Chapitre XXXVII
Ecrit par Tiya_Mfoukama
Chapitre XXXVII
C'est impossible. C'est impossible. je me dis en refermant le dossier sous mes yeux. Je ne peux pas me résoudre à lui accorder ne serait-ce que cinq secondes de crédit. Impossible.
Dans une vie, il y a différents types de personnes que l'on croise et avec lesquels on chemine. Celles foncièrement mauvaises, celles foncièrement bonnes et celles entre les deux. Les foncièrement bonnes, sont ces personnes qui sont toujours à nos côtés, nous relèvent lorsque l'on tombe, nous partagent des paroles de réconfort lorsque nous échouons, nous motivent lorsque nous doutons et j'en passe. En sommes, ce sont des perles altruistes, qui nous font voir la vie sous un autre angle, qui illuminent de part leur présence et pour qui on ne peut souhaiter que des bénédictions. Il y en a très peu dans une vie. Et Betty en est une. C'est une personne foncièrement bonne. Au delà de son dévouement pour l'équipe et de son travail au quotidien, c'est une femme au grand coeur. Je sais qu'elle prend toujours un tier de son salaire pour faire des dons à des associations, qu'elle passe énormément de temps avec les enfants dans l'orphelinat où elle est marraine, qu'elle a se regard plein d'amitié et de compassion face aux handicapés qui demandent l'aumône devant Park and Shop et qu'elle prévoit toujours de leur laisser de l'argent ou a mangé lorsqu'elle est amenée à y aller, et tout ça, ce n'est rien. Ce n'est rien, ce n'est rien pour décrire ce qui fait d'elle une bonne personne.
« — Je sais que ça paraît gros mais en même temps ça expliquerait beaucoup de …
— Non. je la coupe sèchement.
— Dylan…
— Tiya, je te dis que non. C'est pas Betty. »
Betty est une bonne personne, loyal qui plus est, incapable de faire ce pour quoi Tiya l'accuse.
C'est avec elle que j'ai débuté ici. Ensemble, nous avons évolué, pris du galon, testé toute sorte de process pour trouver le meilleur, celui qui correspondrait à notre équipe, et nous permettrait d'atteindre au mieux cette vision commune que nous avions et que nous voulions voir. Elle s'est totalement donnée dans cette entreprise, bien plus que moi, à n'en pas douter. Elle ne peut pas être la taupe. C'est impossible. Et laisser mon esprit, supposer ne serait-ce qu'une seconde que ces allégations sont fondées, serait considéré pour moi comme un manque de respect total envers Betty. J'ai trop de respect pour elle, en tant qu'employé, en tant que femme, en tant qu'ami, pour oser laisser mon esprit douter.
« — Je sais que tu tiens à elle, mais il faut voir les choses en face. T'as une boite à faire tourner et là, on n'avance sur des oeufs, ça ne peut plus continuer. Puis ça ne te coute rien de lancer une enquête. »
Si. Si ça me coûte, je lui réponds in petto. Ca me couterait sa confiance. La relation de confiance que nous avons bâti au fils des années et que nous entretenons un peu plus chaque jour. Elle a été longue à établir et sera encore plus longue, voire impossible à recréer si je venais à la perdre, sa confiance. Et il n'y a rien de plus dur que retrouver la confiance d'un être. Je le sais parce qu'aujourd'hui, c'est ce que je vis à travers ma relation avec mon père.
En lui, je n'ai jamais douté, pas un seul instant, j'ai toujours eu confiance en lui, en son jugement, en ses choix parce que c'était mon père. Ma confiance, il l'a obtenu dès mon enfance, et jamais, je me suis dit qu'un jour il en abuserait.
Ca a été doublement dur, par qu'il représentait tellement pour moi. Un modèle sur plusieurs plans. Autant familial, que professionnel, qu'un humain. J'aspirais à être comme lui, et mes choix de vie ont été influencés par lui. Aujourd'hui tout est remis en question. Chaque mot, conseil, reflexion, action, rire, provenant de lui. Tout est remis en question. Je suis constamment étreint par un sentiment de doute perpétuel, et d'incertitude, lorsque je me retrouve en face de lui.
