Jour 17 : Fin de la solitude
Ecrit par Owali
****Massa Ndira****
Je regarde encore un instant mon reflet dans l'eau de ce petit lac, étonnée de voir que même mon apparence a changé. En seulement une semaine je me suis transformée en une toute autre personne... une toute autre Massa.
Mon regard est devenu absent... vide et un brin coriace. Mon menton beaucoup plus volontaire, mes épaules bien droites, le corps amaigri mais beaucoup plus musclé, la peau plus noire, les cheveux en bataille... Je ne suis plus moi. Aussi bien physiquement que mentalement. Plus depuis que je suis livrée à moi-même dans cette jungle où des choses plus farfelues les unes que les autres me sont arrivées.
Je me redresse lentement et entreprends de me déshabiller pour me nettoyer un peu. Je plie mes affaires que je pose près du lac et je m'enfonce lentement mais sûrement dans l'eau. Je ne m'y attarderai pas bien longtemps, Dieu seul sait quel genre d'animal rôde par ici, je n'ai pas envie de me retrouver à courir dans cet endroit seulement vêtue de mes sous-vêtements.
Je me nettoie le corps assez rapidement, du mieux que je peux et ressors de là. Pendant que l'air chaud de l'île me sèche le corps, je me passe les mains dans les cheveux et me rends compte qu'ils sont tout emmêlés. Sur un coup de tête je décide de me fabriquer une brosse à cheveux pour démêler un peu mon afro.
Je me mets à chercher et à ramasser des branches assez petites et assez solides pour faire l'affaire. Quand j'en ai trouvé assez, je retire l'élastique qui me retenait les cheveux et attache les branches ensemble par le bas en les serrant bien entre elles. Je me mouille ensuite la crinière puis me mets à la peigner aussi délicatement que possible. Sans m'en rendre compte, les vieux réflexes revenant sûrement, je me suis mise à les rassembler en grosses nattes qui me retombaient sur les épaules. Quand j'ai fini, je me suis rhabillée, ai mangé les fruits que j'avais cueilli le matin même avant de me remettre à avancer plus pour trouver un meilleur abri que pour enfin dénicher l'hypothétique hôtel sensé nous accueillir sur ce petit coin de malheur.
Tout en marchant, je me remets à penser à tout ce qui s'est passé depuis le soir des coups de feu. Dans notre moment de panique, les filles et moi nous sommes séparées et well... c'était la chose la plus conne à faire parce que maintenant Larissa est morte, j'erre seule depuis des jours ici et je ne sais pas ce qui est arrivé à Liliane.
Comment je sais que Larissa est morte ? Parce que j'ai vu son corps. Enfin ce qu'il en restait. J'essayais de revenir au campement de fortune qu'on avait trouvé en espérant que les filles auraient la même idée que moi mais je n'ai pas jamais retrouvé le chemin.
Au lieu de cela je suis tombée sur un corps suspendu à un arbre… au milieu d’un cercle formé par des bougies blanches. Je ne saurai expliquer ce que j’ai ressenti quand j’ai vu que c’était Lari. Je suis restée un long moment à regarder le corps de mon amie et c’est alors qu’entre mes larmes, j’ai vu un petit truc blanc bouger sous l’effet du vent.
Lentement, je me suis approchée de l’arbre sur lequel elle était et me suis rendu compte que c’était un bout de papier. Il avait l’air d’avoir été arraché d’un bouquin. Je l’ai décroché de l’arbre et me suis mise à lire ce qui y était inscrit. Au début j’étais un peu perdue mais les souvenirs me sont bien vite revenus en voyant les prénoms Nahema et Marco. C’était un bout de roman… Mais qu’est-ce que ça signifiait ?
J’ai relu le texte plusieurs fois en espérant y déceler un quelconque indice sur la raison de notre présence ici mais rien. Cela ne m’avançait à rien. J’ai fourré le bout de papier et ce qui avait servi à l’accrocher dans ma poche.
Je regardais autour de moi en essayant de voir d’autres éléments sur cette scène mais rien… c’est alors que je me suis souvenue d’une phrase que mon fiancé me disait tout le temps : « You need to see the bigger picture (tu dois voir la scène dans son ensemble) ».
