Chapitre XXXII
Ecrit par Tiya_Mfoukama
Chapitre XXXII
-T’es sûre que ça va ? Me demande Thierry alors que j’essuie la vaisselle utilisée.
-Oui.
Aussi bien que ça peut aller après s’être bêtement abandonnée entre les mains d’un ex-mari trop présent.
-Alors pourquoi tu me fuis à chaque fois que je m’approche de toi ?
-Parce que je suis collante de sueur, je ne sens pas spécialement bon et ça me dérange.
-Et c’est ça qui est sensé me gêner. Dit-il en m’enlaçant par l’arrière.
-Non arrête Thierry !
Je me dégage vivement de son étreinte, m’éloigne de lui, et lui dis en gardant cette distance:
-Ça ne m’amuse pas ! Arrête !
-C’est quoi le problème ?il me demande en fronçant des sourcils
Le problème est que je me sens bête et sale ! Je porte encore l’odeur de Shomari sur moi, l’empreinte de ses baisers et de ses doigts sur ma peau…. J’ai à peine eu le temps de me nettoyer !
On ne peut pas se sentir plus stupide que moi à cet instant.
Après tout ce qu’il s’est passé, le laisser avoir aussi facilement accès à mon intimité me rappelle la femme stupide et malléable que j’étais lorsque l’on s’est rencontrés. Et actuellement, je me sens pas si changée que ça. Je suis toujours aussi facile à amadouer. En fait, je me demande si j’ai vraiment changé.
-Mayéla ?
-.... Excuse-moi mais ça me dérange énormément alors s’il te plaît, laisse-moi me doucher pour me rafraîchir.
Il me sonde du regard, comme s’il soupçonnait quelque chose.
Oh non, je viens de me faire démasquer à coup sûr. Il sait ce que j’ai fait quelques heures plus tôt. Il va m’en vouloir, il aurait des bonnes raisons pour, et me traiter de tous les noms. Si je ne l’ai jamais réellement vu en colère jusque là, je me dis qu’aujourd’hui je vais expérimenter son côté colérique. Mais il se peut aussi que ses colères soient calmes. Non?
Je suis suspendue à ses lèvres, sa prochaine phrase va donner le ton que prendra notre relation.
-D’accord.
Et voilà… Quoi ? Il vient de dire d’accord, donc il ne m’a pas démasquée? Comme pour me le confirmer, il ajoute:
-Je suis tellement habitué à toi que ça ne me dérange pas que tu sois en sueur, mais si de ton côté ça te pose un problème, je te comprends.
-....
-Puis je trouve que ce n’est pas aussi grave que l’haleine du matin. Je n’insinue nullement que tu as une haleine terrible le matin. Dit-il en souriant.
Je me contente de lui rendre son sourire, même s’il me faut forcer un peu, puis finis de faire la vaisselle.
Ma tête est tellement pleine que je sais que ma soirée sera agitée.
Mon livre de cuisine me fait de l’oeil et dans l’état où je suis, je vois rien qui pourrait aussi bien me détendre mais il se fait tard, et nous sommes un jour de semaine. Je ne peux donc pas m’adonner à la cuisine. Alors j’opte pour le rangement. Ce n’est pas aussi efficace mais c’est déjà ça.
-Au fait, Laila voulait savoir ce que tu comptais préparer pour le repas de samedi. Me dit Thierry, assis sur le canapé, devant la télé.
-Quel repas ?
-Je sais pas, mais quand elle m’en a parlé, elle laissait penser que tu étais au courant.
-Ca a dû me sortir de la tête. Je l'appellerai demain.
-Okay….Bon, il commence à se faire tard, je vais y aller. Annonce-t-il.
-D’accord.
Pour éviter de l’embrasser ou de me blottir contre lui, j’use du plus vieux stratagème au monde, je cours dans la salle de bains alors qu’il est en train de dire au revoir à Wani qui dort déjà. C’est bas mais au moins ça a le mérite de marcher, puis ça me permet enfin de me décrasser, retirer une partie de l’odeur de Shomari, l’autre étant gravé dans ma mémoire olfactive.
Il est une heure vingt quand je me glisse sous les draps mais le sommeil me fuit comme si j’étais une pestiférée et je passe les trois quart de ma nuit éveillée, à me remémorer ce moment de grande honte et de faiblesse que j’ai eu. Y’a pas d’autres mots pour le qualifier.
