Chapitre XXXVIII
Ecrit par Tiya_Mfoukama
Chapitre XXXVIII
« — Non ! je ne peux pas, c'est trop pour moi ! je dis en m'éloignant de….de cette horreur ! Emo ! Sérieux, je suis dans la merde si tu ne viens pas !
— Va falloir que tu fasses sans moi. Je suis désolée ! Mais je t'ai donné toutes les instructions ! T'as juste à reproduire tout ce que je t'ai dit !
— Mais je peux pas ! j'hurle presque.»
Je ferme les yeux, inspire et expire à plusieurs reprises pour faire redescendre la tension qui s'évertue à grimper de façon exponentielle en moi, puis les ouvre de nouveau en lâchant un soupir sec et bref.
« — … Je te rappelle. Je vais chercher une solution. je finis par dire.
— Mais Tiya ! C'est hyper simple ! »
C'est simple pour une personne qui a un tant soit peu de connaissances culinaires. Ce qui est loin d'être mon cas, et tu le sais bien. j'ai envie de lui hurler. Mais je me retiens. C'est pas le moment de s'énerver, ça ne me mènera à rien, si ce n'est à un échec cuisant que je vois venir de loin. Je lui répète sur un ton qui se veut neutre que je vais chercher une solution avant de couper la communication…. Un peu irritée. Par moi, par elle, mais surtout par moi.
Je balaie la pièce du regard et évitant prodigieusement de m'arrêter sur cette affreuse volaille qui est à l'origine de ma détresse. Un chantier de construction. Voilà à quoi elle me fait penser. Cette cuisine me fait penser à un chantier de construction. Entre légumes mixés éparpillés ça et là, coquilles d'oeufs écrasés flottant à la surface du bol de lait et de jaune d'oeuf, plats pour accueillir les garnitures, légumes, dinde, fouets et consors. On ne devine même plus qu'il y a un plan de travail en dessous. Et je ne préfère même pas parler du tas de vaisselles empilés dans l'évier, ni de la farine qui s'est déversée au sol, et de la farce qui par je ne sais quel moyen s'est également répandue par terre. C'est tout bonnement déprimant, et je vais m'asseoir sur la petite table à manger, relâchant mes épaules, pour laisser s'exprimer ma déception.
« — Qu'est-ce qu'il se passe ici ? lance Dylan.»
Manquait plus qu'il débarque maintenant… Tout tombe définitivement à l'eau…
Il s'avance dans la cuisine, vers le plan de travail, les sourcils froncés, jetant des coups d'oeil interrogatif vers moi.
« — Tiya ?!
— Il ne se passe rien. je soupire en me levant de la table. J'ai… J'ai voulu….Pfff laisse tomber. »
Je dépose le torchon que j'avais en main durant tout ce temps, sur la table à manger, puis entreprends de sortir de la pièce, mais il me retient par le bras, et poursuit son interrogatoire du regard. Un peu agacée, je finis par lui répondre.
« — Etant donné que nous allons rester ici ce soir, tous les deux, j'ai voulu nous préparer un repas. Rosy m'a dit, entre autres, que tu aimais particulièrement la dinde à Noel alors j'ai voulu en réparer une. Sauf que…. Que rien ne va ! Ma farce est étrange. Elle a une couleur et une odeur loin d'être appétissantes. Mes légumes et ma pâte à gâteau...Pfff je t'en parle même pas! je me lamente presque au bord des larmes »
C'est surtout pour lui que je voulais faire tout ça. Pour ne pas que la situation actuelle soit encore plus difficile à vivre qu'elle ne l'est déjà.
Il n'y a pas plus famille que Dylan, et je sais combien les retrouvailles qu'engendre les fêtes lui sont importantes. Pour la nourriture, comme il aime le mentionner, mais surtout pour les liens et la cohésion qu'elles resserrent entre ses frères et soeurs, ses parents et lui-même. Mais cette année, tout va être différent.
Suite à la découverte du mensonge de son père, concernant la réelle raison de notre mariage, il avait fait le choix de ne pas assister au repas de famille organisé dans la demeure familiale. Mais je le sentais hésitant, prêt à revenir sur ses propos après le repas chez Jesse et Émeraude… Puis il y a eu la bombe qu'a balancé Betty avant son départ.
Après investigation, il s'avère que ses propos étaient vrais. C'est la seule chose sur laquelle cette pauvre fille n'avait pas créé un film en 3D malheureusement pour nous tous. Lorsque Dylan a confronté son père, ce dernier s'est dédouané de la pire des façons selon moi, et Dylan a pris la décision de ne rien dire… Pour le moment.