J’ai fait quelques pas en arrière, assez pour pouvoir voir l’endroit où ma copine avait été sacrifiée dans son ensemble… mais c’est ça !? Sacrifice ? Ça ressemble tout simplement à un sacrifice ! Je ne sais pas pourquoi je me suis mise à compter le nombre de bougies autour d’elle. 1…2…3…… 12. Il y en avait 12.
Je tentais de comprendre ce que ce nombre signifiait quand mon attention a été attirée par une tâche rouge sur l’arbre. Vu comment elle avait été tuée, il n’y avait aucune raison qu’il y ait du sang sur cet arbre à moins que quelqu’un en ait délibérément mis à cet endroit. Je me suis approchée et j’ai retenu un cri d’horreur en voyant ce qui était inscrit avec le sang de la pauvre femme : « …. ».
Je suis restée un long moment, estomaquée par ce spectacle macabre, les yeux fixés sur ces lettres avant que des bruits étouffés dans la nuit noire ne me sortent de ma torpeur. J’ai dit une prière rapide pour Lari avant de m’en aller aussi rapidement que possible. Je pense que c'est à ce moment-là que j'ai commencé à changer et à vivre cette aventure en mode automatique. Tout ce à quoi je pense c'est que je ne veux pas mourir atrocement. Je ne mérite pas de mourir de cette manière.
Quand je courais comme une folle pour échapper à une hyène, quand j'ai failli me faire engloutir par du sable mouvant, quand j'avais tellement faim et soif que je délirais et que j'avais des hallucinations, quand j'ai compris que quelqu'un me suivait à la trace et que quoique je fasse cette personne semblait être toujours là, tout ce que j'espérais c'est qu'on n'avait pas prévu la pire des morts pour moi.
Parce que oui je suis convaincue que je suis suivie, observée et traquée. En tout cas, je l’étais au début de mon périple solitaire dans cette jungle. Sinon je ne comprends pas comment la bête qui me pourchassait est soudainement tombée sous l'effet d'une flèche anesthésiante juste au moment où elle allait me mettre la main dessus.
Je ne comprends pas non plus comment après trois jours sans rien à boire ou à manger, je me suis réveillée avec un sac de fruits et de l'eau près de moi.
Ou alors comment pendant que je m'agrippais fermement à un arbre pour ne pas me faire aspirer par la terre, j'ai senti un coup violent s'abattre sur ma tête et je me suis réveillée saine et sauve couchée près d'une gourde remplie d'eau.
Alors oui j’étais surveillée et à voir ce qui se passe, on dirait que la personne derrière tout cela juge qu'il n'est pas encore temps pour moi de rencontrer la grande faucheuse...
Mon bâton en main, cela doit bien faire une heure que je marche dans la forêt à la recherche d’un abri pour la nuit. Je ne sais pas pourquoi mais je n’ai pas encore trouvé un endroit dans ce trou perdu où je me sente ne serait-ce qu’un peu en sécurité (encore que je doute que ce ne soit possible).
En plus, avec cette sensation d’être tout le temps observée et traquée, je ne me sens pas l’envie de rester à un même endroit deux nuits de suite. Même si c’est vrai que ça fait un long moment que personne n’est « miraculeusement » intervenu dans mon aventure ici comme si la personne qui me servait d’ombre depuis que j’étais séparée des filles avait perdu ma trace, je préfère changer de planque aussi souvent que possible.
Perdu dans mes pensées, je ne fais pas attention à où je mets les pieds et fonce droit dans un arbre, la tête la première. Et merde ! Maintenant je comprends pourquoi ma mère me disait tout le temps : Massa, lèves la tête quand tu marches, tu vas finir par te blesser un jour. Mais c’est une habitude de timide et même aujourd’hui que je ne me considère plus comme tel, j’en ai toujours les habitudes.
-Aiiieeeee ! Putain !