Je m’en veux tellement de m’être autant laissée aller. Je me devais de refuser, et de rester ferme dans ma décision, au moins par respect pour Thierry et le couple que nous formons, mais au lieu de ça. “la chair à ses raisons que le sexe connaît” me dit souvent Elodie. J’ai jamais trouvé cette citation détournée de Blaise Pascale aussi vraie.
Le manque de sommeil me rend désagréable à un point où Wani, de nature très emmerdante le matin, se fait très discrète.
Ça me permet de baisser d’un cran, mon degré de mauvaise humeur, qui remonte de façon exponentielle avec la dizaine de minutes passées à chercher un taxi, et le quart d’heure que me rajoute les embouteillages, me rendant de fait en retard. Il serait vraiment temps que je pense à passer mon permis, ça devient plus possible.
-Qu’est-ce que t’as ? Me demande Elodie alors que j’entre dans notre bureau.
-Je suis fatiguée, j’ai dû attendre plus de dix minutes pour trouver un taxi et j’ai été prise dans les embouteillages puis je crois que ma jupe s’est un peu déchirée lorsque je suis sortie du taxi.
-Yako, c’est le genre de journée que personne ne veut passer. Pose seulement le coeur, ça va vite passer.
-......
J’espère bien.
Je prie pour que cette journée se passe sous de meilleurs auspices, mais on dirait que ma prière n’a pas été portée jusqu’aux oreilles de mon père. Entre clients, et managers désagréables, je ne sais pas à qui décerner la palme d’or du plus emmerdant.
-Mayela, t’es certaine de tes chiffres là? Me demande Elodie en me brandissant une feuille que j’ai du mal à distinguer.
-Si ce n’était pas bon, je ne te les aurais pas donnés.
-Et pourtant. Lance-t-elle un air de défi dans le regard. Bon tu vas m’expliquer ce qui ne va pas ? Pourquoi t’es aussi désagréable aujourd’hui ?
-Je suis pas si désagréable que ça, et je t’ai donné les raisons de mon humeur ce matin.
-Humm okay, comme on se ment entre nous maintenant, je vais faire comme si je croyais à ton mensonge.
Je lève la tête vers elle et surprends son regard sur moi. Plus de trois ans qu’elle est rentrée dans ma vie et qu’elle m’aide avec sa joie de vivre, son amour inconditionnel, et son sourire que ne la quitte presque jamais. C’est auprès d’elle que je trouve une oreille bienveillante, qui se garde bien de me juger quand bien même mes actions seraient discutables, et qui m’apporte toujours une réponse, que je suis libre de prendre en compte ou pas. C’est en me remémorant tout cela que je finis par lui dire ce qu’il en ait réellement, et sa réponse ne se fait pas attendre une fois que je termine mon récit.
-T’as fait quoi ? Hurle-t-elle presque.
-J’ai rien fait, c’est lui. Moi j’étais,... J’étais perturbée et embrouillée Je ne prenais pas conscience de ce que j’étais en train de faire.
-Donc il avait sa main qui s’activait dans ton vagin et toi tu n’avais pas conscience ? Ah ça !
-ELODIE !
-Ah pardon, je n’ai rien dit. Continue.
-.... Je me sens tellement mal vis à vis de Thierry. Quand il a annoncé qu’il allait partir, j’ai couru dans la salle de bains pour qu’il n’ait pas la possibilité de me prendre dans ses bras ou même de m’embrasser.
-... Okay, bon Mayéla, je vais être directe avec toi. Sur ce coup, tu as déconné. Je crois qu’à force de côtoyer Shomari, tu commences à agir comme lui.
-Elodieee. Soupiré-je.
-Non, y’a pas d’Elodie qui tienne. Thierry, est ce qu’il est, c’est vrai que je ne suis pas sa supportrice numéro un, mais tu le soulignes parfaitement, il méritait du respect. Pour toute la considération qu’il a eue à l’égard de ta fille, de toi même et de votre relation. Tu ne peux pas continuer à lui faire croire que les sentiments qu’il ressent pour toi son partagé.
-Mais ils le sont ! Protesté-je vivement.
-Et votre situation est toujours aussi stagnante ? Arrête de te voiler la face et grandis Mayéla. Tu ne peux pas rester avec lui par reconnaissance ou encore par habitude. T’as le droit au bonheur et si tu sais que ce n’est pas à ses côtés que tu vas le trouver et bien tu le libères comme ça chacun se cherche en détail.