Il souhaite que sa mère puisse passer un semblant de fête paisible. Il ne veut pas avoir à lui apprendre que son mari l'a trompé durant une bonne partie, pour ne pas dire depuis le début, de leur mariage. Les fêtes de fin d'année sont tout aussi importantes pour elle, qui n'a pas l'occasion d'avoir tous ses enfants près d'elle, que pour Dylan. Bien que la présence de Jesse a manqué à l'appel les années précédentes, elle pouvait compter sur celles de ses autres enfants, qui tentaient au mieux de lui faire oublier l'absence de son fils aîné. La connaissant un peu mieux aujourd'hui, je sais que maman Tamara était reconnaissante de ce qu'ils tentaient de faire, mais que cela ne remplaçait pas la place de son fils. Et partant de là, je sais que l'absence de Dylan pèsera cette année. Mais il préfère cela plutôt que de la savoir dévastée.
Puisque, comme tout le monde, elle pense que Dylan ne vient pas parce qu'il en veut à son père d'avoir menti, il sait qu'elle ne se posera pas plus de questions que cela.
Je voulais au moins essayer de lui faire oublier tout ça….
Je n'ose pas lever un regard vers lui… Jusqu'à ce que je l'entende éclater de rire sans aucune retenue.
« — Je te demande pardon. il dit toujours en riant. Ce n'est pas drôle du tout et….. »
La suite de sa phrase est emportée par un autre éclat de rire, qu'il tente tant bien que mal de retenir, en plaçant sa main devant sa bouche.
« — Okay. Contente de voir que ça te fait rire. je lance vexée.
— Non, mais…. Tiya… Chérie...Ce n'est pas drôle mais…. mais… En décidant de rester avec toi, bah j'ai renoncé à trouver un bon plat traditionnel sur la table. T'es la pire cuisinière qui m'ait été donné de rencontrer, mais le fait que tu sois une femme en or compense largement ce manque. Je te remercie d'avoir voulu préparer pour moi, mais le fait de savoir que ce Noël, nous le passerons tous les deux ensemble, est amplement suffisant pour moi. Pas besoin de dinde farcie, ou de mets aux noms imprononçables. Nous deux ça me suffit.
— Je ne sais pas si je dois être vexée par rapport à ce que tu as dit sur mes talents culinaires, ou plutôt mon manque de talent, ou si je dois me concentrer sur l'autre partie de tes propos.
— Concentre toi sur l'autre parti. il dit en se penchant vers moi.»
Ouais, c'est mieux. Se prendre la tête le jour durant le réveillon, ce n'est pas top, mais je garde en tête ces propos… Pour une prochaine fois.
« — Je vais aller voir Jesse et passer un peu de temps avec lui avant qu'ils ne partent Émeraude et lui. Je passerai chez un traiteur.
— Non, c'est bon, je le ferai. Ca me donnera l'impression d'avoir participé à la préparation du repas.
— D'accord. Mais tu veux venir avec moi ?
— Non… Je dois ranger. je marmonne dépitée en regardant de nouveau la cuisine.
— Ah… Courage. »
Je fais semblant de ne pas entendre l'ironie dans sa voix et me mets à ranger la cuisine, pour mon plus grand malheur.
Je m'arrête quelques minutes après avoir commencé, non pas parce que je veux me trouver des excuses pour ne pas avoir à le faire, mais pour prendre le pouls auprès d'Émeraude.
Je trouve Dylan un peu trop calme, et inexpressif face à la situation actuelle. Il rit comme si rien n'avait changé, comme si l'homme qu'il a érigé en modèle ne l'avait pas déçu au plus plus haut point, comme si sa vie n'était pas affectée par tous ces rebondissements. Et si je n'avais pas appris à mieux le connaître, je trouverais ça normal. Je vais demander à Émeraude et Jesse de le surveiller un peu.
Ils sont encore chez eux, parce qu'Émeraude est en train de préparer, au moins elle, pour le repas de ce soir qui se tiendra dans sa famille.
En le laissant partir seul, je m'attends à ce qu'il s'ouvre, se confie à Jesse, à défaut de se confier à moi. Il en a grandement besoin, je le sais.
J'espère qu'il le fera.
*
* *
« — Attends, attends, attends, Tiya, on va pas regarder "Coup de foudre à Manhattan" , non ! rouspète Dylan derrière moi.
