Je le veux...

Ecrit par Les Chroniques de Naty

Chapitre 30

(Aly Diakité)

Je sors de l’hôpital le cœur lourd. Je ne me suis jamais senti aussi mal de toute ma vie ; j’ai le cœur en lambeaux, mon amour et mon amour propre ont été piétinés par la seule femme que j’aime. Pourquoi faut-il que ce soit toujours les personnes que nous aimons qui nous fasse le plus souffrir ? J’ai tout donné à Ayana, TOUT ! Sans exception. Mon cœur, mon temps, mon affection, ma tendresse et par-dessus tout ma confiance. Je suis un homme très méfiant, cela dit j’accorde rarement ma confiance aux gens. Le milieu dans lequel j’évolue a fait de moi quelqu’un de très sceptique, de prudent même je dirai. En affaire je suis pointilleux, je négocie des contrats de plusieurs millions de francs sans sourciller. Je suis implacable, strict et parfois ces traits de caractères peuvent friser la condescendance.

Mais ça c’est en matière de business. Là il s’agit de cœur, il s’agit d’amour et tout ce qui va avec ce sentiment. J’ai aimé cette femme et je continue de l’aimer. C’est le genre d’amour qui ne meurt pas aussi vite, qui a la peau assez tenace. Qui vous ronge de l’intérieur et vous fait perdre toutes vos facultés.

Elle n’a jamais su la portée réelle de ce que je ressens pour elle, elle a jouée avec moi, avec mon cœur.

Cela fait plus d’une demi-heure que je suis assis dans ma voiture entrain de ressasser toute cette histoire. Elle est enceinte mon Dieu !!! Elle attend des jumeaux, deux enfants. Deux bénédictions, deux fois la chance d’être parent, deux bonheurs en un. Au fond de moi je peux bien croire que ces enfants sont de moi, j’ai envie d’y croire et je le sens. Mais cette boule dans ma poitrine qui ne cesse de grossir, qui m’étouffe et me fais douter de tout. Elle m’a trompé bon sang ! Elle a laissé un autre homme la toucher après que nous nous soyons mariés. Je ne supporte pas l’infidélité, non je ne supporte pas qu’un autre homme puisse convoiter ma femme, soit elle est à moi, soit elle ne l’est pas. Je ne partage pas, non en amour je ne partage pas.

J’aime l’exclusivité, j’aime être le seul, l’unique. Je ne fais pas dans la demi-mesure ; Je peux accepter qu’elle ait connu un autre homme avant moi ; mais je ne peux concevoir que pendant que nous soyons mariés, elle puisse coucher avec un autre homme. Même si elle m’a juré le contraire. Sauf que je n’ai plus confiance en elle, en tout cas plus après tout ce que je viens d’apprendre. Mensonge, trahison, abus de confiance. Et pire le vol. Je me sens de plus en plus mal, et cette maudite migraine qui refuse de disparaitre. J’ai vraiment besoin de sommeil, car une est chose est clair je ne peux plus me rendre au bureau. Je n’ai plus envie de rien. Je ne sais plus quoi faire. Mais il faut vraiment que je trouve une solution à toute cette histoire.

Pour l’instant, il faut que je me calme. En plus je ne peux vraiment pas conduire dans cet état. Je descends de la voiture et hèle un taxi. J’enverrai le chauffeur récupérer la voiture plus tard. Parce que je ne compte pas remettre les pieds dans cet hôpital. Il faut que je puisse parler à quelqu’un, que je me libère la tête et le cœur au risque de perdre les pédales. 

Il est l’heure de la prière de 18h Lorsque j’arrive chez mes parents. Je me rends compte que je n’ai pas prié de la journée.

Je trouve ma mère assise dans la mosquée. Mon père a aménagé une des nombreuses pièces de la maison pour en faire un lieu de prière. Je vais d’abord faire mes ablutions et vient saluer ma mère.

—Salam Aleicoum Mah !

—Waleicoum Salam Aly répondit-elle en souriant. Comment vas-tu mon enfant ?

Je voulus répondre par l’affirmative mais elle saura que je mens. Elle me connait mieux que quiconque. Alors pourquoi lui mentir ?

