IV-
Ecrit par Les petits papiers de M
IV-/
Romain
Je quitte précipitamment le
bureau et rejoins ma voiture aussi vite que je peux. Ça fait bientôt deux ans
que le cabinet est ouvert. Tout n’est pas encore au beau fixe mais Vaïk et moi
travaillons d’arrache-pied. J’ai plus ou moins délaissé toutes mes autres
activités pour me consacrer à cela. Je fais confiance à Rachelle pour gérer le
business dans la discrétion habituelle. Le cabinet ne faisant pas encore
d’énormes bénéfices j’ai donc besoin qu’elle nous maintienne à flot pendant un
moment encore.
Mais aujourd’hui plus que les
autres jours, je n’ai pas la tête à travailler. Ariel vient de m’informer que
notre père a fait un malaise au bureau et a été conduit d’urgence à la polyclinique
les cocotiers. Encore un malaise. Son état de santé nous laisse tous perplexes.
A commencer par ma mère qui ne sait plus où donner de la tête.
Mon père, de toute sa vie n’a
jamais été vraiment malade. Sportif, il est très bien portant pour un homme de
son âge. Il ne souffre ni de diabète, ni d’hypertension, à moins qu’il nous ait
caché des soucis de santé. Mais depuis quelques mois, il enchaîne des malaises
inexplicables. C’est déjà la quatrième fois qu’on se précipite ainsi tous à
l’hôpital.
-
Que disent les médecins cette fois ?
Ariel me prend par le bras
pour m’éloigner de maman avant de répondre. Nous sommes rejoints par Stéphane.
-
Le médecin lui-même ne comprend plus rien.
Tantôt il présente des signes d’hypertension, tantôt d’insuffisance rénale ou
parfois il fait penser à des problèmes cardiaques. Et comme d’habitude les
analyses ne montrent jamais rien.
-
Ils ont exploré la piste du cancer ?
-
Cancer ? il a une vie plutôt saine
non ?
-
Mais on ne sait jamais. Le cancer ne prévient
pas non ?
-
C’est vrai. Et il perd de plus en plus de poids
-
J’espère que ce n’est pas l’autre maladie-là…
Ariel
et moi nous tournons choqués vers lui
-
Tu penses à quoi là ?
-
Ce n’est qu’une hypothèse
-
Va au bout de ton idée
-
Sida
-
Noooon !
-
Je suis encore plus formel que Romain, c’est
non. Je suis celui qui passe le plus de temps avec lui. Même si beaucoup de
femmes lui tournent autour c’est impossible qu’il ne sorte pas couvert
-
Ok. Si tu le dis. Qu’est-ce qu’on fait
maintenant ?
-
Je vais parler de la piste du cancer au médecin
pour qu’il fasse des examens dans ce sens. Rejoignez maman en attendant
Finalement,
Stéphane est contraint de retourner au boulot. Je vais m’asseoir près de ma
mère que je trouve bien silencieuse.
-
(l’enlaçant) ne t’inquiètes pas trop. Ils vont
trouver ce qui ne va pas
-
J’en doute
-
Pourquoi est tu si pessimiste ?
-
Ça fait combien de mois qu’on fait le tour des
hôpitaux en vain Romain ? je connais ton père depuis très longtemps. Et je
peux t’assurer qu’il n’a jamais rien eu de plus grave que le palu. Alors…
Sa
voix se brise et elle laisse échapper quelques larmes avant de se moucher. Je
me sens impuissant devant sa peine
-
Tu n’as pas une idée de ce qui pourrait être la
cause de son état ?
-
Une idée ? ça veut dire quoi ? tu
insinues que j’ai rendu ton père malade ?
-
(surpris par sa réaction) comment peux-tu dire
ça ? on essaie tous de comprendre ce qui lui arrive. Même les médecins.
C’est toi qui vis avec lui. Tu as peut-être vu ou remarqué quelque chose qui
pourrait nous aider
-
(reniflant) je ne sais pas
-
Quand a-t-il commencé à se sentir mal ?