Je soupire après l’avoir entendu donner son avis sur ma situation, si je suis d’accord avec une partie de ses propos, je m’abstiens de répondre à la seconde qui selon moi ne me regarde pas. Je sais, je suis convaincue d’avoir des sentiments pour Thierry, qui ne sont pas seulement dû aux sentiments de reconnaissance que j’ai pour lui. Ce sont des sentiments amoureux qui se sont installés avec le temps et si jusqu’à présent je n’ai rien dit, c’est parce que je ne me sentais pas prête à passer à l’étape suivante, celle de l’engagement. Il y a bien autre chose, je le sais, mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus et c’est également ce qui cause ma frustration.
-Prends le temps de bien réfléchir Mayéla, ne fais pas les choses en désordre.
-T’en fais pas.
Je décide d’écourter ma journée de travail, et de prendre celle du lendemain pour me reposer un peu. Ça ne peut que me faire du bien et me permettre de mieux réfléchir.
Totalement coupé du monde après avoir éteint mon téléphone et tout moyen de contact, c’est dans ma cuisine, en concoctant de bons plats pour Wani, que j’ai envoyée chez mes parents, mais aussi pour la soirée du lendemain chez les parents de Thierry, dans mon salon, à moitié allongé dans mon canapé avec un bon verre de jus de gingembre ainsi qu’un livre que je tardais à finir et dans ma chambre assise sur mon lit, les pieds dans une bassine d’eau chaude pour les préparer à recevoir une bonne pédicure et tout cela avec un fond musical lounge, que je réussis à me détendre et mettre les idées au clair dans mes pensées.
Le samedi après-midi qui arrive, l’esprit totalement net, j’accompagne Thierry au repas de famille organisé par une de ses belles soeurs Leila. C’est en sortant de la voiture, après avoir ajusté ma jupe en page à dominante grise et rouge, que je me questionne sur les raisons de se rassemblement et tente de trouver des réponses auprès de Thierry qui ne semble guère plus informé que moi.
-Elle doit simplement vouloir qu’on se réunisse tous. On ne le fait pas aussi souvent qu’on le devrait.
-Humm peut-être…. Ca va toi ? T’as l’air stressé. Constaté-je.
-Oui et non, disons que j’ai un dossier un peu épineux dans je devrais bientôt voir l’aboutissement, après me sera-t-il favorable, c’est autre chose.
-Ah d’accord. T’en fais pas, moi je suis persuadée que ça va aller.
-Je l’espère aussi.
Nous arrivons dans une ambiance familiale très festive, et naturellement, je rejoins les femmes dans la cuisine pour apporter mon aide.
-Mon Dieu, tu avais dit que tu ne ferais que les gâteaux ! Lance Leila choquée en voyant le plat de saka-saka et de queue de boeuf que j’ai préparés.
-C’est rien. J’ai pas travaillé hier, j’avais du temps.
-Oui mais quand même. En tout cas, je te remercie. Allez, va prendre un verre, et installe-toi.
-Okay, tu pouvais pas me chasser plus discrètement. Dis-je en riant. Mais au fait, c’est en l’honneur de quoi ?
-Il va bientôt y avoir un mariage à célébrer. Murmure-t-elle avec enthousiasme.
-Ah oui ? Et c’est qui ?
-Tu le sauras en même temps que tout le monde, je dis à personne pas de favoritisme.
-Rohhh t’es pas cool. Marmonné-je en sortant de la cuisine.
“Tu le sauras bien assez tôt” l’ai-je entendu crier. Bah j’espère bien, je n’aime pas rester dans l’ignorance.
Jusqu’au trajet menant aux jardins, j’essaie de faire le liens entre les invités et les personnes qui pourraient envisager de se marier. On peut déjà barrer de la liste les frères de Thierry, David et Samuel sont déjà mariés. Il reste les cousins, dont Ben. Je crois savoir qu’il a une relation suivie depuis quatre ans avec une jeune réunionnaise venue s’installer ici pour lui. Ouais, ça peut être lui, ou Malvia, et….
Mais qu’est-ce qu’il se passe ?
“What would I do without your smart mouth
Drawing me in, and you kicking me out
Got my head spinning, no kidding, I can’t pin you down
What’s going on in that beautiful mind
I’m on your magical mystery ride
And I’m so dizzy, don’t know what hit me, but I’ll be alright”
Les premières notes de “All of me”, me parviennent alors que je me demande ce que Kala, Elodie, Wani et surtout mes parents font ici. Lors de mon arrivée, je n’ai vu personne !
Ils sont tous tournés vers moi, mais se tiennent à bonne distance, le sourire aux lèvres.
