Fauché en pleine ascension

Ecrit par Marc Aurèle


Le weekend s'acheva sur ce bonheur de l'accomplissement du vœux de ses parents. Je quittais, Jules ce samedi aux environs de 23heures. Ray était rentrée un peu plus tôt et s'était endormi dans le lit de Sam Junior. Je la portai dans mes bras jusque dans notre lit. Elle ne s'était pas démaquillée et les signes de la grosse fatigue se lisaient sur son visage. Je pris sa lotion démaquillante pour lui enlever le fond de teint, et tout le maquillage qu'elle portait. Je lui retirai ses tenues ainsi que ses bijoux. Elle était comme une adolescente toute frêle et le poids des efforts de la journée pesait sur tout son corps. Je contemplai mon épouse, quelques minutes avant de m'allonger à côté d'elle dans le lit. Mes idées retournèrent plusieurs années en arrière. J'étais rentré de Londres pour la première fois en vacances. J'avais quelques commissions à transmettre pour les compatriotes n'ayant pas fait le voyage. L'un des parents m'avait alors donné rendez vous dans un maquis à St Rite, juste à côté d'un Cyber Café dénommé Maridelle.  Avec les indications,  je n'eus aucun mal à trouver le lieu et vu que le retard n'est pas dans mes habitudes, j'étais largement en avance sur mon hôte. Je m'étais assis au fon du maquis sur une table pour deux. Je remarquai alors une jeune dame se rapprocher de moi.

- Bonjour monsieur, on vois sert quelques choses?

- ...

Je n'avais pas encore répondu qu'une autre jeune dame svelte, avec une mine sévère s'approcha.

- Arianna va aider maman pour enlever la sauce. Je vais m'occuper du jeune homme.

La fermeté dans la voix de cette femme me marqua.

- Que me proposez vous? Répondis-je

- nous ne faisons que des menus africains, pâte noire, rouge ou de manioc avec des sauces légumes...

- …..

- vous ne mangez pas ces choses apparemment?

- vous avez tout compris. J'aurais mangé un peu de riz ou du couscous. Mais ce n'est pas grave. Servez moi une boisson gazeuse. Ça suffira.

- ok. Je vous propose un jus naturel d'orange. Quand dites vous?

- merci, fis je à son intention alors qu'elle s'en allait déjà.

Quelques minutes plus tard, elle revenait avec un plateau dans la main. Elle déposa devant moi, un couvert, une petite glacière et mon verre de jus de fruits. Elle compris dans mon regard mon étonnement.

- Je vous offre mon repas. C'est du couscous aux saucisses. Je l'avais ramené de la maison pour manger. Mais vu que vous ne mangez rien de ce que nous offrons, je crois que....

- Non, c'est bon. Ça ira je n'ai pas vraiment faim non plus vous savez!

- j'insiste fit la jeune dame qui s'en attendre s'était retiré aussitôt.

Je me servais un peu de ce repas dont la vue m'avait amené l'eau à la bouche quand le monsieur que j'attendais, me rejoignit. Je lui transmis son paquet et partagea avec lui un autre verre de jus de fruit. J'étais tombé sous le charme de la délicate jeune dame qui s'était si bien occupé de moi et au moment de payer ma note, j'y mis un bon pourboire et ma carte de visite. Ayant toujours été un peu timide sur les bords, je n'avais pas le courage des approches directes en lieu public. Je me dépêchai de rejoindre ma voiture et quitter les lieux de mon forfait. J'étais à peine arrivé à la place de l'Étoile Rouge quand mon téléphone portable s'était mis à sonner. L'écran afficha appelant inconnu, je pensais recevoir un coup de fil de l'international. Étant seul dans la voiture, je mis en marche le mode main libre. J'entendis une voix féminine qui m'était totalement inconnu au bout du fil.

- Sam?

- Oui!  C'est qui?

- Ray CÉLESTIN, vous venez de me laissez votre carte Monsieur Sam;

- Ah, merci d'avoir été aussi gentille avec moi tout à l'heure.

- Non c'est rien, c'est une obligation vis à vis de nos clients.

- Donc vous êtes toujours aussi gentille avec tous vos clients?

- Oui en tout cas certains comme vous.

- Puis je vous inviter à manger ce soir? Fis-je par pure condescendance. J'eu une envie de la revoir et elle ne me le refusa pas.

- pas ce soir, plutôt demain. Je vous rappelle moi même.

La communication se coupa sur ces mots de Ray. Ceci fut le début d'une longue amitié qui une année plus tard se solda par notre mariage.

Ray est la fille unique du Prince OUEGNILO du Royaume d'Abokpe. Elle avait été élevée avec la rigueur et les principes de la tradition. Et malgré son statut de princesse héritière du trône, elle avait poursuivit ses études et obtenu un DEA en Audit et Finances des entreprises. Son père était parvenu à la positionner en tant que Directrice des Affaires Financières d'une multinationale américaine opérant dans le secteur du pétrole. Mon épouse m'avait rejoint à Londres, on y resta ensemble le laps du temps qu'il restait pour boucler ma formation. Notre fils naquit pour mener notre bonheur au comble.