Ce n'est pas à lui que j'ai pensé en revenant travailler ici, mais à mon équipe, aux collaborateurs avec qui je travaille et qui ne méritaient pas de subir les conséquences des actes de mon père. De la même façon, j'ai accepté d'avoir des échanges cordiaux avec lui pour ma mère.
J'ai été le premier à soupirer à ses côtés lorsque Jesse et Koffi se disputaient. J'ai vu à quel point elle était affectée et je serai bien amer de lui faire vivre encore une fois ce genre de situation.
Ce n'est pas ce genre de relation que je souhaite avoir avec Betty. Ca a l'air de rien vu de l'extérieur, elle est assimilée à une simple assistante mais elle est bien plus que ça. C'est une amie, voire une petite soeur. Et je sais que ma petite soeur ne pourrait pas faire une chose pareille.
« — Tiya, il n'y a pas à discuter ! Tu te trompes !
— Ca te coute quoi de la faire venir ?! elle insiste. Si elle n'y est vraiment pour rien, alors je lui présenterai personnellement mes excuses et lui expliquerai que tu ne la croyais absolument pas capable de faire une chose pareille ! Voilà tout ! »
Conscient que ses excuses n'y changeront rien, et que Betty se sentira dans tous les cas blessés, j'attrappe vivement mon téléphone et compose le numéro de son poste. Durant le temps de sonnerie, je me mets à lister tout ce que je pourrai dire et faire pour m'excuser et ne pas tomber sous son gourou trop longtemps. Cette année a été mouvementée, les déceptions et échecs ont été trop nombreuses, malgré tout ça, elle a toujours été là, et je ferai tout pour qu'elle reste toujours là.
« — Betty, est-ce que tu peux venir dans mon bureau maintenant s'il te plaît.
— Oui, j'arrive. »
Elle fait son entrée moins de cinq minutes après mon appel et prend place dans un des sièges se trouvant en face de moi.
Je l'observe comme à son habitude rabattre une jambe sur une autre puis retirer un pli imaginaire sur sa jupe avant de poser son regard sur moi, sans faire cas de la présence de Tiya, qui se tient debout, appuyé contre le mur, les bras croisés. A ma demande, puisque je lui ai demandé de rester en retrait et de ne surtout pas intervenir, à aucun moment.
Ne souhaitant pas lui faire perdre plus de temps, j'en viens au fait sans passer par quatre chemins.
« — Comme tu le sais, nous faisons face à un vol de données depuis quelques mois qui nous empêche aujourd'hui de réaliser correctement notre travail. Ces données confidentielles n'ont été accessibles que par des personnes ayant un accès privilégié… Et tu fais partie de ses personnes. »
Ca me fait chier de dire ce que je m'apprête à dire, d'autant plus que je connais la réponse, mais je le fais quand même afin que l'on en finisse.
« — Tu es la seule personne qui n'a pas été interrogée, alors aujourd'hui, je le fais. Je te pose la question : Est-ce que tu es la taupe ? »
Putain ! J'ai envie de me gifler. Non seulement ma phrase n'a pas de sens. La poser de but en blanc comme je viens de le faire ne rythme à rien. Si elle était la taupe, je ne pense pas qu'elle me répondrait "oui c'est moi la taupe. Quelle est la suite des évènements" il n'y avait rien de professionnel dans la façon dont j'ai abordé le sujet. Puis je viens de lui poser la question sur le ton le plus froid et détaché, que je n'ai jamais eu, comme si je la savais coupable au lieu de la prendre avec des pincettes et lui expliquer le pourquoi du comment. Je me redresse sur mon siège et m'apprête à reformuler ma phrase quand je l'entends dire:
« — Oui.
— Je sais très bien que ce n'est pas…. Qu'est-ce que tu viens de dire ?