-
Environ un mois après son retour de France
-
De France ? papa n’est plus allé en France
depuis un bon moment. Peut-être même avant mon mariage
-
Comment ?
-
Si, je t’assure
-
Tu dois te tromper. Il y était quand je suis
allée à Libreville
-
Non. Il est allé en Suisse. Il a envoyé Ariel
le représenter en France
-
Qui parle de moi ?
-
(se tournant vers lui) ton père n’est pas allé
en France il y a six mois environ ?
-
Non. J’y suis allé à sa place. Il est allé en
Suisse. Pourquoi ?
-
Maman pensait qu’il avait pu être contaminé par
quelque chose pendant son séjour
-
Il n’y est pas allé. Il voulait te préparer une
surprise en Suisse. Une espèce d’escapade en amoureux. Je suppose que c’est à
cause de sa santé qu’il n’en a plus fait cas
Ma
Caro
Je me
jette sur mon lit et laisse libre cours à ma panique après m’être assurée que
ma porte est bien fermée. Je rentre de la clinique où ils ont décidé de garder
Alban pour quelques jours. Je fouille fébrilement mon sac à main pour en sortir
mon téléphone et composer pour la énième fois depuis trois mois le même numéro.
-
Indisponible !!!
in-dis-po-ni-ble !!!!? encore !
J’ai
envie d’envoyer le téléphone valser contre le mur mais je n’ose pas. C’est ma
seule chance d’arrêter ce qui est en train de se passer. J’ai essayé en vain de
joindre ce marabout que j’ai été voir à Lambaréné. Et c’est là que je me suis
souvenue avoir supprimé son numéro de mon téléphone une fois rentrée à Cotonou.
Comme j’ai été idiote !
En
fouillant ma valise, j’étais tombée sur le numéro de Manuel, le petit qui
m’avait indiqué celui qui m’avait emmenée là-bas. Mais c’est comme si le
mauvais sort s’acharnait sur moi. Le numéro restait obstinément indisponible.
Mon seul recours reste Jeannette. Mais j’ai trop peur de l’appeler et de lui
avouer ce que j’avais fait. Trop peur de reconnaître que je me suis peut-être
faite avoir.
Je
suis tirée de mes pensées par des coups frappés à ma porte.
-
C’est qui ?
-
Ma Caro, tonton Ariel demande de venir au salon
-
J’arrive
J’échange
ma tenue de ville contre un bomba et me débarbouille avant de me rendre au
salon. J’ai la désagréable surprise de tomber sur les frères d’Alban :
Gisèle, Martine et Etienne. J’avais déjà oublié que je leur avais demandé de
venir. Après les salutations d’usage, je rentre dans le vif du sujet.
-
Normalement, j’aurais dû passer vous voir. Mais
vu la situation j’étais obligée de procéder de la sorte
-
Qu’est ce qui ne va pas ? et d’ailleurs où
est Alban ?
-
C’est lui le sujet de cette réunion. Il est
souffrant et hospitalisé depuis ce matin
-
Pour que tu nous fasses venir pour nous le
dire, je suppose que c’est grave ?
-
Nous ne savons pas encore. Mais j’ai jugé
important de vous informer. Il y a plusieurs mois qu’il a commencé à avoir de
petits soucis de santé. Mais chaque fois, après un petit séjour à l’hôpital, ça
passe. Mais cette fois, les docteurs semblent plus inquiets
-
Et depuis tout ce temps, c’est maintenant que
tu nous informes ?
-
Gisèle, je ne voulais pas vous alarmer
-
C’est ça. Tu voulais plutôt t’assurer que
personne ne t’empêcheras de faire ce que tu veux
-
Gisèle, arrêtes ça immédiatement intervient
Etienne. Il est dans quel hôpital
-
Clinique les cocotiers
-
Vu l’heure, les visites sont certainement
terminées. Demain nous irons lui rendre visite. Merci pour l’information Ma
Caro.
-
C’est normal. Vous êtes la famille
Je
prends congé d’eux en m’efforçant d’ignorer les messes basses des deux sœurs.
