La loi de Murphy

Ecrit par Plénitudes by Zoé

Chapitre 34 : La loi de Murphy


**** Sabine ***


Nathaniel et moi venons d’atterrir à Lomé. Nous sommes en train de partir pour ma maison familiale. Mon père me l’a léguée avant son décès. Bref, nous y logerons quelques temps, le temps que les funérailles de la maman de Marla finissent. J’ai envie d’être là pour elle. Cela fait presqu’un mois maintenant que sa maman est décédée et la date des funérailles a été reportée plusieurs fois à cause des soucis avec sa famille maternelle. Elle a l’air d’aller de plus en plus mal.


Nous prenons un taxi et allons à la maison, la petite dormait tout le long du trajet. J’avais peur qu’elle fasse du bruit pendant le vol, surtout à cause de la gêne occasionnée par l’altitude, mais elle a été très sage. Franchement je revois chaque jour un peu plus de la douceur de sa mère en elle. Ça me rend à la fois triste et heureuse. Sara me manque vraiment par moments. Et ça fait presqu’un an, le temps passe tellement vite.


Nous allons passer une journée en ville et monter avec Marla et sa famille demain pour l’enterrement au village au nord du pays. Nath et moi allons passer cette nuit en prières afin que tout se passe bien demain et les deux jours que nous passerons là-bas, parce que disons-le clairement, ce décès n’a rien de naturel.


***


Nous arrivons devant une école où Marla nous a donné rendez-vous puisque nous ne connaissons pas chez elle, mais l’école se trouve sur le GPS. Nous avons loué une voiture pour la durée de nôtre séjour. J’appelle donc Marla pour lui dire que nous sommes là pendant que Nath laisse tourner la climatisation, nous ne sommes plus habitués à la chaleur de ce pays. Marla nous rejoint cinq minutes plus tard à moto et nous dit de la suivre. 


Nous arrivons et nous garons devant la maison. Nath et moi sortons de la voiture et la prenons chacun à nôtre tour dans nos bras. Elle a l’air si frêle entre les bras de Nath, comme si elle était prête à s’écrouler à tout moment. Nous devons la soutenir du mieux possible.


Marla (petit sourire) : Bienvenue dans mon humble demeure.

Moi : Merci ma belle.

Marla : Ils vont bientôt emmener le corps pour l’exposer à la maison. Hier, il y avait la veillée et j’ai dû pleurer toutes les larmes de mon corps de voir toutes ces personnes qui ne la connaissaient même pas me saluer comme si ça pouvait la ramener. Même Esther a pleuré comme une madeleine.


Je l’écoute parler et je comprends qu’elle est nerveuse c’est pour ça qu’elle est si éloquente, elle ne prend même pas le temps de respirer. Je l’écoute tranquillement se vider la tête un tant soit peu. Elle nous avait installés sur la terrasse et nous voyions à côté des hommes en train d’arranger la deuxième terrasse couverte avec des tissus de satin blanc pour y exposer le corps. J’ai eu tellement mal pour elle, je me demande comment elle arrive à tenir le coup.


Marla : J’aurais préféré que nous prenions la route depuis le matin mais mes frères préfèrent voir le corps avant de partir. Alors on va démarrer vers 14h d’ici. Vous nous suivrez bien sûr. Je vais rester en voiture avec mes frères et mon cousin dans le monospace de mon oncle…


Elle s’est interrompue au moment où on faisait venir le cercueil par le portail. Tout à coup des cris et des pleurs ont retenti, les gens qui venaient, la famille maternelle apparemment s’est mise à hurler et demander à la morte pourquoi elle leur avait fait ça. Je me suis tournée vers Marla, elle gardait un visage de marbre et ne disait plus rien. Tout ce que je pouvais faire c’est lui tenir la main.


**** Marla ****


Vous connaissez la loi de Murphy ? Elle dit « Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera mal ». J’ai tendance à être pessimiste mais là c’était au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer.


