Extraits du chapitre 7
Ecrit par Loranna Crew
Extrait 1
Je m'approche, sceptique. Qu'a prévu de me faire cette vipère ? J'observe son visage, cherchant une expression, un tic, n'importe quoi pour me renseigner. Je ne trouve rien. Hormis dans ses yeux. Ils sont rieurs, bien que son visage soit impénétrable. Je suppose que c'est voulu.
Je ne peux plus me défiler, donc autant en finir au plus vite. Je m'approche de son bureau et m'arrête à une centaine de centimètres de celui-ci.
Il lève un sourcil d'un air ironique.
- Je ne vais pas vous manger, vous savez.
- Hum ... Je ne connais pas vos habitudes alimentaires. Si ça se trouve, vous vous êtes découvert un penchant pour le cannibalisme récemment.
Je réalise l’énormité de mes propos, deux secondes après les avoir prononcés. Je ferme les yeux, mortifiée. Quand je les rouvre, son visage affiche une expression méditative.
- Vous n'avez pas beaucoup de contrôle sur vous-même, n'est-ce pas ?
À ces paroles, je manque de m'enflammer, quand je réalise que ma réaction ne ferait que confirmer ses dires. « J'attache » le visage, et le regarde comme si j'ignorais complètement de quoi il parlait. Il me jette un regard amusé puis reprend, plus sérieusement :
- Je voudrais vous parler de vos résultats en mathématiques. Après avoir jeté un oeil sur les résultats des partiels, et du nombre relativement élevé des élèves qui ne les ont pas réussis, il a été décidé d'offrir à ces étudiants des cours de soutien. Vous êtes la seule élève de votre groupe à avoir échoué au test, alors que vous vous en êtes remarquablement sortie dans le reste des épreuves. Il y a-t-il une raison particulière à cet état de fait, ou avez-vous un problème avec l'enseignement dispensé ?
Je m'attendais à tout sauf à ça. Je me traite mentalement d'idiote, non mais que croyais-tu ma fille ? Rien, je ne croyais rien justement. Je ravale tant bien que mal ma déception, et essaie de maîtriser mes émotions pour lui répondre.
- Les maths et moi avons toujours entretenu une relation compliquée ; un coup, c'est le grand amour, un coup, on fait une pause, un coup, on se sépare. Cette année, il semble qu'on ait opté pour la séparation.
Je raconte des conneries, mais je ne peux m’en empêcher.
- Ne vous en faites pas, ajouté-je. Vous semblez bien enseigner donc peut-être que ça se passera mieux. Mais si ça se passe mal ne vous en voulez pas, on ne peut pas tout avoir ...
Et puis quoi encore, pourquoi tu ne lui donnes pas une petite tape sur l'épaule et du, « c'est bien mon garçon, continu comme ça », histoire de souligner tout le mépris que tu as pour lui ? Cette fois, je pince les lèvres, inutile de regretter mes paroles. Je ne peux manifestement pas m'empêcher de le provoquer, autant assumer et faire face à sa colère. Contre toute attente, au lieu de s'énerver comme la dernière fois, il me fixe pensivement.
- Vous arrive-t-il d'être polie, ou cette attitude puérile et condescendante m'est-elle spécialement réservée ? me demande-t-il sur le ton de la conversation.
Son visage conserve une expression détachée, seul un ennui légèrement méprisant transparaît. Les pointes de mes oreilles me brûlent, je résiste à l’envie de baisser les yeux. Je fixe mon regard dans le sien. Il est si calme, si maître de lui… Et c’est mon prof. J’aimerais oublier ce détail, mais je ne peux pas. J’ai vraiment dépassé les bornes.
Je baisse les paupières. Les mots que je dois prononcer se bousculent dans ma gorge, et s’y retrouvent piégés. Je dois les formuler, mais je n’y arrive pas. Je me décide, ouvre la
bouche… Et la referme. « Tu peux le faire Lara, ça ne va pas te tuer », me dit la petite voix dans ma tête.
Il me regarde toujours. J’hésite un instant avant de remuer la langue. J’ai du mal à le faire. Elle se colle à mon palais et refuse de bouger. « Arrête de faire preuve de mauvaise foi », me réprimande ma voix intérieure. Je n’ai pas envie de l’écouter, mais je sais qu’elle a raison ; ce n’est pas elle, mais moi qui l’empêche de le faire. J’inspire doucement et lâche :
-Excusez-moi.
N’eût été le silence de la pièce, je ne l’aurais pas entendu. On aurait dit le couinement d’une souris qui s’étouffe.
Sans crier gare, il se lève, et passe de l'autre côté du bureau. Il avance, je recule instinctivement. Je m’arrête quand je me rends compte de ce que je suis en train de faire. La tentation est grande de tourner les talons et de m’enfuir, je n’y cède pas. Je pose ma main sur mon bras droit pour m’en empêcher. Il pose les yeux sur ma main avant de les lever. Son regard gris vert me transperce. Ma main se crispe sur mon bras.
Une modification subtile s’opère dans ses iris. Le brun s’étale, renforçant le vert par contraste. Je suspends inconsciemment mon souffle, retenue captive par l'intensité
de son regard. Un regard de prédateur qui met à nu mon âme. Dans un sursaut de conscience, je décide de détourner les yeux, je découvre avec horreur que cela m'est impossible.
Le visage impassible, il continue à me fixer. Rien n'indique qu'il s'est rendu compte de ma faiblesse et pourtant, je sais. Je sais qu'il sait. Une peur irraisonnée m'envahit tandis que j'assiste, impuissante, à l'asservissement de mon corps.
Ses yeux. Deux prunelles calmes et profondes. Insondables. Humiliée, incapable de me soustraire à son emprise, j'endure son attention.
Extrait 2
Richard
Le moins que je puisse dire, c’est que je n’ai jamais été confronté à une situation comparable. Une légère douleur m’annonce que mes lèvres s’étirent. Sa réaction a de quoi amuser, c’est ce qui s’appelle « détaler comme un lapin ».
Une pression singulière oppresse ma poitrine, elle grandit rapidement. Moyennement alarmé, je la laisse me submerger. Des gloussements irrépressibles s’échappent de mes lèvres, je ne fais rien pour les retenir.
Je porte machinalement ma main à mon cou. Les gloussements se transforment instantanément en fou rire. Je peine à me calmer. Je ne le désire pas vraiment alors je me laisse aller à cette sensation insolite.
Je finis par m’asseoir, le ventre douloureux, mais toujours aussi incapable de m’arrêter. Elle est drôle, et je suis fou. Ça fait mal, c’est étrange et ça fait du bien.
Je me fige, saisi. J’avais oublié. J’avais oublié à quel point on se sentait merveilleusement humain en riant. J’avais oublié à quel point c’était bon. J’avais oublié et elle me l’a remémoré.