Je dine rapidement avec Ariel avant de le raccompagner à son tour. Et comme
c’est le cas chaque fois que je me retrouve seule, je relance le numéro de
Manuel. Indisponible une fois encore. Je fais un message à Jeannette pour
l’informer de l’état de mon mari avant de me coucher dans le noir. Mon Dieu, qu’ai-je
fait ?
Quand
je suis rentrée de Libreville, j’étais persuadée qu’il rentrait d’un séjour
chez sa Dominique. Mais malgré moi, les conseils de Jeannette avaient fait leur
chemin. Même si je ne voulais pas encore en parler, j’avais décidé de ne plus
rien lui faire. Seulement il s’était remis à parler de voyage en Suisse. Bien
qu’il m’ait dit qu’on irait ensemble, ma jalousie avait repris le dessus. Je ne
le croyais pas. Je pensais que c’était un prétexte pour me sortir au dernier
moment qu’on ne pourrait plus y aller ensemble. Ou encore un moyen de me tenir
occupée là pour aller se vautrer chez sa Dominique. Et mes vieux démons étaient
revenus me hanter.
Le
lendemain à la première heure, je suis au chevet de mon mari. Il semble si
frais qu’on ne croirait pas que quelques heures plus tôt il était quasiment
inconscient.
-
Comment va madame Gbedji
-
C’est plutôt à toi qu’on devrait poser cette
question. Tu nous as bien fait peur hier
-
(essayant de rire) c’est parce que vos cœurs
sont trop fragiles
-
C’est ça. Tu devrais te recoucher. Tu as déjà
pris ton petit-déjeuner ?
-
Oui. Gisèle s’en est chargée
-
Gisèle ? il est à peine huit heures. A
quel moment… ?
-
Martine et elle sont passées ici très tôt. En
sortant de la messe du matin. Et c’est mieux ainsi. J’imagine qu’elles t’ont
fait des histoires hier ?
-
C’est oublié. Le plus important, c’est que tu
te rétablisses
-
Tu as raison. Elles sont convaincues que ma
maladie n’est pas naturelle
-
(le cœur battant) ce n’est pas surprenant. Tes
sœurs voient le mal partout. Même pour les maux de tête, elles accusent le
diable
-
Elles n’ont peut-être pas tort cette fois
-
(totalement paniquée : il sait, mon Dieu,
il sait !) tu le dis sérieusement ?
-
Honnêtement, je ne sais pas. Je n’ai jamais été
vraiment malade. Et le fait est que je me sens réellement mal mais la médecine
ne trouve rien
-
C’est peut-être parce qu’ils ne t’ont pas fait
les examens qu’il faut. On pourrait peut-être aller ailleurs…
-
Ou tout simplement aller voir qui m’en veut
-
Je ne crois pas à ces choses. Toi non plus
d’ailleurs. Qu’est-ce qu’elles t’ont dit qui te met dans cet état ? elles
ont un nom ? tu penses à quelqu’un en particulier ?
-
J’ai toujours eu beaucoup d’ennemis et tu le
sais
-
Justement. Inutile de chercher qui se cache
derrière. Encore que je pense que c’est tout simplement l’âge qui te joue des
tours. Cherchons plutôt comment te guérir. D’accord ?
-
Tu as raison. Je me donne encore quelques
semaines pour décider
Quelques
heures plus tard, les résultats des examens tombent. Une fois encore, son bilan
est nickel. Tout le monde en est surpris et aussi soulagé puisqu’il a vraiment
bonne mine. Tout le monde sauf moi. Parce que ces montagnes russes que son état
nous fait vivre m’inquiètent. Et je l’ai échappé belle ce matin avec cette idée
que lui ont mis ses sœurs en tête. Si jamais ils mettent pied chez l’un de
leurs charlatans, c’en est fait de moi. Depuis mon voyage, j’ai la preuve qu’en
matière de mystique, ces béninois ne blaguent pas. Qui va me sauver de leurs
mains ?