—Je vais mal Mah ! Je vais très mal, j’ai besoin de te parler. Je parlais doucement, je murmurais même. Je ne voulais pas pleurer, pas devant ma mère. Je ne veux pas l’inquiéter. Mais en même temps j’ai besoin qu’elle me réconforte et me rassure. C’est ça le rôle d’une mère ; nous réconforter, nous rassurer quand plus rien ne va. Quel que soit l’âge d’un enfant, il restera toujours le « bébé » de sa mère. Par conséquent il n’ya que cette femme assise sur ce tapis de prière qui puisse m’aider à voir plus claire en moi. Elle seule trouvera les mots justes pour recoller les morceaux de mon cœur brisé, elle peut soigner et guérir ce cœur endoloris. Elle saura quoi dire, c’est ma mère et elle a toujours su quoi dire.

—D’accord mon fils, prions et après nous irons parler sur la terrasse.

Mon père est absent, il est surement à la mosquée. Il préfère prier là-bas. Comme il le dit toujours, à son âge, il n’a plus d’autres obligations que celle d’adorer son Créateur. Ainsi il passe le plus clair de son temps à la mosquée. Il est très dévoué à notre communauté et est toujours prêt à aider. Selon lui sa fortune est une épreuve de Dieu ! Un cadeau et en même temps une épreuve. S’il s’attache trop à ses biens matériels, il ne pourra en aucun cas aider son prochain. Et ses biens seront pour lui une source d’ennui, l’argent à tendance à rendre l’être humain orgueilleux et vaniteux. L’amour des choses et de la vie d’ici-bas nous font souvent oublier l’essentiel de notre vie ; c'est-à-dire adorer Dieu dans toute sa magnificence. Venir en aide aux nécessiteux, faire des offrandes, épauler la veuve, être là pour l’orphelin, aider les malades.

Après la prière, je me retrouvais assise avec ma mère. Le soleil avait complètement disparu, il faisait assez nuit maintenant. J’aime bien notre terrasse, elle est silencieuse et propice à l’introspection. La maison est bien calme aujourd’hui. Surement que les enfants de mes sœurs sont retournés chez elles. Chacune d’entre elles envoient ses enfants passer quelques jours avec leur grand parent qui adore prendre soin d’eux. Je suis le seul qui n’ait pas encore d’enfant. Mais une petite voix me rappelle que je serai bientôt papa. Mais je la chasse assez vite. J’ai encore des doutes sur le fait que je puisse être le père des jumeaux.

—Qu’y a-t-il Aly ? De quoi veux-tu me parler ?

Je réfléchissais à une meilleure manière de lui expliquer la situation. Je sais bien ce que pense maman de ma femme. Après ce qu’elle lui a fait, ma mère ne la porte plus trop dans son cœur. Elle lui a certes demandé pardon, mais cela n’efface en aucun cas l’affront et le manque de respecte dont a fait preuve ma femme. Et à cela s’ajoute l’altercation avec mes sœurs le jour de mon anniversaire. Je me rappelle que ma mère m’a grondé pour avoir défendu ma femme. Et quand je pense je me suis mis tout le monde à dos, je suis envahi par la colère et la frustration. Mais encore plus par la honte ! Je me suis laissé gruger par cette fille et sa bouille d’ange. Ma peine est encore plus grande quand je pense à tous les sacrifices que j’ai consentis pour elle.

—Ayana est enceinte… elle attend des jumeaux !

Ses yeux s’écarquillèrent de surprise. Je crois qu’elle ne s’attendait pas à une telle nouvelle. Elle me parait heureuse !

—Mais c’est un excellent nouveau ça Aly ! Félicitation mon enfant Dieu a enfin entendu mes prières, tu seras papa, tu connaîtras enfin la joie d’avoir un enfant ; que dis-je deux enfants.