Il y a un an bientôt que nous sommes rentrés au pays. Avec mon doctorat en Management des Administrations, j'avais eu très facilement un poste de Directeur dans la plus grande organisation immobilière du pays. La El naser building traversait une mauvaise passe organisationnelle. En deux mois, j'étais parvenu à mettre en place une stratégie qui remit les pendules à l'heure. Ceci me donna d'obtenir un CDI avec le conseil d'administration qui fit de moi le désormais numéro 1 du plus grand holding de la construction de mon pays.

Je m'endormais enfin sur cet air de satisfaction quand mon téléphone se mit à vibrer. Mais il est très tard qui cela pouvait bien être. A l'affichage de l'écran, je vis le numéro de Jules.

- Eh garçon on essaie de dormir ici fis je aussitôt

- Je tenais à te remercier. Tu ne sais à quel point tu es un ami. Que le Seigneur te bénisse.

- Écoute oublie. Tu es le seul ami frère que je n'ai jamais eu et quand j'y pense, je n'ai fait que mon devoir.

- Merci à toi quand même. Je me dois de te le dire. Au fait je prends la route de parakou demain. On ne se verra pas avant le samedi prochain. Entre temps pense à faire un tour voir les gosses pour moi.

- C'est quoi la connerie. Qui t'envoi en mission sur un coup de tête ?

- Le Dg m'avait fait appeler par le comptable ce après midi. Je vais convoyer les fonds de caisse de la sous région nord et en profiter et faire quelques négociations gros comptes.

- Sérieusement? Pourquoi pas le comptable pour cette mission? Avais je demandé.

- Il devrait prendre des congés pour compter d'hier. Et ses assistants ne sont pas habiletés à gérer une telle situation.

- Je vois ne t'inquiète pas. Je vais essayer de faire de mon mieux. Ray se rapprochera de ton épouse. Quant à toi et  moi on restera en contact.

Le sommeil avait lancé contre moi une forte attaque. Je rendais les armes face à une fatigue forte. Je ne sentais déjà plus mes membres inférieurs et mes paupières ne tenaient plus en hauteur.

 

*

*  *

Dans un effort ultime, je souhaitais une bonne nuit à Jules avant de capituler.

Le soleil était réapparu dans le ciel. Il sonnait neuf heure et mon petit monde faisait du bruit à la salle à manger. Je me tirai du lit, m'étirai sur la pointe des pieds. Machinalement, je les rejoignis à table. Je fis la bise à junior qui me mis de sa compote de fruit dans la barbe, m'autorisant ainsi un large sourire. Le bonheur ce matin était là, bien en place dans les quatre murs de mon appartement. Il sonnait dix heures, je venais de m'asseoir dans le sofa en face de la télé. Mon objectif était de faire une partie de jeu avec Junior, afin de le voir évoluer dans ses leçons. Mal me pris ce jour de mettre en marche la télé et de m'attarder sur le direct qui passait sur la chaîne nationale.

- Inimaginable vous direz, mais cela s'est passé. Le fourgon de convoyeur d'argent de la Financière des institutions a été braqué ce matin à hauteur de zogbodomey. Près de deux cent millions emportés et tout les passager abattus.

La présentatrice du flash bien que dans la télé semblait me tirer dans le cœur  La commande télé tomba de ma main et fit un bruit assourdissant auquel je ne fis guère attention.

Je ne pouvais pas croire à ce que j'entendais. Non je rêve, ce n'est pas le même convoi, et c'est impossible que Jules soit une des victimes.

Ray se rua au salon, junior s'était mis à pleurer et moi je n'avais pas réagi.

- Trésor qu'as tu? Pourquoi es tu aussi estomaqué?

- ... ....  j'ouvrais la bouche, mais aucun mot n'en sortais.de mon doigt je désignait la télé et c'est seulement en ce moment que la réalisation se mit à afficher les photos des victimes avec en fond sonore leur identité.

Ray reconnu le nom de Jules et à son tour hurla.

Oui c'est inimaginable, c'est inconcevable et ce qui l'est davantage c'est presque incroyable. Mon ami venait de s'en aller. Laissant derrière lui une femme et trois enfants tous en bas âge. Il venait d'être fauché alors que tout semblait désormais reprendre pour lui.

Hélas c'était notre dernière conversation. Jamais plus, je n’entendrai sa voix de rocker, pleine de masculinité. Avait il senti quelques choses au fond de lui? Avait il réalisé ce qui l'attendait? 

La mort à cette vilaine manière de suspende des projets. Mais elle a son plan qui relève de l'inconnu. Jules dans ce départ brutal et tragique ne venait que de finir sa mission. Ces derniers mors me résonnent dans l'oreille comme s'il me parlait encore.

Rayons de soleil