DT - 9
Ecrit par Nobody
- Qu'est-ce qui s'est passé ? s'écria Nick quand il eut retourné l'écran vers lui.
– C'était un virus, Mr, tout simplement Nick. Vous m'avez demandé de décrypter un virus. Impressionnant.
Une tension palpable émanait de la pièce. Les visages des informaticiens présents se figeaient de stupeur ou d'inquiétude, certains baissant les yeux pour éviter tout contact visuel avec Nick, dont l'aura d'autorité pesait lourdement sur leurs épaules.
– Allez-y, cria-t-il.
Les mots claquèrent comme un coup de tonnerre. Les gardes du corps obéirent sans hésiter, frappant la jeune fille avec une brutalité effrayante. Les coups pleuvaient sur elle, résonnant dans la pièce silencieuse, où seul son souffle entrecoupé de gémissements troublait le calme glacial. Elle n'avait jamais ressenti une telle douleur. Chaque impact résonnait dans son corps, laissant des brûlures vives et des hématomes en devenir.
Certains des informaticiens détournèrent le regard, leurs visages trahissant une indignation contenue. Parmi eux, l'un, plus courageux, se redressa. Avec un mélange de crainte et de compassion, il se pencha pour aider la jeune fille à se relever avant de l'accompagner dans ce qu'ils appelaient sa chambre.
Alors qu'il refermait la porte derrière lui, un garde surgit brusquement, martelant le sol de ses bottes.
– Hamos para orden de reconducir la puta en la casa del señor.
L'informaticien eut un regard de pitié pour elle. Ses yeux, brillants d'empathie, glissèrent un instant sur son visage meurtri avant qu'il ne l'aide à se redresser doucement.
Quand la porte se referma enfin, la jeune fille se retrouva seule. Le silence de la pièce était lourd, mais un sourire traversa son visage fatigué. Une lueur de détermination éclaira ses traits. Elle avait mal, oui, atrocement mal, mais elle contourna le grand lit à baldaquin, chaque pas lui arrachant une grimace, pour saisir un petit objet brillant sur la table de chevet.
Un téléphone. Ses doigts tremblants s'en emparèrent, et elle sentit un regain d'espoir. La wifi était activée. Elle avait des coordonnées en tête, gravées dans sa mémoire comme une promesse. N'était-ce pas une mission pour Sarah ?
Elle inspira profondément, le souffle court, et inséra les coordonnées. Chaque chiffre tapé résonnait comme une prière. Si elle se trompait... Elle n'osait imaginer les conséquences. Un innocent pourrait payer pour son erreur, et elle, elle serait condamnée à un sort pire encore.
Une fois le message prêt, elle ferma les yeux. Ses lèvres murmurèrent un dernier mot muet. Aide-moi. Puis elle appuya sur "envoyer".
Mission accomplie.
Elle observa l'écran quelques instants avant de le dissimuler dans son corsage, après l'avoir mis sur silencieux. La sensation du téléphone contre sa peau était rassurante, presque réconfortante. Elle s'assit au sol, pliant ses jambes sous elle avec difficulté. La douleur pulsait à chaque mouvement, mais elle garda un visage impassible.
Le sommeil finit par la prendre. Ses traits, durs et tendus, se détendirent peu à peu, et dans son inconscience, elle ressemblait à un ange. Les lumières tamisées de la pièce enveloppaient son visage d'une douce lueur, contrastant avec la violence qu'elle avait subie plus tôt.
Un bruit sourd la tira brutalement de son sommeil.
Des coups.
Elle se redressa d'un sursaut, ses membres engourdis protestant à chaque geste. Une douleur vive irradiait de son genou gauche, et elle grimaça en portant une main hésitante à l'endroit endolori. Elle resta immobile un instant, tendant l'oreille.
Un coup de feu.
Son cœur s'emballa. La panique menaça de l'envahir, mais elle se força à garder la tête froide. Avant tout, elle vérifia si le téléphone était toujours à sa place. Lorsqu'elle sentit sa présence sous son haut, elle poussa un soupir de soulagement.
La porte s'ouvrit avec fracas, et elle se recula instinctivement contre le mur, son corps tout entier sur le qui-vive.
– Sarah ?
Elle releva la tête.
– A... Ahmed ?
Sa voix trembla, incertaine, mais son visage s'illumina en reconnaissant l'homme qui se tenait devant elle. Il courut vers elle, son expression mêlant soulagement et angoisse.
Arrivé à son niveau, il la prit dans ses bras avec une urgence presque désespérée.
– Sarah ! Je suis là, c’est fini, murmura Ahmed en la serrant contre lui, comme s'il craignait qu’elle disparaisse à tout moment.
Sarah sentit ses muscles tendus se relâcher légèrement. Pour la première fois depuis des heures – ou des jours, elle ne savait plus – elle laissa ses émotions s’exprimer. Des larmes silencieuses roulèrent sur ses joues alors qu’elle s’agrippait à Ahmed, sa seule ancre dans le chaos.
