ET LA NUIT TOMBA....
Ecrit par Chelso
Point de vue de Geoges :
" J'ai ramené Félicité chez moi. En chemin, je n'ai pas cessé de la questionner. Que lui était-il arrivé ? Pourquoi avait-elle ses bagages sur la tête ? Où se rendait-elle ? N'avait-elle personne chez qui loger ?
D'après ses explications, elle vivait avec sa marâtre, deuxième femme de son père, depuis la mort de sa mère, quelques semaines auparavant. Celle-ci était décédée d'une mort brusque, et intrigante. Elle n'avait aucun doute sur ce point : c'était l'oeuvre de la sorcellerie. Blessée et morte de douleur, elle avait enfoui en elle ses ressentiments, sa tristesse, et sa marâtre en avait profité pour faire d'elle une domestique bénévole et maltraitée a souhait. Un jour qu'elle faisait le ménage, elle découvrit une calebasse pleine d'eau sale, au milieu de laquelle trônaient des plumes et la photo de sa défunte mère. Choquée, il s'était fait jour dans son esprit. Alors c'était elle ! Cette femme n'avait simplement pas supporté que son mari la laisse pour aller vivre avec une autre ! Et elle en était arrivée à ce meurtre ! Répugnée et révoltée, Félicité n'avait pu contenir sa rage et était allée jeter ses quatre vérités a la face de l'horripilante marâtre. Ce qui n'avait apparemment pas plu a la sorcière, qui s'était empressée de la tabasser, avant de la pourchasser en lui balançant ses affaires a la figure. Elle s'était donc retrouvée a la rue, où je l'avais retrouvée.
Je ne sais si c'est l'empathie, l'émotion ou l'indignation qui m'a poussé ce jour là a la recueillir chez moi. Je lui proposai également le travail de ménagère, dans le but de lui verser un salaire qui pourrait lui permettre de s'auto-gérer. Elle accepta avec reconnaissance.
Le lendemain, je fus pris de maux de tête atroces dès le matin. Aspirine, Paracétamol, rien n'y fit. Je pouvais a peine cligner des yeux, tellement l'orchestre qui jouait dans ma tête me détruisait. Félicité me prépara des infusions, s'occupa de moi comme on s'occupe d'un enfant malade. Et pourtant...
Certains me jugeraient stupide d'avoir fait confiance a une étrangère. Mais je n'avais d'autre choix. Et j'avais confiance en mon Dieu. Je savais que si quelque chose m'arrivait alors que je faisais le bien, ce serait son nom qui serait sali. Alors je ne m'inquiétais pas. Il protégerait son serviteur.
Lorsque les maux de tête cessèrent, ils furent remplacés par des crampes dans les membres. Bientôt, soulever un doigt me créait d'intenses fourmillements. Et je restais ainsi, vivotant, au lieu de vivre, dépendant de Félicité, qui faisait tout son possible pour sauver son sauveur. Mes parents ne comprenaient plus rien. Je n'allais même plus au boulot, mes affaires commençaient a stagner. Je priais tout le temps, avec maman et ma ménagère, envers laquelle j'avais commencé a développer des sentiments, tellement elle était patiente et dévouée.
Puis enfin, tout ce désordre cessa.
Je retrouvai le contrôle de moi même.
Plus de maux de tête, plus de crampes, plus de douleurs.
Félicité était chez moi depuis un mois environ, lorsque je fis un rêve étrange. Dans mon rêve, je me mariais avec ma trop gentille ménagère, sous le regard bienveillant de mes parents. Étant donné que dans la vie réelle, la mariée en question ne se doutait même pas de mes sentiments, je me réveillai avec la ferme intention de faire évoluer les choses entre nous. Je l'appelai, une, deux, trois fois. Elle ne répondit pas. Cela m'intrigua.
D'habitude, était même a mon chevet avant que je ne me réveille, avec un plateau et mes médicaments. Je descendis au rez, a pas de loup, pour la faire sursauter. Les fenêtres du salon étaient ouvertes.
Bizarre. D'habitude, c'était moi qui les ouvrait, le matin... A moins que la veille, Féli ne les ait pas fermées. Et il restait les assiettes du dîner précédent sur la table a manger. Était-elle devenue paresseuse en un jour ?
Je me dirigeai vers la cuisine, et me figeai.
Elle était par terre.