Ouie… ça faisait longtemps que je n’avais pas dit de gros mots mais ça faisait un mal de chien dis donc. Je lève la main sur ma tête pour voir si je saigne quand j’entends une voix masculine quelqu’un dire :
-Il y a quelqu’un ?
-….
Est-ce que je dois répondre ? Presqu’automatiquement, je lève mon bout de bois devant moi.
-Hee hoo fait une femme quelques secondes plus tard
Je connais cette voix. Cet accent…
-Je suis par là
Dix secondes plus tard, je vois des feuilles bouger et des corps émerger d’une partie touffue de la forêt à ma gauche. Quand les trois personnes devant moi lèvent enfin la tête, je reste prostrée à les regarder me fixer. On reste là un long moment, moi ne croyant toujours pas être tombée sur eux. Nathalie ? Charles ? Noémie ?
-C’est vraiment vous ?
-Oh Massa ! s’écrie Nathalie en venant me prendre dans ses bras. J’ai tellement eu peur pour toi quand je les ai entendus parler de toi !
-Massa ? Tu es là aussi ? crie Noémie
-Tu vas bien ? me demande Charles
-Je… Je vais bien fais-je pendant que des larmes coulent sur mon visage. Je n’en reviens pas. Je ne suis plus seule ! Mon Dieu ça fait plus de jours que j’erre ici complètement livrée à moi-même ! Je suis si contente de vous voir ! Enfin un homme ! Fais-je en serrant Charles dans mes bras.
Je les prends dans mes bras et après un long moment à pleurer et à se réjouir, Charles nous qu’il faut bouger parce que nous sommes trop proches de l’endroit où Nathalie était retenue captive. Pendant que nous marchons à la recherche d’un endroit sûr, nous essayons de reconstituer le puzzle ensemble, de réunir les informations que nous avons pour savoir où aller maintenant.
Au bout d’un long moment, Charles décide que nous pouvons enfin nous asseoir et nous nous installons sur de petits bouts d’arbres posés à même le sol.
Nathalie : Aucun de nous n’a aucune idée de ce qui se passe exactement ?! Qui est Rach ? Qui est cet homme qui m’a retenue captive tout ce temps ?
Charles : Je n’en sais rien Nathalie. Ce dont je suis sûr c’est que quelqu’un nous veut tous morts sur cette île… et que nous ne sommes pas les seules victimes de cette mascarade
Noémie : Pourquoi tu dis ça ?
Il se baisse et se met à fouiller dans son sac pour en sortir un sachet bleu qu’il pose devant lui.
Charles : A cause de ça.
Je prends le sachet et sors son contenu.
Moi : Des passeports ?
Charles : Je les ai trouvés dans la mer en allant pêcher. Il y en a 13. Et les autres sont tous des gens que nous connaissons.
Je fais passer les passeports après les avoir inspectés et les filles et moi confirmons que nous connaissons les autres personnes sur ces pièces d’identité.
Nathalie : Ils doivent être quelque part sur cette île…
Noémie : On devrait essayer de les retrouver… et tirer tout ça au clair.
Charles : Je suis d’accord avec toi
Nathalie : Moi aussi
Moi :…
Noémie : Massa ?
Moi : Oh… euh oui moi aussi
Charles : Qu’est-ce qui ne va pas ?
Moi : Il faut que je vous parle de quelque chose…
Charles : On t’écoute
Moi : C’est à propos de Larissa…
Je me suis mise à leur raconter mon aventure, le soir où nous avons trouvé la clairière, les coups de feu, notre fuite, la mort de Larissa…
Noémie : Douze bougies ?
Moi : Oui
J’ai sorti le bout de texte de Larissa de ma poche et leur ai donné.
Moi : C’est un bout du roman de Larissa. Je l’ai trouvé sur l’arbre où elle a été suspendue
Nathalie : Mon Dieu !
Moi : Et euh… il y avait un mot… pour nous apparemment
Noémie : Un mot ?
Moi (en hochant la tête) : oui. Ecrit avec le sang de Lari sur le fameux arbre
Charles : Tu te souviens de ce qu’il disait ?
Moi :… Je ne pourrais jamais oublier ces
mots… c’était : « Plus que 11 »