La chaleur de son étreinte enveloppa Sarah, ravivant ses douleurs, mais elle se laissa aller contre sa peau, trouvant un refuge inattendu dans cette proximité. Elle inspira profondément, laissant le parfum discret de son cou apaiser ses pensées agitées.
– Tu as pris tout ton temps, Ahmed, ne put-elle s’empêcher de dire, sa voix tremblante.
Les mots semblaient lui échapper, comme s’ils avaient attendu ce moment précis pour s’exprimer.
– Je croyais que tu m’avais abandonnée, ajouta-t-elle dans un murmure, une infime note de reproche et de soulagement mêlés.
C’est seulement lorsqu’il passa doucement ses pouces sous ses joues qu’elle se rendit compte qu’elle pleurait. Non, elle ne pleurait pas, ses larmes coulaient silencieusement, comme si elles portaient tout le poids de ces derniers jours.
– Je ne t’abandonnerai jamais, Sarah, dit-il d’un ton ferme, ses yeux plantés dans les siens, comme pour graver cette promesse dans son âme.
– Je te crois, Ahmed. Aussi rocambolesque que ça puisse paraître, je te crois. De toute façon, tu m’as déjà retrouvée une fois.
Il lui tendit la main pour l’aider à se relever. Lorsqu’elle se mit debout, ses jambes flageolèrent un instant, mais elle se força à marcher. À peine eut-elle fait quelques pas qu’elle s’arrêta brusquement, levant une main hésitante.
– Attends, qu’est-ce que je viens de dire, là, Ahmed ? Il y aura une prochaine fois ?
Son regard incrédule cherchait dans le sien une réponse qu’elle craignait autant qu’elle espérait. Ahmed éclata de rire, un rire franc qui résonna dans le silence pesant.
– C’est bon de te retrouver, Sarah, dit-il, un sourire lumineux illuminant son visage.
Et sans prévenir, il la souleva de terre, la portant comme un enfant précieux, fragile. Sarah, surprise, émit un petit cri avant de glisser instinctivement ses bras autour de son cou pour garder son équilibre.
– Dépose-moi, Ahmed, je ne suis pas une plume, tu sais, protesta-t-elle avec un rire nerveux.
– Et pourtant, tu viens de passer tes mains autour de moi, répliqua-t-il en arquant un sourcil.
– Ne me prends pas au sérieux, c’était juste pour être polie, rétorqua-t-elle, piquée.
– T’es pas croyable, Sarah, répondit-il, son sourire ne quittant pas ses lèvres.
Ils descendirent les escaliers, leurs éclats de rire dissipant les ombres de l’endroit. Mais avant d’atteindre le bas, elle se rappela soudain quelque chose.
– Ahmed, s’il te plaît, on pourrait remonter ? Je voudrais voir une chose. Attends, dépose-moi vraiment, cette fois.
Il s’exécuta, intrigué. Elle se dirigea alors vers la salle d’informatique, ses pas précipités trahissant une urgence qu’elle ne prenait pas la peine d’expliquer.
– Oh putain, Ahmed, il est là ! s’exclama-t-elle, les yeux brillants de triomphe.
Le jeune homme haussa un sourcil, surpris. Depuis quand parlait-elle ainsi ?
Elle courut vers un ordinateur et l’enlaça comme si c’était un trésor retrouvé.
– Ahmed, on pourra en prendre un de plus ? La technologie qu’il y a dedans a failli me faire tomber en syncope, dit-elle avec enthousiasme.
– Prends le nombre qui te plaira, habiba. De toute façon, ça n’en manque pas, répondit-il avec amusement.
Elle choisit deux autres ordinateurs, ses gestes précis et déterminés. Une fois qu’elle aurait mis celui qu’elle avait déprogrammé à la pointe, comme les autres, elle pensa en offrir un à Charlie et un autre à Ahmed. Quant à Karim, il détestait les ordinateurs, ce qui rendait inutile l’idée de lui en attribuer un.
– Ahmed, garde-moi ça, j’ai un truc à te montrer, lança-t-elle avec un sourire malicieux.
Elle lui entassa tant bien que mal les ordinateurs sur les bras, manquant presque de le déséquilibrer. Une fois satisfaite, elle plongea la main dans son corsage, un geste qui fit hausser les sourcils du jeune homme. Son regard changea, et elle ne put s’empêcher d’en profiter. Faisant durer l’instant, elle ralentit volontairement le moment où elle sortirait l’objet dissimulé. Enfin, elle dévoila un téléphone.
Ahmed, déçu, poussa un soupir exagéré.
– T’es une rabat-joie, en vrai. Mais attends, t’as volé ce téléphone ? T’es sérieuse, là ?
– Bah quoi ? Je l’ai pris pour toi. Je veux dire, y’a peut-être des informations dessus, qui sait ? répliqua-t-elle avec une innocence feinte.
