Chapitre XXXIV
Ecrit par Tiya_Mfoukama
Chapitre XXXIV
-Mais tu comptes passer juste après ?
-Pfff je ne sais pas trop maman. Dis-je en mettant ma montre-bracelet. Si j’ai le temps et si Wani n’est pas trop fatiguée, oui.
-Ah. D’accord. C’est bon.
Je sens à travers sa voix qu’elle est un peu peinée et légèrement inquiète. J’hésite un instant puis lui confirme que je passerai la voir après le repas auquel nous sommes conviées Mewani et moi. Ça pourra même me servir de prétexte si je trouve que la situation devient gênante, si je me mets à chercher une échappatoire et que Wani n’est pas la personne sur qui compter.
Les inflations de sa voix changent du tout au tout et sonnent plus gaiement à mes oreilles. Ça doit faire un petit moment qu’elle attend ça de ma part.
Il faut dire que depuis l’après-midi où ses sœurs ont débarqué avec certains membres de la famille, les choses ne sont plus vraiment pareilles entre nous deux.
J’en ai un peu voulu à ma mère d’avoir joué la carte de la famille discrète pour préserver sa sœur et son pervers de mari au détriment de moi, son enfant, alors que sa sœur, elle ne s’est pas gênée pour l’exposer avec des mensonges de surcroît. Je sais qu’elle pensait bien faire, à l’époque sa relation avec mon père, enfin mon beau-père, était encore à ses débuts, elle a agi en tant que mère célibataire qui tente de préserver sa fille face à sa grande famille qui pouvait très vite l’envahir. Moi je trouve qu’elle a surtout repoussé le problème et qu’il a fini par se savoir. Et maman Delphine ne l’a pas supporté. Elle a fait un mini infarctus, et est restée à l’hôpital pendant plusieurs semaines.
Maman m’a demandée pardon pour son silence, pour avoir pensé qu’il était préférable de garder les liens familiaux comme disait sa grande sœur et comme elle me l’avait répété, puis elle s’est éloignée de sa famille mais ça ne changeait pas grand-chose pour moi. J’ai également pris mes distances.
Cette histoire s’est passée il y a quatre mois mais, les blessures qu’elles a ouvertes de nouveau sont encore vives.
C’est à partir de la fameuse nuit que je suis devenue plus que jamais introvertie, que le monde a commencé à me faire peur, et que j’ai décidé de m’effacer pour ne plus être vue et donc ne plus être la cible de personne. Tout ceci explique qui je suis aujourd’hui.
-Maman ! On y va ? Me demande Wani.
-Un instant, je finis avec mamie.
-On va aller la voir ?
-Oui, après.
-Ouais ! S’exclame-t-elle
Je souris tristement en la voyant sauter de joie dans touts les sens, c’est vrai qu’en m’éloignant de ma mère, j’ai aussi éloigné ma fille de ses grands parents alors qu’ils jouent un rôle actif dans son développement. Elle les a beaucoup réclamés et j’ai souvent inventé des prétextes pour lui expliquer pourquoi nous n’allions plus les voir. J’ai eu tort, sur ce coup là, et je le reconnais.
-Bon, maman je vais devoir te laisser, on se retrouve tout à l’heure.
-Okay. Je vais quand même vous préparer à manger, tu emporteras ça pour la semaine.
-D’accord. Je te laisse.
Je pose mon téléphone souffle légèrement pour évacuer un peu puis attrape mon sac à main, le plat que j’ai préparé dans une main, Wani dans l’autre, et me dirige vers ma voiture.
Oui ma voiture !
Il était vraiment temps que j’en ai une. Les galères de Brazzaville avec ses embouteillages et tous les inconvénients, c’était plus possible ! J’ai eu mon permis il y a deux mois et comme cadeau de réussite, Shomari m’a offert une voiture, rien de tape à l’œil, c’est moi qui l’ai choisie. Il aurait préféré que je prenne une grosse voiture, une Rav 4 ou une Prado mais, je me voyais pas dedans.
