DT - 8
Ecrit par Nobody
* Point de vue Ahmed*
Elle m'a trop foutue la haine. J'essayais de faire les choses bien avec elle, mais elle, elle vient tout faire foirer. Moi, Ahmed Ben Khalifa, j'avais pas les moyens d'inviter une fille à l'Ambassadeur. Un portier m'ouvrit la porte et je me dirigeai vers la réception, les dents serrées, la gorge sèche. La lumière tamisée de l'hôtel me frappait de plein fouet, comme si chaque rayon venait me rappeler mon impuissance face à cette situation. La réception, calme et presque déserte, contrastait avec l'agitation qui régnait dans ma tête.
Je m'entretiens un instant avec la réceptionniste qui m'a assuré que la commande serait annulée sans problème. Je lui lançai un merci froid et son sourire aguicheur s'éteignit en même temps. Bien. Je n'en avais rien à faire de ces genres de filles en chaleur, mais je sentis un pincement au cœur que je n'arrivai pas à expliquer.
Le même portier m'ouvrit, puis je fis quelques pas avant de me glaçer devant le spectacle. Il n'y avait plus de Sarah. Elle s'était barrée, la salope. À quoi je pensais en la laissant seule dehors ? Putain, j’allais m’attirer des merdes maintenant. L’air devint lourd, une angoisse sourde me serrait la poitrine. Les voix alentours m’étaient devenues lointaines, comme un murmure incessant derrière une porte close. Un frisson me parcourut, je n'avais pas prévu ça. Pas du tout.
Je m'approchai rapidement de mon véhicule stationné dans l'immense parking. Le béton froid, gris et dénué de toute chaleur, semblait m'engloutir. Tiens, elle est partie sans son sac à main ? Et pourquoi l'a-t-elle laissé au sol ? Quand je me baissai pour ramasser le sac en question, un scintillement capta mon attention. C'est l'une des boucles que je lui avais demandé de mettre. Pas besoin de me leurrer plus longtemps. Elle a été enlevée. Encore. Je vais serrer, je le sens. Une rage sourde, violente, monta en moi, et tout ce que je pouvais penser, c'était que ça allait saigner.
– Point de vue Sarah
Je me réveillais alors qu'une migraine atroce me lancinait le crâne. L’air ambiant sentait l'humidité et le métal rouillé, un mélange qui me nouait l’estomac. À peine mes yeux ouverts, que je reçus un jet d'eau des plus glacials sur le corps. Je sentis mes os se glacer alors que je serrais fortement les dents pour ne pas crier contre ce traitement. C'est un acte des plus inhumains, une véritable torture. Chaque goutte était une décharge électrique, et je sentis la douleur s’enraciner dans ma chair. Mon corps tremblait, mais ma colère brûlait plus fort que la froideur de l’eau.
J'étais face à un mur, les deux pieds joints aux deux mains. Mais ils ont un problème avec les règles de bienséance ou quoi, là ? Le ridicule de la situation me donna presque un léger sourire amer. Mais il se dissipa aussitôt, englouti par l'humiliation. C'était tout sauf de la dignité, ici.
Je sentais qu'on me retirait mes cordes avant même de le voir. La personne chargée de ça, se recula de moi et me criait un "lève-toi" avec un accent tout juste ignoble. Une puanteur d’arrogance émanait de sa voix, et je me demandai si la vie de ce genre de personne n’était pas une perpétuelle torture pour lui.
Je me relevais, mais bientôt je tombais sur mes fesses en émettant un sanglot de douleur. Ce n'est pas humain, la douleur qui me transperçait le pied gauche, non, c'est trop que je ne pourrai supporter. J'avais l'impression que mes jambes s’étaient figées dans l’air, comme une créature blessée qu’on forcerait à avancer sans pitié. Le monde autour de moi se brouillait, et je crus, un instant, que tout allait se terminer là. Puis une silhouette se dessina sur le mur dont j'étais toujours en face. Qui sont ces gens, et surtout, qui est-il, lui, dont la silhouette effrayait bien assez ?
