L' antichambre de l'enfer
Ecrit par Meritamon
Marrakech et l'après Marrakech....
C’est en regardant les photos de nous deux que
je me suis aperçue que cette histoire n’aurait pas dû commencer. Je me suis dit
qu’il n’y aurait pas eu cette journée, où son regard a effleuré ma peau, ni
existé le moment où ses pulsions se sont dirigées sur moi, alors que nos
destins s’entrelaçaient.
Je me suis égarée avec Xander dans des chemins
tortueux où jamais personne d’autre ne m’a menée auparavant. Fatalement, j’ai glissé dans ce qu’il voulait
que je devienne. Son objet et le bien qu’il pouvait disposer quand et où il
voulait.
La fille de 17 ans que j’étais alors n’était
pas préparée à vivre une telle liaison et ses conséquences. Aurais-je pu
contenir sa nature aujourd’hui? La femme entière que je suis devenue aurait-elle
su comment un homme comme lui fonctionnait? Je l’ignore encore aujourd’hui.
Le catalogue touristique de l’hôtel annonçait
que Marrakech est une ville magnifique, qu’il faut avoir visité au moins une
fois dans sa vie, avec sa Médina, sa place centrale avec ses souks et ses
charmeurs de serpents, son vieux quartier, ses palais et son Jardin Majorelle.
Je n’ai pas vu grand-chose de cette ville mais
je l’ai ressentie en moi, vibrante et parfumée à la cannelle, dans ce quartier
populaire où je me réfugiai bien après le drame, dans cette petite chambre d’où
je ne sortais que pour me rendre à l’hôpital, faire vérifier le plâtre de mon
poignet brisé, mes blessures au visage, mes côtes fêlées. Parce que Marrakech
et moi sommes à jamais liés par la douleur et les coups.
Que gardent les villes des drames de ceux qui
les habitent? Rien que le sable du désert n’emporte. Les villes existent pour
servir de décor dans le grand théâtre de la folie des hommes.
J’y ai laissé des morceaux de moi lorsque sa
colère, sa haine et sa possessivité se sont déchaînées comme un ouragan; quand ses
coups sur moi sont devenus une façon de mesurer mon attachement à son égard, un
peu comme font les enfants capricieux pour mesurer « jusqu’où » on
les aime… jusqu’où la corde peut encore tenir avant qu’elle casse...
Salope! Petite traînée! Chienne! Ça
t’apprendra de me désobéir. Tu n’es rien sans moi, Éva!
Ses mots à lui qui me dépossédaient de ce qui
me restait pendant ces cinq jours où je ne vis rien de cette Ville que les murs
immaculés de notre chambre, qui devenaient les parois du puits dans lequel
j’étais emprisonnée avec son génie malfaisant. Est-ce un morceau de ciel au-dessus
du balcon?
Puis, Xander avait mêlé ses larmes aux miennes
comme chaque fois qu’il était pris de remords et m’avait supplié de lui
pardonner. Il disait que mes silences renfermaient ce qu’il ne veut pas
entendre et ce qu’il refuse de prononcer… puisque je ne voulais plus de lui.
Puisque le charme était à présent rompu.
-
Laisse-moi
partir…
-
Pas avant que je t’aie
tuée! Avait rétorqué Alexander Nielsen.
***********
Monia Chokri appelle Marrakech, l’antichambre de l’enfer, à cause de la chaleur qu’il y fait en été.
Elle est agente de
police. Elle n’aime
pas la pagaille de sa ville surtout pendant la période des grandes vacances. C’est la veille de la fête de l’Eid el Kébir, un parfum
d’euphorie et d’excitation flotte dans la ville qui se prépare à fêter le
lendemain.
L’auto poussive de
la police se faufile dans la foule de la Médina remplies de touristes et de
marchands à la sauvette. C’est que la police locale, surtout dans son district
à elle, manquait de tout, d’équipements et de personnel, et les salaires y sont
de misère, pas même de quoi s’acheter un mouton pour l’Eid. Comment
pouvait-on les prendre au sérieux comme flics quand ils intervenaient? ils n’avaient même pas d’armes! Rageait souvent la jeune femme.
Monia voudrait bien
terminer sa journée et retrouver sa famille. Mais il y a eu cet appel urgent auquel
son partenaire Hassan et elle, devaient répondre.
- Ils vont me devoir ce temps
supplémentaire, maugréa Hassan, de très mauvais poil. Je reçois ma
belle-famille et je n’ai pas terminé mes courses. Et là il faut que ça tombe
sur nous alors que nous terminons la journée.
- Ça va être rapide. Du grabuge dans un hôtel luxueux. Juste un couple de
touristes qui se dispute, l’avait rassuré Monia.
Bordel! c’était la
veille de l’Eid et Monia avait congé le lendemain. Elle pensa au parfum du
couscous de sa mère, aux brochettes de mouton qu’elles allaient griller
ensemble, le bouillon de cervelle de mouton dont elle se délecterait.
Lorsqu’ils
arrivèrent vingt minutes plus tard dans le luxueux hôtel, les agents de police sont conduits à
l’étage par la propriétaire, une française qui tient cet établissement.
