plus attendre. J’ai promis de le faire dès que tu ouvriras les yeux… Safi bébé, ça fait moins d’un an que tu es apparu dans ma vie et tu as réussi à la changer radicalement. Ça été … waouh… je perds mes mots devant toi bébé… Je veux seulement que tu sois ma femme.

Je sors la bague de ma poche.

-Oui ! Oui ! Oui ! Crie-t-elle en riant.

-Attends bébé. Je vais te le demander d’abord. Calme-toi !

-Vas-y. Demande-moi si je veux t’épouser. Je suis prête à répondre.

-Princesse, veux-tu m’épouser ? Dis-je en riant.

-Oui je le veux ! Oui Karim, je veux t’épouser ! Je veux t’épouser mon petit têtu adoré !

Je lui passe l’anneau serti de saphir autour du doigt et l’embrasse. Elle montre son doigt à ses mères et se met à chanter « la belle histoire » de Pierrette Adams. Les deux autres se mettent à danser en soulevant sa main. J’éclate de rire devant la scène. Des folles celles-là !

Une semaine plus tard, nous sommes de retour chez nous à la maison, à Grand-Bassam. Tout est mis en place pour surveiller la santé de Safi.

Je décide de régler mes comptes un samedi soir.

 

MIKE

Il est presque 21 heures. Les embouteillages sont monstres à cette heure. Assis dans un mini car de transport en commun, j’écoute distraitement les palabres entre une dame et celui qui est chargé de collecter l’argent du transport, l’apprenti. C’est la même scène à chaque fois. Personne n’est prêt à laisser l’autre partir avec son argent. Heureusement que je suis arrivé à mon arrêt.

Je descends et emprunte la rue lugubre jusqu’au taudis qui me sert de domicile. Délinquants, drogués, violeurs, ce quartier en est plein. Je ne suis pas ici de mon plein gré, je n’ai pas les moyens d’aller ailleurs.

J’habite une chambre dans une cour commune. Je traverse la cour sans un mot pour qui que ce soit et entre dans ma chambre. Quand j’allume la lumière, je sursaute de surprise. Karim est assis sur la seule chaise de la chambre, les bras croisés, le regard noir. J’essaie de sortir de là mais la porte se referme derrière moi après que trois hommes aient fait leur entrée.

Ils m’obligent à me mettre à genoux.

-Jamais je n’en suis arrivé à de tels extrêmes car je suis un homme censé prôné la justice. Je n’utilise jamais de méthodes violentes. Mais toi… toi, tu  me pousses à bout… Elle est enceinte bordel ! Tu es quel genre d’homme pour frapper une femme enceinte ?

-Elle le méritait cette putain ! Vous avez tous les deux gâché ma vie ! Et j’espère qu’elle en mourra.

Il fait signe aux hommes qui me passent à tabac pendant environ cinq minutes et me remettent à genoux.

-Malheureusement, tu as échoué. Elle va très bien.

Il se lève et marche jusqu’à moi. Mon corps me fait tellement mal.

-Mais je t’assure que moi, je ne vais pas échouer.

-Vas-y. Tue moi maintenant et qu’on en finisse.

-La mort serait bien trop facile pour toi.

Il me dépasse et sort de la pièce. Les hommes me rouent encore une fois de coups pendant une bonne dizaine de minutes. Coups de pieds, bâtons, tout y passe. Je suis ensuite emmené dehors et jeté dans le coffre d’une voiture comme un vulgaire sac. Je m’évanouis.

Un seau d’eau glacé me réveille. Autour de moi des hommes excités, des hommes que je reconnais. Je suis couché dans le sable d’un terrain, celui de la maison d’arrêt d’Abidjan. On me crie des injures, des « bienvenue commissaire », « on va bien s’amuser ». Un garde vient me prendre pour me conduire à une cellule.

Mon cœur s’arrête un moment quand je reconnais l’un des hommes qui partagent ma cellule. C’est grâce à moi qu’il est derrière les barreaux.