– "Debout," répéta l'homme de tout à l'heure, en me criant dessus comme si on lui avait rapporté que j'étais sourde. Ses ordres étaient froids, tranchants comme une lame, et je les sentais me frapper à chaque mot.
– "Je ne peux pas."
– "Debout!" cria-t-il encore une fois. Un ordre impitoyable, sans la moindre once de compassion.
– "Mais je te dis que je ne peux pas!" criai-je en me retournant brusquement, ma voix déformée par la douleur et la frustration.
Ce que je vis me laissa pantois. Mais nom de Dieu, cet homme était beau à mourir. Il surpassait même Ahmed, qui jusque-là représentait le plus bel homme à mes yeux. Néanmoins, Ahmed Ben Khalifa possédait ce quelque chose qui séduirait des milliers de femmes, même s'il figurait dans la même salle que cet homme-là. Qu'est-ce qui me prenait de penser à Ahmed dans ces moments ?
Je secoue un peu la tête, comme pour chasser son image. Ce qui eut pour résultat, de relancer ma migraine, qui pour un instant, s'était faite toute petite, telle une créature fragile prête à se renfermer dans une coquille. La douleur m’aveuglait, mais mes pensées volaient toujours autour de cet homme qui me fixait, son regard sombre. Ce regard… Il n’avait rien d’humanisant.
– "Mlle Harwood, je suis honoré de faire votre connaissance."
– "Désolée que le plaisir ne soit guère partagé."
Un des gardes – sûrement celui qui m'avait détachée et intimé l'ordre de me lever – dans la chambre vient me donner une gifle. Ma tête tourna jusqu'à Bamako, là-bas. Il m'envoya dans un tourbillon d’étourdissement et de douleur. Mais rien ne pourrait arrêter ma rébellion. Je tenais bon, malgré tout.
Il se repositionna à sa place, alors que j’essayais tant bien que mal de me lever, mes bras tremblants me soutenant à peine.
– "Allons, Mlle Sarah, vous n’aviez pas droit à la parole, en tout cas, pas avant que je vous la donne. C’est ainsi ici."
– "Je crains que cette règle ne s’applique pas à moi," lui répondis-je en secouant la tête, une légère arrogance perçant dans ma voix.
Son chien de garde s’apprêtait à me donner un nouveau coup, mais il l’arrêta d’un geste. S’ôtant de l’ombre, il se rapprocha de moi.
Plus il se rapprochait, plus je le trouvais moins beau qu’au départ. Mais son aura, cette froideur intense qui émanait de lui, me perturbait profondément.
– "J’apprécie votre caractère. C’est sûrement ce qui vous laisse la vie sauve, Sarah."
– "Et qui êtes-vous ?" lui demandais-je, en ignorant son commentaire. Je me fichais de ses compliments. L’essentiel était ailleurs, dans cette étrange tension entre nous.
– "Le chef de la mafia italienne, pour vous servir."
Un silence suivit ses dires. Je le détaillai minutieusement. Chaque mouvement de son corps, chaque nuance dans son regard, chaque mot qu’il prononçait me mettait davantage mal à l’aise. Une brise lourde sembla souffler dans la pièce, accentuant l’atmosphère pesante.
– "À l’évidence, ma réputation me précède."
– "Nullement. Je n’avais encore jamais entendu parler d’un quelconque chef de la mafia italienne. Mais dites-moi, l’Italie a vraiment une mafia ? Ça doit pas trop être passionnant. J’imagine l’ennui, d’où votre venue en France, n’est-ce pas ? En effet, un peu de distraction ne tue pas."
Je le vois faire un signe à un autre de ses gardes, qui vient me rouer de coups. La douleur m’assomma, mais je n’avais pas l’intention de céder.
– "Mais l’insolence, si, Mlle Sarah."
– "Vous n’êtes pas un homme, sal mafieux. Aucun homme n’oserait battre une femme, sal pd."