— Mais pourquoi ? C'est à moi de choisir là ?
— Parce qu'on l'a vu la dernière fois, ainsi que la fois précédente et encore la fois précédent la fois précédente. Tu connais même les répliques par coeur !
— Et alors ? L'émotion est toujours la même. je réponds calmement. J'aime trop ce moment où, elle ne sait pas comment s'habiller pour le gala et ses copines lui donnent les tips "regarde moi, je m'éclate hein, je m'éclate hein" . je mime en dansant comme dans le film. »
Dylan secoue sa tête avant de l'adoser au canapé, sans pour autant me démonter.
Nous avons décidé de faire tout ce qu'il y a de plus simple. Soirée devant une dizaine de DVD, anecdotes sur nos Noel passés, et nourriture finalement pris chez les Buaka/Nzozie pour accompagner tout ça. Et jusqu'ici, tout va bien, si ce n'est que Dylan a toujours du mal, avec mes choix cinématographique.
« — Bientôt Noel ne sera plus seulement le symbole de la commémoration de la venue du Christ sur la terre, mais la commémoration de ma torture.
— Oh ça va. T'en fais pas un peu trop là ?
— C'est toi qui en fais trop avec tes films sans rythme là.
— Film sans rythme ? Tu qualifies "Coup de foudre à Manhattan" de film sans rythme ? Heureusement que mes soeurs ne sont pas là pour t'entendre médire sur notre film. Je te jure que tu ne t'en serais pas sorti.
— Vraiment? Donc le mauvais goût cinématographique est inscrit dans vos gènes.
— Dylan ! J'hurle en le frappant à la poitrine.»
Il se met à rire de sa blague absolument pas drôle, et moi je me rembrunie, bien que j'aille me blottir dans ses bras.
« — … En parlant de tes soeurs, tu les as eues au téléphone ? il me demande en m'enveloppant de ses bras.
— Oui. Elles comptent passer la soirée ensemble avec leur compagnon respectif. Abi avec Jean-François et ya Annie avec Christian.
— Faudrait qu'on pense à monter sur Paris pour que tu puisses les voir. il me suggère dans un murmure alors que le film commence.
— Hum. »
C'est une très bonne idée. Je n'ai pas vu mes soeurs physiquement depuis que je suis arrivée à Brazza.
Ce qui est étrange, c'est que je ne pensais plutôt lié toutes les trois, mais en arrivant ici, j'ai découvert que l'on ne l'était pas autant que cela. Nous avons laissé les discordes, l'orgueil et le manque d'humilité creuser le fossé déjà ouvert pas la distance. Je leur en voulais énormément, aussi bien Abi que ya Annie, mais en voyant la relation de Dylan avec ses frères et soeurs, j'ai compris que ça n'avait pas de sens de se laisser autant diviser. Que l'union surtout entre frères et soeurs, était plus bénéfique que la division, qui elle n'apporte que tristesse, amertume et rancune. Des sentiments qui ne produisent rien de bon.
Après avoir fait mon examen de conscience, j'ai pris sur moi et je suis allée vers elle, puisque c'est moi qui m'étais éloignée et nous avons discuté, longuement discuté et aujourd'hui tout va bien. Si ce n'est qu'Abi est persuadée que je fais le mauvais choix en restant avec .
A ce niveau là, je pense que c'est le rapport qu'elle a avec la communauté noire, communauté à laquelle elle appartient et qu'elle a tendance à oublier, mais j'ai espoir qu'un jour tout cela change. Quand je pense à elle, j'ai un dicton des nibolek qui me vient en tête "6 mé balouk 9". Je suis certaine que bientôt son 6 se transformera en 9. Je ne sais pas pourquoi, mais je le sens.
« — ...Et toi, t'as eu tes Drew et les filles?
— Ouais. Sur le chemin du retour. Ils étaient déjà chez les parents.»
Sa réponse se voile d'un ton neutre, mais je parviens à desceller de la crispation. Comme à chaque fois que dans mes phrases, il y a des liens avec la maison de ses parents. Il en parle quasiment plus, comme s'il voulait oblitérer son existence ainsi que celles des membres qui y vivent. Sa mère y compris.
Émeraude m'a envoyé un message lorsque Dylan les quittait pour me dire qu'il n'avait pas discuté avec Jesse, du moins discuté de la situation qui prévalait. Ce qui m'inquiète vraiment. Jesse est celui avec qui il discute de tout, sur qui il peut compter pour trouver une oreille attentive, une épaule où s'épancher, mais cette fois-ci, il n'a rien fait.