Ça m’a déjà été difficile d’accepter son cadeau, j’avais le sentiment qu’il cherchait à m’avoir par l’argent et le matériel, mais après un argumentaire sur le côté désintéressé de sa démarche, j’ai fini par accepter.
-IIs vont commencer à manger sans nous maman ?
-Mewani, je t’ai dit quoi en ce qui concerne la nourriture ?
-….
Elle baisse la tête boudeuse, puis tourne son regard que je perçois larmoyant, vers sa vitre. Si dans tout ça, il y a bien une chose qui n’a pas changé, c’est mademoiselle et son estomac. Comme toujours, elle est pressée de pouvoir le remplir.
Moi, je ne suis pas pressée d’arriver je sens que Shomari va encore me préparer un coup foireux. Celui là ne lâche rien, il est bien déterminé à ne pas laisser tomber et à m’oublier comme je le lui ai demandé.
Depuis trois mois, j’ai droit à des attentions particulières de sa part chaque matin, en plus d’un message, ça peut-être des fleurs, des chocolats, la page d’une livre arraché décrivant ses pensées, une photo et j’en passe. Toutes ses attentions, sont des façons de me demander pardon, de me montrer son amour et ce qu’il est dorénavant prêt à faire. Depuis le début du mois, il a commencé une espèce de jeu de piste, que j’ai du mal à cerner. J’ai reçu des roses, trois gros bloc de terre, des clous, des ustensiles de cuisine, une magnifique robe de soirée, une brosse à dents, un déboucheur de toilettes, une machine à café, un lot de produits ménager, des valises, un garde-chaussure contenant des talons, des tennis, des tongs, des chaussons et des baskets à ma pointure et la liste est encore longue. Ce sont selon ses mots, des indices qui vont me mener à la récompense.
Je pensais au début que j’allais devenir dingue et je passais mon temps à crier, surtout quand je recevais des cadeaux étranges comme la fourmilière ou la boite de termites, puis j’ai arrêté de parler. Je me suis contentée de recevoir « ses indices » sans même chercher à comprendre. Ce matin, j’ai reçu le dernier indice, un dessein de Wani, il y avait un gros soleil forcément, de hautes herbes, un arbre puis au premier plan, une famille, et une maison en arrière plan.
Une famille réunie, voilà ce que je vois, mais le lien avec tous les indices précédents, je ne le vois pas.
Je sors cette histoire de jeu de piste de ma tête et manœuvre pour me garer. Les créneaux et moi, c’est pas l’amour fou.
En prenant tout mon temps, je descends de la voiture, détache Mewani, puis récupère le plat préparé avant d’aller vers le portail.
Et bien il y a du monde, moi qui pensais à un petit repas.
Les meubles ont été déplacés pour créer un espace plus grand, toutes les pièces semblent accueillir les invités.
-Hey petite sœur ! Ai-je entendu provenant du salon.
C’est Gui-Gui, la seule tête qui me paraisse familière pour le moment. Il est ami avec Shomari depuis qu’ils sont tous petits, il doit forcément connaitre les personnes qui sont présentes. Il est discrètement installé dans un coin du salon, je décide de le rejoindre et le coller comme du chewing-gum, histoire de savoir qui est qui et surtout qui je dois éviter.
-Tu te souviens de moi ? Comment je m’appelle ?
-Oh arrête ça, tu sais que j’étais pris ces derniers temps.
-Oui, tu étais pris à jouer les amoureux avec Nathalie. Lancé-je faussement affectée. Depuis que tu es en couple, tu me tries grand frère.
-Mais non, toi aussi, je ne peux pas te trier…T’es venue sans ma filleule ?
-Non, elle est… là.
Je viens à peine de lui lâcher la main, que mademoiselle a déjà disparu.
Celle-là, je vais pas la rater ce soir.