– Pas mal, Sarah. T’as pris des cours quand ?
– Sortez les contrats, espion en chef, plaisanta-t-elle en riant.
Leur rire résonna dans la pièce, un mélange de soulagement et de légèreté après des jours de tension. Ils se remémorèrent ce moment où Ahmed l’avait maquillée la dernière fois, une scène qu’ils semblaient apprécier à chaque évocation.
– Hey, Ahmed, après, tu voudras bien me rendre le téléphone ? Juste comme ça, quoi, demanda-t-elle en feignant l’indifférence.
Karim les attendait dehors, les bras croisés et l’air impassible. Lorsqu’il vit Sarah, son visage s’illumina, et elle courut vers lui. Il la réceptionna avec un rire éclatant et la fit tournoyer dans les airs, comme si elle ne pesait rien.
Ahmed, resté légèrement en retrait, les observait. Un sourire en coin masquait à peine la pointe de jalousie qui perçait dans son regard. Ils formaient un duo si harmonieux, si complice, que cela lui serra le cœur.
– Tu viens, Ahmed ?
La voix de Sarah brisa ses pensées. Il leva les yeux et vit son sourire éclatant et ses yeux brillants d’une joie sincère. Elle était magnifique, rayonnante, et complètement inconsciente du charme qu’elle dégageait.
Se ressaisissant, il monta du côté conducteur. Il ne fut pas surpris de voir Karim et Sarah se chamailler joyeusement pour savoir qui prendrait la place à l’avant.
– On reste derrière ensemble, alors, déclara Sarah d’un ton espiègle.
Entendre cette phrase, prononcée par cette voix qu’il affectionnait tant, lui donna un coup au cœur. Il ne put retenir une pointe d’agacement teintée de jalousie.
– Non, Sarah, va t’asseoir devant, intervint Karim avec fermeté.
Ahmed lui en fut reconnaissant. Il n’aurait pas supporté de les savoir tous les deux à l’arrière, si proches. Karim, son meilleur ami depuis toujours, avait sans doute perçu son trouble et agissait en conséquence.
Sarah s’engouffra dans la voiture, prenant place à ses côtés. Karim monta derrière. Avant qu’Ahmed ne démarre, Karim effleura légèrement son épaule, comme pour lui signifier qu’il comprenait.
Le trajet se déroula dans un calme relatif. Karim et Sarah échangeaient des plaisanteries, tandis qu’Ahmed, concentré sur la route, ne pouvait empêcher ses pensées de vagabonder. Leur amitié avec Karim, autrefois si solide, avait été mise à mal. Depuis ce jour où il l’avait traité de bâtard, une distance s’était installée. Bien qu’ils fassent des efforts, quelque chose semblait irrémédiablement brisé. La disparition de Sarah n’avait fait qu’aggraver les choses.
Une vingtaine de minutes plus tard, ils arrivèrent enfin. Sarah s’était endormie, la tête appuyée contre la vitre, son souffle calme ponctuant le silence. Ahmed gara la voiture avec précaution, puis sortit, attendant que Karim s’occupe d’elle. À sa grande surprise, celui-ci se dirigea directement vers la porte d’entrée.
Arrivé au seuil, il ouvrit grand la porte du salon et resta planté là, la tenant ouverte.
Comprenant le message, Ahmed contourna la voiture. Il ouvrit la portière passager et, avec une délicatesse infinie, soutint la tête de Sarah avant de la prendre dans ses bras. Comme une princesse endormie, elle semblait si paisible qu’il sentit son cœur se serrer.
Il franchit la porte de la maison avec elle, tandis que Karim le suivait d’un pas tranquille. Au salon, Kaina dormait sur le canapé, ses traits détendus. Ahmed ne s’attarda pas et monta directement les escaliers menant à la chambre de Sarah.
Une fois dans la pièce, il la déposa doucement sur le lit. Alors qu’il se redressait pour partir, elle s’agrippa à lui, nouant ses bras autour de son cou.
L’idée de rester auprès d’elle était tentante, presque irrésistible. Mais il savait qu’il devait partir. Il inspira profondément, détacha doucement ses mains et la borda avec soin.
– Dors bien, princesse, murmura-t-il en déposant un baiser sur son front.
Il sortit de la chambre, refermant la porte avec précaution. Descendant à pas feutrés, il s’arrêta un instant au salon pour prendre Kaina dans ses bras et la porter jusqu’à sa chambre. Une fois assuré qu’elle était bien installée, il quitta la pièce et se dirigea vers la terrasse.
Arrivé là-bas, il découvrit Karim, appuyé contre la rambarde. Ne souhaitant pas provoquer un moment de gêne, il fit demi-tour.
– Bro.
Ahmed s’arrêta net. Son cœur se serra à ces mots.
– Frère, répéta Karim, sa voix douce mais ferme. Je suis là, et je serai toujours là.