C’est Monia qui a
frappé à la porte et s’est heurtée au silence. Elle avait collé son oreille à
la porte pour écouter s’il y avait du bruit de l’autre côté.
- Police! Ouvrez! Avait gueulé Hassan, insistant.
Tout de suite, la
porte s’entrouvrit. Un géant blond sortit la tête de l’embrasure. Il retient la
porte qu’il n’ouvre pas complètement.
- Que se passe-t-il ? Demanda-t-il avec suffisance.
- On nous a appelé pour des hurlements entendus dans cette chambre. Tout
va bien monsieur?
- Oui tout va bien. Je suis désolé du dérangement. Ça ne se reproduira
pas.
- Il y a une autre personne avec vous?
L’homme, agacé, répondit
qu’il est venu en séjour romantique avec sa copine, qu’ils se sont un peu pris
la tête tous les deux, que tout était rentré dans l’ordre à présent.
Hassan, avait regardé
Monia, rassuré. Les choses n’allaient pas traîner. Ses plans pour l'Eid ne
seront pas compromis.
- Tu vois Monia? Ce n’est qu’une scène de ménage.
Ensuite, il s’était
tourné vers l’étranger.
« Monsieur, nous
allons vous donner une contravention pour le bruit. Je vous invite à la payer
tout de suite. Il ne faut pas que ça se reproduise parce qu’il y a d’autres
clients dans cet hôtel qui veulent profiter de leur séjour ».
- Oui, je comprends, dites-moi combien je vous dois, dit l’étranger
soudain coopératif. Il semble avoir hâte de se débarrasser des agents de police.
Pendant que Hassan
sort son carnet, Monia scrute l’homme blanc en détail. Son regard à lui est
trouble et fuyant. Il y a quelque chose qui ne va pas. Elle le sent avec son
intuition et son expérience de policière mal payée mais compétente.
Elle remarqua alors
ses poings meurtris, des griffures à son cou. Une inquiétude la gagna.
- Je veux voir la femme,
exigea-t-elle, fermement.
- Je vous demande pardon?
- Votre copine? Est-ce qu’on peut la voir?
- Elle se prépare, nous sortons dîner.
- Je voudrais quand même jeter un coup d’œil dans la chambre, avait rétorqué
Monia, insistante.
L’homme blanc soupira,
agacé par son obstination.
- Puisque je vous dis que tout va bien, Madame Chokri, protesta-t-il à nouveau en déchiffrant son nom sur le badge.
Monia essaie de garder son calme
face à son attitude condescendante.
De plus, son
partenaire Hassan ne l’aide pas beaucoup en la laissant dealer seule avec
l’étranger blanc. Tout ce qui l’intéresse, c’est de vaquer à ses préparatifs de
fête.
- J’insiste, Monsieur.
Comme l’homme se
tenait toujours immobile devant la porte, elle le bouscula un peu et se
retrouva dans la grande suite en désordre. Une bouteille de champagne avait été brisée
par terre, le fil d’une des lampes de chevet avait été arraché, des menottes et
un string sur le lit attirèrent son attention… et ces marques de sang sur un
mur. Aucune trace de sa compagne.
- Monia, on va s’en aller, suggéra Hassan.
L’agente de police
ignora son partenaire. Un drame se passait sous leurs yeux.
- Avez-vous une pièce d’identité sur vous?
Demanda-t-elle à l’étranger, en ignorant Hassan.
Agacé, il lui tendit le passeport diplomatique qu’il
avait. C’était une grosse pointure dans une organisation internationale.
Alexander Nielsen, Head office manager.
Hassan, en voyant ça,
est impressionné mais il sait que sa partenaire est une teigne insensible.
La voilà qui se
dirige à la salle de bain. La porte est barrée de l’intérieur.
- Police! Ouvrez la porte!
***********
- Tout va bien, fis-je d’une voix étouffée derrière la porte close. Je
suis en train de me changer.
Avant de leur ouvrir la porte, Xander m’avait
ordonné de ne pas bouger au risque de me tuer.
- Ouvrez quand même la porte. Je veux vous parler! Insista l’agente de
police d’une voix forte.
Il y de longues
secondes de flottement où rien ne se produisit et Monia fut obligée de réitérer
sa demande.
J’entrouvris
timidement la porte et le regard horrifié de l’agente de police me renvoya mon
état lamentable. Je vis dans ses yeux
limpides le reflet de mon visage tuméfié, mon œil gauche qui ne s’ouvrait plus,
que je dissimulai derrière une mèche de cheveux, mes lèvres meurtries et la
blessure que j’avais sur le front lorsque ma tête avait rencontré le mur et que
le choc m’avait fait mordre ma langue.
- Putain... Hassan, ramène-toi! Avait crié Monia en arabe.
« Il a tabassé la fille ! »
Elle essaya de me
rassurer alors que craintive je cherchai Xander des yeux. Allait-il revenir
pour m’achever comme il l’avait promis? Je ne pensais qu’à une chose, m’enfuir
de cette chambre.
- Ne crains plus rien à présent. Tout est fini…
Elle me fit asseoir
sur le rebord de la baignoire parce que mes jambes ne me portaient plus.