-Qu’est ce que tu as dans tes mains ?
-Oh, des amuses bouches.
Son sourire s’illumine, et il me retire le plateau des mains pour regarder ce qu’il s’y trouve. Ça a l’air de lui plaire puisqu’il cache dans un coin du salon, les apéritifs.
-Gui-Gui !
-Quoi ? Fait-il faussement innocent.
On rit discrètement de ses âneries lorsque Shomari apparait et se dirige vers nous.
-Bonjour Mwana.
-Bonjour. Et c'est Mayéla.
-Tu as raison, pardonne-moi....Tu es toute en beauté aujourd’hui.
-Merci.
-Tiens, viens avec moi, j’ai quelques personnes à te présenter.
Je n’ai pas le temps de formuler une réponse négative qu’il m’entraine par la taille vers un groupe se trouvant à quelques pas de mon ancienne place.
-Cyril, Paule, Maturin, je vous présente Mayéla. Mayéla, je te présente Cyril, Paule et Maturin, des collègues de travail.
-Bonjour. Fais-je un peu intimidée
-Ah enfin on peut mettre un visage sur un nom. Lance, la dénommée Paule. On entend souvent parler de toi !
-Ravi de faire ta connaissance. Dit Cyril. J’ai quelques anecdotes à te raconter sur les attitudes de ton homme au bureau. On va voir si madame est d’accord avec.
-Ah-Ah. Il est drôle lui. Souffle Shomari. Faut surtout pas croire cet idiot !
Je reste courtoise, même si je n’aime pas la façon de faire de Shomari et discute avec ses collègues avant de chercher à m’éclipser clandestinement, mais c’est sans compter sur Shomari qui anticipe mes mouvements et m’entraine dans un autre groupe, puis un autre, et encore un autre. Tous sont persuadés que je suis sa compagne et lui ne se foule pas pour rétablir la vérité. Je n’aime pas ça et profite d’un moment seul avec lui dans la cuisine pour mettre les choses au clair.
-On est pas ensemble, tu n’as pas à faire croire le contraire.
-Est-ce que tu m’as entendu de présenter comme tel ?
-Ne fais pas ton fourbe, ne joue pas sur les mots ! En ne disant rien, tu les laisses penser que je suis effectivement avec toi et je ne veux pas.
-Okay, je m’excuse si tu t’es sentie offensée. On peut maintenant aller manger.
-Ça ne me fait mais absolument pas rire Shomari.
-Je sais et je vais profiter du toast pour rétablir la vérité. Ça te va ?
-… Okay.
-Bien. Au fait, t’as reçu ton indice d’aujourd’hui ?
-Oui.
-Tu n’as toujours pas trouvé ?
-Non.
-Bien.
-Tu ne veux pas me dire de quoi il s’agit ?
-Non.
-Tsss.
Nous retournons dans le salon, où les discussions sont plus qu’animées dans les différents groupes. Je constate que pendant notre absence, les parents de Shomari sont venus, ce qui me fait légèrement perdre en assurance. Avec son père, je n’ai pas vraiment de problèmes, j’ai même envie de dire que c’est tout le contraire, mais avec sa mère, c’est une autre paire de manches.
Je n’oublie pas son rôle dans ma relation avec son fils, mais pour Wani, je reste courtoise, et les salue lorsque nous arrivons à leur hauteur.
-Bonjour
-Bonjour Mayéla ! Me répond le père de Shomari. Comment vas-tu ?
-Je vais bien, merci de demander et vous ?
-Comme tu me vois.
J’échange sans mal quelques banalités avec le père de Shomari que je ne tente pas de reproduire avec sa mère, elle a répondu à mon bonjour du bout des lèvres, comme si me saluer allait les lui brûler. C’est peut-être le cas, mieux vaut ne pas tenter.
-Madame Malonga ! S’exclame Shomari. Vous vous êtes mise sur votre 31 apparemment. Vous êtes très classe.