Je ne répondis pas, j’avais le regard perdu. J’entendais ma mère parler mais je ne prêtais pas attention à tout ce qu’elle disait. J’étais loin, très loin. Mes pensées volèrent pour revenir deux années en arrière. Je pense au jour où j’ai vue Ayana, la première fois où je l’ai aperçue à la mosquée. Je suis immédiatement tombé amoureux d’elle ! J’ai connu et j’ai aimé des femmes durant mon cursus universitaire en Tunis, mais jamais je n’avais ressentis ce genre de chose auparavant. J’ai su dès lors que c’est avec elle que je voudrais me marier, je me rappelle encore que nos regards se sont croisés mais elle n’a pas fait attention à moi. Elle ne semblait pas m’avoir vue. Par contre son visage est resté gravé dans mon cœur et dans ma mémoire. Et quand le mariage a été célèbre, j’ai été encore plus heureux de voir enfin mon vœu se réaliser. J’ai épousé celle que j’aime, même si la suite des événements a été quelque peu cauchemardesque pour moi, cela n’empêche pas que j’ai été heureux d’avoir pu matérialiser mon rêve.

Combien ont la chance de vivre avec la femme qu’ils ont désirée ou convoitée ? Même si aujourd’hui je regrette amèrement tout ce qui s’est passé. J’ai l’impression d’avoir été faible. Je n’ai pas su m’imposer. Mais je n’ai jamais conçu le mariage comme une relation entre un supérieur et son subordonné, alors pourquoi vouloir imposer ma volonté ? La communication rapproche les hommes, cela dit elle doit être le socle de toute relation, et elle est accompagnée en cela par la confiance et la tolérance. J’ai communiqué avec Ayana, je lui demandais toujours son avis avant de prendre une décision et je me suis fait souvent humilier. Mais j’ai accepté tout ça par amour. Je lui ais accorder ma confiance, mais elle m’a trahi ; je lui pardonnais tous ses écarts de conduites en espérant qu’elle puisse changer un jour. Mais non elle devenait pire, elle devenait plus menteuse et manipulatrice.

—Aly ? Aly ? Tu m’écoute quand je te parle ?

Je sens la main de ma mère sur ma joue. Elle essuie mes larmes. A quel moment me suis-je mis à pleurer ? Quand mes larmes sont-elles commencées à couler ? Je ne me suis même pas rendu compte que je pleure. En principe un homme ne pleure pas.

NON UN HOMME SE DOIT D’ETRE FORT EN TOUT LIEU ET EN TOUT TEMPS !!!

Mais un homme a aussi un cœur, il est doté de sentiments et lorsque ceux-ci sont foulés aux pieds, il peut se permettre de pleurer. Oui il peut se laisser aller à extérioriser ce mal être qu’il ressent. Je suis comme un boxeur à terre, j’entends le décompte de l’arbitre ; je vais me relever, je le sais parce que je me relève toujours. Seulement que là je veux juste me reposer, j’ai assez encaissé.

—Oui Mah je t’écoute. Dis-je en essuyant à mon tour mes larmes.

Elle me regarde, de ce regard tendre que seule une mère a le secret.

—Je sais que tu souffres mon enfant. Je le sais et je le sens ; tu es mon fils et je te connais parce que je t’ai vue naitre, je t’ai vue grandir et je connais la moindre de tes douleurs. Je ressens tout ce que tu ressens. Je veux seulement te dire qu’il est bon que tu puisses parler, parle mon enfant, parle et libère toi de ce lourd fardeau que tu portes. Décharge-toi. Tu mérites de souffler ne serait-ce qu’une minute et sache que je suis prête à te décharger.

Elle sait trouver les mots, elle sait quoi dire. J’ai bien fais de venir la voir.

—Pourquoi n’es-tu pas heureux alors que tu seras bientôt père ?

—Je regrette ce mariage Mah ! Je ne suis pas heureux, j’ai cru qu’avec le temps tout s’arrangerait, mais non ça n’a pas été le cas. Ma femme ne m’aime pas et elle ne m’aimera jamais. Je suis un homme et j’ai besoin d’une femme qui puisse s’occuper de moi, me comprendre, m’aider. M‘épauler dans toutes mes prises de décisions, pleurer quand je pleure et rire quand je ris. Elle doit pouvoir être capable de lire en moi comme en un livre ouvert, comprendre les paroles sous mes silences. Mais je n’ai rien connu de tout ça dans mon mariage. Je n’ai connu que tristesse et solitude. Tu me connais, tu sais bien que je suis incapable de faire souffrir sciemment autrui, à fortiori ma femme ; celle avec qui je partage tout ; alors pourquoi m’a-t-elle infligé toute cette peine ? Je ne demandais pas la mer à boire, je voulais juste être pour elle ce qu’elle représente pour moi.

Je parle et ma mère m’écoute sans m’interrompre. Sa main caresse doucement la mienne comme elle a l’habitude de le faire lorsque nous parlions. Cette femme me connait, elle sait comment me rassurer. Elle est l’oreille dont j’ai besoin.

A la fin de mon récit, un silence plane entre nous. Je suis soulagé d’avoir vidé mon sac. Je me sens vide, je me sens bien ; j’ai pu me décharger de cette douleur qui m’oppressais le cœur. C’est clair que j’ai toujours mal, mais la douleur est moindre maintenant que j’ai pu me décharger de toute cette tristesse. Et je sais qu’après m’être confié à ma mère, elle me dira qu’elle avait raison et que je n’ai pas voulu l’écouter quand elle me mettait en garde contre ma femme. Je suis prêt à accepter tout ce qu’elle me dira. Je pense qu’elle abondera également dans mon sens.

Lorsqu’elle prit enfin la parole, sa voix était douce et neutre. Aucune colère, aucun reproche. Elle me conseilla objectivement, sans parti pris.

—Aly, mon enfant, le mariage est tout sauf une partie de jeu. Ce n’est pas un vêtement ou une chaussure qu’on essaie et qu’on enlève après. Non, il est très loin d’être aussi une partie de plaisir. C’est une lutte perpétuelle, une recherche de la satisfaction des besoins de l’autre. Le mariage est la seule relation où l’on tue le soi pour faire vivre le nôtre. On fait fi de ses propres désirs et plaisirs pour s’occuper du bon vouloir de l’autre. Tu es un homme de parole, un homme de confiance. Je te sais intègre et droit. Alors je sais que tu sauras prendre la meilleure décision. Mais en tant que mère je te conseille de bien réfléchir à ce que tu ferras ; je ne juge pas ta femme, qui suis-je pour porter un jugement sur mon semblable ? Quel que soit les erreurs qu’elle a pu commettre, elle mérite d’être pardonner.

J’écoute maman parler, mais encore une fois je me perds dans mes pensées. Pourquoi veut-elle que je pardonne à Ayana ? Après tout ce qu’elle m’a fait endurer. Les larmes sèchent, mais les blessures restent et on n’oublie pas !!! On fait juste semblant. Non Mah je refuse de pardonner cela, mon cœur blessé refuse de laisser passer tout ce qui a été fait.

—Pardonne lui, tu seras bientôt père. Et un enfant a besoin de ses deux parents pour mieux grandir et évoluer dans un environnement sain. Maintenir l’équilibre dans la famille doit être le plus important pour toi. Tu dois créer un foyer propice pour la venue prochaine de tes enfants. C’est ton devoir en tan…

Je l’interromps avant qu’elle n’aille plus loin dans ses propos. Je ne peux accepter qu’elle prenne partie pour Ayana, non je ne peux accepter cela. Pas après tout ce qu’elle m’a fait, qu’elle nous a fait. Parce que nous avons tous souffert d’une manière ou d’une autre de sa faute.

—Non Mah ce que tu me demande est au-dessus de mes forces. Je suis certes indulgent, mais je ne serai pas stupide au point de lui pardonner ses erreurs.

—Que comptes-tu faire alors ? demanda-t-elle en ramenant son voile sur ses épaules. C’est vrai qu’il fait froid ce soir. Je sens qu’un orage se prépare. Comme si le temps est en accord avec mon humeur, parce que dans ma tête et mon cœur un gros orage se faufile à l’horizon. Il fera des dégâts, beaucoup de dégât même.

—Je veux divorcer ! Répondis-je le plus calmement du monde. Un calme apparent parce qu’au fond de moi je suis brisé. Je veux me séparer de ma femme Mah.

Oui je veux rendre à Ayana cette liberté qu’elle a tant convoitée et recherchée.

Esclave de mon cœur