— C'est moi qui ai divulgué les documents. elle répète sur un ton neutre. »
Depuis que je travaille avec elle, je l'ai toujours vu neutre dans sa façon de parler avec les gens, même lorsque les discussions étaient houleuses, et vives. Selon moi, c'était une façon de tempérer les gens, les pousser au calme, et remettre de l'ordre dans une situation où régnait le désordre, mais aujourd'hui… Son ton aussi neutre soit-il a réussi à jeter un trouble, un désordre inimaginable.
« — Tu as quoi ? Je …. tu plaisantes ? Mais …. Pourquoi ? Enfin, je veux dire que ça n'a pas de sens Betty ! je balbutie. »
Elle reste droite, froide et rigide. Le visage imperturbable, et le regard fixé sur un point, ne scilliant presque pas. Ce qui me perturbe doublement. Ces révélations et son comportement me perturbent. La personne que j'ai en face de moi, ne ressemble en rien à la Betty que je connais, que j'ai côtoyée toutes ses années.
« — Betty, explique-toi, ne reste pas silencieuse, comment…
— Comment j'en suis arrivée là? elle me coupe. Comment j'en suis arrivée à trahir la boîte, à trahir notre équipe, à te trahir ? Bah j'ai fait comme vous, comme toi. »
Pas certain de comprendre, je fronce des sourcils pour l'inviter à en dire plus et m'expliquer l'inexplicable.
« — Je suis rentrée dans cette boîte à la fin de mes études. Tout était nouveau, tout était à faire et c'est avec entrain que je me suis mise au travail. J'étais fière de rejoindre une équipe avec des valeurs que je partageais. Et tout ce qui était dit sur la famille, la corrélation avec l'équipe, j'y ai cru. Sur l'importance de mon rôle dans cette entreprise, j'y ai cru. Sur l'importance que j'avais dans ta vie, j'y ai cru… En bonne idiote. Je les ai vues, toutes ces femmes défiler dans ton bureau, toujours avec des jupes plus courtes les unes que les autres mais tu résistais, et je me disais que tu n'étais pas comme ce que les autres disaient, comme ton père. Et puis un beau jour, sans rien dire au préalable, j'ai appris par un tiers que tu venais de te marier. Tu venais de te marier pour de l'argent, pour l'entreprise disait la rumeur, alors j'ai pris sur moi. Te connaissant, je me disais que tu mettrais rapidement fin à cette histoire, parce que tu vaux mieux que ça. Mais non, tu n'as rien fait. Rectification, tu as commencé à ressembler à ton père…. Tous les deux, vous n'êtes que des profiteurs qui utilisent les personnes autour d'elles. Vous voulez faire croire que vous êtes différents de ce que l'on voit dehors mais vous êtes pareils ! Vous vous foutez des personnes et de ce qu'elles ressentent, vous les usées, en abusées jusqu'à la moelle pour ensuite les laisser sur le bord du trottoir. Tu t'es jouée de moi : tu m'as fait croire que j'étais importante pour toi, mais c'était faux ! Tu as épousé une femme pour ensuite la tromper avec Irène et elle ! elle dit en pointant Tiya du doigt. Ca fait vingt ans que Myriam vit dans l'ombre de ta mère avec ses enfants que ton père ne veut pas reconnaître ! Ca fait dix ans que tu te joues de moi! Ca ne pouvait pas continuer….Ca ne pouvait pas continuer. Vous ne pouvez pas toujours vous foutre des autres et penser vous en sortir avec une chemise immaculée ! Vous ne pouvez pas….. Tu peux appeler la police, tu peux porter plainte, tu peux faire ce que tu veux, je m'en fous ! Le monde va savoir qui vous êtes vraiment vous les Buaka ! »
Je soupire fortement avant de passer ma main sur ma nuque tendue. Et dire qu'il y a encore vingt minutes j'étais à mille lieux de ce type de préoccupations. Je sais pas quoi penser, encore moins dire. Je me demande d'ailleurs si je ne suis pas en train de rêver, imaginer tout ça. Quand je suis fatigué, c'est souvent ce qui arrive. Je me mets à tripper tout seul, sans l'aide d'une goutte d'alcool. C'est peut-être ce qui est en train de m'arriver…
« — Attends, attends. lance Tiya qui s'avance vers Betty. Donc t'es en train de dire que tu as fait tout ça, parce que tu t'es inventée une vie avec Dylan ?