-Je suis toujours sur mon 31, la classe est innée chez moi.
-Et vos chevilles sont toujours gonflées ?
-Chéri tu laisses ce petit impoli me parler comme ça ? Il fut un temps où tu l’aurais pourtant bien corrigé.
-C’était il y a longtemps. Soupire le père de Shomari. Aujourd’hui il peut me soulever et me jeter, restons pour nous silencieux. Dieu va réparer cet affront.
Le père et le fils rient sans aucune retenu sous le regard courroucé de la mère.
A les voir comme ça, on n’imagine pas un seul instant qu’il puisse y avoir des sujets de discorde, des tensions et un peu d’amertume. On ne voit qu’une famille, un père une mère et leur fils, mettant de côté tous leurs tracas, et riant aux éclats, heureux de se retrouver, et partager un moment ensemble. Ce qui m’emmène à penser à la mienne qui m’attend.
-Mayéla, je pourrais te voir un instant ?
Mes yeux doivent être tellement écarquillés qu’ils sont surement en train de sortir de leurs orbites. C’est moi qui hallucine où elle vient de me parler ?
Je me tourne vers Shomari qui fait semblant de ne rien voir puis reporte mon attention sur elle.
-Euh… Oui …oui.
Elle nous entraine sur la véranda, où personne ne s’y trouve, puis s’installe sur l’une des trois chaises installées, et me demande de prendre place sur celle se trouvant à ses côtés. Je suis certaine que d’un œil extérieur, je dois ressembler à Wani après une bêtise, qui pense que je vais sévèrement la gronder. Ce n’est pas qu’elle m’intimide, mais… Elle m’intimide. Je sais de quoi elle est capable, n’en garde pas un bon souvenir, et ne peux pas m’empêcher d’être sur mes gardes.
-Je ne vais pas passer par quatre chemins… J’ai toujours été une mère présente pour mes enfants. Avec Lyne, nous avons établie une relation fusionnelle mère-fille, comme on en voit souvent, mais avec Shomari, c’était tout le contraire. Notre relation s’est créée grâce à nos divergences. Shomari s’attelait à faire le contraire de tout ce que je voulais pour lui ou faisait ce que je lui disais mais de la pire des façons. C’était une autre méthode pour lui pour prendre un malin plaisir à me contredire. Lorsqu’il t’a rencontré, je souhaitais le voir stable, avec une femme et éventuellement des enfants. Mais il était loin de vouloir s’engager. Il le criait haut et fort que ce n’était pas pour lui puis un jour, il est venu me parler de mariage. J’ai pensé qu’il faisait comme toujours, il cherchait à me contredire, alors j’ai fait ce que moi je fais dans ces cas là, je m’attèle à contrecarrer ses plans. Je n’ai pas compris qu’il était sérieux, qu’il tenait vraiment à toi, parce que je le voyais encore comme un enfant du haut des ses trente ans à l’époque. J’ai eu à discuter avec lui par la suite, et j’ai compris que je n’avais plus affaire avec le jeune homme mais l’homme. Et que mes actes l’avaient surement conduit à perdre la femme qu’il aime… J’aurai dû revenir vers toi plus tôt pour que l’on puisse discuter, mais … Disons que l’orgueil de mon fils est une tare qu’il a forcément du hériter de moi. Même si tu n’es plus en couple avec Shomari, tu restes la mère de mon premier petit enfant et pour cette raison j’aimerais que l’on puisse s’asseoir toutes les deux, un peu comme maintenant, mais à une autre date. Je ne veux pas profiter d’un repas et te bloquer. Non. Je voudrais que l’on puisse se retrouver et discuter calmement pourquoi pas autour d’un bon plat. Qu’est-ce que tu en dis ?
Ok-ay ! J’en dis que… J’en dis quoi ?
Je ne sais pas, je suis assez chamboulée, je ne m’attendais pas à ça.