Lorsque maman a été placée sous la tente qu’ils ont faite sur la terrasse, on ne nous a pas permis de la voir en premier, puis quand les gens sont passés, ils nous ont fait entrer la voir. Je voulais la toucher au moins, tenir sa main mais ils nous pressaient et ne m’ont pas permis de m’attarder assez longtemps pour la toucher. J’avais tellement de choses que j’aurais aimé dire mais quand je l’ai vue allongée là, dans son cercueil, dans une robe blanche qu’elle n’aurait jamais portée et un maquillage grotesque sur les yeux, j’ai su que ma mère n’était plus là. Ce n’était qu’une enveloppe vide et même si j’en avais envie, je ne pouvais pas pleurer. Les larmes ne venaient juste pas. 


Juste après, nous avons chargé nos valises dans les coffres des voitures et nous sommes mis en route. Mon père viendrait avec le bus qui la transporterait avec les autres. Donc nous étions en convoi de trois voitures, celle de mon père avec le chauffeur au volant et mes tantes à bord, ensuite celle de mon oncle où j’étais avec mes frères et pour finir celle de Nathaniel et Sabine.


C’est à partir de ce moment que tout a empiré. Tout d’abord, la voiture de mon père a commencé à fumer sur la route et avons dû nous arrêter chez un mécanicien. Puis, il s’est mis à pleuvoir très fort, nous avons perdu plusieurs heures là-bas. Après, il a fallu s’arrêter chez la mère de mon oncle à Sokodé, une ville au centre du pays pour manger. Nous sommes arrivés à Kara au beau milieu de la nuit et avons pris des chambres dans un hôtel.


Et parlons-en de l’hôtel. Les chambres sentaient le renfermé, mes allergies se sont immédiatement réveillées et j’ai passé le séjour à renifler, me moucher, tousser avec le nez qui coulait. Ensuite, la nuit a été trop brève parce qu’il nous fallait nous réveiller tôt pour monter dans le village de ma mère sur une montagne où se passerait l’enterrement. Les autres y sont allés directement depuis hier. Sauf mon père qui est venu dormir à l’hôtel avec nous. Nous étions prêts à 6h du matin mais avons dû patienter jusqu’à 14h parce qu’ils devaient nous appeler avant que nous ne nous mettions en route. 


Lorsqu’ils se sont enfin souvenus de nôtre présence et nous ont appelés, nous nous sommes tous mis en cercle pour prier. Sabine conduisait la prière. Puis, nous nous sommes mis en route. Cette fois, nous avons pris uniquement le monospace de mon oncle. Mon père ne pouvait pas venir parce qu’ils ne voulaient pas le voir, ni mon cousin ni Nathaniel. J’ai demandé à Sabine de venir pour nous servir de soutien. Pendant tout le trajet, nous continuions de prier comme si nos vies en dépendaient et je suis sûre que c’était effectivement le cas.


Quand nous sommes arrivés au cimetière, il y avait tout le village rassemblé apparemment. Nous sommes descendus et avons marché en file indienne jusqu’au trou creusé dans le sol. Nous entendions des gens parler « Ce sont les enfants de la défunte », « Awo, quel malheur », « Beaucoup de courage les enfants ». Nous avons juste regardé droit devant nous et sommes arrivés à notre but. Là, ils ne nous avaient même pas attendus qu’ils avaient déjà mis le cercueil en terre. Ils m’ont tendu une petite pelle avec de la terre et c’est là j’ai compris qu’il fallait que je la jette sur le cercueil. Ce que j’ai fait. Puis au tour de chacun de mes frères. Ensuite, mon oncle nous a dit de nous en aller, apparemment les esprits commençaient à s’échauffer à l’arrière.