J’avais reçu un coup de poing dans les côtes.
- C’est qui ce type?
- Mon petit ami… Nous nous sommes disputés… Est-ce que je risque d’avoir
des ennuis, Madame?
- Bien sûr que non. Lui, il pourrait en avoir si tu acceptes de venir au
poste avec moi et que tu le dénonces.
- Il me tuera.
- Il t’a dit ça?
- Oui…
- Il faut
alors que tu rapportes exactement ce que tu viens de me dire. Ça pourrait
servir contre lui.
J’avais hoché la
tête, dubitative alors que surgissait dans l’embrasure de la porte, l’agent de
police Hassan qui me lança un regard mauvais comme si j’étais un obstacle à
ses plans. Il y avait également autre chose dans ce regard-là. Plus malfaisant.
Et ce fut la toute première fois que je fus
confrontée au racisme dans sa forme la plus directe. Je compris que cet homme détestait
profondément ceux qu’il appelait les africains, les Noirs.
Hassan, gueula impatient en arabe.
- Monia, demain c’est l’Eid. Je n’ai pas envie de me taper cette affaire.
De plus, le mec est intouchable avec son statut diplomatique.
- Tu es décidément un con! On ne peut pas la laisser ici! Tu voudrais
qu’on la retrouve morte demain? Tout simplement parce que Monsieur veut aller
fêter l’Eid?
- Elle s’est fourrée dans une situation qu’elle a voulue, cette Charmuta.
Ces putes noires derrière ces hommes occidentaux.
Charmuta, ce mot qu'on voulait me coller, loin de chez moi.
- Mais regarde là, c’est une gamine! s’interposa sa collègue en ma faveur.
J’assiste à leur
altercation, mais mon esprit n’est pas dans la pièce. Peu m’importaient le
dégoût de l’Arabe, la bienveillance de sa collègue à mon égard, je voulais récupérer
mon passeport parce que Xander le gardait avec lui.
- Veux-tu porter plainte contre lui? Ton copain ou peu importe ce qu’il
est, a posé des gestes violents envers toi, me demande Monia.
- Non. Je ne porterais pas plainte… je ne peux pas…
- - Qu’est-ce que je te disais, Monia? Elle ne va pas porter plainte. Elle
nous fait perdre notre temps...
- La ferme Hassan!
Xander est parti, par la petite
porte, Il s’est confondu avec l’ombre. Derrière lui, un ruisseau de larmes a
jailli.
Il a demandé à être réaffecté dans un
autre pays. Il a mis fin à son contrat dans son organisation.
C’est comme si j’avais rêvé nous
deux, l’impression d’être encore dans le rêve devenu cauchemar.
Ma vie ne ressemble plus à
l’ancienne. Pendant longtemps, il est revenu me hanter dans mes rêves, mes
angoisses quand la nuit tombe. Et qu’il faut que je ferme les yeux. Je n’y
arrive pas parce qu’il est dans ma tête.
Sa voix au téléphone est un rêve
éveillé. Elle s’est tue. Il s’est détaché de moi.
Je suis restée au Maroc puisque le sable du désert avait effacé mes pas. Je ne pouvais plus retourner chez moi parce que je devais guérir de mes blessures physiques et celles de l’âme, plus longues à guérir. Je pris l’autobus pour Casablanca, m’y installai quelques mois. Je gagnai ma vie en faisant des ménages chez des particuliers. Je fêtai mes 18 ans seule, assise sur une plage de Casa, au milieu des mouettes, avec un petit gâteau et une bougie pour fêter mon passage à l’âge adulte, et une fleur que je m’offris. J’avais compris que je devais prendre soin de moi, avoir de la compassion pour l’être complexe et vulnérable que j’étais, d’accepter d’être vulnérable.
J’étais loin de ma famille. Mes
frères ne comprirent pas ce que je faisais au Maroc ni la raison de ma distanciation, c’est moi qui devenais
à présent un vide dans leur vie.
Étrangement, cela fut plus facile avec
ma mère. Lorsque je l’appelai au téléphone, au son de ma voix, elle comprit et
accepta que j’étais partie loin et pour longtemps. Mais pour la première fois, je
n’étais pas égarée. Je lui laissai tout l’argent de mon compte en banque. De
toute façon, en avais-je eu besoin?
Aussi, Casablanca n’était qu’une
escale dans mon périple, c’était le début d’une étape dans le long cours que serait
ma vie.
J’ouvris le journal, à la page des
petites annonces et soulignait l’une d’elles au stylo.
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Coucou chers lecteurs! Je suis le fantôme qui émerge dans cette histoire que j'avais mise de côté. Pour ceux et celles, qui la suivaient et qui se sont sentis un peu délaissés, je m'excuse. Vous m'avez manqué.
Je voulais trouver les mots pour décrire cette partie.
Un ou deux autres chapitres et c'Est bientôt la fin.
Ce chapitre décrit une violence conjugale. Ne jamais rester pour quelqu'un de violent, parler à ses proches, dénoncer les faits et surtout partir! With always love. Meritamon.