Elle vient de me présenter des excuses non ? D’accord ce n’était pas formulé comme on a l’habitude de les entendre, mais ce sont bien des excuses ?
-Mayéla ?
-….
-Je peux comprendre qu’il te faut du temps, je n’ai pas été tendre avec toi et que tu acceptes de m’écouter c’est déjà pas mal… Je te laisse le temps d’y réfléchir. Dit-elle en se levant.
Et bien.
C’était un moment particulier. J’apprécie la démarche, même si ça n’enlève rien aux sentiments que j’ai à son égard.
-Ça va ? Me demande Shomari qui me rejoint avec Mewani dans les bras.
-Oui.
-Vous avez parlé de quoi ?
-De rien qui te concerne. Dis-je en souriant avant de le précéder dans la maison.
J’ai juste le temps de prendre un verre de jus avant d’entendre les tintements d’un couteau sur une coupe.
-Votre attention s’il vous plaît ! Commence Shomari. Ma fille et moi voudrions tout d’abord vous remercier pour votre présence…
-Merciiiiii. Crie Wani, faisant rire tout le monde.
-Voilà qui est dit. Reprend Shomari. Nous n’avons pas fait de pondaison de crémaillère lorsque nous avons aménagé, c’était l’occasion de le faire. Cette maison est venue avec beaucoup d’apport positif dans ma vie, et j’espère que ce n’est pas prêt de s’arrêter. Vous connaissez maintenant tous le chemin de ma maison donc plus de prétexte à la con pour ne plus venir.
-Oh papa t’as dit un gros mot ! Ce qui provoque l’hilarité générale.
-Zut, tu as raison, au temps pour moi. Plus de prétextes fallacieux pour ne plus venir. Mon speech s’arrête ici.. Ah non, excusez-moi. Je devais aussi rétablir une vérité concernant Mayéla. Elle n’est pas ma compagne… Elle est la mère de ma fille, la femme dont je suis amoureux et que j’ai laissé partir, la seule qui peut se targuer de m’avoir sous son contrôle, celle pour qui je suis prêt à patienter toute une vie pour obtenir son pardon…. Santé !
Il ne vient pas de faire ça ?
Si j’ai vraiment la possibilité de l’avoir sous mon contrôle, je peux espérer le tuer ?
*****
Je sais que je ne me suis pas grillé tout à l’heure, ça l’a fait chier mais elle va venir. Je suis certain qu’elle va venir… parce que si elle ne vient pas, je suis mal.
J’avise l’heure sur ma montre, 21h, puis lève les yeux vers la route. Je ne vous toujours pas sa voiture. On avait rendez-vous il y a une vingtaine de minutes déjà et ce n’est pas son genre d’arriver en retard.
Merde, j’espère que je n’ai pas trop forcé ce coup-ci.
J’ai pas d’autres choix pour monopoliser son attention que d’user du forcing. Le jeu de piste était une façon d’atténuer le côté lourdaud de la situation. J’ose espérer que sa curiosité va la conduire jusqu’ici. Ce soir, j’ai décidé de jouer mon va-tout, ça passe ou ça casse. Je l’ai préparée tout au long du mois pour, je l’espère, ce dernier rendez-vous.
Je suis tiré de mes pensées par les phares de sa voiture. Je préfère éviter de faire un quelconque commentaire et me réjouis simplement de sa présence.
-Je suis là, comme tu me l’as demandé. Et maintenant ? Demande-t-elle en sortant de sa voiture.
-Monte avec moi.
-Et ma voiture ?
-On revient, ne t’en fais pas.
Elle soupire, puis peste pendant quelques minutes, mais ça ne me fait rien, elle est déjà là et ça veut dire beaucoup.
Après cinq minutes de protestations, elle monte enfin en voiture et je nous conduis vers la destination finale.
Il faut bien cinq minutes de marche après avoir quitté le goudron, pour arriver au lieu. La pseudo route que j’éclaire à l’aide d’une lampe torche est à la fois sinueuse et boueuse, au grand dam de Mayéla qui est en talon.