— Tiya… je soupire las.
— Non, mais c'est ça ! elle me coupe, avant de reporter son regard sur Betty. Tu t'es inventée une vie avec lui, ça ta fait mal de le voir avec d'autres et t'es partie niquer le travail de toute une vie ?..... Mais t'es complètement paumée ma fille ! Ca va vraiment pas chez toi.
— Je t'interdis de me parler de cette façon ! hurle Betty, pour la première fois en dix ans de travail ! Tu te penses mieux que qui pour me parler comme ça ? Tu penses que parce qu'il te couche comme il veut ici, que tu as le monopole de la foutaise ? Hier c'était Irène aujourd'hui c'est toi, demain ce sera une autre ! Je ne sais pas où il est allé te déboucher mais sache une chose, ici tout le monde se rit de toi ! Tout le monde sait qu'il te couche à n'importe quelle heure ! Mais il a une femme qu'il n'a visiblement pas l'intention de laisser donc, épargne-toi la peine de monter sur tes grands chevaux et redescend avant que la vie ne te fasse redescendre ! »
Tiya se met à éclater de rire sous le nez de Betty, et va jusqu'à en pleurer les mains enserrant ses côtes. Elle rit pendant deux longues minutes tandis que ce que je n'arrivais pas à qualifier quelques minutes plus tôt se transforme en une boule de colère, grossissant à mesure que j'observe la scène qui se joue sous mes yeux et prends conscience de tout ce qui a été dit par Betty.
« — Au seigneur. ricane Tiya en essuyant les larmes qui perlent à ses yeux. Et moi qui pensais que les secrétaires étaient les meilleures songueuses que l'on puisse….
— Cette histoire entre Myriam et mon père. je coupe Tiya sèchement. Elle vient également de tes conclusions ou elle est réelle ?
— Non mais Dylan quand même…
— Tiya, ça ne me fait absolument pas rire. je la coupe de nouveau, plus énervé que jamais. A cause de ces dix dernières années et de la relation que nous avions, je vais mettre les choses au point. Je reconnais avoir manqué de professionnalisme à plusieurs reprises. Contrairement à ce que tu prétends, je t'ai toujours considéré et je m'excuse si tu as mal interprété mes intentions, qui ont toujours été de l'ordre du professionnel. A titre informatif, Tiya est ma femme et travaille avec nous en utilisant le nom de jeune fille de sa mère, pour des raisons de traitements de faveur, mais faut croire que ça n'a servi à rien. Maintenant que les choses sont dites, je vais te reposer ma première question, cette histoire de relation extraconjugale entre mon père et Myriam est-elle vraie ? »
*
* *
« — Coucou, ça va ? me demande Tiya. »
Je retire mon bras de mon visage et la regarde avancer son visage vers le mien. Elle dépose de légers baisers sur mes lèvres, et je la regarde faire sans y répondre. Elle poursuit sa pluie de baisers sur ma joue puis dans le creu de mon cou avant de se blottir contre moi.
« — …. Qu'est-ce que tu comptes faire. elle finit par me demander après de longues minutes de silence. »
Je garde les yeux fixés sur le plafond de la chambre où je suis allongé depuis le début de l'après midi, espérant trouver une solution. Une solution qui se dessinait sur le mur et qui conviendrait à tout le monde, sans blesser personne. Sauf que rien n'apparait, rien ne se dessine et le temps me rappelle que je dois agir assez vite avant de perdre le contrôle. Mais je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas…