Je rentre chez moi

Ecrit par Gioia

Michael Koumah

Deux semaines se sont écoulées depuis ma discussion avec Madina. Il s’est installé comme un froid entre nous. Techniquement j’aurais dû mettre fin à notre histoire enfin si on peut même considérer ce qu’on appelle ainsi. Mais Didina étant attaché à elle, je me sens obligé de laisser le petit voir sa mère sinon sa grosse tête passe des journées à fixer la porte avec un air abattu là. Les chiens sont forts dans la manipulation, c’est avec ce cabot que je le découvre. Du coup, Didina est le seul lien et constitue à peu près la majorité de nos échanges récemment. Il m’arrive d’aller chez elle, mais je n’ose plus entrer dans sa chambre et sans mentir l’acte anodin de pénétrer dans son intimité me manque à un point que j’ai du mal à comprendre. Mais bon je suis un adulte, et on n’a pas tout ce qu’on veut alors je digère mes états d’âme plutôt que m’enfoncer dans une relation platonique qui finira en échec en même pas deux voire trois mois.

Là je débarque du travail et m’en vais retrouver Yannick au CHUM pour qu’on déjeune ensemble.

— Le grand, dis-je ravi de voir sa tête et le check, ça roule

— Je suis lessivé man. Je compte les heures pour retrouver mon lit et ma femme.

— Il y’en a qui sont chanceux de trouver un lit chauffé hein.

— La coagulation te menace on dirait, se moque-t-il en buvant sa vanille française.

— Plus pour longtemps, je réplique avec un sourire carnassier qui en dit long.

— Non, Mico tu m’avais promis bon sang. Tu as promis d’être réglo avec Madina. C’est mon amie, il m’accuse subitement d’un air grave.

— Eh détends-toi, il n’y a rien entre elle et moi, j’ai pris mes distances.

— Quoi? Après tout ce raffut tu laisses tomber? il s’étonne.

— Bah c’est pas ce que toi et ta femme vouliez?

— En fait, commence-t-il en se grattant la tête, après la petite panique, j’y ai songé et je me suis dit que, bref laisse tomber.

— Tu t’es dit que j’allais gentiment comme un toutou entrer dans une relation platonique quoi? Quand tu vois ma face, je ressemble au môme de 15 ans que tu as connu ou bien un homme qui aura bientôt 28 piges? Donc moi je dois mourir de coagulation pendant que vous vous profitez des bonnes choses hein, merci. C’est moi ton cabri, dis-je en buvant mon café.

— C’est sûr que ce n’est pas simple, dit-il toujours songeur. Mais admets que tu n’as même pas essayé. Te connaissant je pensais que tu allais insister davantage et bon peut-être que les sentiments allaient te coincer là-bas quoi.

— Quand on se connaît, on ne fait pas des bêtises pareilles. Tu peux t’imaginer faire un an avec Laure pendant et ne pas l’entendre gémir les «Yanou» et «les chéris plaintifs» qu’elle te sort souvent là? l’interrogé-je en imitant la voix de sa femme. Tu peux te passer de ça?

— Yo c’est de ma femme que tu parles hein. Moi je l’ai épousé. J’ai le droit d’entendre ça, il dit après m’avoir lancé une frite.

— Je l’ai dit, c’est moi ton cabri. Je vois ton cœur. Ce que toi-même tu n’as pas pu supporter là c’est sûr moi tu veux faire.

— Hayii c’est bon non. J’ai déjà accepté que c’est pas simple. 

Heureusement pour sa face allongée, on change de sujet et après une heure à papoter chacun retourne à son occupation professionnelle. Le soir, je m’occupe vite fait de l’entretien de l’appart et sur un coup de tête j’appelle Madina une fois dans mon lit. Elle répond à mon appel vidéo, ce qui m’étonne en premier pourtant c’est moi qui l’ai lancé. Je la trouve également dans son lit, visage bien brillant comme quelqu’un qui vient de s’hydrater après une douche. J’imagine comment sa peau doit être douce et l’odeur délicate de son lait de corps me chatouille les narines comme si elle était à mes côtés. On ne devrait pas tenter l’humain comme ça.

— Yo, ce fut la seule chose que je pus dire après de longues minutes à l’observer.

— Yo, elle me répond en retour, et c’est parti pour un autre silence qu’elle finit par rompre.

— Tu as appelé pour faire un concours de regard?

— J’ai appelé parce que tu me manquais et je rêvais de ton lit douillet, avoué-je d’une traite.

— Il est comment ton lit?

— Dur et froid comme celui des prisonniers, je souffre, je dis et elle me sourit.

— J’ai acheté le mien chez Brick. Ils font des promos actu. Tu peux regarder demain.

— Est-ce que le lit chez Brick vient avec toi en prime?

— Nope, dit-elle en soulevant les bras pour enrouler ses tresses en chignon et résultat, sa couverture descend au point que je remarque le délicat haut en coton et dentelle qu’elle a sur elle.

— Donc tu as des petites tenues comme ça, mais quand j’étais là tu ne mettais pas?

— Michael, je ne vais pas aller sur ce terrain avec toi. 

Je l’observe là couchée sur ce lit seule, belle comme un cœur et pourtant madame continue tranquillement à me bloquer alors qu’on se désire punaise! On sait déjà ce qu’on ressent alors c’est quoi le jeu? Au lieu de fixer l’écran ici on aurait pu être enlacés, et emmitouflés sous la couette à se faire du bien doucement sans stress. Tout d’un coup, je me sens même vexé pour rien, alors je lui souhaite bonne nuit pour abréger mes souffrances et elle ose me le retourner sur un ton sincère. Si ce n’est pas l’hôpital qui se fout de la charité, c’est quoi? Je vais dormir bien quand mon cerveau s’amuse maintenant à imaginer ses seins nus. Une poitrine moyenne, que je n’ai aperçu qu’une fois et j’avais encore le sommeil sur les yeux. Franchement qui refuserait de tirer, jouer et lécher des tétons pendant au moins un an tout ça pour une affaire d’abstinence. Pas moi oh. J’éteins la lumière sur cette pensée, et prie pour que ses pensées me laissent en paix.

Un mois s’est écoulé et les choses n’ont pas évolué en ma faveur. Je tourne toujours autour d’elle sans même le vouloir maintenant. À chaque coin ou tournant de rue, j’ai l’impression de sentir sa présence et ça commence à m’étouffer. Je ne me suis jamais senti comme ça pour une potentielle conquête, on ne parle même pas d’une copine avec qui j’ai tissé des sentiments. Non, une potentielle conquête. Mais je me sens tellement envahi que les différents rencards auxquels j’ai été n’ont rien donné de concret.

Aujourd’hui encore, je dois la voir à la répétition de chorale. Quel que soit ce que je ressens, il est impensable pour moi de négliger mon rôle parce que j’ai envie de fuir une femme, car pour moi performer c’est une vocation. Je ne suis pas de ceux qui prient longtemps, ou reçoivent des visions. Non moi ce sont aux instruments que j’ai la sensation de servir mon créateur avec justesse alors je m’efforce de ne jamais le négliger.

Elle prend le micro pour faire ses échauffements de voix sur «Tu es le Dieu de miracles» et sa voix coule sur ma peau comme une caresse. D’un sentiment doux et réconfortant, mon esprit pervers commence à imaginer cette même voix dans un autre registre. Des images de corps nus transpirants défilent comme des flashs et je me sens directement coupable. Pourquoi aussi Dieu tu m’as créé sensible à la chose comme ça? Pfff, je m’efforce de chasser tout ça de mon esprit en fredonnant la version de «C’est de toi que l’on parle Jésus» dans une langue locale, chanson favorite de ma mère.

Après maintes réflexions, j’annonce à mon cousin le dimanche après le culte, que j’allais finalement rentrer plus tôt à Abidjan. Comme d’habitude sa grande gueule n’a pas su garder la nouvelle pour lui. Très vite le bruit s’est propagé et deux semaines plus tard, un petit groupe décida de me faire une fête surprise chez Yannick et Laure. Madina en faisait partie. Toute la soirée, je me suis appliqué à fuir au maximum Judith qui me collait comme un bonbon fondant colle à l’emballage dans la chaleur. Ce soir, la température s’est réchauffée donc j’en profite pour m’éclipser sur le balcon. Je me croyais seul quand mon attention fut attirée par le bruit de la porte coulissante.

— Judith c’est comment et........, commencé-je agacé, mais ma phrase s’arrête là quand je vois que c’est Madina que j’ai en face. C’est toi, dis-je simplement.

— Oui, ça va?

— Ouais et toi

— Ça peut aller, dit-elle venant s’adosser aussi sur la rampe pour contempler la vue. En fait non ça ne va pas trop, elle finit par dire et me regarde.

— Pourquoi?

— J’avais prévu la jouer dans mon coin, mais je ne suis pas forte pour vivre avec des questions. Je pensais qu’on s’entendait assez pour que tu me dises au moins que tu t’en allais.

— Mais tu le sais maintenant, dis-je feignant de ne pas comprendre où elle voulait en venir, mais au lieu de battre en retraite et nous éviter cette scène difficile, elle continue.

— Ton patron a besoin de toi au pays alors?

— Disons que j’ai plutôt fini ce que j’avais à faire et rien ne me retient ici donc, dis-je en laissant ma phase en suspens pour je ne sais quelle raison.

— Oh, OK. Si c’est comme ça alors, rentre bien et bon voyage. Moi je vais y aller, elle me dit simplement et s’en va sans que je ne puisse rajouter un mot, pourtant j’ai envie de parler. J’ai envie de tellement de choses avec elle.

Tout ça doit me faire passer pour un plaisantin, mais qu’est-ce qu’elle veut que je fasse après tout? C’est elle qui ne veut pas d’une relation sérieuse. 

Apparences trompeuse...