Du sang lui sortait de la bouche. Beaucoup de sang.
Elle était pâle. Très pâle. Beaucoup trop pâle.
Et...Elle était en robe de mariée.
EN ... ROBE... DE ... MARIÉE.
La même que celle de mon rêve. Toute simple et vaporeuse. Ses pieds étaient nus.
J'ai cru m'effondrer. Mais que dis-je. Je me suis effondré. Je suis resté prostré devant elle, pendant de longues heures, a essayer de comprendre. Pourquoi... Quand... Comment... QUI ! Et cette robe... J'ai perdu la notion du temps, les yeux vagues et la respiration saccadée.
C'est dans cette position que ma mère m'a surpris, l'après-midi, en venant me rendre visite. Bien qu'aussi atteinte que moi, car elle l'aimait vraiment beaucoup, ma mère a réagi avec tact, en me saisissant par les épaules et en appelant les urgences. Deux heures plus tard, ils nous ont confirmé ce qu'on savait déjà. Elle était morte. Et bien morte, car elle s'était étouffée de l'intérieur par une artère qui avait explosé. D'où tout le sang qui sortait de sa bouche...
Jusqu'à présent, je ne suis toujours pas remis. Je revois toujours la scène, le moment où je l'ai découvert, sa position par terre, le cri que j'ai poussé. J'ai toujours ce serrement au coeur chaque fois que son visage me vient a l'esprit. Chaque fois que je repense a notre rencontre. A ses sourires. A ses larmes.
Deux jours plus tard, la police débarquait chez moi. Je suis passé par un interrogatoire en règles. Heureusement que je suis assez riche pour me permettre des caméras de surveillance un peu partout dans la maison. Sauf dans la chambre de la victime, évidemment, par respect pour son intimité. Ils ont pu voir que je n'ai pas bougé de mon lit jusqu'au matin de la mort de Félicité. Mais alors, qui...? Et comment ? Et pourquoi la même robe de mariée que celle de mon rêve ? Je n'ai parlé de ce détail a personne. Chaque fois que j'y repense, cela fouette ma culpabilité a un point inimaginable. Mais qu'est-ce que j'y peux... J'avais peur de m'endormir, et quand je le faisais, je me réveillais en sursaut, tellement je craignais de vivre une autre horreur... Je me demandais aussi pourquoi, nom d'un chien, personne n'avait été intrigué par la robe blanche immaculée qu'elle portait. Stress, tristesse, douleur, prostration. Seulement, tout ça n'était que le début de mes ennuis....''
Quelques semaines avant ce drame, elle était allée voir un charlatan. Sa copine lui avait dit que c'était le plus puissant de la région. Il avait intérêt à mériter cet éloge, sinon, divinité ou pas, elle s'arrangerait pour lui en faire voir de toutes les couleurs.
De plus, elle n'avait pas joué les gentilles tantes, demandé poliment et gentiment une photo de son '' adorable neveu '' , et parcouru tous ces kilomètres pour qu'il la déçoive. L
orsque le maître des lieux la fit entrer, elle plissa les yeux. Tous ces cauris, ces taches de sang, ces statuettes effrayantes, il pensait faire peur a qui ? Elle ricana intérieurement. S'il savait...
Après avoir accompli les rituels d'usage, il s'enquit enfin de la raison de sa venue.
<< Je veux que tu lui jettes ''le'' sort du démon des rêves. >>, prononça d'elle distinctement en tendant des photos.
Les yeux exorbités du féticheur lui firent comprendre qu'il savait exactement de quoi elle parlait. Elle sourit. Oh oui, elle allait le rayer de la liste des vivants, et avec un stylo encore, pour qu'il n'y ait aucun espoir de gommer quoi que ce soit. Puis, le fixant dans les yeux, elle compléta :
<< Veille a lui fournir en bénéfice quelques signes avant coureurs. Je sais qu'il est assez bête pour ne pas se douter de quelque chose et aller consulter. >>
Ouvrant son sac, elle sortit dix liasses de billets neufs. Qu'elle agita nonchalamment, l'air de s'éventer, sachant très bien que la vue d'une pareille fortune allait faire saliver son interlocuteur. En le voyant contempler, bouche bée, l'argent, elle sourit encore.
Dans le mille ! Le poisson avait mordu a l'hameçon, et avait même avalé et la ligne, et le pêcheur...