L'intruse qui change les donnes

Ecrit par Marc Aurèle

Maître MEDEDJI leva la tête. Je n’avais pas besoin de lunettes pour comprendre qu’il en avait les larmes aux yeux. Il s’essuya le front et habilement rattrapa une larme qui venait importuner son profond calme. Se redressant, il regarda l’assemblée et chercha des réponses à ses propres questions qu’il n’osait pas poser.

Monsieur Héritier n’était pas à la tête d’un petit empire, mais d’une grande et prometteuse affaire dont la réussite était sans égale. Seulement, il n’y avait pas grand-chose à répartir car de son vivant l’homme y avait veillé. Sur chacun de ses enfants il avait veillé comme du grain. De très grandes écoles les avaient accueillies et elles en étaient sorties avec les diplômes les plus adaptés aux problèmes des sociétés qu’elles avaient en charge chacune. Sous l’autorité de leur père et avec son regard de manager, il les avait vues faire leur preuve et il n’avait pas plus grand héritage légalement laissé à ces dernières. Quant à son épouse, elle détenait toujours quarante pourcent des parts sociales de la société mère dont les autres actionnaires étaient les agents dévoués qui y travaillaient.

Le silence de l’officier de justice laissait entendre davantage d’interrogations avec les regards qui se tournaient à présent sur les deux visages étrangers. Maitre MEDEDJI, aussi en avait pour sa curiosité et très vite poursuivit.

-Il a aussi ajouté ceci il y a trois semaines. Quand je ferai circuler le document, vous verrez que c’est de sa propre main, qu’il a écrit et je cite :

‘’ … Adivihon et Dèhoueffa, je vous ai trouvé une grande sœur, hélas trop tard. C’est pourquoi je vous prie de me pardonner et de lui accorder la même place que vous occupez l’une pour l’autre dans vos cœurs. Je lui lègue ce qui aujourd’hui porte son nom et lui demande de seconder sa sœur à la fondation…. Je vous aime ‘’

 

Le lourd silence s’amplifia drôlement. Je me tenais à l’angle de la porte et sur mon siège je ne pouvais plus tenir. J’imaginais l’homme dont on venait de lire les dernières volontés du haut de son nuage. Il admirait certainement les visages abattus et se délectait du paysage. Je donnerais beaucoup, le connaissant, pour le faire revenir afin d’expliquer à chacun de ces êtres les circonstances qui, sans aucun doute, répondraient à toutes les questions qu’ils se posaient. J’aurais été Dieu que je n’hésiterais aucunement, pour retourner le défunt homme à sa descendance afin de me libérer de la lourde tâche qu’il m’avait confiée par le hasard du sort.

 

Héritier CELESTIN était un père et un époux très heureux jusqu’à ne plus être. Sa famille restait un modèle pour bien de ses proches. A eux deux, son épouse et lui, avaient cumulé banalement vingt-cinq années de vie commune dont vingt de mariage. Le quotidien de l’homme s’était toujours résumé à ses filles, à la Fondation St CELESTIN et à la CELHYA Sa, la plus grande entreprise de distribution et de commercialisation de la place.

Un parfait ensemble de bien-être auquel rien ne fut changé de tout le vivant de Monsieur CELESTIN et ceci même avec la réapparition d’une certaine Abiba et de leur fille Sèyihami. Tous les regards venaient de se tourner vers l’étrangère et sa mère.

 

Le petit monde des proches conviés à la lecture du dernier acte notarié de Feu CELESTIN Héritier devint du coup bruyant. Maître Yindessou tapa sur la table pour réclamer le silence. C’était à nouveau le calme plat.

 

-Mademoiselle Sèyihami ! Avez-vous quelque chose à nous dire ? je suis tout aussi surpris que mes filles parce que je suis comme un frère pour votre père ; et pourtant, il ne m’a jamais rien dit de votre existence. Alors, éclairez-nous !

-…

-Et vous, madame ?

 

C’était toujours le silence d’une carpe qui était la réplique aux questions de l’homme de droit. Puis quelques sanglots rompirent le silence.

Sèyihami se leva. Elle se retourna vers l’assemblée d’une dizaine de personnes et je compris qu’elle voulait lever le voile de ce que fut son existence et de ce que fut sa rencontre avec son père.  Ayant été toujours dans les confidences du défunt, j’avais reçu l’ordre de ne pas laisser à la jeune fille, la lourde responsabilité de s’introduire.

 

Je me devais d’honorer la mémoire de l’homme dont la grandeur restait inestimable à mes yeux. Plus qu’un serviteur, j’étais pour tous les membres de la famille CELESTIN un parent, un ami, un proche très intime. Je n’étais qu’un simple chauffeur quand je fus admis au service du jeune CELESTIN Héritier. Mais en trente années, j’y avais gagné plus de ma vie car ma réussite je le dois à cet homme.

-       Sèssè, assieds-toi.

Je venais de me lever.

-       …

-       Mais, …. balbutia le notaire

-Excusez-moi de prendre la parole sans votre avis, maître. Vous n’êtes pas sans savoir qu’au-delà d’être le chauffeur de Monsieur, j’étais pour beaucoup dans sa vie familiale, professionnelle et j’en passe. Accordez-moi de répondre à vos préoccupations concernant les derniers écrits de feu Célestin, car c’est pour moi un devoir et également une obligation de rendre compte comme il me l’a demandé.

LA FILLE DU DESTIN