-Tu pouvais pas me prévenir ?
-On est pas loin.
-Argh !
Je l’entends grogner puis soupirer fortement avant de s’arrêter.
-Mwana, on est pas loin là. Qu’est-ce que tu fais ?
-Ça ce voit non, j’enlève mes chaussures ! Répond, elle en retirant un talon…Et arrête de sourire.
-Parce que tu me vois sourire.
-Tu ne souris pas ?
-….
Bien sur que si je souris, c’est le fait de me rappeler qu’elle est le genre de femme sans chichi qui va pas se plaindre durant tout un trajet mais trouver une solution qui me fait sourire.
Nous reprenons la route dans le silence et quand j’aperçois au loin des petits points de lumière, j’étais ma torche et le dirige vers eux.
-Qu’est-ce que c’est ? Demande Mayéla devant la multitude de bougies chauffe-plat allumées et formant un énorme rectangle.
-La récompense, ce qu’il fallait que tu trouves, si tu avais accepté de jouer le jeu au lieu de seulement recevoir les indices chaque matin.
-D’accord, donc chaque matin je recevais un indice pour trouver ça ? Un terrain vague avec des bougies ?
-Ce n’est pas n’importe quel terrain…. C’est le notre.
-Je n’y comprends rien là.
Je lui tends ma main pour l’emmener au centre du rectangle et lui dis après une inspiration :
-… Tu connais les similitudes entre une relation et une maison ? Elles ont toutes les deux besoins de personnes prêtes pour les construire, qui n’ont pas peur de s’engager, d’affronter les moments qui s’avèreront difficiles, et de se sacrifier parfois pour les bâtir. Elles ont besoin de bons fondements sans vices cachés, d’une base solide, et d’une équipe travaillant en harmonie…. Depuis maintenant quatre mois que chaque jour, je te demande pardon, chaque jour je te dis combien je t’aime, et ce que je suis prêt à faire pour toi, pour nous. C’est rien quand on regarde tout le mal que je t’ai fait, et les blessures que j’ai créées.
-…
-Je t’ai dit que j’étais prêt à arranger les choses, à te montrer que dorénavant ce serait différent, et pour consolider mes propos, j’ai acheté ce terrain. Ce ne sont pas seulement des paroles prononcées dans le but de te reconquérir mais ce sont des promesses, des engagements que je prends auprès de toi et que je tiendrai.
-….
-Tu as reçu du ciment, de l’eau, des clous, j’ai des briques, des brouettes et des marteaux… Je me sens prêt à commencer, à me lancer, à construire une relation, à construire cette maison. Je n’ai rien commencé, parce que si tu le veux, cette maison sera la notre, elle verra nos grandir, nous verra veillir et pourra témoigner de notre union…. Je pensais mettre trois chambres par là, et une cinquième de l’autre côté elle serait pour les invités. La première serait la notre pour surveiller le courageux qui voudra faire le mur. On pourra mettre un dressing là, parce que je suppose que tu voudras un dressing, tu y rangerais ton nouveau meuble à chaussures. Puis là, il y aurait une cuisine, je te laisse faire ce que tu veux puisqu’avec mon allergie, je préfère éviter d’y mettre les pieds. Prends ça comme un conseil mais tu pourrais mettre des placards en hauteur et ranger tes ustensiles.
-… Donc si je comprends bien, tous les indices ont également leur place dans cette maison ?
-Oui
-Et les termites ?
-Il y a toujours des termites, mais ce sera à nous de faire en sorte qu’elles ne nous atteignent pas, qu’elles n’ébranlent pas tous ce qu’on aura passé du temps à bâtir.
-Je vois. Dit-elle en croisant les bras.
-Alors ?
-Alors quoi ?
-On les construit ?
Elle regarde tout autour d’elle puis soupire avant de me tourner le dos et prendre le chemin retour.
Fin.