Je me raccroche aux regards d’Elodie et lui demande du bout des lèvres ce qu’il se passe, elle marmonne une phrase qui ressemble à “ fallait allumer ton téléphone” et quand j’arque un sourcil en signe d’interrogation, pour lui signifier mon questionnement, Thierry s’avance devant moi, et pose un pied à terre lorsqu’il se trouve à un mètre de moi.
-J’ai longtemps hésité sur la chanson qui accompagnerait ma demande. Commence-t-il.
Sa voix est légèrement tremblante, mais il semble tellement déterminé que ce détail passe inaperçu.
-Je voulais une chanson qui te ressemble, qui nous ressemble, qui arrive à décrire l’amour que je ressens pour toi. J’ai pensé à "Ain’t no sunshine when she is gone" ( il n’ y a pas de soleil lorsqu’elle n’est pas là), parce que oui il n’y a pas de soleil lorsque tu n’es pas là, puisque c’est toi mon soleil, ma lumière, ma source intarissable de lumière. Celle dont le sourire rayonne et me fait prendre un bain de soleil même quand tout va mal. Mais je ne la trouvais pas assez parlante, alors j’ai modifié ma sélection et choisi “When man love woman”, c’était plus parlant déjà, notamment au niveau des toutes ces choses dont je me sens capable de faire pour toi, pour Wani, pour vous rendre heureuse… Mais il manquait quelque chose encore. Je l’ai trouvé mercredi soir, quand tu as refusé que je te prenne dans mes bras. T’étais pleine de sueur et ça te dérangeait, mais pas moi. Moi, ça ne me dérangeait pas. Parce que j’étais certain et je suis toujours certain, de vouloir te garder près de moi tous les jours de ma vie. Que tu sois éblouissante, transpirante, ou encore malade. Cette chanson m’est alors apparue comme une évidence. C’est celle de tout le monde, mais aussi de personne, elle est propre à chaque couple et je pense que le notre peut trouver en elle un tempo que d’autres n’ont pas encore entendu. Mayéla, à tes côtés, j’ai pleinement pris conscience des notions de patience, de tempérance, d’humilité et de respect, des notions qui te définissent. Des notions que j’ai toujours souhaité retrouver chez la partenaire de vie, la coéquipière, la femme que j’épouserai. Dieu m’a fait grâce en réunissant toutes ces notions en toi…. Bon même s’il t’aurait manqué une de ces notions, tel que la patience, je t’aurais quand même demandé ta main hein.
Je perçois à peine les rires des personnes qui nous entourent. Mes yeux sont plongés dans ceux de Thierry et attentif à chacune de ses paroles.
-Avec toi, je voudrais développer les notions, d’union, de force, d’amitié, d’endurance et surtout d’amour. Avec toi, je voudrais arrêter de parler de chemin de vie, mais vivre ce chemin de vie. Et c’est la raison pour laquelle devant toutes ses personnes qui nous sont chers, qui seront les témoins de ce chemin de vie, je voudrais te demander si tu acceptais de m’épouser.
J’étais très loin de me douter qu’il allait me demander en mariage, principalement parce que nous ne parlions plus de relation à deux, mais que nous vivions la notre au jour le jour, comme elle se présentait, avec ses hauts et ses bas.
Mais rien en elle, dans sa forme actuelle ne laissait présager une demande.
Je me suis accommodée de cette situation, de cette relation sans réel engagement que je pensais qu’elle nous permettait de vivre sans vraiment me soucier de lui et de la façon dont il la percevait.
-Bah alors ! S’impatiente faussement Samuel. Essuie tes larmes, dis oui et prends ta bague qu’on en finisse !
Je porte ma main droite à ma joue gauche et la sens humide.
Silencieusement je pleure, non pas de joie ou de tristesse mais de peine.
Je suis peinée parce que je connais la tournure que va prendre cette histoire, parce qu’on n’aurait jamais dû en arriver là mais par la faute de mon mutisme et ma passivité on a atteint un point de non retour, parce que cette fois fois-ci, je ne pourrai pas.
-Thierry…
Je marmonne du bout des lèvres.
Le regard toujours rivé dans le sien.
Il ne lui en faut pas plus pour comprendre.
Je suis parcourue de frissons lorsqu’il se relève et qu’un silence lourd et pesant s’abat autour de nous. Je sens toujours les regards rivés sur nous mais ils ne dégagent plus la même émotion. De la joie et de la tendresse, ils sont passées à la stupéfaction, à l’incrédulité, au questionnement.