-Alors, on s’amuse à taper sur les femmes enceintes ? Hein commissaire ? Est-ce qu’il sait comment on conçoit un enfant ?

-Noon ! Crient les autres qui sont tellement nombreux que je n’arrive pas à les dénombrer exactement dans cette minuscule pièce.

-Alors, et si on le lui montrait ?

-Ouaiiiiis !!!

Il ne faut pas un dessin pour comprendre où il veut en venir.

- Gardes ! Sortez-moi d’ici ! Au secours !

Je suis jeté contre le mur par certains détenus. Avec horreur, je vois l’homme sortir sa verge de son pantalon et les autres le suivre. Je lutte en vain contre ceux qui m’enlèvent le pantalon et le boxer. Non ! Non ! Pas ça !

 

SAFI

Avec mes deux mamans et certaines cousines de Karim, nous sommes assises au bord de la piscine en train de discuter. Nous préparons mon mariage. Karim et moi avons prévu de le faire 1 mois après mon accouchement soit environ 3 mois.  Je suis heureuse de partager ma vie avec cet homme.

Actuellement, il me prend comme un œuf. Toujours à mes petits soins. « Princesse fais pas ci, fais pas ça ». Un jour, il a failli s’étouffer avec son verre quand il m’a vu sur des chaussures à talons qu’il a jugé dangereuses pour les bébés. Résultats : mon placard a été passé en revu pour enlever tout ce qui est à risque.

Il est très protecteur. Et je le comprends. Parfois, je le surprends en train de réfléchir lorsqu’il finit une réunion avec Ali. Je ne doute pas une seconde qu’il pense à Marc. Il est introuvable et constitue toujours un danger pour nous. Parfois, je me dis que cette histoire ne finira jamais car elle va bien au-delà du seul individu Marc. C’est tout un cartel ! C’est inquiétant mais je crois qu’il faut que je vive ma vie sans penser à tout ça sinon je n’avancerai pas.

Karim a décidé de confier mon cas à un de ses amis avocats. Il craint de perdre sa crédibilité en me défendant puisque je suis sa future épouse. Toujours est-il qu’il agit toujours, mais dans l’ombre, pour faire avancer les choses.

-Finalement tu choisis quoi comme couleur ? Parce que c’est vraiment important pour commencer le choix de la décoration. Me demande une des cousines.

-Je voulais du rose et du noir. Mais pour Karim, c’est hors de question le rose. Trop fifille selon lui.

En parlant du loup, on aperçoit sa queue. Il salut tout le monde et s’assoit près de moi.

-ça va ? Il se penche pour embrasser mon ventre.

-Oui, ça va.

En vérité, je mens. Je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit à cause des douleurs que j’ai ressenti dans les reins et qui continuent par moment.

-Karim, quelle est ta couleur préféré ? Demande la cousine qui parlait des couleurs pour le mariage.

-Si c’est à cause de votre histoire de rose que vous me demander tout ça, soyez sur que je ne veux pas de rose dans ce mariage. Tout sauf ça.

-Bébé, réponds seulement à la question.

-J’aime le noir.

Tout le monde pousse un cri faussement exaspéré. Il se moque de nous alors qu’on essaie de lui expliquer qu’il faut qu’il choisisse une couleur.

Une violente douleur dans les reins me surprend. Je serre les dents en fermant les yeux. Karim s’en aperçoit immédiatement.

-Safi ? Tu vas bien ?

Je lève la main pour lui faire signe de se taire. La douleur augmente en intensité puis s’atténue aussi vite qu’elle est apparue. Je peux alors ouvrir la bouche pour parler.

-Est-ce qu’on peut aller à l’hôpital ?

Autour de moi, tout le monde s’active. Karim sort qu’il ne veut pas que j’aille où que ce soit. Il fera venir l’hôpital ici. Cet homme-là, il me fatigue. Je souffre et c’est maintenant qu’il a ses envies de millionnaire.

Je ne suis qu’à sept mois de grossesse. Et mon cœur de future maman me dit que mes enfants sont en route.

MON AVOCAT, MON PROT...