– "Allons, Mlle Sarah, ne soyez pas grossière, ne me dites pas que ce cher Ahmed a déteint sur vous en aussi peu de temps ? Et oui, je sais qu’il ne faut pas battre une dame, et je l’ai d’ailleurs pas fait. Il l’a fait. Ils sont d’ailleurs là pour ça, ces hommes."
Il avait fini sa phrase avec tant de dégoût que j’eus pitié pour ces hommes. Mais n’avait-il pas parlé d’Ahmed ? Je battis des paupières alors que l’information parvenait à mon cerveau. Ahmed et lui se connaissaient ? À ce moment, la comparaison que j'avais faite entre eux me revient en tête. Je dus me retenir pour ne pas pouffer de rire. L’idée d’un lien entre ces deux hommes, si différents et pourtant si proches dans cette situation, me parut presque absurde. Comment diable pouvaient-ils avoir un quelconque rapport ?
– Qu'est-ce que je fais ici, Mr... ?
– Nick. Ça sera simplement Nick.
– Alors Mr. Nick, vous vous décidez ?
– C'est assez pertinent. Je suis sûr que vous louerez notre stratégie, ma foi fort impressionnante. Mais vous savez quoi ? Vous ne saurez rien.
Bah d'accord. Il croyait vraiment que j'allais le supplier pour obtenir une information qu’il ne me donnera probablement jamais ? Il peut attendre longtemps, ma parole.
– D'accord.
Il leva un sourcil, seul indice de sa décontenance. Un sourire malicieux naquit sur mes lèvres, mais je me contins. Je jubilais intérieurement. Je suis plutôt fière de mon caractère. Aucun indice ne trahit mon amusement. Ça, au moins, il ne pouvait pas me l’enlever.
Au moins, mon père n'a pas échoué sur ça. Comment en aurait-il été autrement ? Jamais il ne m’avait prise dans ses bras, jamais il ne m’avait endormie, ou même fait une blague pour détendre l’atmosphère. Non, il était toujours strict, rigide, intouchable. Dès mon plus jeune âge, plus rien ne me touchait. C’était comme si, lentement, tout m’avait glissé dessus. Les insultes, les coups, ils m’étaient devenus aussi familiers que l’air que je respirais car eux au moins était moins douloureux que de le manque d'amour de son père. Cher père… Est-ce qu’il serait à ma recherche en cet instant ? Dur de le dire. Peut-être ne me cherchait-il même pas.
Trois jours venaient de s’écrouler. Trois jours dans le Koshmar – c’est ainsi qu’ils l’appelaient. Le mot résonnait dans mon esprit, lourd de sens. Je commençais à comprendre pourquoi. Durant ces trois jours, je n'avais eu qu'un pain, le deuxième jour. Un pain. Un bout de pain. Je l’avais jeté. Petite, je refusais de manger pour attirer l’attention de mon père, mais à chaque fois, il s’énervait et m’insultait, me traitant de capricieuse. Mais cette fois, je n’étais plus l’enfant docile qui voulait plaire à son père. Ne voulant pas subir le même traitement, j'avais jeté le pain par une fenêtre. Une fenêtre, oui. Mais impossible de la franchir. Je crois être au cinquième étage. Les pensées m'assaillaient, mais je les chassais. La faim, la soif, c'était secondaire.
– Levantate el señor Nick quiere ver tu.
– Ce n'était pas trop tôt, aussi.
Ils m'agitaient avec leurs préoccupations futiles. M'en parler ? M'en parler, vraiment ?
Il me fit entrer dans une salle et là, je faillis me choir à terre. Mon regard se perdit dans l'immensité de la pièce, où plus d'une dizaine d'ordinateurs trônaient, et des employés pianotaient férocement sur leurs claviers. Le bruit incessant des touches frappées, la lumière froide des écrans me frappèrent de plein fouet. La salle dégageait une atmosphère anxiogène, une tension palpable dans l'air. Je déglutis difficilement. Je ne comprenais pas tout, mais je savais que cet endroit n’était pas fait pour moi.