Au fil de notre progression pour rejoindre la voiture, nous entendions complètement autre chose que plus tôt : « Vous n’avez même pas honte », « Vous êtes habillés pareils, vous vous croyez à un défilé de mode ? », « Vous avez tué votre propre mère », « Quel genre d’enfants êtes-vous ? »


Je tremblais mais de colère plus qu’autre chose. Nous sommes montés en voiture au moment où des jeunes ramassaient des pierres pour nous lapider, ils ont voulu renverser la voiture, c’est là que mon oncle a démarré et que nous sommes repartis. Je voyais bien que Sabine était sous le choc. Elle ne sait pas que les Kabyè sont à part disons, ils ne réfléchissent pas comme tout le monde. Et parfois ils agissent comme s’ils allaient manger le cadavre ou je ne sais pas quoi. J’ai même entendu dire qu’ils peuvent gifler le cadavre si la personne a été mauvaise durant sa vie. J’avoue que je ne comprends pas.


Nous sommes arrivés au palais des congrès de Kara pour la réception pour remercier ceux qui nous ont accompagnés et qui repartaient sur Lomé le même soir. Par contre, Sabine et Nath restent avec nous. C’est là que j’ai appris la raison pour laquelle tout un village voulait nôtre mort.


Tante (la sœur de papa) : Est-ce que vous avez vu les sœurs de votre mère aujourd’hui ?

Moi : Non, mais je crois avoir vu la voiture de l’une d’elles quelque part.

Tante : Pendant qu’on était au village hier, elles ont raconté n’importe quoi. Elles ont dit que Marc aidait ton père à ligoter votre maman et qu’ils la frappaient copieusement. Mais que toi tu la tapais plus que tout le monde. Et que Esther l’insultait tout le temps.


Nous étions choqués. Nos tantes étaient chez nous il y avait à peine trois jours et elles jouaient à celles qui compatissaient et nous donnaient des conseils. Mais ce n’était pas fini.


Tante : Votre cousine qui est venue pour nous aider, et à qui votre père a payé le transport pour venir à l’enterrement a raconté tellement de mensonges. Que votre père a acheté de nouvelles voitures depuis la mort de votre mère, que vous étiez soulagés. Même le chauffeur de la voisine qui t’avait aidé la nuit-là a dit qu’il était là, qu’il avait vu comme tu étais dévastée Marla et que ces personnes ne savaient pas de quoi elles parlaient. Votre grand-mère a dit que sa fille est morte d’une hémorragie interne parce que vous la frappiez cette nuit-là.


Je n’en croyais juste pas mes oreilles. Tous des hypocrites. Oh Seigneur ! 


Le lendemain, nous devions aller rendre visite aux frères de ma mère et mon oncle nous a préparé en nous disant de ne répondre à aucune question. Juste de dire que nous ne savions rien du tout. Nous sommes alors remontés au village où on nous a fait patienter de 8h à 15h avant de nous recevoir, or nous retournions à Lomé le même jour. Le lendemain, c’était la rentrée des cours.


Heureusement, ils ne nous ont accusés de rien. Apparemment, ce sont les frères de ma mère de même père mais de différentes mères. Ils nous ont même dit de considérer leur maison comme la notre et de ne pas laisser ce qui s’est passé la veille nous empêcher de revenir dans le village. Je me suis dit intérieurement que si ça ne dépendait que de moi, personne n’entendrait plus jamais parler de nous dans cette famille. Bref, nous avons salué tout le monde et sommes partis directement pour Lomé.


Plus tard, mon père m’expliquera que la raison de cette division dans cette famille et qui rejaillissait sur nous est que notre grand-mère maternelle, lorsque son petit-frère est devenu un baron, un homme très riche, a pris tous ses enfants sans l’accord préalable de son mari et les a emmenés en ville auprès de son fameux frère. Ce frère, mon grand-oncle donc, a ainsi recueilli des tas d’enfants pour les scolariser ; et ces enfants ont commencé à mourir l’un après l’autre dans des circonstances bizarres.

Le Fardeau des Autre...