« — ….Dylan, t'es certain que ça va ? je lui demande en me tournant vers lui.
— Oui… Pourquoi cette question ?
— Parce que tu ne parles pas Dylan. je réponds du tac au tac. Tu as tendance à tout garder pour toi, et tu sais que ce n'est pas bon. Je suis là pour toi, Jesse est là pour toi, alors si tu as besoin de parler, fais-le, d'accord?
— ….
— Dylan ?
— Y'a rien à dire Tiya. Je parle pas parce que je n'ai rien à dire. Qu'est-ce que tu voudrais que je dise. Qu'est-ce que je peux ajouter face à tout ce qui a déjà été dit? Je ne sais même pas quoi penser de tout ça…. J'ai mis mon père en haut, sur un piedestale, que je n'arrivais même pas à voir tant il était élevé. Et aujourd'hui, je le vois plus bas, que je n'aurais pu l'imaginer. Mener une double vie pendant plus de vingt ans…. Ca va faire 36 ans qu'il est avec ma mère et 27ans qu'il vit une double vie. Lui qui nous prônait l'importance des valeurs, du respect des valeurs et des principes que l'on apprend tout au long de notre vie. Lui qui avait en horreur le mensonge… D'accord, nous sommes tous pécheurs, puisqu'humain et fait de chair, mais…. Il est allé trop loin...Trop loin. Je me demande si tout ce qu'il nous a inculqué était réellement vrai, réellement faisable. Je me suis toujours dit qu'en me mariant, je ferai en sorte que mon mariage ressemble à celui de mes parents. Aujourd'hui, je vois la vérité sur leur mariage, mon référentiel jusqu'à aujourd'hui et je me pose des questions. J'ai toujours voulu être comme mon père, je l'ai pris en modèle, en exemple sur beaucoup de points, est-ce que je vais finir par être comme lui. A trouver cela légitime de mentir à tout le monde pour l'appât du gain, pour me gonfler et des questions comme celles-ci, j'en ai à foison.
— Sauf que tu n'es pas comme ton père, tu es loin de lui ressembler. Il t'a certes inculqué des valeurs, mais c'est à toi de les mettre en pratique, de leur donner du sens. C'est ce que tu feras des valeurs, des paroles et des principes que tu entendras qui définira ce que tu seras. Si tu crois en ces valeurs, ces paroles, ces principes alors attaches-toi à elles et agis avec elle, tu verras leur effet dans ta vie. Mais si tu fais comme ton père, tu te mens à toi même, aux autres et tu ne t'attaches pas à elles, alors elles n'auront aucun effet sur toi, et là oui, tu pourras peut-être un jour agir comme lui… Mais on sait que tu ne le feras pas. »
Pour toute réponse, il accentue son étreinte, et dépose un baiser sur ma tempe, puis nous restons ainsi, dans cette bulle de paix et de sérénitude que l'on a créé et dans laquelle je me réjouis de me trouver.
« Bizz, bizz, bizz»
« — Tu devrais répondre. me dit Dylan alors que mon téléphone posé sur le canapé vibre depuis un bon quart d'heure. »
Roh, mais je suis bien là. J'ai envie de grogner, mais je tends ma main vers mon téléphone où le nom de Drew apparaît.
« — C'est Drew. je l'informe en décrochant.
— Probablement pour te rappeler combien tu as fait le mauvais choix en refusant de l'épouser. il ricane.
— Peut-être… Bonsoir Andrew, Bon réveillon à toi, comment vas-tu ?
— Ca ne va pas trop là Tiya! il me répond d'une voix apeurée et essoufflé. Est-ce que tu peux me passer ya Dylan s'il te plaît.
— Euh oui...Tiens…. C'est pour toi. je dis à Dylan.
— ….Drew, je t'ai déjà dit, je vais pas te prêter ma femme en…. »
Le sourire qu'il arborait quelques secondes plutôt s'efface de son visage pour laisser paraît un masque glacial et une raideur sans nom.
« — Je suis là dans moins de 30 min. il dit en défaisant son étreinte avant de couper l'appel.
— Qu'est-ce qu'il se passe? je lui demande inquiète alors qu'il est en train de se lever. Dylan ?
— Myriam a débarqué à la maison. Ma mère est au courant maintenant. il me répond simplement avant de prendre les escaliers. »
Merde !