Putain, bon sang, je dois m’en offrir un, ce genre de machin pensai-je mon regard perdu sur l'ordinateur de mes rêves.
– Mr. Nick, pas que j’apprécie votre gentillesse jusque-là, mais il se pourrait que j’aie un de ces amours en rentrant ? Vous seriez vraiment mignon.
Je tournais autour des écrans, mais un garde me saisit brutalement par les épaules, me faisant m'asseoir violemment sur une chaise en face de son maître.
– Tu n’aurais peut-être pas la chance d’en ramener avec toi, mais je te laisse l’opportunité d’en utiliser ici. Pour moi, bien sûr.
– Pour vous ?
– Pour moi.
Il pivota l’ordinateur qui était en face de lui vers moi, sans aucun égard pour la moindre forme de politesse. L’écran lumineux éclairait son visage, révélant des yeux sombres, impassibles. La pièce semblait se réduire autour de moi, les bruits des claviers se mélangeaient avec les battements précipités de mon cœur. Je n'avais pas la moindre idée de ce qui m'attendait, mais je savais que ça allait être une épreuve.
– Décrypte ce texte.
– Ils sont là pour quoi ?
Je faisais allusion aux informaticiens derrière moi, mais il semblait ne pas m’écouter. Un frisson parcourut mon dos.
– Décrypte ce texte, Sarah.
Qui avait bien pu lui parler de mes études d’informatique ? À ce salaud ? Je ne me souvenais pas lui avoir confié quoi que ce soit. Pourtant, il semblait savoir exactement ce qu'il faisait.
– Peut-être cela te motivera. C'est un texte qui parviendra à Ahmed. Mais je voudrais connaître le contenu d'abord.
– Si c'est crypté, c'est peut-être parce que vous ne devriez pas connaître le contenu ?
– Exactement.
– Mais...
Je me tus. Une idée venait de germer dans mon esprit. Un plan, audacieux, risqué, mais nécessaire. Espérons que j’ai le temps nécessaire.
– Dites à vos hommes de quitter mon dos et vous-même, restez en retrait s'il vous plaît. Je déteste me sentir épiée quand je travaille. Par ailleurs, un chef ne dévoile jamais ses secrets. J'oserais espérer que vous compreniez.
Je plantai mes yeux dans les siens. Aucun mouvement, aucune réaction de sa part. On se lança un duel de regards. Je ne baisserai pas les yeux avant lui, c’était certain. J’avais tout mon temps, et lui, il allait finir par craquer. Il finit par abandonner. D’un geste bref, il fit signe à ses hommes de s’éloigner. Ils bougèrent lentement, comme des ombres qui se dissipaient dans la pièce. Lui-même s'assit confortablement devant moi, sortant un mégot de cigarette qu’il alluma.
– Bien.
Un quart d'heure environ plus tard, j'avais réussi à décrypter le message. C'était comme un code. 1D - 828 - 453 1S. Les chiffres dansaient dans ma tête, se liant et se déliant à une vitesse fulgurante. Mais je savais qu'il ne fallait en aucun cas que Nick le voie. Cependant, je ne pouvais pas non plus l’envoyer sans risquer une réponse.
Tiens, pas bête.
Je supprimai le message, puis me dirigeai vers les coordonnées du destinataire. C’était risqué, mais j’étais prête à tout. Je vérifiai les paramètres, manipulant l'ordinateur avec une rapidité et une précision que seule l’expérience pouvait offrir. En quelques secondes, toutes les données furent effacées. L'ordinateur s'éteignit de lui-même dans un léger bruit de cliquetis. Je sursautai brusquement.
– Mais vous êtes complètement malade ! Qu'est-ce que vous m'avez demandé de faire, bon sang ?
Je jubilais intérieurement. Je savais qu’il n’y avait plus aucune chance de retrouver une seule information. Je suis Sarah Harwood, l'informatique et moi, nous nous étions compris depuis des années.