Sans se départir du flegme dont il fait preuve à tout moment, Thierry me dirige vers l’intérieur de la maison, dans la pièce la plus éloigner du jardin; le salon, loin des invités.
-Je suis désolée. Dis-je alors même qu’il vient de refermer la porte d’entrée. J’aurais aimé pouvoir te dire oui, mais je ne pouvais pas. Pas encore.
-....
-J’ai épousé Shomari dans de mauvaises conditions et pour de mauvaises raisons. Je me suis retrouvée dans un mariage où j’y ai laissé beaucoup. Ça m’a aussi fait grandir et surtout fait comprendre que chaque résultat n’est que la conséquence de la réponse apporté à une situation.
Avant, je disais toujours “oui” parce que je ne savais pas dire non, parce que je ne voulais pas blesser les gens qui m’entouraient, mais en les “protégeant” c’est moi que j’exposais. Alors j’ai arrêté de dire oui, et appris à dire non. Mais la encore ça ne suffisait pas. Il fallait que je m’exprime, que je me justifie sur mes choix et ça aussi, j’arrivais pas à le faire, alors je me suis tue, laissant les choses se faire, me dédouanant au possible, oubliant que le silence était une forme d’acceptation.
-....
-Tu m’as souvent demandé ce que j’attendais de toi, de notre relation et j’ai souvent gardé le silence, demandé un sursis, ou joué avec les mots pour te répondre. J’en suis désolée.
-...
-La vérité c’est que j’ai des sentiments pour toi, ils s’apparentent à l’amour, mais ça n’a rien de comparable avec ce que je ressens pour Shomari.
Ça y est, ça vient de sortir pour la première fois je fais face à mes sentiments aussi gênant et étrange puissent-ils être. Je me sens libérée d’un poids que j’étais seule à endosser. En même temps, personne d’autre que moi ne me l’avait mis sur le dos.
Mais ça fait du bien de pouvoir mettre des mots sur des émotions, d’enfin assumer, même si ça peut blesser.
En pensant à blesser, je me tourne vers Thierry. Malgré son visage impassible, sa façon de se tenir et de contracter sa mâchoire me disent qu’il est blessé et au plus profond de lui-même. Ça a le don de minimiser les sensations de bien être et de paix intérieure créées en moi.
-Je ne te dis pas tout cela pour te faire souffrir, mais parce que j’ai besoin de l’extérioriser et toi tu as besoin de l’entendre. Je ne peux plus continuer à vivre en fonction des autres. On n’aurait pas été heureux, parce que mon cœur ne t’aurait pas appartenu complètement. Il fait parti de ses choses laissé à Shomari lors de notre séparation. J’ai voulu croire qu’il me suffirait de me mettre en couple avec une autre personne, et m’investir dans la relation pour l’oublier, et récupérer mon cœur, Mais ça s’est avéré plus compliqué que ce que je pensais.
Tu es l’une des personnes les plus belles qu’il m’ait été données de rencontrer et côtoyer. J’ai beaucoup reçu à tes côtés et je pourrais jamais te laisser jouer un rôle de substitution dans ma vie. Tu ne mérites pas ça.
-….
Il ne dit toujours rien, garde toujours la même posture et ça commence à m’inquiéter.
C’était pas le jour pour lui dire tout ça mais plus tard ça n’aurait pas été possible et avant, je ne me rendais pas compte de l’urgence…
-Tu…. Tu penses que je peux te prendre dans…mes bras.
Sa voix se brise après avoir prononcé sa dernière phrase.
Je vais me blottir dans ses bras en lui répétant combien je suis désolée de ne pas être à la hauteur, de ne pas pouvoir porter fièrement cet amour qui je suis certaine m’aurait comblée… si seulement il avait été réciproque.
-Je suis désolée Thierry.
-….
Il me serre fortement, la tête nichée dans le creux de mon cou pendant de longues minutes avant de me lâcher.
Je ne suis pas certaine qu’il existe un sentiment plus désagréable que celui de faire du mal, même de façon non intentionnelle, à une personne qui ne le mérite absolument pas.
-…
-…
Il me tend sa main, je glisse la mienne dans la sienne, et sans rajouter de mots, ensemble nous retournons dans le jardin.
Il n’a rien dit, parce que je suis consciente de l’effort surhumain qu’il est en train de faire pour ne pas craquer. Thierry n’est pas de ceux qui expriment leurs émotions par la parole mais par les actes et les faits.
Je sais que nous serons amenés à discuter… Mais plus tard.
Lorsque nous arrivons devant l’assemblée qui n’a pas l’air d’avoir bougé d’un iota, Thierry prend la parole et dit d’une voix plus assurée :
-Les grandes décisions se prennent avec du temps. Il faut lui laisser le temps mais en attendant, il y a un super repas qui a été préparé par des femmes tout aussi superbes, et ce serait dommage de ne pas en profiter. On pourra toujours trinquer au nom de la famille et de l’amitié.
Mon cœur se serre un peu plus, quand tout le monde semble comprendre que j’ai refusé la demande de Thierry. Personne n’ose émettre de commentaires.
La gène s’empare de moi, et même si toutes les personnes réunis se retiennent d’exprimer par la parole ce qu'elles pensent, les expressions de leurs visages, leur yeux disent énormément de choses. Surtout ceux de ma mère que j'évite soigneusement. Je lui donnerai des explications à elle aussi mais plus tard.
Seigneur aide moi à passer ce moment, s’il te plait.
*****
Il me faut bien deux minutes pour enregistrer l’information. Je le regarde un peu stupéfait, puis essaie de me remémorer tous ces petits moments qui auraient pu me mettre la puce à l’oreille. C’est vrai qu’il était plus souvent présent, passait beaucoup de temps avec Salomé, mais en tant que parrain je trouvais ça tout à fait normal, sauf que maintenant, je comprends que son intérêt n’était pas que de divertir ma fille.
-Surpris ? Me demande Guislain.
-Un peu, il faut l’avouer… Nathalie ?
-… ça te dérange ?
Je le fais un peu languir en gardant un visage inexpressif, qui peut laisser croire que je cache une colère même si au fond, il n’en est rien. Il peut se taper qui il veut.
-…Non. Finis-je par dire. Essaie juste de pas lui briser le cœur, j’ai encore besoin d’elle. Elle fait du très bon travail avec ma fille.
-On est pas encore au stade avancé, on apprend encore à se connaitre à s’apprivoiser. On y va doucement pour être sur que… Bah que c’est ce que l’on souhaite. Mais je voulais que tu le saches avant que ça n’aille trop loin.
-Et je te remercie de me tenir informer. Dis-je en versant de l’eau dans mon verre.
-Okay, donc pour ce soir, ça ne te dérange pas de la laisser sortir ?
Je secoue ma tête de gauche à droit en signe de négation, tout en buvant une gorgée d’eau. Ça fait un petit moment que je n’ai pas passé du temps seul à seul avec Salomé, ça ne pourra que nous faire du bien.
-Vous allez où ?
-Je sais pas encore, je vais la laisser choisir. Et toi, du coup, tu vas faire quoi avec Wani ?
-Je ne sais pas non plus. Soirée ciné probablement. Quand je l’ai eue tout à l’heure au téléphone, elle m’a dit qu’elle faisait la fête. Elle sera probablement K.O.
-Hummm.
Je m’enfonce dans le canapé, où je suis assis depuis un moment, et tente de me concentrer sur les images qui défilent sur la télé, histoire de m’endormir. Y’a pas mieux comme berceuse.
-Okay, nous on va y aller, je te sens prêt à taper un somme.
-Humm. Dormir un peu avant l’arrivée de Salomé devrait me faire du bien. Elle demande beaucoup d’énergie cette petite.
-On se demande de qui elle tient. Lance-t-il en me tapotant l’épaule.
Je le regarde de travers puis souffle un « continue et je t’interdirai de voir la nourrice de ma fille » et il éclate de rire en se dirigeant vers la cuisine pour y retrouver Nathalie.
Je les revois passer devant moi moins de cinq minutes plus tard et annoncer leur départ définitif.
Honnêtement, j’espère qu’entre eux ça va marcher. Pas parce qu’il n’aurait plus le temps de s’intéresser à ma relation plus que complexe avec sa « sœur » de cœur, mais parce qu’il le mérite. D’ailleurs ils le méritent tous les deux. Lui, je l’ai vu bosser comme un acharné pour arriver là où il en est et je pense qu’il est temps pour lui de se poser, fonder une famille et profiter des fruits de son travail. Quant à elle, Nathalie, elle est loin de ressembler à ses petites écervelées qui courent dans BZ à la recherche d’un « papa a pesa a tala té », qu’elles tournent en bourrique et contrôlent en chambre à coups de reins. Elle, elle a la tête sur les épaules, met de l’argent de côté pour reprendre des études qu’elle a dû interrompre pour aider ses parents après un accid